Devant son tribunal l'escarbot comparut, Fit sa plainte, et conta l'affaire. On fit entendre à l'aigle, enfin, qu'elle avoit tort. FABLE IX. LE LION ET LE MOUCHERON. Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre! Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi A peine il achevoit ces mots Dans l'abord il se met au large; Puis prend son temps, fond sur le cou Le quadrupède écume, et son œil étincelle; Est l'ouvrage d'un moucheron. Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle; 1. Puissant exprime ici la grosseur de la taille. Cette acception est indiquée dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie, et elle est encore d'usage dans le style familier et populaire. (A. M.) 2. « Le lion en colère ne rugit point, dit Buffon. Le rugissement est la voix ordinaire du lion, et, lorsqu'il est en colère, il a un autre cri qui est court, réitéré subitement, et plus terrible encore que le rugissement. » Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau, La rage alors se trouve à son faîte montée. Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs, L'insecte du combat se retire avec gloire : II y rencontre aussi sa fin. Quelle chose par là nous peut être enseignée? 1. Mais vient du mot latin magis, et signifie ici davantage; c'est un idiotisme bien ancien, et qu'on trouve dans la langue romane. (Voyez Raynouard, Éléments de la grammaire de la langue romane, p. 338.) Ménage, dans la première édition de ses Observations sur la langue françoise, publiées en 1672 (ch. LXI, p. 109), considère cette façon de parler comme très,naturelle et très-française. Vaugelas remarque que de son temps elle était commune à la cour, mais que cependant elle était du style familier. (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, 1697, t. I, p. 218.) Ontrouve de fréquents exemples de cette locution dans Malherbe, dans Molière et dans d'autres auteurs du siècle de Louis XIV. Plusieurs auteurs de nos jours même l'ont employée. (W.) FABLE X. L'ANE CHARGÉ D'ÉPONGES ET L'ANE CHARGÉ DE SEL. Un ânier, son sceptre à la main, Deux coursiers à longues oreilles. L'un, d'éponges chargé, marchoit comme un courrier; Et l'autre, se faisant prier, Portoit, comme on dit, les bouteilles : 1 Sa charge étoit de sel. Nos gaillards pèlerins, Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent, Et fort empêchés se trouvèrent. L'ânier, qui tous les jours traversoit ce gué-là, Chassant devant lui l'autre bête, Dans un trou se précipita, Car au bout de quelques nagées, 2 1. Expression proverbiale. Quand on porte les bouteilles, on marche lentement de peur de les casser. 2. Ce mot appartient au vocabulaire des mariniers et des nageurs : quoiqu'il n'ait point encore été admis dans les dictionnaires de la langue, il mérite d'y trouver place; car il n'y en a point d'autre pour exprimer la même idée; il est si clair et si heureusement employé par notre poëte qu'on n'a pas même besoin de l'expliquer. (W.) Que le baudet ne sentit rien Sur ses épaules soulagées. Camarade épongier1 prit exemple sur lui, Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui. Tous trois burent d'autant l'ânier et le grison Celle-ci devint si pesante, Et de tant d'eau s'emplit d'abord, D'une prompte et certaine mort. Quelqu'un vint au secours qui ce fut, il n'importe; C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point Agir chacun de même sorte. J'en voulois venir à ce point. 1. Mot créé par La Fontaine. |