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lité. Épouvantés de ces dangers, les gouvernements se sont crus en droit d'intervenir; des hommes spéciaux ont pris la plume, dans le but de prévenir le dépeuplement des forêts, d'indiquer les meilleures méthodes à adopter pour leur reboisement, leur conservation, leur aménagement; les essences à préférer, les ennemis dont il faut les garantir.

L'Allemagne a déjà fait dans l'agriculture forestière de tels progrès, elle y a apporté des soins si intelligents et un tel esprit de suite, que le bois est devenu, dans quelques-unes de ses contrées, l'objet d'une véritable culture. En France aussi, d'heureux essais ont été tentés; déjà les boisements ont été employés avec succès pour combattre l'envahissement des dunes sablonneuses et pour fertiliser des sols auparavant improductifs; ainsi, par un assolement de pins sylvestres, on a vu les plus mauvaises terres de la Champagne perdre peu à peu de leur stérilité, et devenir capables de porter des céréales.

La sylviculture et les sciences qui s'y rattachent sont ainsi devenues une branche importante de l'agriculture, et les livres qui en traitent se sont considérablement multipliés; par cela même une bibliographie spéciale devenait un besoin; le savant peut chaque jour moins se passer de connaissances bibliographiques sur ce qui fait l'objet de ses études; la connaissance des sources tend à devenir de plus en plus une partie intégrante de la science. Les Annales forestières ont donc rendu un véritable service en publiant une bibliographie comprenant le catalogue de tous les livres écrits ou traduits en français sur la matière. Cet ouvrage, dû à la plume de M. Jacquemart, est bien fait et nous a paru fort complet. Il ne contient pas moins de 640 articles, soit ouvrages relatifs à l'arboriculture forestière; mais il est curieux de remarquer que, sur ce nombre, 130 ouvrages seulement sont antérieurs à l'année 1790.

M. Jacquemart a cru devoir adopter dans son travail l'ordre chronologique. Sans doute cet ordre est le plus intéressant pour celui qui lit ou parcourt le catalogue comme objet d'étude ou de simple curiosité; il voit ainsi se dérouler sous ses yeux la marche de la science, dont il peut suivre les progrès pour ainsi dire pas

à pas. Mais évidemment cet ordre n'est pas le plus commode aux recherches. L'auteur a donc cru nécessaire de joindre à son catalogue une table alphabétique par noms d'auteur, laquelle renvoie. aux articles cités dans le livre. A notre sens, cela même n'est pas encore suffisant pour le lecteur peu instruit qui veut faire une recherche sur un point donné. Puisqu'il ignore non-seulement ce que l'on a écrit, mais encore si l'on a écrit sur le sujet qui le préoccupe, à plus forte raison ignore-t-il et le nom de l'auteur dont l'ouvrage lui fournira les renseignements qu'il désire, et l'époque où cet ouvrage fut publié. Il est donc à regretter que, comme cela a été fait pour la Bibliographie agronomique, une Table alphabétique et analytique par ordre de matières, ne se trouve pas jointe à l'estimable recueil que nous annonçons; elle en augmenterait l'utilité en le rendant plus pratiquement accessible à toutes les classes de lecteurs. Il est vrai qu'une pareille table formerait à elle scule un ouvrage à part, et dont nous reconnaissons les difficultés. Néanmoins, nous espérons que, dans une seconde édition, M. Jacquemart se rendra au vœu que nous émettons ici; nous ne doutons pas que l'écrivain ne soit à la hauteur d'une pareille tâche et ne s'acquitte de cette œuvre délicate et de longue haleine avec le talent consciencieux dont il a déjà fait preuve. H. P.-A.

PENSÉES DE PASCAL, publiées dans leur texte authentique, avec un commentaire suivi et une étude littéraire, par E. Havet, maître de conférences à l'école normale. Paris, 1852; 1 vol. in-8° 7 fr. 50.

Cette édition est un vrai service rendu aux lecteurs de Pascal. M. Faugère nous avait donné le texte authentique des Pensées, mais qui ne sent, à chaque instant, pour les saisir dans leur vrai jour, le besoin d'explications, de renseignements de toute espèce? M. Havet, dans son commentaire ne discute point les pensées de Pascal; il laisse ce soin au lecteur, mais il les entoure de tous les éclaircissements qu'on peut désirer.

Prenons un exemple. L'incrédule forcé dans ses retranchements, déclare qu'il est prêt à croire, mais qu'il ne le peut pas : « Je suis fait d'une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse? Pascal répond: « Il est vrai, mais apprenez du moins votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi et vous n'en savez pas le chemin; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes; apprenez de ceux qui ont été liés comme vous; ce sont gens qui savent le chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal que vous voulez guérir; suivez la manière par où ils ont commencé; c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. Mais c'est ce que je crains. Et pourquoi? qu'avez-vous à perdre. (X, p. 1.) »

