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traintes héréditaires du mal par de cruelles immolations. Sa foi lui donne la force de poursuivre jusqu'au bout son sacrifice. C'est alors seulement que la vie lui est ouverte et qu'il peut se dévouer, en compagnie de sa jeune femme, à la cause de Dieu, et continuer, sur la terre de Vendée, le geste protecteur de ses ancêtres.

Le nouveau roman de M. B. est à la fois un roman mystique et un roman social. Roman mystique, il exalte à nouveau la vertu vivifiante du sacrifice; il commente le mot de l'Evangile : «< celui qui consent à perdre son âme la sauvera ». Le personnage principal est, si l'on ose dire, Dieu lui-même, qui se conquiert une âme, et que cette âme cherche avec toute l'effusion de sa volonté. Il faut avoir une haute conception du roman pour y mettre ainsi en spectacle ce qu'il y a de plus intime dans le cœur de l'homme.

Roman social, il fait à la tradition sa part légitime. Il affirme que l'héritage des ancêtres est une réalité, dont il ne faut pas avoir la superstition. Toute tradition a deux faces: Philippe de Bradieu peut imiter le dévouement de ses ancêtres, ou continuer les crimes paternels. C'est lui seul en définitive, qui est le juge de la tradition, en vertu de sa conscience personnelle, qui est en cette matière le dernier critérium. M. B. est trop chrétien pour donner dans ce traditionalisme matérialiste que l'on prêche si imprudemment; on s'étonne qu'un critique avisé ait cru devoir le condamner pour « traditionalisme dévôt ».

Il plaide aussi en faveur du « retour à la terre »>,corollaire du traditionalisme. Mais là encore il nous montre que le problème a deux faces. Il est bon que Philippe de Bradieu, individualité forte, s'enracine dans son domaine des Broux : il est assez vigoureux pour transformer son milieu au lieu d'être absorbé par lui. Au contraire, la masse de ses compatriotes, habitants du bocage vendéen, croupit et meurt dans la trop vieille Vendée ces gens-là ne sont plus assez forts pour rajeunir sur place les énergies épuisées de la race. Il semble que le problème du racinement se pose bien ainsi, en général, sous ces deux aspects. Là encore nous en revenons, en dernière analyse, à l'individu.

Roman mystique et roman social, roman de mœurs dont le héros est un chrétien, la Fosse aux Lions est à la fois très réaliste et très idéaliste. Cela n'a rien d'étonnant. M. B. a voulu montrer le réel tel qu'il est, avec toutes ses misères, et le chris

tianisme purifiant tout ce mal et en faisant sortir de la vie. C'est parce qu'il a montré le christianisme dans son rôle essentiel qu'il est à la fois réaliste et idéaliste. On n'a pas très bien compris, à vrai dire, sa position. M. Baumann est victime du même malentendu que Huysmans: ni les naturalistes ne comprennent son catholicisme, ni les catholiques n'admettent son naturalisme. Des dilettantes incrédules souhaitent à l'auteur qu'il abandonne son catholicisme. Des catholiques d'un classicisme délicat et un peu superficiel sont scandalisés de sa franchise d'observation. Bref, il est dans la même situation que les catholiques républicains, combattus à la fois à droite et à gauche, par les conservateurs et les radicaux. Et pourtant, en tenant à la fois pour le naturalisme comme doctrine d'art et au christianisme comme doctrine morale, il est dans son droit. C'est bien son droit de prendre toute la nature, pour montrer que le christianisme vivifie et spiritualise la nature tout entière. C'est là montrer le christianisme dans son rôle normal. S'il est vrai qu'il s'adresse à un monde coupable, et que le Christ est venu non pour les justes, mais pour les pécheurs, la méthode de M. B. est légitime.

Comme on le voit le roman soulève tout un problème d'esthétique quels sont les devoirs et les droits de l'art chrétien? L'art chrétien doit-il représenter exclusivement un monde idéal et supra-terrestre, ou bien a-t-il le droit de prendre tout le réel, même le plus bas? La première méthode semble plus simple, et la seconde plus difficile, mais peut-être plus profonde et plus réellement chrétienne, puisque l'homme est pécheur. L'art chrétien du Moyen-âge et les écrits de certains mystiques relèvent, semble-t-il, de la dernière. De là leur puissance d'émotion et de suggestion. N'est-il donc pas légitime de rêver, avec M. Baumann, un art chrétien, art audacieux et dru, hardi mélange d'ascétisme et de réalisme 7 » Les mérites littéraires de la Fosse aux Lions prouvent que ce rêve n'est pas irréalisable.

Louis HOGU.

Notes bibliographiques

Discours de Métaphysique et analyse détaillée des Lettres à Arnauld, par LEIBNIZ, avec Introduction, notes et extraits, par EMILE THOUVEREZ, Belin, 1910.

On sait que le Discours de Métaphysique, qui a souvent figuré au programme de licence dans diverses facultés, a en outre été mis au programme du baccalauréat. La présente édition, destinée avant tout aux étudiants et écoliers, ne les intéressera pas seuls. Si abondant qu'il soit, le vocabulaire présente des lacunes. On regrette surtout qu'il se fasse si timide en face de textes aussi importants que le prædicatum inest subjecto ou la très complexe théorie de la contingence exposée au paragraphe 13, laissant ainsi sans réponse les questions aujourd'hui posées sur la signification profonde du système. Mais les théories mécaniques et mathématiques de Leibniz y sont exposées avec soin et intelligence. Quant à la très érudite introduction biographique et bibliographique qui précède, elle réunit un nombre considérable de renseignements et de faits qu'on ne trouve d'ensemble dans aucun autre ouvrage français. Au total, voilà un utile instrument de travail, et un guide pré cieux pour la visite du labyrinthe leibnizien. Il n'y en a pas trop.

