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G. Je t'ai défendu cent fois de racler ton maudit violon: cependant j'ai entendu ce matin

V. Ce matin? Ne vous souvient-il pas que vous me le mîtes hier en mille pièces?

G. Je gagerais que ces deux voies de bois sont en

core.

V. Elles sont logées, Monsieur, vraiment; depuis cela, j'ai aidé Guillaume à mettre dans le grenier une charretée de foin; j'ai arrosé tous les arbres du jardin, j'ai nettoyé les allées, j'ai bêché trois planches, et j'achevais l'autre quand vous avez frappé.

G. Oh! il faut que je chasse ce coquin-là; jamais valet ne m'a fait enrager comme celui-ci : il me ferait mourir de chagrin. Hors d'ici! Brueys.

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DAVID AUGUSTIN DE BRUEYS, Poète et Théologien, né à Aix en 1640, mort à Montpelier en 1723.

LES SALLES D'ASILE.

Vous qui, en vous couchant le soir, trouvez un lit bien doux; qui, en vous réveillant le matin, trouvez votre repas tout préparé; vous ne vous doutez pas que tout près de vous, là-haut peut-être, au dernier étage de la maison que vous habitez, une famille indigente manque de pain et de feu; là-haut peut-être une pauvre mère, forcée de sortir de chez elle tout le jour, pour gagner, du travail de ses mains, le pain de sa famille, se trouve embarrassée de ses enfants. Qu'en fera-t-elle tout le long du jour ? Qui en prendra soin si elle les abandonne? Elle n'a personne au logis pour garder sa famille, pas de vieille grand❜mère à qui elle confie ses enfants, pas une bonne voisine qui les surveille; car le pauvre loge avec le pauvre, et dans ces tristes maisons de l'indigence, chaque locataire est obligé de gagner sa vie jour par jour, heure par heure. Oh! que de pauvres mères, ainsi chassées de chez elles par le travail, et retenues en même temps par leurs enfants, se sont vues

dans la cruelle nécessité, ou de mourir de faim, ou d'abandonner leur petite famille: cruelle et dure alternative!

Et puis, l'enfant ne peut pas rester seul. C'est un petit être sans prévoyance et sans force qu'on ne saurait abandonner à lui-même. Il a besoin de l'œil maternel qui veille sur lui; il a besoin d'un sourire attentif qui l'encourage quand il fait bien, ou d'un regard sévère qui l'arrête quand il fait mal. Laisser un enfant tout seul, c'est le perdre. Tout seul, l'enfant apprend à ne pas aimer ses semblables; il devient triste et morose; il est plus triste qu'un orphelin, car il dort quand sa mère revient du travail, et le lendemain, quand sa mère revient du travail, il dort encore. D'ailleurs, ceci est écrit dans l'Évangile: Il n'est pas bon que l'homme soit seul, et à plus forte raison un enfant.

Mais, comment venir au secours de cette pauvre mère qui ne peut pas rester chez elle, et qui ne peut pas emmener avec elle ou son fils ou sa fille ? Comment venir au secours des enfants du pauvre, qui chez eux n'ont ni feu, ni pain, ni personne pour les aimer, les instruire et les secourir tant que dure le jour? Rassurez-vous, enfants, la charité est ingénieuse, la bienfaisance est une bonne gardienne. C'est la bienfaisance, c'est la charité, qui ont inventé pour les enfants des pauvres, les salles d'asile. Je vais vous dire ce que c'est qu'une salle d'asile, pour vous rassurer sur vos petits frères qui sont malheureux.

Dans chaque arrondissement de grandes villes, dans chaque ville, dans chaque village, les bienfaiteurs de l'enfance ont imaginé d'assigner aux petits enfants qui n'ont pas de maisons à eux, une maison sinon riche, du moins bien fermée et bien chaude en hiver, bien éclairée en été, bien saine dans tous les temps. Cette maison est un véritable élysée pour des pauvres enfants habitués à toutes les obscurités de ces tristes prisons du cinquième étage, dans ces rues étroites et malsaines. Voilà ce qu'on appelle des salles d'asile. Chacune de ces maisons est gouvernée, soit par un vieil invalide, bon homme qui aime les enfants par instinct, comme il aime son chien caniche, soit par quelque bonne femme agile, alerte, douce et vive, qui devient ainsi la mère de tous les petits pauvres de son hameau. Tous les matins, le père qui va travailler

aux champs tout le jour, la mère qui suit son mari dans la campagne, conduisent leur enfant à la salle d'asile. Là, le petit enfant dit adieu à sa mère pour tout le jour; en même temps il entre dans sa maison, dans son palais. La maison est toute prête à recevoir son petit seigneur et maître. Il entre; il se voit au milieu de petits enfants comme lui. Déjà la société commence pour ces enfants qui étaient destinés à vivre seuls.

Et, dans cette salle d'asile, ces enfants, si pauvres le matin, riches à présent, n'ont plus qu'à se laisser être heureux. Ils jouent, ils chantent, ils se font des niches de tout genre, ils entourent la bonne femme qui leur sert de mère, et qui leur raconte les belles histoires qu'elle a apprises; pendant ce temps-là, le père et la mère, tranquilles sur le sort de leur enfant, travaillent de toutes leurs forces, heureux de penser que leur enfant s'amuse, qu'il grandit entouré de soins bienveillants; qu'il a chaud, et qu'il n'a pas faim.

