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ALEXANDRIE.

On peut placer ce conte avec celui de l'empoisonnement d'Alexandre par Ariftote; car Plutarque nous dit qu'on avait entendu dire à un certain Agnotėmis, qu'il avait entendu dire au roi Antigone qu'Ariftote avait envoyé une bouteille d'eau de Nonacris ville d'Arcadie; que cette eau était fi froide qu'elle tuait fur le champ ceux qui en buvaient; qu'Antipâtre envoya cette eau dans une corne de pied de mulet; qu'elle arriva toute fraîche à Babylone; qu'Alexandre en but, & qu'il en mourut au bout de fix jours d'une fièvre

continue.

Il eft vrai que Plutarque doute de cette anecdote. Tout ce qu'on peut recueillir de bien certain, c'est qu'Alexandre à l'âge de vingt-quatre ans avait conquis la Perfe par trois batailles; qu'il eut autant de génie que de valeur; qu'il changea la face de l'Afie, de la Grèce, de l'Egypte, & celle du commerce du monde; & qu'enfin Boileau ne devait pas tant fe moquer de lui, attendu qu'il n'y a pas d'apparence que Boileau en eût fait autant en fi peu d'années. (*)

ALEXANDRI E.

PLUS de vingt villes portent le nom d'Alexandrie,

toutes bâties par Alexandre & par fes capitaines qui devinrent autant de rois. Ces villes font autant de monumens de gloire, bien fupérieurs aux flatues que la fervitude érigea depuis au pouvoir; mais la feule de ces villes qui ait attiré l'attention de tout l'hémifphère par fa grandeur & fes richeffes, eft celle qui

(*) Voyez Heire.

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devint la capitale de l'Egypte. Ce n'eft plus qu'un monceau de ruines. On fait affez que la moitié de ville a été rétablie dans un autre endroit vers la La tour du phare, qui était une des merveilles du monde, n'existe plus.

cette
mer.

La ville fut toujours très-floriffante fous les Ptolomées & fous les Romains. Elle ne dégénéra point fous les Arabes: les Mammelucs & les Turcs, qui la conquirent tour-à-tour avec le refte de l'Egypte, ne la laiffèrent point dépérir. Les Turcs même lui confervèrent un refte de grandeur; elle ne tomba que lorfque le paffage du cap de Bonne-Efpérance ouvrit à l'Europe le chemin I'Inde, & changea le commerce du monde qu'Alexandre avait changé, & qui avait changé plufieurs fois avant Alexandre.

de

Ce qui eft à remarquer dans les Alexandrins fous toutes les dominations, c'est leur industrie jointe à la légéreté; leur amour des nouveautés avec l'application au commerce & à tous les travaux qui le font fleurir; leur efprit contentieux & querelleur avec peu de courage; leur fuperftition, leur débauche, tout cela n'a jamais changé.

La ville fut peuplée d'Egyptiens, de Grecs, & de Juifs, qui tous, de pauvres qu'ils étaient auparavant, devinrent riches par le commerce. L'opulence y introduifit les beaux arts, le goût de la littérature, & par conféquent celui de la difpute.

Les Juifs y bâtirent un temple magnifique, ainfi qu'ils en avaient un autre à Bubafte; ils y traduifirent leurs livres en grec qui était devenu la langue du pays. Les chrétiens y eurent de grandes écoles. Les animofités furent fi vives entre les Egyptiens naturels,

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ALEXANDR I E.

les Grecs, les Juifs, & les chrétiens, qu'ils s'accufaient continuellement les uns les autres auprès du gouverneur; & ces querelles n'étaient pas fon moindre revenu. Les féditions mêmes furent fréquentes & fanglantes. Il y en eut une fous l'empire de Caligula, dans laquelle les Juifs, qui exagèrent tout, prétendent que la jaloufie de religion & de commerce leur coûta cinquante mille hommes que les Alexandrins égorgèrent.

Le chriftianifme que les Panthène, les Origène, les Clément avaient établi, & qu'ils avaient fait admirer par leurs mœurs, y dégénéra au point qu'il ne fut plus qu'un efprit de parti. Les chrétiens prirent les mœurs des Egyptiens. L'avidité du gain l'emporta fur la religion; & tous les habitans divifés entre eux n'étaient d'accord que dans l'amour de l'argent.

