FABLE XV. LE COQ ET LE RENARD. Sur la branche d'un arbre étoit en sentinelle Paix générale cette fois. Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse. Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer. Le baiser d'amour fraternelle. Ami, reprit le coq, je ne pouvois jamais De cette paix ; Et ce m'est une double joie Qui, je m'assure, sont courriers Que pour ce sujet on envoie : 1. Faites des feux de joie, réjouissez-vous. Ils vont vite, et seront dans un moment à nous. Et notre vieux coq en soi-même Car c'est double plaisir de tromper le trompeur. 1. Ses chausses. Tirer ses grègues est une expression proverbiale pour dire décamper, s'enfuir. FABLE XVI. LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE. L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton, Un corbeau, témoin de l'affaire, Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton, Il tourne à l'entour du troupeau, Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau, On l'avoit réservé pour la bouche des dieux. Mais ton corps me paroît en merveilleux état : Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat. Pesoit plus qu'un fromage; outre que sa toison Et mêlée à peu près de la même façon Elle empêtra si bien les serres du corbeau, Que le pauvre animal ne put faire retraite : 1. Nulle âme moutonnière, » avait dit Rabelais. Le vers suivant fait allusion au corbeau de la deuxième fable du livre Ier. Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau, Il faut se mesurer; la conséquence est nette : Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs; 1. Petits voleurs, diminutif dont notre poëte paraît avoir enrichi la langue'; du moins il ne se trouvait pas dans le Dictionnaire de l'Académie de son temps, et il s'y trouve aujourd'hui. (W.) FABLE XVII. LE PAON SE PLAIGNANT A JUNON. Le paon se plaignoit à Junon. Déesse, disoit-il, ce n'est pas sans raison Que je me plains, que je murmure : Le chant dont vous m'avez fait don Déplaît à toute la nature; Au lieu qu'un rossignol, chétive créature, Oiseau jaloux, et qui devrois te taire, Une si riche queue et qui semble à nos yeux Est-il quelque oiseau sous les cieux 1. Nué pour nuancé, un peu vieilli, mais très-bon à conserver. Cette description des beautés du paon, quoique peu détaillée, est du plus brillant coloris. Elle rappelle sans désavantage les vers de Phèdre : Nitor smaragdi collo præfulget tuo; Pictisque plumis gemmeam caudam explicas. 2. Le paon se panade lorsqu'il étale sa queue; il se pavane lorsqu'il marche orgueilleusement. Panader, de paon; pavaner, de pavo. (Geruzez.) |