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rière des lettres où son talent se développait avec force et bonheur.

Dans sa traduction de l'Iliade il a montré une connaissance approfondie de la langue grecque et une éloquence franche et hardie, digne quelquefois de s'associer à celle des héros d'Homère.

Sa tragédie de Brunehaut prouvait en lui le rare talent de faire revivre sur la scène les héros de notre histoire.

L'académie française, qui devait trop tôt le perdre, lui ouvrit ses portes en 1814. Il succéda à Bernardin de Saint-Pierre qu'il devait rejoindre dix ans après, dans cette triste enceinte.

Comme écrivain politique, la puissance de son talent s'était accrue de toute la gravité des événemens dont nous avons été les témoins et les victimes. Son livre sur l'institution du jury, renferme toutes les garanties d'une célébrité durable; c'est le vœu d'un homme de bien et la pensée d'un grand publiciste, exprimée par un écrivain habile.

Vaste savoir, esprit facile et vigoureux, intelligence souple dans sa force, sentimens nobles, patriotisme éclairé, la tombe ne vous a pas engloutis. Déjà la postérité s'élève du sein même de cette terre qui s'ouvre pour recevoir la dépouille mortelle de notre ami, de notre illustre confrère elle nous dit qu'il avait rempli sa destinée, celui qui ne laisse après lui que d'honorables souvenirs; celui que l'on citera comme le modèle des époux, des pères et des amis; celui qui n'a pas fait une action qu'il voulût retrancher de sa vie, qui n'a point écrit une ligne qu'il voulût ef

facer.

Adieu, cher Aignan! Adieu pour toujours homme excellent, vertueux citoyen, écrivain courageux dont l'avenir conservera les nobles vestiges! Adieu toi qui précèdes ceux qui devaient te précéder; s'ils te survivent, c'est pour pleurer sur ta cendre, et pour protéger ta renommée.

Après ce discours, chacun s'est retiré avec des pensées tristes sur la brièveté de notre existence, et sur la fatalité trop commune qui enlève avant le temps des hommes qui font le soutien de leur famille, le charme de leurs amis et l'ornement de la patrie.

P. F. TISSOT.

L'OISEAU SANS PLUMES.

FABLE.

Au retour du printemps, sous des ombrages verts,
Dans un bosquet du voisinage,

Les légers habitans des airs,

Par leurs chants réunis égayaient le bocage,
Et l'écho du matin répétait leurs concerts.
Un jeune oiseau, sans soutien et sans mère,
Tout le jour gémissait loin d'eux,
Cherchant, comme les malheureux,
Dans la forêt un endroit solitaire,

Pour éviter leurs chants joyeux.
Hélas! au milieu de leurs jeux,
Comment aurait-il pu se plaire?
Tantôt il les voyait s'élancer vers les cieux,
Ou tantôt voltiger sur un chêne orgueilleux,
Et ne pouvait quitter la terre!

Notre orphelin avait le bec fort beau,
L'œil assez vif et l'allure légère,
Mais, par un caprice nouveau,
Le sort, que je ne comprends guère,
Avait privé le pauvre passereau

De plumes..... et pour un oiseau
C'était, je crois, un présent nécessaire.
Tandis que, pour cacher sa honte et sa douleur,
Triste, confus, il suit une route incertaine,

Un rossignol témoin de son malheur,
Au peuple des oiseaux expose avec douceur,

Le touchant récit de sa peine :

« Frères, cessez vos chants harmonieux, » Il est, dit-il, au fond de ce bocage, » Un de nos compagnons que votre joie outrage ; >> Ne chantez plus, car il est malheureux ! » Il ne peut, avec nous, agiter le feuillage,

>> Quand le soleil ramène les beaux jours; >> Il ne peut de son aile emprunter le secours, » Pour éviter la serre des vautours,

>> Ou pour échapper à l'orage;

