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qui, dans les Provinciales, en attaquant la Sorbonne et les Jésuites avec toutes les forces de son puissant esprit et de son incomparable langue, a montré aux siècles suivants comment l'éloquence et la raillerie peuvent frapper de mort ce qui semble le mieux établi et le plus redoutable. Et c'est lui qui, dans les Pensées, reprenant le doute de Montaigne, mais lui donnant un accent nouveau, n'ayant pas besoin puisqu'il parle au nom de la religion de se cacher sous cet air d'insouciance, sous ces amusements et ces détours, mais poussant hardiment sa pensée d'un ton toujours sérieux et touché, a enseigné aux philosophes à tout creuser jusqu'à ce qu'ils trouvent le vide, et à rejeter avec dédain les prétendus biens et les prétendues vérités dont se nourrit le commun des hommes. L'esprit de Pascal a commencé les ruines que l'esprit du dix-huitième siècle et du nôtre a poursuivies, ruines par l'éloquence au-dehors, ruines par la philosophie au-dedans. L'action destructive de ses idées se continue après lui, et va bien au delà de ses idées mêmes. Discours de tribuns, pamphlets, éclats de la presse quotidienne, tout cela relève des Provinciales; le Pascal des Petites Lettres demeure l'éternel modèle de l'éloquence d'opposition, comme Bossuet celui de l'éloquence d'autorité. Toutes les fois que l'esprit moderne se prépare pour quelque combat, c'est là qu'il va prendre des armes. Toutes les fois aussi que dans les intervalles de l'action, il rentre dans le repos, repos inquiet et troublé, plein d'agitations intérieures, ces agitations mêmes le reportent sur la trace des Pensées. Depuis la grande révolution par où a fini le dernier siècle, l'influence des Pensées sur notre littérature est évidente: nos plus beaux génies en ont reçu la vive impression, et à leur tour ils nous disposent à les mieux goûter et à les mieux comprendre. Telle idée. même qui étonnait les contemporains jusqu'à les scandaliser, nous est toute accoutumée et toute familière. Le siècle de Châteaubriand, de Goethe, de Byron, je ne veux parler que des morts, est préparé à tout ce qu'on peut lui dire sur la vanité de la science et de la pensée, l'empire de la coutume et l'illusion des milieux, l'écoule ment de toutes choses, le néant de nos vertus et même de nos pas

sions, le masque dont le moi se couvre, en un mot la comédie humaine, avec son dernier acte toujours sanglant, où «on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais (XXIV, 58).» Mais au lieu que cette vue sceptique de la vie ne fait que redoubler chez Pascal l'ardeur de la foi, et que son pyrrhonisme est comme la fumée du mont Sinaï qui, enveloppait Dieu même, et d'où sa voix sortait avec des éclairs et des tonnerres, au contraire les hommes de nos jours se sont trop souvent abandonnés dans ces ténèbres avec un froid désespoir. Ne nous en laissons pas atteindre; et s'il ne nous est pas possible de nous reposer dans la théologie des Pensées, recueillons-y du moins pour ne le perdre jamais, l'idéal moral toujours présent à Pascal sous l'enveloppe des dogmes et des mystères, et qui soutient sa force parmi tant de principes de faiblesse. Imitons de lui cette ardeur, cette opiniâtreté de l'action, je veux dire l'action de l'âme, par laquelle il se relève des défaillances de la pensée.

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MANUEL D'HERMENEUTIQUE, par J.-E. Cellérier. Genève, 1852; 1 vol. in-8°.

Ce n'est pas dans notre Bulletin si sommaire que ce beau travail peut être dignement apprécié au point de vue de la science et de la méthode. Aussi n'avons-nous d'autre prétention que de l'annoncer, en avertissant que les théologiens ne sont pas les seuls qui trouveront jouissance et profit à la lecture du nouvel ouvrage de M. Cellérier. Les pages abondent dans lesquelles la piété de l'auteur se réflète au milieu des détails multipliés de l'observation et de l'analyse. Nous n'en citerons qu'une seule :

« La sensibilité est indispensable à l'interprète des Saints Livres. Malheur à celui qui en est dépourvu, car il est par cela même incapable de comprendre bien des choses; il ne les comprendra du moins qu'imparfaitement, il négligera comme obscurs, vagues ou sans importance les enseignements peut-être les plus féconds, ceux-là même qui, adressés à la sensibilité, étaient desti

nés à produire sur le lecteur l'impression la plus puissante et la plus décisive.

« Il est beaucoup de passages de l'Ecriture qui ne présentent de sens qu'à condition d'être étudiés par la sensibilité; sublimes quand le cœur les saisit, absurdes quand la logique seule les analyse. Job s'écrie dans un élan de confiance (XII, 15): «Quand il me tuerait, je ne laisserais pas d'espérer en lui. » C'est là une proposition logiquement absurde, mais c'est là un cri du cœur, et ce cri du cœur est sublime. Les Epîtres de Paul n'ont commencé à être comprises que quand on y a cherché l'enchaînement des émotions à côté de celui des idées. Tant qu'on n'en a déduit que des formules logiques, elles ont paru souvent obscures et confuses; quand on y a cherché de plus les mouvements, les luttes et les épanchements d'une âme aimante et déchirée, on y a trouvé de nouveaux et précieux trésors pour la foi comme pour l'apologétique.

