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proprement dit, il n'y en a pas, hors de la transgression volontaire d'une loi connue. Pas plus que du nom, ne nous inquiétons des circonstances, pourvu que le changement s'opère. L'illusion même en est bienfaisante, et y achemine.

Soupirer après la sainteté, c'est presque l'unique moyen de conserver l'énergie de la foi; c'est l'aliment qui entretient et vivifie tous les désirs spirituels. Faute d'une telle attente, la vie intérieure s'attiédit et languit. Il n'y a de croissance en grâce que là où on exhorte les croyants à tendre vers la perfection. Point de succès, là où la prédication le néglige. Prospérité générale, au contraire, partout où elle s'en acquitte. Ils se trompent ceux qui pensent, l'enfant aussitôt né, n'avoir plus à s'en occuper : c'est alors que la tâche véritable commence. Dès qu'une personne est justifiée, nous devrions nous faire une règle de l'exhorter à la perfection; c'est l'heure la plus propice, où règne la simplicité de petits enfants, la ferveur prête à se couper la main droite ou à s'arracher l'œil droit. Cette ferveur une fois tombée, on ne reviendra pas sans peine à ce point. Si l'œuvre de Dieu ne s'étend pas plus loin ni plus vite, si les chrétiens sont encore à ce point clairsemés dans une nation livrée aux ombres de la mort, n'est-ce pas que les Méthodistes, leurs Prêcheurs, nous-mêmes leurs consuls, manquons de sainteté, de dévotion héroïque, de zèle irrésistiblement communicatif?

Pour stimuler ce zèle, Wesley multiplie les publications, autobiographies ou correspondances édifiantes de ses prosélytes, ou de représentants éminents d'autres confessions, traités religieux, ouvrages de piété. Outre les premiers principes, nous dit-il d'une sorte de Manuel du Chrétien, ces dévotions pour chaque jour de l'année illustrent l'œuvre totale de Dieu dans l'âme, jusqu'à ce que l'homme, enraciné à fond dans l'amour, soit capable de comprendre avec tous les saints l'immensité de l'amour du Christ, qui dépasse l'imagination, et d'être empli de la plénitude divine. Dans des Instructions et Réflexions tirées du français en 1773, il conserve avec soin tout ce qui concerne la sainteté par la destruction des dispositions mauvaises, orgueil, volonté propre, amour du monde. Fletcher, à qui il suggère un dia

logue sur la Perfection chrétienne, s'en fera le vaillant champion dans sa défense des Minutes de 1770 : avec ses dérivés, le mot ne figure-t-il pas sans cesse dans l'Ecriture, qui n'emploie « prédestiner » que quatre fois, et «< prédestination » pas une ?

Mais, surtout, qu'elle soit l'objet de prédications vigoureuses et explicites. Ceux qui la taisent, qu'on les remplace. Là où l'on ne gagne pas de terrain, c'est qu'on l'oublie. <«< Une langueur générale a envahi, à cet égard, tout le royaume. Parfois la lassitude me prend presque de lutter ainsi contre Prêcheurs et peuple. » A la Conférence prochaine de décider si tous nos Prêcheurs ou non insisteront continuellement sur la Perfection chrétienne. Avec la fidélité à l'Eglise établie, c'est là le gros souci: tous les efforts réunis ne sont pas de trop pour que les Méthodistes n'abandonnent point l'une et l'autre. Abandon tacite, ou bien affirmation envers et contre tous, il n'est que temps de choisir. Quiconque l'attaque directement ou indirectement, doit être exclu de toutes fonctions, sinon mème de la société. Le sermon sur la Robe nuptiale, en mars 1790, proclame une fois de plus la sainteté indispensable à l'accès du banquet céleste.

