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tribue la pensée et le langage aux animaux, mais dans les limites de leur naturel; elle rapprochera les oiseaux de la vie humaine par la tendresse des affections, mais elle se gardera d'en faire des docteurs de philosophie sentimentale.

Nous croyons les lois du fantastique sérieux faussées en un autre point par la violation d'une loi de la nature, par les amours entre espèces différentes, tels que la passion invincible, à toute épreuve, du Rouge-gorge pour le Serin, et la tendresse non moins passionnée du Chardonneret et du Merle. Cette tendresse est, du reste, un fil tissu pour lier l'ensemble des récits. Offerte à notre imagination au début du livre, elle amène de temps en temps des incidents, des allusions délicates, fournit la matière de la conclusion et maintient le ton fondamental d'une émotion tendre. L'idée en serait heureuse au point de vue artistique, si l'ordre social des oiseaux permettait les mésalliances, mais la critique ne saurait comment justifier devant la loi de la nature la longue conversation amoureuse entre le Chardonneret et le Merle. Le Chardonneret, près de s'éloigner, demande à l'objet de sa tendresse s'il ne l'oubliera pas pendant les jours froids de l'hiver et s'il lui conservera son cœur aimant jusqu'à ce que le soleil du printemps le ramène lui-même dans ces climats. Le Merle, presque offensé par un tel doute, déclare ne vivre que pour son unique objet, son tout; il consentirait à ne plus revoir son nid natal s'il pouvait suivre dans sa course lointaine le seul être auquel son âme soit attachée. Attendri par l'idée de la séparation et des adieux, l'oiseau qui reste dit à celui qui va partir. « La mélancolie a aussi un charme dont un cœur sensible ne saurait se passer. » Quel merle!

Mais voyez le malheur de l'écrivain qui doit rendre

dans une autre langue une tendresse si rare. Nous n'avons pas de nom féminin pour la fondante amie du chardonneret; et tandis que l'allemand la désigne par un mot (amsel) dont la suavité correspond au caractère de son chant, notre mot merle est toujours près de réveiller le sentiment du ridicule par son emploi dans nombre de locutions proverbiales: un fin merle; rusé comme un merle ; je vous donnerai un merle blanc; jaser comme un merle ; un dénicheur de merles. Telle est la disgrâce des traducteurs et des traductions.

Peut être les puristes en histoire naturelle n'admettrontils pas, même en faveur du genre fantastique, le chardon neret qui charpente son nid (p. 25), ni l'hirondelle qui chante chaque matin à plein gosier son hymne au Créateur, sur les branches d'un marronnier (p. 38), ni l'alouette qui niche sur un tilleul dans une forêt (p. 101), ni le rougegorge qui, presque paralysé par l'émotion, risque de tomber dans un abîme (p. 122). Nous laisserons les savants pactiser avec l'auteur.

Nous voudrions, comme simple amateur, le supplier d'éviter, dans les sentiments et dans le style, la recherche et l'exagération qui gâtent les plus jolies choses, comme l'excès de la parure gâte la plus jolie personne. Dans le charmant conte d'un poëte pauvre, le Chardonneret va chanter sur sa fenêtre, dissiper sa tristesse et ranimer sa langueur. Le poëte le supplie de rester auprès de lui pour l'inspirer par ses chants. Tout cela est bien. Mais quand il dit à l'oiseau : « Avec toi s'enfuit mon bon génie; «sans toi c'en est fait de mes créations; si tu m'abandon<< nes, j'ai vécu en vain, » cette déclamation nous refroidit, parce qu'elle sort des limites du vrai. Nous le regrettons d'autant plus que ce conte renferme bien des traits

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heureux. Pour s'assurer du chanteur entré dans sa chambre, le poëte ferme la fenêtre; l'oiseau se débat pour sortir; son ami importuné le met en cage, tandis qu'il compose sans doute un hymne à la liberté. Nous le supposons du moins, puisque peu de jours après on vient l'arrêter luimême: dans ces temps fantastiques, les chants s'expiaient quelquefois par la prison. Sur le point d'être emmené de sa chambre, au nom de la loi, il demande un moment encore pour payer une dette; il vole vers la cage, ouvre la fenêtre, et rend au Chardonneret la liberté, dont il sent luimême plus vivement le prix à l'heure où il va perdre la sienne.

Bien que fantastique par la personnification de la nature, c'est un récit d'un genre très-différent qui a paru, en deux éditions déjà, sous ce titre que nous nous gardons de traduire pour des raisons que nous dirons bientôt.