Et les Psaumes, le livre des âmes souffrantes, aimantes, pénitentes! les Psaumes, admirable monument d'une piété qui s'étend à tout, embellit la nature, charme la vie, suspend la douleur, transforme l'épreuve et unit l'âme à Dieu, comment les comprendre, et qu'en fera-t-on si on les découpe en formules, et qu'on néglige en les interprétant de consulter son cœur et celui du Roi Prophète ?

L'Ecriture, en effet, a été évidemment écrite pour le cœur autant et plus que pour l'esprit. Dieu l'a voulu ainsi, et par des motifs aisés à reconnaître. Elle devait être adressée non-seulement aux hommes éclairés, logiques, habitués à l'examen, non pas seulement aux théologiens mais à tous les hommes en masse. Elle devait être la nourriture et la consolation des simples et des petits, la lumière des ignorants, le patrimoine des pauvres. Elle devait, en un mot, dans les vues de Dieu, s'adresser avant tout à la portion du genre humain la plus nombreuse et la plus malheureuse. Or, dans cette masse, méprisée de la société, combien y a-t-il d'hommes dont l'entendement soit assez ferme pour comprendre logiquement l'Ecriture? Certainement bien peu. Combien au contraire sont capables de la saisir par le cœur, et d'en recevoir à l'aide de la sensibi

lité une impression juste et forte, quoique encore vague et incomplète? Presque tous, ou peu s'en faut. Les amis de l'humanité doivent donc bénir Dieu d'avoir fait adresser sa parole avant tout aux cœurs susceptibles de sentir et disposés à s'émouvoir. Donc l'interprète doit, pour bien accomplir son ministère, avoir précisément cette disposition. Il doit nécessairement s'aider du cœur, sans se borner à consulter uniquement la logique.

AVANT LE CHRISTIANISME, ou Histoire des doctrines religieuses et philosophiques de l'antiquité, par Henri Brunel, pasteur. Paris, 1852; 1 vol. in-8°.

L'auteur nous avertit que c'est un manuel de l'histoire des religions anciennes qu'il a voulu faire. « Peut-être, ajoute-t-il, pourrait-il servir, à ce titre et en attendant mieux, dans les établissements d'instruction publique, pour cette partie trop négligée des connaissances humaines. L'histoire religieuse est-elle moins importante et moins utile que l'histoire politique? Bien faite et bien comprise, ne serait-elle pas capable d'échauffer puissamment dans les jeunes âmes le sentiment moral et l'amour des choses spirituelles? >>

Nous doutons fort, nous l'avouons, de la convenance d'une pareille étude pour la jeunesse. Les jeunes gens ne sont pas assez sérieux pour aller au delà d'un premier aperçu dans ces matières, et ce premier aperçu ne leur laisse voir dans les dieux de l'antiquité, que des êtres plus ou moins fantastiques et ridicules. Il faut des études approfon lies, il faut s'être identifié avec les peuples de l'ancien monde, pour tirer de tant de mythes divers les éléments religieux qu'ils enveloppent et ramener ces éléments à une loi de progression constante, jusqu'à l'avénement du christianisme. Cette loi, d'ailleurs, est encore bien loin d'être constatée. Si jamais la science parvient à l'établir, il sera temps alors de la faire connaître à la jeunesse. Mais, jusque-là, c'est un champ ouvert aux recherches de l'érudition et de la philosophie, et rien de plus. Gardons

nous d'enseigner aux jeunes gens des sciences qui sont encore à faire.

Du reste, M. Brunei a écrit son livre dans un point de vue qui mérite d'être remarqué :

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« L'histoire religieuse, dit-il, n'est pas une vaine contemplation des idées humaines : c'est l'humanité en travail et en progrès, sous l'œil de la Providence toujours attentive; c'est l'incessante poursuite de l'idéal; c'est l'aspiration de plus en plus heureuse à Dieu et à la vérité; c'est l'homme qui s élève peu à peu, à travers les religions particulières, à travers les erreurs, à travers les sectes, à la religion universelle, au vrai en soi, à l'humanité, à cette doctrine éternelle que le Christ est venu dégager en l'incarnant dans sa personne, et à laquelle il a donné son nom.

«Les théologiens du christianisme n'ont voulu connaître hors de lui que des œuvres diaboliques, et les philosophes ont vu partout des égarements ou des impostures. Il nous semble qu'il y a erreur des deux parts...

« La religion étant la science de la vie, et tous les hommes ayant la même vie, sinon la même connaissance, il s'ensuit que le fond de la religion est éternel et que sa forme seule est variable et changeante; car le fond, c'est la vie qui est commune à tous, et la forme c'est la connaissance, qui est différente chez tous. «L'âme «est partout la même, dit Tertullien, le langage seul est différent; chaque peuple a une langue qui lui est particulière; mais les « grandes pensées primitives sont communes à tous les peuples. « Les anciennes religions renfermaient sans doute des erreurs, puisqu'elles sont mortes ou qu'elles vont mourir; mais, en même temps, il y avait en elles quelque portion de vérité, quelque principe divin, approprié à la condition humaine, qui les rendait utiles et qui les faisait vivre...

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« C'est ce qu'avait déjà pressenti l'école théologique d'Alexandrie, laquelle, tout en réservant exclusivement Jéhovah pour Israël, attribuait à l'inspiration des anges la philosophie des autres nations. L'absurde théorie de la possession des peuples par le démon prévalut cependant. >>

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