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héritages!» Et cependant les évêques s'étaient vus, par le cours des choses, entraînés toujours plus avant dans ces soins séculiers. Un grand nombre d'entre eux, comme M. de Saint-Priest l'a montré mieux que personne, étaient sortis des rangs de l'aristocratie, et avaient porté l'intelligence des affaires du camp de l'empire mourant dans celui de l'Eglise victorieuse. Ils finirent par devenir le conseil des rois barbares, leurs ministres et leurs chanceliers, alors que ces rois, incapables de comprendre les ressorts d'une administration compliquée, durent chercher le conseil et l'appui chez les hommes en qui se trouvaient la sagesse et les lumières.

Ce n'était donc plus sur la foi seule que reposait l'autorité de l'Eglise; la Rome nouvelle avait recueilli une grande partie de l'héritage de la Rome ancienne. Que l'on se représente bien ce qu'étaient les temps; l'épée, la flamme avaient passé partout; le pillage, la violence continuaient d'entraver l'agriculture, de ruiner le commerce; les cirques, les théâtres, devenus déserts, n'étaient plus entretenus; beaucoup d'édifices publics avaient été abandonnés, et la plupart des temples païens s'étaient écroulés avec le paganisme. L'autorité centrale et l'autorité locale disparaissaient en même temps. Enfin l'ordre civil, comme le dit M. Guérard, expirait tout entier.

<«<La religion chrétienne, au contraire, qui s'était répandue dans toutes les provinces de l'empire, était florissante. Toute ville que décorait le titre de cité avait son évêque; les villes secondaires et les bourgs avaient leur prêtre subordonné ; la hiérarchie et le pouvoir ecclésiastique étaient

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constitués partout, et la nouvelle société religieuse était assise sur des bases aussi larges que solides.

<< Que fit le peuple dans ces circonstances? Dépossédé depuis longtemps de ses tribunaux et de ses comices; privé, dans l'Occident du moins, de jeux et de spectacles, de protection et de magistrats; opprimé, dépossédé, persécuté, exclu de partout, et ne possédant plus rien dans l'Etat, il chercha refuge dans l'Eglise, et déposa entre les mains des prêtres, non-seulement sa religion, mais encore son gouvernement, ses affaires et tous ses intérêts.»

Quant aux Barbares, quant aux Francs entre autres, qui ne sait qu'ils respectèrent assez en général ce qui appartenait au clergé, qu'à leur approche on ne vit pas, comme plus tard à l'approche des Normands, les prêtres emporter les objets de leur culte, ni les routes et les rivages se couvrir des images des saints, convoyés par les fidèles dans des lieux de sûreté. Bientôt ils embrassèrent le christianisme, et l'Evangile ne compta plus que des adhérents chez les vainqueurs comme chez les vaincus.

III

C'est à ce moment qu'il est intéressant d'étudier l'action du sacerdoce au sein de la société renaissante.

Aussi bien que les rois barbares, les évêques avaient leur peuple, leur armée et leurs plaids. Les élus de l'Eglise, selon le principe en vertu duquel «< celui qui veut être obéi par tous doit être aussi l'élu de tous,» ils marchaient suivis d'un cortège de prêtres, qui tous avaient reçu d'en haut l'ordination, de diacres, d'archidiacres, de diaconesses, d'économes, de notaires et d'exorcistes. Ils avaient pour plaids leurs conciles et leurs synodes, les vraies assemblées populaires de cet âge, celles à l'abri desquelles se

sont développés les premiers sentiments démocratiques dans la société moderne, et sont nés les communes et les Etats généraux. Les rois dominaient sur la terre, les évêques dans un monde qui participait de la terre et du ciel, des choses passagères et des choses éternelles. Les serviteurs de tous étaient aussi les princes de tous, et quand l'Eglise de Paris avait nommé son évêque, l'on voyait s'approcher les plus hauts barons du royaume ; les sires de Montmorency, les comtes de Saint-Paul, les comtes de Bretagne, ployer les genoux, et le roi de France venir, avec eux, courber l'épaule, pour porter le nouvel élu jusqu'à la cathédrale où se faisait l'inauguration. En d'autres jours, on voyait ces grands de l'Etat recevoir l'aumusse et le surplis, et venir s'asseoir sur les siéges des chanoines comme des membres du chapitre. Le roi prenait une place semblable dans l'église de Notre-Dame de Paris, ou bien il allait, vêtu d'une riche chappe de soie et le sceptre à la main, chanter au lutrin de Saint-Denis.

