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Sa maison était moins l'asile que le sanctuaire de la pauvreté. Elle y régnait avec la joie pure de l'innocence, avec la paix inaltérable du bonheur, au milieu des autres vertus auxquelles elle prêtait de nouvelles forces, et qui la paraient de leur éclat. Elle y régnait dans un dénûment si absolu, qu'on aurait de la peine à le croire. Prêt à faire une irruption dans le Péloponèse, Epaminondas fut obligé de travailler à son équipage. Il emprunta cinquante drachmes; et c'était à peu près dans le même temps qu'il rejetait avec indignation cinquante pièces d'or qu'un prince de Thessalie avait osé lui offrir. Quelques Thébains essayèrent vainement de partager leur fortune avec lui; mais il leur faisait partager l'honneur de soulager les malheureux.

Il disait un jour à plusieurs de ses amis qu'il avait rassemblés : "Sphodrias a une fille en âge d'être mariée. Il est trop pauvre pour lui constituer une dot. Je vous ai taxés chacun en particulier suivant vos facultés. Je suis obligé de rester quelques jours chez moi; mais, à ma première sortie, je vous présenterai cet honnête citoyen. Il est juste qu'il reçoive de vous ce bienfait, et qu'il en connaisse les auteurs." Tous souscrivirent à cet arrangement, et le quittèrent en le remerciant de sa confiance. Timagène, inquiet de ce projet de retraite, lui en demanda le motif. Il répondit simplement: "Je suis obligé de faire blanchir mon manteau." En effet, il n'en avait qu'un.

Pendant qu'il commandait l'armée, il apprit que son écuyer avait vendu la liberté d'un captif. "Rendez-moi mon bouclier," lui dit-il; "depuis que l'argent a souillé vos mains, vous n'êtes plus fait pour me suivre dans les dangers."

Zélé disciple de Pythagore, il en imitait la frugalité. Il s'était interdit l'usage du vin, et prenait souvent un peu de miel pour toute nourriture. La musique, qu'il avait apprise sous les plus habiles maîtres, charmait quelquefois ses loisirs. Il excellait dans le jeu de la flûte; et, dans les repas où il était prié, il chantait à son tour en s'accompagnant de la lyre.

Jamais il ne brigua ni ne refusa les charges publiques. Plus d'une fois il servit comme simple soldat sous des

généraux sans expérience, que l'intrigue lui avait fait préférer. Plus d'une fois les troupes, assiégées dans leur camp et réduites aux plus fâcheuses extrémités, implorèrent son secours. Alors il dirigeait les opérations, repoussait l'ennemi, et ramenait tranquillement l'armée, sans se souvenir de l'injustice de sa patrie, ni du service qu'il venait de lui rendre.

Il ne négligeait aucune circonstance pour relever le courage de sa nation et la rendre redoutable aux autres peuples. Avant sa première campagne du Péloponèse il engagea quelques Thébains à lutter contre les Lacédémoniens qui se trouvaient à Thèbes : les premiers eurent l'avantage; et dès ce moment ses soldats commencèrent à ne plus craindre les Lacédémoniens. Il campait en Arcadie; c'était en hiver. Les députés d'une ville voisine vinrent lui proposer d'y entrer, et d'y prendre des logements. Non," dit Epaminondas à ses officiers; "s'ils nous voyaient assis auprès du feu, ils nous prendraient pour des hommes ordinaires. Nous resterons ici malgré la rigueur de la saison. Témoins de nos luttes et de nos exercices, ils seront frappés d'étonnement."

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Épaminondas, sans ambition, sans vanité, sans intérêt, éleva en peu d'années sa nation au point de grandeur où nous avons vu les Thébains. Il opéra ce prodige, d'abord par l'influence de ses vertus et de ses talents: en même temps qu'il dominait sur les esprits par la supériorité de son génie et de ses lumières, il disposait à son gré des passions des autres, parcequ'il était maître des siennes. Mais ce qui accéléra ses succès, ce fut la force de son caractère. Son âme indépendante et altière fut indignée de bonne heure de la domination que les Lacédémoniens et les Athéniens avaient exercée sur les Grecs en général, et sur les Thébains en particulier. Il leur voua une haine qu'il aurait renfermée en lui-même: mais, dès que sa patrie lui eut confié le soin de sa vengeance, il brisa les fers des nations, et devint conquérant par devoir. Il forma le projet aussi hardi que nouveau d'attaquer les Lacédémoniens jusque dans le centre de leur empire, et de les dépouiller de cette prééminence dont ils jouissaient depuis tant de siècles; il le suivit avec obstination, au mépris de leur puissance, de leur gloire, de leurs alliés, de

leurs ennemis, qui voyaient d'un œil inquiet ces progrès rapides des Thébains.

*

Si la mort n'avait terminé ses jours au milieu d'un triomphe qui ne laissait plus de ressources aux Lacédémoniens, il aurait demandé raison aux Athéniens des victoires qu'ils avaient remportées sur les Grecs, et enrichi, comme il le disait lui-même, la citadelle de Thèbes des monuments qui décorent celle d'Athènes.

Voyage d'Anacharsis.

COMBAT DES THERMOPYLES.

LEONIDAS pressait sa marche: il voulait, par son exemple, retenir dans le devoir plusieurs villes prêtes à se déclarer pour les Perses; il passa par les terres des Thébains, dont la foi était suspecte, et qui lui donnèrent néanmoins quatre cents hommes avec lesquels il alla se camper aux Thermopyles.