Dans les doctrines d'Arius et de Socin, l'évêque Browne voyait le flot dévastateur que de nos jours vomit le dragon de l'Apocalypse. En réalité, rectifie Wesley, ce qui plus que tout le reste ensemble fait obstacle à l'œuvre de Dieu en Angleterre, c'est le torrent antinomien. C'est pourquoi la Providence veut aujourd'hui répandre la sainteté sur la terre. Et cette doctrine, que le démon hait par dessus tout, elle a été confiée à notre garde; c'est le dépôt capital commis par Dieu à ceux qu'on appelle Méthodistes; pour la propager surtout, ils semblent avoir été suscités.

C'est leur grande bénédiction, constate-t-il ailleurs, de maintenir avec un zèle et une diligence égales, sans les enfler au détriment l'une de l'autre, ces deux doctrines unies par Dieu et qu'il n'est loisible à nul homme de séparer : la justification gratuite, plénière et présente; l'entière sanctification du cœur et de la vie; François de Sales, qui traite de la seconde avec tant de force et selon l'Ecriture, ignore

la première; c'est la commune erreur des Papistes de fondre l'une dans l'autre ; et réciproquement, quel dommage que Luther, incomparable à traiter de la justification par la foi seule, ait montré une telle ignorance ou des conceptions si confuses de la sanctification !

Le caractère complémentaire des deux doctrines répond bien à toute l'attitude de Wesley dans la dispute des œuvres et du mérite avec les Moraves et les Calvinistes. De même qu'il s'était exagéré d'abord la vertu transformatrice immédiate de la justification, point de doute qu'il n'ait commencé par une vue démesurée et surhumaine de la perfection chrétienne; avec un sens croissant des réalités et des possibilités spirituelles, il adoucit les nuances, il baisse le ton peu à peu, sans que son idéal de jeunesse change perceptiblement de physionomie et de substance. Son ambition, c'est toujours d'aimer Dieu par dessus toutes choses et d'être en même temps épuré de tout ce qui s'interpose entre lui et Dieu. Parce que la justification ne lui a pas d'emblée assuré cela, comme il y comptait; parce que trop de gens ne se croient pas tenus de pousser au delà; parce que les ignorants et les inconstants tournent toujours à leur destruction, comme du temps de S. Pierre, des enseignements difficiles à bien entendre, il reporte plus loin la cîme suprême à laquelle doivent aspirer les efforts chrétiens. Et il est tenté d'en dessiner la masse plus sublime et plus imposante, pour mieux remonter cette pente du pardon censé définitif et sans conditions qui entraîne à la licence.

Mais de ce déplacement du centre de gravité, ne résultet-il pas forcément une rupture ou un bouleversement d'équilibre? Du seul fait d'être ainsi accouplée à la sanctification, la doctrine tout entière de la justification par la foi ne se trouve-t-elle pas foncièrement altérée en son sens historique? C'est bien là ce qu'entendait Alexandre Knox, quand il glorifiait Wesley de l'avoir « moralisée ». Reste à voir ce qu'il en subsiste. AUGUSTIN LEGER.

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BIBLIOGRAPHIE

Méditations sur l'Evangile selon S. Jean, ch. XIII-XVII,par A. NOUVELLE, un vol. in-16, VII-248 p., Paris, Bloud, 1911.

Rien ne servirait à la vie chrétienne de connaître les paroles et les actes du Christ, si, par le travail de la piété méditative, on n'en tirait l'aliment spirituel qui y est contenu. Savoir que Jésus est un personnage historique, qu'il est le Sauveur du monde, qu'il est Dieu, qu'il a fondé la vraie religion n'est pas un résultat négligeable, certes, puisque c'est la base nécessaire sur laquelle nous avons à édifier notre salut personnel : mais la foi qui reste une pure science et qui, pour devenir active, n'a pas pénétré, transformé la masse des inclinations, des sentiments, des images, des conceptions, des désirs constituant notre vie intérieure,serait non seulement inutile mais périlleuse. Et dans ce travail d'assimilation et d'élaboration intimes, pour nous y pousser et pour nous y aider, des livres tels que celui qui vient de paraître peuvent être d'une insigne utilité. Un exemple et un guide, voilà ce dont tant d'âmes ont besoin, qui manquent moins de bonne volonté que de ressort, d'élan et d'expérience dans l'ordre d'un christianisme vécu.

