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FABLES

DE

LA FONTAINE

A

MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.'

MONSEIGNEUR,

S'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il seroit véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens2 a jugé qu'ils n'y étoient pas inutiles. J'ose, Monseigneur, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge

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1. Louis, Dauphin de France, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche, naquit à Fontainebleau le 1er novembre 1661, et mourut à Meudon le 14 avril 1711.

Cette épître dédicatoire fut insérée, du vivant même de La Fontaine, comme un modèle en son genre, dans le recueil intitulé Les plus belles lettres des meilleurs auteurs françois, avec des notes, par Pierre Richelet, Paris, 1689, in-12, p. 151.

2. Socrate.

3. Le Dauphin avait six ans et cinq mois lorsque La Fontaine fit paraître le recueil de fables où se trouve cette épître dédicatoire. Ce recueil, qui parut d'abord in-4°, fut achevé d'imprimer le 31 mars 1668.

où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L'apparence en est puérile, je le confesse; mais ces puérilités servent d'enveloppe à des vérités importantes.

Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables; car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre : la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connoître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très-heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous appreniez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, Monseigneur, les qualités que notre invincible monarque vous

1. Le Dauphin eut d'abord pour précepteur le président de Périgny. C'est de lui qu'il s'agit ici. Ce président était un homme de cour, poëte madrigalesque, auteur de ballets. On le rencontre en lutte avec Benserade dans la composition des vers et des devises pour les fêtes de Versailles. Nous l'avons vu notamment se distinguer à l'occasion des divertissements du mois de mai 1664 (OEuvres de Molière, tome III, page 332). On comprend qu'il ait mérité le compliment que lui adresse ici La Fontaine. Mais quand il mourut en 1670, et qu'un nouveau précepteur fut à nommer pour le Dauphin parvenu, comme on dit, à l'âge de raison, Louis XIV choisit Bossuet.

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