Voilà ce que c'est qu'une salle d'asile. Grâce à ces touchantes institutions, l'enfant du pauvre, lui aussi, connaît le printemps en fleurs; il respire, il chante, il grandit, il s'anime comme tous les autres enfants, il ne sait pas ce que c'est que la misère, il est aussi heureux que peut l'être un enfant; il a de l'air, des fleurs, du soleil, et des amis de son âge. Jules Janin.

MORT D'ÉPAMINONDAS.

Les deux armées furent bientôt en présence près de la ville de Mantinée. Celle des Lacédémoniens et de leurs alliés était de plus de vingt mille hommes de pied, et de près de deux mille chevaux; celle de la ligue thébaine, de trente mille hommes d'infanterie, et d'environ trois mille de cavalerie.

Jamais Épaminondas n'avait déployé plus de talent que dans cette circonstance. Il suivit dans son ordre de bataille les principes qui lui avaient procuré la victoire de Leuctres. Une de ses ailes, formée en colonne, tomba sur

la phalange lacédémonienne, qu'elle n'aurait peut-être jamais enfoncée, s'il n'était venu lui-même fortifier ses troupes par son exemple, et par un corps d'élite dont il était suivi. Les ennemis, effrayés à son approche, s'ébranlent et prennent la fuite. Il les poursuit avec un courage dont il n'est plus le maître, et se trouve enveloppé par un corps de Spartiates qui font tomber sur lui une grèle de traits. Après avoir longtemps écarté la mort, et fait mordre la poussière à une foule de guerriers, il tomba percé d'un javelot, dont le fer lui resta dans la poitrine. L'honneur de l'enlever engagea une action aussi vive, aussi sanglante que la première. Ses compagnons, ayant redoublé leurs efforts, eurent la triste consolation de l'emporter dans sa tente.

On combattit à l'autre aile avec une alternative à peu près égale de succès et de revers. Par les sages dispositions d'Epaminondas, les Athéniens ne furent pas en état de seconder les Lacédémoniens. Leur cavalerie attaqua celle des Thébains, fut repoussée avec perte, se forma de nouveau, et détruisit un détachement que les ennemis avaient placé sur les hauteurs voisines. Leur infanterie était sur le point de prendre la fuite, lorsque les Éléens volèrent à son secours.

La blessure d'Épaminondas arrêta le carnage et suspendit la fureur des soldats. Les troupes des deux partis, également étonnées, restèrent dans l'inaction. De part et d'autre on sonna la retraite, et l'on dressa un trophée sur le champ de bataille. Epaminondas respirait encore. Ses amis, ses officiers, fondaient en larmes autour de son lit. Le camp retentissait des cris de la douleur et du désespoir. Les médecins avaient déclaré qu'il expirerait dès qu'on ôterait le fer de la plaie. Il craignait que son bouclier ne fut tombé entre les mains de l'ennemi; on le lui montra, et il le baisa, comme l'instrument de sa gloire. Il parut inquiet sur le sort de la bataille; on lui dit que les Thébains l'avaient gagnée. "Voilà qui est bien," répondit-il, "j'ai assez vécu." Il demanda ensuite Daïphantus et Iolidas, deux généraux qu'il jugeait dignes de le remplacer; on lui dit qu'ils étaient morts: "Persuadez donc aux Thébains," reprit-il, "de faire la paix." Alors il ordonna d'arracher le fer; et l'un de ses amis s'étant écrié, dans

l'égarement de sa douleur: "Vous mourez, Épaminondas! si du moins vous laissiez des enfants!" "Je laisse," répondit-il en expirant, "deux filles immortelles: la victoire de Leuctres et celle de Mantinée."

Barthélemy.

CHARLES-QUINT ET LES BRIGANDS.

UN beau jour de printemps, Charles-Quint, alors simple roi des Espagnes, chassait dans une forêt de la VieilleCastille. Un violent orage qui vint à éclater, tout-àcoup sépara le roi de sa suite, et le força de chercher promptement l'asile le plus prochain. Cet asile fut une caverne formée tout naturellement par la proéminence d'un bloc énorme de rochers. Joyeux d'avoir cet abri tutélaire, Charles descend aussitôt de cheval . . .; mais jugez quelle est sa surprise, lorsqu'à la lueur d'un éclair il aperçoit tout près de lui quatre hommes de fort mauvaise mine, armés des pieds à la tête, et qui semblent plongés dans un profond sommeil. Il fait deux pas vers l'un d'eux; soudain le dormeur se lève sur ses pieds et lui dit: "Vous ne vous douteriez jamais, señor caballero du rêve étonnant que je viens de faire. Il me semblait que votre manteau de velours passait sur mes épaules.” Et en disant ces mots, le voleur dégrafe le manteau du roi et s'en empare.

"Señor escudero," ajouta le second, "j'ai rêvé que j'échangeais ma résille contre votre belle toque à plumes." "Et moi," dit un troisième, "que je trouvais un coursier magnifique sous ma main."

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"Mais, camarades," s'écria alors le quatrième, "que me restera-t-il, avec vos rêves?"

-"Eh! par Saint Jacques, cette chaîne d'or et ce sifflet d'argent," reprit le premier, en apercevant ces joyaux appendus au cou du prince.

"Tu as, ma foi, raison," dit l'autre. main s'avança pour saisir les objets.

Et aussitôt sa

"C'est au mieux, mes amis," dit alors Charles-Quint, "mais avant de vous livrer ce bijou, je veux vous en

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