>> Lorsque le doux printemps embellit l'horizon,
» Il a
a, pour alléger sa peine et son veuvage,
>> Et le parfum des fleurs et l'émail du gazon ;
» Mais quand viendra la mauvaise saison,
» Adieu les fleurs! adieu l'ombrage! .
» Ainsi que nous l'abri de son plumage,
>> Des rigueurs de l'hiver ne peut le garantir;
>> Nu, sans amis, sans force, sans courage,
» L'infortuné n'aura plus qu'à mourir!
» Il en est temps, consolons sa misère;
>> Le sort, envers lui seul injuste et rigoureux,
» Nous a donné, pour voler dans les cieux,
>> Une aile rapide et légère;

>> Notre plumage enchante tous les yeux

>> Et nous offre, en tout temps, un abri tutélaire; >> Soyons compatissans quand nous sommes heureux, » Et que chacun de nous, par un soin salutaire, >> De ce plumage précieux

>> Détache une plume ou deux

>> Pour en couvrir notre frère. »

Il dit à son récit, à sa simple prière,

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La troupe émue a, d'un commun essor,
Gagné le réduit solitaire

Où l'orphelin gémit encor.
On le caresse, on le rassure;

Tout en le consolant de sa voix douce et pure,
Le rossignol répare avec habileté

L'oubli qu'avait fait la nature;

Par chaque oiseau l'exemple est imité,
Et tous, d'un plumage emprunté,
De leur frère surpris composent la parure.

Lui cependant, immobile, incertain,
De ses ailes, d'abord, n'ose point faire usage ;
Le peuple ailé l'applaudit, l'encourage,
Il fait un pas, puis deux..., puis il s'essaie enfin,
Puis enhardi par leur suffrage,

A ses ailes d'un jour, confiant son destin,
Il vole, à travers le feuillage,

Jusqu'à l'ormeau le plus voisin.

Bientôt, comme un captif échappé de sa chaîne,
Impatient, il veut tout connaître à la fois,
L'ormeau, l'églantier, le vieux chêne,
Le vallon, les prés et les bois ; ́·

Il va,

revient dans sa joie incertaine,
De la forêt au hameau,

De la montagne à la plaine;

Tantôt au sein des airs portant son vol nouveau,
Ou tantôt de son aile effleurant le ruisseau.
Heureux alors de leur ouvrage,

Ses compagnons admiraient tour à tour,
Sa grâce, sa beauté, l'éclat de son plumage.....
Mais l'imprudent, trop fier de cet hommage,
Méconnut bientôt leur amour!

«< Que vois-je? se dit-il un jour,

>> De tous côtés on vient grossir ma cour,
» Je suis le roi de ce bocage!

» Et quel autre eut jamais plus de dons en partage? » L'aigle dans l'air par son vol emporté

>> Montre-t-il plus d'audace et de rapidité?

» Quand le soleil, au lever de l'aurore,

>> De ses rayons naissans l'échauffe et le colore, » Mon plumage effaçant le vain éclat des fleurs, >> Aux regards éblouis étale ses couleurs.

» Que je paraisse, on mentoure, on m'admire, >> Qui peut me disputer l'empire!

» Je suis le roi de la forêt ! »>

Le rossignol qui l'écoutait,

En vain de sa voix douce et tendre
De ce rêve orgueilleux veut dissiper l'erreur,
L'ingrat l'outrage et sans l'entendre
De son bec insolent frappe son bienfaiteur.
Dès ce moment, l'oiseau peu sage,
Se rengorgeant, faisant le grand seigneur,
Du peuple ailé, par son humeur sauvage,
Troublait les jeux, les chants et le bonheur.
C'était le Tarquin du bocage.
Qu'arrive-t-il? le peuple qu'il outrage,
Las enfin de tant de hauteur,

Le dépouille de son plumage.....
L'hiver survient... sur un autre rivage
Chaque oiseau va chercher un ciel plus fortuné;
Et détrompé de son orgueil extrême,
N'étant plus rien, redevenu lui-même,

L'ingrat mourut abandonné.

HIPPOLYTE ROLLE

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