Tels étaient les temps. L'Eglise, autour de laquelle tout était bruit d'armes et confusion, était devenue le centre auquel se rattachaient les espérances d'une nouvelle civilisation. Fêtes, pompes, enseignement, aumônes, protection, tout venait d'elle. Elle nourrissait, auprès des autels, le germe duquel devait sortir nos sociétés modernes.

Les détails de la situation ne sont pas sans intérêt. Mais pour s'en faire une juste idée, que l'on ne se représente pas les églises de ces temps semblables à nos églises, ni les assemblées qui s'y tenaient silencieuses comme les nôtres. Le peuple trouvait dans le temple tout ce qui pouvait l'y retenir et l'y captiver. La pompe des jeux publics, celle des cirques et des théâtres, avait été transportée dans les cérémonies de l'Eglise, de manière à attirer au

tour de l'autel et la foule romaine, avide de spectacles, et la foule barbare, que l'on gagnait autant par les yeux que par la parole.

On avançait, et tout proclamait un ordre de choses bien différent de ce que l'on avait laissé au dehors. Les siéges et le chœur étaient occupés par des ecclésiastiques, aristocratie dont l'empire ne s'était point, comme celui de la société civile, établi par la violence. Le peuple chrétien se rangeait avec ordre, les fidèles le plus près de l'autel, derrière eux les catéchumènes, puis les pénitents. Les sexes étaient séparés. Du reste, nulle distinction. Le guerrier avait déposé ses armes avant de franchir le seuil sacré. Le Franc et le Romain, le colon et le seigneur, le serf et l'homme libre, étaient ici sur le même pied. « Ce n'était pas, dit M. Guérard, qu'il y eut égalité, mais si l'inégalité régnait dans l'Eglise, elle était, pour ainsi dire, toute morale, et l'homme faible, debilior persona, si peu protégé par la loi, voyait souvent placé derrière lui, et à un rang inférieur, l'homme puissant dont il avait souffert l'oppression dans le monde.>>

La magnificence des tentures dont les temples étaient ornés, les fleurs, les herbes odoriférantes qui jonchaient le parquet, les hymnes sacrés, chantés en un latin que le peuple comprenait, tout parlait aux sens de la multitude. Les cérémonies se développaient dans un ordre majestueux. Point de messe basse. Tout le service se déroulait comme un grand drame auquel les assistants étaient fréquemment associés et dont l'intérêt allait croissant depuis l'introït au moment de la consécration et de la communion, qui en était le couronnement. L'usage des acclamations avait passé des assemblées civiles dans les assemblées religieuses. Celui du baiser de paix, après la communion, s'était

conservé dans ces temps de guerres et de vengeances. Les hommes s'embrassaient entre eux, les femmes entre elles. L'excommunication, dont on n'avait point encore abusé dans des intérêts terrestres, était regardée comme un arrêt divin, et comme un rempart contre l'injustice. Le refus même de la sépulture était, en ce siècle, une mesure populaire; car on y voyait une dernière arme contre l'endurcissement du coupable, et cette arme était tournée plus souvent contre l'homme fort, qui abusait de la puissance, qu'elle ne l'était contre le vulgaire.

IV

Mais, comme nous l'avons dit, l'autorité de l'Eglise reposait sur d'autres fondements encore. Longtemps elle fut, on le sait généralement, le dépôt des lettres et des connaissances de la société. Les écoles anciennes étaient tombées. Quelques seigneurs prenaient bien encore plaisir à la littérature, et faisaient même des vers; mais leur nombre était peu considérable, en sorte que l'on peut dire qu'il n'y avait guère d'instruction que dans le clergé. Des prêtres dirigeaient les écoles du palais; des prêtres tenaient les écoles des églises et des ecclésiastiques réguliers celles des monastères. L'éducation de la jeunesse était donc tout entière dans les mains du sacerdoce, et devenait pour lui la base d'une grande autorité.

Ses enseignements étaient en rapport avec l'enfance du siècle. Si l'on possédait encore des auteurs classiques, on en avait perdu l'intelligence. Une littérature nouvelle les avait remplacés; je veux parler de celles qui se superpo sait à l'explication familière des Ecritures saintes: de la légende, des vies et des miracles des saints.

M. Guizot a expliqué l'abondance de ces écrits légen

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