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LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1912

NOTICE SUR BOILEAU

Nicolas Boileau Despréaux est né à Paris le fer novembre 1636. Nous disons qu'il est né à Paris, et il y a de bonnes autorités qui le soutiennent; on a même été jusqu'à désigner la maison où il est né. C'est celle qui fait le coin du qua des Orfèvres et de la rue du Harlay; à moins que ce ne soit une autre maison, située dans la rue de Jérusalem. Les mêmes autorités qui le font naître à Paris le font baptiser dans la chapelle du Paiais. Cependant des témoignages non moins précis établissent qu'il est né à Crône, petit village des environs de Paris, qu'il y a été baptisé, et que son nom de Despréaux lui fut donné par son père à cause de cela. Boileau Despréaux, c'est-à-dire Boileau né aux préaux, dans les prés, à la campagne. On peut s'étonner que ce point n'ait pas été mieux éclairci, car c'est la seule obscurité qui plane sur la vie du poëte. Cette vie n'est pas chargée de beaucoup d événements, et plusieurs écrivains, sans compter Boileau lui-même, se sont donné la tâche de la raconter dans tous ses détails.

Son père, Gilles Boileau, était greffier du Parlement.

Fils d'un père greffier....

Boileau nous dit de plus que son père était un très-galant homme, d'humeur douce et facile; circonstance qui lui paraît 2ort extraordinaire, à cause de l'extrême méchanceté dont il se vante. La noblesse de sa famille remontait jusqu'à saint Louis, ou tout au moins jusqu'à Charles V, qui avait pour confesseur Hugues Boileau, trésorier de la Sainte-Chapelle. Cette illustre origine fut prouvée par un arrêt du Parlement. Les mauvaises langues prétendirent que les vers du poëte lui avaient tenu lieu d'une généalogie en règle; et c'est de quoi la postérité se soucie fort peu. Boileau le greffier se maria deux fois; il eut plusieurs enfants du premier lit, entre autres Boileau-Puymorin, qui fut contrôleur de l'argenterie du roi. Nicolas Boileau n'est que le onzième enfant de Gilles Boileau. Son frère aîné, nommé aussi Gilles Boileau, du nom de leur père, était un poëte estimé. qui entra à l'Académie française vingt-cinq ans avant son cadet, et eut bien de la peine à lui pardonner d'être plus célèbre que lui. Un autre

OILEAU

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frére de Boileau fut chanoine de la Sainte-Chapelle, et prédicateur; un autre, chez lequel il passa une partie de sa vie, était greffier du conseil de la grand'chambre; c'est Jérôme Boileau, que son frère l'illustre poëte préféra toujours, quoiqu'il fût joueur, et que sa femme fût ridicule et impertinente.

La jeunesse de Boileau fut très-malheureuse. Il était sacrifié à ses aînés, et ne passait d'ailleurs que pour un petit génie. « Ce sera un bon enfant, disait le père, qui n'avait d'orgueil que pour Gilles; il ne dira jamais de mal de personne. » On le reléguait dans une espèce de poivrière placée au-dessus des toits, froide en hiver, chaude en été, d'où il ne voyait que les toits du palais de justice, et qu'il quitta avec bonheur, pour descendre.... au grenier, où on eut enfin la charité de l'installer. Il avait été taillé de la pierre à l'âge de quatre ans, et fort mal taillé. Il en souffrit toute sa vie. Les biographes ont tiré mille contes de son infirmité, et y ont joint pour surcroît la ridicule histoire d'un duel avec un dindon, qui guérit Boileau pour le reste de ses jours de tout penchant et de tout besoin amoureux. Quand il quitta les jésuites, chez lesquels on le fit étudier au college d'Harcourt, on voulut le mettre dans la chicane. Il eut un pupitre chez M. Dongois, son beau-frère, greffier au Parlement, l'illustre M. Dongois, comme il l'appelle; mais il fut honteusement chassé pour le crime de s'être endormi en écrivant sous la dictée de son parent. Reçu avocat, il fit ses débuts au Parlement avec un tel succès qu'il fallut dès ce premier jour renoncer à l'espoir d'attendrir les procureurs, et d'obtenir de leur grâce le moindre sac de procès. Rebuté de ce côté, Despréaux se fit d'église. Il obtint un bénéfice simple de huit cents livres, le prieuré de Saint-Paterne qu'il garda neuf ans. On assure qu'il aima une de ses parentes, nommée Marie Poncher de Bretonville; qu'elle voulut résolûment se faire religieuse, et qu'il vendit son bénéfice pour payer sa dot. Cette aventure amoureuse, dont il nous est resté une pièce de vers qui n'est pas la meilleure de Boileau, est la seule trace de tendre sentiment qu'on puisse trouver dans toute sa vie.

