FABLE IV. LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUILLE. Deux taureaux combattoient à qui posséderoit Sera l'exil de l'un; que l'autre, le chassant, Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies, Cette crainte étoit de bon sens. L'un des taureaux en leur demeure 1. Il y a, dans les éditions publiées par La Fontaine, croassant: mais cette faute doit être rejetée sur le compte de l'imprimeur. Les corbeaux croassent, les grenouilles coassent. Un des derniers commentateurs de notre poëte (Nodier) prétend que cette distinction n'était pas connue au siècle de Louis XIV. C'est une erreur : on n'a qu'à consulter le dictionnaire de l'Académie française, publié en 1696, et le dictionnaire de Nicot, imprimé en 1606, et l'on se convaincra que cette distinction est très-ancienne dans notre langue, et que le verbe coasser a toujours été le seul que l'on ait employé pour exprimer le cri des grenouilles. (W.) S'alla cacher, à leurs dépens: Hélas! on voit que de tout temps Les petits ont pâti des sottises des grands. 1. 1 Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi. FABLE V. LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES. Une chauve-souris donna tête baissée Dans un nid de belette; et, sitôt qu'elle y fut, Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire Ce n'est pas ma profession. Moi, souris! des méchants vous ont dit ces nouvelles. Je suis oiseau; voyez mes ailes : Deux jours après, notre étourdie Chez une autre belette aux oiseaux ennemie. Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas. Qui fait l'oiseau? c'est le plumage. Je suis souris; vivent les rats! Jupiter confonde les chats! Elle sauva deux fois sa vie. Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants, Vive le roi! vive la ligue! 1. S'en sont moqués. Faire la figue, en italien far le fiche ou le castagne, c'est un signe de mépris qui se fait en montrant le pouce placé entre l'index et le médium. Expression fort ancienne, puisqu'on la retrouve dans la langue romane, et dans le roman de Jauffre, composé, selon M. Raynouard, au plus tard vers le commencement du XIIe siècle. Krantz, Paradin, Rabelais, et ensuite un grand nombre d'auteurs plus modernes qui ont copié Rabelais, donnent à cette locution une origine qui est démentie par tous les faits de l'histoire. V. Rabelais, liv. IV, ch. XLV. FABLE VI. L'OISEAU BLESSÉ D'UNE FLÈCHE. Mortellement atteint d'une flèche empennée, Et disoit, en souffrant un surcroît de douleur : Cruels humains! vous tirez de nos ailes De quoi faire voler ces machines mortelles! Fournira des armes à l'autre. 1. Chamfort préférait emplumée, qui n'a point la même acception. Emplumé signifie revétu de plumes. Empenné veut dire armé de plumes, et il nous est resté dans ce sens, quoi que Chamfort en dise. Delille, prévenu cependant par cette observation aventureuse, s'est cru obligé d'écrire : Aucun ne sait mieux l'art D'emmancher la cognée et d'emplumer un dard. L'Imaginat, ch. rer. Nous ne pensons pas que ce vers prête une grande autorité à l'opinion de Chamfort. (N.) |