Un exemple, il suffit pour se convaincre que ces Méditations en sont un, d'ouvrir le livre au hasard de la page. On n'en rencontrera pas une qui ne soit la belle expansion d'une âme toute absorbée dans sa contemplation ou son colloque. Mais rien de fade et de maniéré; c'est la façon franche, simple et forte dont les Augustin et les Bossuet ont été des modèles. Bien que le procédé soit délicat il est difficile, dans ce genre de littérature, de ne pas rapprocher l'homme du livre. L'auteur nous pardonnera de révéler à ceux qui peut-être les ignorent, quelques sobres détails sur sa personnalité. Sa destinée a été surtout de conduire des âmes, tellement la richesse débordante de sa vie, intérieure donnait tout de suite confiance. Tout jeune prêtre encore, il fut mêlé à la direction du collège de Juilly, fondait l'Ecole Massillon; puis était appelé par le Cardinal Perraud à lui servir de vicaire général dans le gouvernement de l'Oratoire

enfin lui succédait par le choix de ses confrères. Des protestants et des anglicans lui doivent leur conversion, beaucoup d'hommes du monde le soutien de leur foi, bien des prêtres leur vocation et l'efficacité de leur sacerdoce. On comprendra par là ce qu'on peut chercher et ce qu'on trouvera dans un livre où sont accumulés les trésors amassés durant une longue carrière.

Mais on éprouve toujours une certaine défiance à se laisser guider dans l'appropriation personnelle du texte sacré. On redoute le lyrisme d'une piété trop subjective qui se subordonne la pensée du Maître. Que de sens allégorisés n'a-t-on pas tirés de l'Ecriture, quand on s'abandonne aux ébranlements d'une dévotion plus ardente que solide ? Ici rien à craindre de cette sorte. L'auteur a médité S. Jean après en avoir sérieusement établi le texte et en avoir exactement dégagé le sens littéral. Les problèmes scientifiques que soulève le IV évangile ne lui sont pas étrangers; en 1905 il nous donnait un ouvrage (L'Authenticité du IVe évangile, Paris, Bloud) où s'affirmait sa maîtrise de la question johannine. Il concluait, on se le rappelle, que son attribution à l'apôtre Jean est incontestable et que sa fidélité au moins pour le fond et pour l'esprit à rapporter les enseignements du Sauveur mérite toute confiance. Armé de ces études préliminaires, de la critique minutieuse du texte et de la connaissance des meilleurs exégètes, il est un guide sûr dans une méditation qui ne s'éloigne jamais de la scrupuleuse réalité évangélique. Il faut toutefois reconnaître qu'en matière religieuse la science éclaire moins qu'elle n'établit des barrières. C'est à la prière, à l'intuition méditative que sont dévolues les lumières surnaturelles.

Au surplus ce n'est pas par aventure que l'auteur s'est attaché aux cinq chapitres qui vont du XIIIe au XVII. On peut dire que toute la substance évangélique, spiritualisée, transposée dans son sens le plus profond et le plus élevé, est contenue dans ces quelques pages. La nature de la vie chrétienne, ses éléments, ses conditions,les vrais motifs de crédibilité,les rapports qui doivent unir le fidèle au Christ, tout cela est l'objet des derniers enseignements du Sauveur. Et c'est l'importance de ces enseignements qui fait la singulière valeur de ces Méditations pieuses et pénétrantes. Souhaitons que le P. Nouvelle nous donne bientôt le volume qui a déjà circulé en manuscrit, sur l'Epitre aux Romains, et qui se recommande des mêmes qualités. D. S.

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