Ce pas est l'unique voie par laquelle une armée puisse pénétrer de la Thessalie dans la Locride, la Phocide, la Béotie, l'Attique, et les régions voisines.

Le chemin n'offre d'abord que la largeur nécessaire pour le passage d'un chariot; il se prolonge ensuite entre des marais que forment les eaux de la mer et des rochers presque inaccessibles qui terminent la chaîne des montagnes connues sous le nom d'Eta.

Léonidas plaça son armée auprès du bourg d'Anthéla, rétablit le mur des Phocéens, et jeta en avant quelques troupes pour en défendre les approches. Mais il ne suffisait pas de garder le passage qui est au pied de la montagne; il existait sur la montagne même un sentier qui commençait à la plaine de Trachis, et qui, après différents détours, aboutissait auprès du bourg d'Alpénus. Léonidas en confia la défense aux mille Phocéens qu'il avait avec lui, et qui allèrent se placer sur les hauteurs du mont Eta.

Ces dispositions étaient à peine achevées, que l'on vit l'armée de Xercès se répandre dans la Trachinie, et

Il tomba percé d'un javelot, à la bataille de Mantinée.

couvrir la plaine d'un nombre infini de tentes. A cet aspect, les Grecs délibérèrent sur le parti qu'ils avaient à prendre. La plupart des chefs proposaient de se retirer à l'isthme; mais Léonidas ayant rejeté cet avis, on se contenta de faire partir des courriers pour presser le secours des villes alliées.

Alors parut un cavalier perse, envoyé par Xercès pour reconnaître les ennemis. Le poste avancé des Grecs était, ce jour-là, composé des Spartiates: les uns s'exerçaient à la lutte; les autres peignaient leur chevelure; car leur premier soin, dans ces sortes de dangers, est de parer leurs têtes. Le cavalier eut tout le loisir d'en approcher, de les compter, de se retirer, sans qu'on daignât prendre garde à lui. Comme le mur lui dérobait la vue du reste de l'armée, il ne rendit compte à Xercès que des trois cents hommes qu'il avait vus à l'entrée du défilé.

Le roi, étonné de la tranquillité des Lacédémoniens, attendit quelques jours pour leur laisser le temps de la réflexion. Le cinquième, il écrivit à Léonidas: "Si tu veux te soumettre, je te donnerai l'empire de la Grèce." Léonidas répondit: "J'aime mieux mourir pour ma patrie, que de l'asservir." Une seconde lettre du roi ne contenait que ces mots: "Rends-moi tes armes." Léonidas écrivit au-dessous : "Viens les prendre."

Xercès, outré de colère, fait marcher les Mèdes et les Cissiens, avec ordre de prendre ces hommes en vie, et de les lui amener sur-le-champ. Quelques soldats courent à Léonidas, et lui disent: "Les Perses sont près de nous." Il répond froidement: "Dites plutôt que nous sommes près d'eux." Aussitôt il sort du retranchement avec l'élite de ses troupes et donne le signal du combat. Les Mèdes s'avancent en fureur; leurs premiers rangs tombent percés de coups; ceux qui les remplacent éprouvent le même sort. Les Grecs, pressés les uns contre les autres, et couverts de grands boucliers, présentent un front hérissé de longues piques. De nouvelles troupes se succèdent vainement pour les rompre. Après plusieurs attaques infructueuses, la terreur s'empare des Mèdes; ils fuient, et sont relevés par le corps des dix mille Immortels que commandait

Hydarnès. L'action devint alors plus meurtrière. La valeur était peut-être égale de part et d'autre ; mais les Grecs avaient pour eux l'avantage des lieux et la supériorité des armes. Les piques des Perses étaient trop courtes, et leurs boucliers trop petits; ils perdirent beaucoup de monde, et Xercès, témoin de leur fuite, s'élança, dit-on, plus d'une fois de son trône, et craignit pour son armée.

Le lendemain le combat recommença, mais avec si peu de succès de la part des Perses, que Xercès désespérait de forcer le passage. L'inquiétude et la honte agitaient son âme orgueilleuse et pusillanime, lorsqu'un habitant de ces cantons, nommé Épialtès, vint lui découvrir le sentier fatal par lequel on pouvait tourner les Grecs. Xercès, transporté de joie, détacha aussitôt Hydarnès avec le corps des Immortels. Épialtès leur sert de guide: ils partent au commencement de la nuit; ils pénètrent dans le bois de chênes dont les flancs de ces montagnes sont couverts, et parviennent vers les lieux où Léonidas avait placé un détachement de son armée.

Hydarnès le prit pour un corps de Spartiates; mais, rassuré par Epialtès qui reconnut les Phocéens, il se préparait au combat, lorsqu'il vit ces derniers, après une légère défense, se réfugier sur les hauteurs voisines. Les Perses continuèrent leur route.

par

des

A cette

Pendant la nuit, Léonidas avait été instruit de leur projet par des transfuges échappés du camp de Xercès; et, le lendemain matin, il le fut de leurs succès sentinelles accourues du haut de la montagne. terrible nouvelle, les chefs des Grecs s'assemblèrent. Comme les uns étaient d'avis de s'éloigner des Thermopyles, les autres d'y rester, Léonidas les conjura de se réserver pour des temps plus heureux, et déclara que, quant à lui et à ses compagnons, il ne leur était pas permis de quitter un poste que Sparte leur avait confié. Les Thespiens protestèrent qu'ils n'abandonneraient point les Spartiates; les quatre cents Thébains, soit de gré, soit de force, prirent le même parti; le reste de l'armée eut le temps de sortir du défilé.

Cependant Léonidas se disposait à la plus hardie des

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