P. A.

Apologétique chrétienne, par A. MOULARD et F. VINCENT. Nouvelle édition complètement refondue, Bloud, 1910.

Dans cette nouvelle édition, les auteurs ont amélioré la disposition typographique du livre, allégé la rédaction de certains passages, mis au courant la bibliographie. Malheureusement, ils n'ont pas enrichi son contenu philosophique. Je suis donc obligé de maintenir, à cet égard, ma première appréciation. Elle était sévère.

P. A.

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L'organisation de la vie privée, l'orientation particulariste, par Gabriel MELIN, chargé de cours de science sociale à l'Université de Nancy. Bloud et Cie, éditeurs 1910.

Le but de l'organisation de la vie privée, ce doit être de faire des hommes qui soient hommes le plus et le mieux possible. C'est ce qu'a admirablement développé Ollé-Laprune dans «< Le prix de la vie. La pensée d'Ollé-Laprune était purement philosophique; il eût admis sans doute que chaque peuple, chaque individu a sa manière de « faire bien l'homme, développant ses puissances propres, chacune en son rang et selon la mesure qui lui convient. La science sociale enseignerait au contraire qu'il n'y a qu'un moyen de faire notre métier d'homme, c'est d'organiser notre vie suivant la forme particulariste, et c'est à cette manière propre que serait due, comme on sait, la supériorité des anglo-saxons. Peut-être faudrait-il s'entendre au préalable sur le critère positif de la supériorité sociale. Car sîl arrivait que la vérité positive, comme l'enseigna A. Comte, fût relation pure, ne se pourrait-il pas que le critère positif fit défaut et que la morale positive fût chimére. Y a-t-il une science sociale ? N'y a-t-il pas plutôt des sciences sociales?

P. H.

Leçons de philosophie sociale. Introduction. La famille ouvrière, par le R. P. SCHWALM, préface de M. Gabriel Melin, chargé du cours de science sociale à l'Université de Nancy. Bloud et Cie, éditeurs.

Le livre posthume du R. P. Schwalm se présente sous la forme commode d'un manuel. Il ne l'est point au fond. Car il s'inspire d'une méthode et d'une philosophie, dont les contours sont particulièrement marqués. La méthode est celle de la science sociale », qui a pour objet l'étude objective des Sociétés humaines ou plus exactement des groupements que forment entre eux les hommes vivant en société. Sa philosophie est celle de S. Thomas, au regard de laquelle le R. P. Schwalm, juge les institutions, dont la science lui révèle l'enchaînement. Théoriquement on pourrait se demander comment accorder une méthode, dont le postulat est le déterminisme social, et une philosophie dont la pierre angulaire est le libre arbitre. Pratiquement, la science sociale se fait souple et docile aux exigences de la philosophie; et d'autre part, il n'y a pas de philosophie sociale plus réaliste et qui tienne mieux compte des contingences que celle de S. Thomas. P. H.

4 SÉRIE. T. XIII, — No 1.

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Revue des Revues

Revue de métaphysique et de morale, Septembre.-V. DEL. BOS: Husserl (sa critique du psychologisme et sa conception d'une logique pure). « A mesure que la psychologie est devenue davantage une science d'observation positive et d'expérience, non seulement elle a dissipé le préjugé d'une vie mentale qui ne serait guère qu'une logique réalisée, mais encore elle a été portée à s'attribuer le pouvoir de ramener aux conditions du milieu psychologique la structure et le fonctionnement de la pensée logique. » Cette prétention de la psychologie à être toute la philosophie a reçu le nom de Psychologisme. C'est contre cette prétention que Husserl s'est élevé en s'appuyant sur les considérations suivantes : « Il y a une discordance frappante entre l'indétermination et l'inexactitude des lois psychologiques et l'exactitude ou la rigueur des principes logiques... A supposer que l'on voulût ou que l'on pût rendre les lois psychologiques plus exactes qu'elles ne le sont, on ne saurait oublier malgré tout que ces lois, établies, comme toutes les lois naturelles, par voie d'expérience et d'induction, ne sont pas apodictiquement certaines, et qu'elles n'autorisent guère, pour les prévisions de l'avenir, que des conjectures raisonnables. Or des lois logiques, telles que, par exemple, le principe de contradiction, énoncent des affirmations catégoriques absolument certaines. Nous ne nous bornons pas à présumer que de deux contradictoires, l'une est vraie, l'autre fausse. Nous en sommes sûrs sans restriction et sans condition... La légalité logique ne se résout pas, comme la causalité naturelle, dans une suite de termes qui s'appellent et se succèdent. Aucune loi logique n'implique des faits comme matière; aucune loi logique n'est en elle-même une loi pour des faits. Rigoureusement il serait absurde de considérer la vérité comme un fait, comme quelque chose de déterminé dans le temps. » Husserl aboutit ainsi à opposer au psychologisme l'idée d'une logique pure qui a pour objet de déterminer «< conditions de la possibilité de la science en général ». Mais du

les

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