C'eft le fujet de cette fameufe lettre de l'empereur Adrien au conful Servianus, rapportée par Vopifcus. (a)

J'ai vu cette Egypte que vous me vantiez tant, , mon cher Servien ; je la fais toute entière par cœur. ,, Cette nation est légère, incertaine, elle vole au chan"gement. Les adorateurs de Serapis fe font chrétiens; , ceux qui font à la tête de la religion du CHRIST ,, fe font dévots à Sérapis. Il n'y a point d'archirabbin " juif, point de famaritain, point de prêtre chré" tien qui ne foit aftrologue, ou devin, ou baigneur, " (c'est-à-dire entremetteur.) Quand le patriarche grec (b) vient en Egypte, les uns s'empreffent auprès

(a) Tome II, page 406.

(b) On traduit ici patriarcha, terme grec, par ces mots patriarche grec; parce qu'il ne peut convenir qu'à l'hierophante des principaux mystères grecs. Les chrétiens ne commencèrent à connaître le mot de patriarche qu'au cinquième fiècle. Les Romains, les Egyptiens, les Juifs ne connaissaient point ce titre.

", de

"de lui pour lui faire adorer Serapis, les autres le "CHRIST. Ils font tous très-féditieux, très-vains, " très-querelleurs. La ville eft commerçante, opulente, "peuplée; personne n'y est oifif; les uns y foufflent "le verre; les autres fabriquent le papier. Ils femblent "être de tout métier, & en font en effet. La goutte "aux pieds & aux mains même ne les peut réduire "à l'oifiveté. Les aveugles y travaillent; l'argent est "un dieu que les chrétiens, les Juifs, & tous les " hommes fervent également. "

Voici le texte latin de cette lettre.

FLAVII VOPISCI SYRACUSII SATURNINUS. Tomi fecundi, pag. 406.

ADRIANI EPISTOLA, EX LIBRIS PHLEGONTIS LIBERTI EJUS PRODITA.

Adrianus Auguflus Serviano Cos. Vo.

EGYPTUM, quam mihi laudabas, Serviane cariffime, totam didici, levem, pendulam, & ad omnia famæ monumenta volitantem. Illi qui Serapin colunt chriftiani funt, & devoti funt Scrapi qui fe CHRISTI epifcopos dicunt. Nemo illic archifynagogus Judæorum, nemo famarites, nemo chriftianorum presbyter non mathematicus, non arufpex, non aliptes. Ipfe ille patriarcha, quum Ægyptum venerit, ab aliis Serapidem adorare, ab aliis cogitur CHRISTUM. Genus hominis feditiofiffimum, vaniffimum, injuriofiffimum. Civitas opulenta, dives, foecunda, in quâ nemo vivat otiofus. Alii vitrum conflant; ab aliis charta conficitur; omnes certè lympiones cujufcumque artis & videntur & habentur. Podagrofi quod agant habent; Dictionn. philofoph. Tome I.

L

coci quod agant habent, coci quod faciant; ne chiragri quidem apud eos otiofi vivunt. Unus illis deus eft, hunc chriftiani, hunc Judæi, hunc omnes venerantur & gentes.

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Cette lettre d'un empereur auffi connu par fon efprit que par fa valeur, fait voir en effet que les chrétiens, ainfi que les autres, s'étaient corrompus dans cette ville du luxe & de la difpute: mais les mœurs des premiers chrétiens n'avaient pas dégénéré par-tout; & quoiqu'ils euffent le malheur d'être dès long-temps partagés en différentes fectes qui fe déteftaient & s'accufaient mutuellement, les plus violens ennemis du chriftianifme étaient forcés d'avouer qu'on trouvait dans fon fein les ames les plus pures & les plus grandes; il en eft même encore aujourd'hui dans des villes plus effrénées & plus folles qu'Alexandrie.

ALGE R.

LA philofophie eft le principal objet de ce diction

naire. Ce n'eft pas en géographes que nous parlerons d'Alger, mais pour faire remarquer que le premier deffein de Louis XIV, lorfqu'il prit les rènes de l'Etat, fut de délivrer l'Europe chrétienne des courses continuelles des corfaires de Barbarie. (a) Ce projet annonçait une grande ame. Il voulait aller à la gloire par toutes les routes. On peut même s'étonner qu'avec l'efprit d'ordre qu'il mit dans fa cour, dans les finances, & dans les affaires, il eût je ne fais quel goût d'ancienne chevalerie, qui le portait à des actions généreufes & (a) Voyez l'expédition de Gigeri par Peliffon.

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