On peut suivre jour par jour le développement de sa veine poétique, comme il l'aurait appelée lui-même, car il a pris soin de placer dans une édition faite sous ses yeux la table chronologique de ses œuvres. A vingt ans, son bagage littéraire se composait du Sonnet sur la mort d'une parente, de deux Chansons, ci de l'Ode contre les Anglais Il dit dans une note qu'il

avait fait cette ode à dix-sept ans, mais que depuis, il l'avait accommodée. La vérité est qu'il l'avait faite à dix-huit ans, mais il se rajeunis ait toujours d'un an, parce qu'un jour que Louis XIV lui demandait son âge, il lui avait répondu : « Sire, je suis né un an avant Votre Majesté, pour raconter ses grandes actions. » Il aurait perdu ce bon mot qui est assez médiocre, et ce trait de courtisan qui n'est pas des plus fins, s'il avait dit la vérité, car il était né, non pas un an, mais deux ans avant le roi.

Ce fut à vingt-quatre ans que Boileau composa sa première satire. C'est une imitation de la troisième satire de Juvėnal où le poëte latin nous représente Umbritius quittant Rome à cause des vices dont elle est pleine, et des embarras qui en rendent le séjour insupportable. Boileau a tiré deux satires de ce sujet; l'une, que les éditions placent la première, contre les vices de Paris; l'autre, que les éditions placent la sixième, contre les embarras de Paris. Furetière fut le premier qui vit cette satire, en fourrageant parmi les papiers de Boileau, un jour qu'il allait visiter son frère Gilles Boileau, l'académicien, et par ses louanges, il inspira de la confiance à l'auteur, qui laissa courir quelques copies. Le succès fut assez grand, et l'on compta dès lors un poëte de plus << sur le Parnasse. » Artémise et Julie, c'est-à-dire en langue vulgaire, la marquise de Rambouillet et la duchesse de Montausier appelèrent Boileau dans leur cercle. Mais il n'était pas fait pour plaire au monde des précieuses, et lui-même s'en dégoûta dès le premier jour. Il y trouva Chapelain et Cotin dans toute leur gloire; et le véritable service que lui rendit l'hôtel de Rambouillet, fut de lui fournir pour les satires suivantes ces deux illustres victimes. Il y trouva aussi Mme de La Fayette et Mme de Sévigné, qui étaient bien dignes de n'y pas aller, qui l'apprécièrent sur-le-champ, et le comptèrent désormais parmi leurs fidèles. L'amitié de Mme de La Fayette lui valut celle de M. de La Rochefoucauld. De proche en proche, il se lia avec Racine, Molière, La Fontaine. Il eut l'avantage, inappréciable pour tout écrivain, et nécessaire surtout à un critique, de vivre dans le commerce intime des esprits les plus distingués et les plus délicats de son temps. L'amitié qui l'unit à Racine fut ten dre, dévouée, sans réserve. Ils ne furent séparés que par la mort, et pendant les longues années que dura leur intimité, jamais l'un d'eux ne livra un vers au public sans l'avoir fait d'abord juger et corriger par son ami.

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