Voici maintenant le commentaire de M. Havet sur ce curieux passage « Dieu n'a-t-il pas abesti la sapience de ce monde?» a dit Saint-Paul, traduit ainsi par Montaigne. Il a dit encore : « Si quelqu'un parmi vous se montre sage suivant le siècle, qu'il devienne fou pour être vraiment sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu » Mais ces paroles mystiques, toutes contraires qu'elles sont au sens humain, n'ont pas la dureté de notre texte. L'apôtre relève et préconise la folie de la croix, il ne parle pas de s'abêtir par des dévotions. Quant à cette phrase de Montaigne qu'on a citée: «Il faut nous abêtir pour nous assagir, » c'est un simple équivalent du proverbe italien qu'il transcrit : chi troppo s'assotiglia si scavezza; c'est-à-dire, comme il l'explique luimême, que trop de finesse nuit au bon sens, et qu'une trop grande vivacité touche à la folie. Rien de tout cela ne répond à l'énergie des expressions de Pascal que Port-Royal a si bien sentie, et qu'il a avouée en les supprimant. Je m'étonne qu'on ait refusé d'en reconnaître, après M. Cousin, toute la force quand on produisait un passage d'Arnauld qui la fait si bien ressortir. C'est dans une lettre

à la princesse de Gueméné au sujet de l'éducation du prince sonfils : « Permettez-moi de vous dire que c'est une pure tentation que la. crainte que vous avez qu'en voulant le rendre saint on ne l'abêtisse et on ne lui ôte le cœur. Au contraire, je puis vous assurer que, pourvu qu'il soit mis en bonnes mains, on lui élèvera l'esprit et le courage, parce qu'il n'y a rien de si grand que la philosophie chrétienne, ni rien de si généreux qu'un vrai chrétien. » Ce que craignait Madame de Gueméné, ce sur quoi Arnauld la rassure, c'est précisément où Pascal pousse son interlocuteur. Est-ce donc qu'il veut en effet qu'on s'abêtisse, ou que lui-même croyait réellement s'être abêti? Non, mais Pascal ne daigne pas compter avec la sagesse humaine; ce n'est pas lui qui recommanderait la religion comme une philosophie; au lieu de rassurer la raison qui résiste, il poursuit son argumentation à travers l'objection elle-même. Eh bien, dit-il, quand cela serait, quand vous auriez moins de cet esprit qui ne vous sert à rien qu'à vous perdre, seriez-vous à plaindre ? C'est sa plus amère ironie et sa dernière insulte à la pensée indocile. Il la traite comme un malade sans ressource à qui il propose un remède terrible, et qui dit : Mais cela va nuire à ma santé.-Qu'avez-vous à perdre? Il se flatte bien en parlant ainsi que le remède ne la tuera pas, et qu'il la ressuscitera au contraire.

Ce sont là pourtant de fàcheux discours. L'homme n'est pas ce malade désespéré qui ne peut être sauvé que par une crise violente; il est faible seulement, il a besoin qu'on soutienne ses forces et non pas qu'on les abatte. Pascal humiliait son génie sans l'étouffer, mais dans un esprit moins énergique la pensée trop comprimée pourrait perdre enfin tout son ressort. Parti de principes extrêmes, Pascal est toujours extrême; il est fait pour agir sur les esprits les plus fougueux et les plus intraitables, sur ceux qui sont plus attirés que repoussés par un sentiment dur ou une conséquence bizarre, et qui ont moins besoin d'être persuadés que surpris et confondus. >>

Le Commentaire est précédé d'une Etude sur les Pensées de Pascal qui est à elle seule un travail très-remarquable. Nous avons surtout été frappés de la comparaison que l'auteur établit entre

l'influence de Pascal et celle de Bossuet. Nos lecteurs nous sauront gré de leur faire connaître ce morceau.

« Les Pensées ont traversé le siècle presque sans retentissement, comprises plutôt par quelques esprits d'élite que par la foule; Bossuet, au contraire, admiré et obéi de tous, salué par ses contemporains du nom de Père de l'Eglise a réglé souverainement la croyance des peuples pendant tout le règne du grand roi. Mais les temps sont bien changés, et peut-être que Pascal reprend aujourd'hui l'avantage. La foi était alors l'état commun des esprits, aujourd'hui c'est le doute.

«Il y a des gens, disait Pascal (XXV, 20), qui n'ont pas le pouvoir de s'empêcher de songer, et qui songent d'autant plus qu'on leur défend. » Ces gens étaient alors rares, ils sont devenus bien plus nombreux, et ils n'ont confiance que dans celui qui consent à songer aussi, et à creuser avec eux leurs idées. Ils admirent dans Bossuet la majesté de l'attitude et l'éclat de l'éloquence, mais ils ne se rendent pas. Ce n'est pas un évêque qu'ils veulent entendre, c'est un homme qui n'ait d'autorité que sa raison, et qui ait essayé sur lui-même, suivant le mot de M. Villemain, les doutes qu'il tâche de résoudre. Ce n'est pas tout, ces songeurs d'aujourd'hui, en même temps qu'ils ont l'esprit sceptique, ont le cœur triste. Une parole trop confiante et trop sereine, comme est toujours celle de Bossuet, leur impose sans les émouvoir, ils demandent une âme troublée, qui souffre les mêmes tourments, et qui ne dissimule pas ses ténèbres et ses angoisses Ceux-là entrent toujours en communication avec Pascal; tout farouche qu'il est, il les gagne mieux qu'un génie moins violent, mais aussi moins sympathique. Je ne sais si Pascal ne fait pas aujourd'hui plus de chrétiens que Bossuet, je suis convaincu, du moins, qu'il fait plus d'âmes religieuses.

« Chose étrange! ce sectaire, qui semble être encore du moyen age par sa théologie sombre et ardue, est cependant l'homme de l'avenir; il le porte tout entier en lui. Notre scepticisine et notre exaltation, nos découragements et notre orgucil, notre besoin et notre difficulté de croire et d'aimer, il a senti tout cela. C'est lui

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