Waldmeisters Brautfarth. Ein Rhein-Wein- und Wandermarchen, von Otto Roquette. Stuttgart, Cotta; 1851.

Cette fois nous tenons un vrai poëme, pour le fond et pour la forme, le seul des ouvrages réunis dans cet article qui soit écrit en vers. C'est d'un joli petit volume plein d'une poésie gracieuse et légère qu'il nous reste à parler, et pourtant nous devons débuter par un commentaire, sous peine de n'être pas compris de beaucoup de nos lecteurs. Heureusement pour eux, notre philologie n'est que gastronomique.

Dans une partie de l'Allemagne, particulièrement dans celle que traverse le Rhin, on se délecte au printemps

d'une boisson composée de vin blanc ou rouge où l'on mêle du sucre, des tranches d'oranges, et certaines herbes qui doivent tremper un temps déterminé; le choix et les proportions sont l'objet d'un art délicat. Le principal élément de cette composition, après le vin, c'est l'asperule ou l'hẻpatique étoile (Asperula odorata), dans sa verdeur printanière et avec sa sève parfumée. La saison ou l'hépatique déploie toute sa vertu a donné à la boisson le nom de Maitrank, boisson de mai'.

L'hépatique s'appelle en allemand Waldmeister, et le titre du poëme annonce le Voyage nuptial que le prince Waldmeister fait sur les rives du Rhin pour aller épouser la princesse Fleur de vigne, fille du roi Vin de feu, qui trône à Rüdesheim, l'un des crus les plus renommés, et dont les États embrassent tout le vignoble rhénan. Ici encore, vous avez un exemple de l'embarras des traducteurs. Waldmeister est un nom masculin, et qui même annonce la force et la domination (le Maître des bois). Il faut donc renoncer à l'aspérule et à l'hépatique, noms féminins. Nous avons encore, il est vrai, le grateron et le muguet des bois; mais qui voudrait pour le héros de son poëme, du nom bourgeois de Prince Grateron? Autant vaudrait mettre, comme Rivarol, à la place du duc Mathieu de Montmorency, le citoyen Mathieu Bouchard. Reste le muguet des bois, le Prince Muguet, nom familier des galants affectés, si opposé au caractère du nom original. Nous n'avons pas non

Un industriel parisien, en annonçant dans une réclame de journaux la contrefaçon de cette boisson nationale, dit : « Il est reconnu par tous les médecins de Francfort qu'une des principales causes de la fraîcheur, de l'éclat et de la force si remarquables chez beaucoup de femmes de Francfort est due au fréquent usage du Maiwein. C'est joli.

plus ces mots composés que l'allemand forme à l'égal du grec, et qui peignent où nous sommes réduits à décrire. Passe encore pour Fleur de vigne (Rebenblüthe), qui rappelle Fleur d'épine'; mais combien le nom analytique Vin de feu est froid au prix de la poétique synthèse Feuerwein!

Quoique nous nous plaignions de ces infidélités inévitables, nous allons en commettre volontairement une bien plus grave en donnant le squelette de la petite épopée.

Sur les bords du Rhin se promènent deux hommes graves, un long et un rond, un professeur de botanique muni de sa boîte, et le curé de Rüdesheim, muni des foudres de son éloquence. Ils devisent ensemble du présent siècle, lorsqu'une gaie chanson d'un jeune passant allume la bile du saint homme. Le professeur comprend la jeunesse et la justifie, le curé la condamne. Un récent méfait a rempli son cœur de ressentiment. Hier, pendant son absence, sa nièce Ursule, placée à la tête de son ménage, entendit chanter une troupe d'étudiants voyageurs. Elle ouvre la fenêtre pour les écouter; son canari s'envole sur un noyer; à ses cris, les étudiants entrent dans le verger et reprennent le fugitif. Ursule, reconnaissante, leur sert au jardin un repas improvisé. L'excellent vin du pays fait circuler les chants et la gaîté. Ursule n'avait pas fait depuis vingt ans un rêve si jeune et si délicieux. Il s'évanouit tout à coup à la voix tonnante de son oncle. Les jeunes gens se dispersent et rient en choeur, comme ils ont chanté. Pendant ce récit, on approche du presbytère, où le curé invite son ami. Celui-ci cueille, chemin faisant, des plantes qu'il loge dans sa boîte, entre autre toute une

Conte d'Hamilton.

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