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Sauveur. Il nous faut tout ce qui aide à suivre de près celui que nous avons reçu, afin d'arriver d'autant plus vite à la mesure de la pleine stature du Christ ».

Ce ne sont plus seulement des cas isolés qui lui répondent: quelques femmes dispersées à travers les provinces ou parmi les milliers d'une grande capitale : une Jane Cooper, pauvre petite servante comme la catholique Armelle Nicolas et qu'à plus d'un égard il met au-dessus de celleci,tant elle joignait de bon sens à la dévotion la plus véridique, toute à la volonté de Dieu, et qui s'endort paisiblement dans le pur amour. C'est une vaste flamme, qui lève à la fois de tous côtés et se répand par tout le royaume. A Londres, au lieu de seize ou dix-sept en janvier 1760, c'est une trentaine de personnes en février 1761, deux cents à la fin de 1762, qui prennent chaque semaine rendez-vous avec Wesley pour s'entretenir de cette prodigieuse métamorphose où s'évanouit le fardeau de la nature pécheresse. Trente années durant, à travers des hauts et des bas, des défaillances et des vicissitudes, toutes les régions de l'Angleterre, de l'Ecosse et de l'Irlande vont présenter tour à tour le même spectacle.

Jane Cooper disait avoir la promesse du Seigneur que l'apostolat futur de Wesley excéderait son apostolat passé.

Votre jour de Pentecôte n'est pas pleinement venu »>, aimait à lui répéter de son côté Charles depuis longtemps, << mais je ne doute pas qu'il vienne; et alors vous entendrez parler de personnes sanctifiées, tout autant qu'aujourd'hui de personnes justifiées ». N'est-ce pas là, en effet, ce que lui montre, aux derniers mois de 1763, un coup d'œil rétrospectif: « l'oeuvre distinctive de cette saison a été ce que S. Paul appelle le perfectionnement des saints... changement si profond et si universel que ceux qui l'ont expérimenté ne l'auraient pas conçu auparavant... Œuvre telle, si l'on en considère à la fois la profondeur et l'étendue que nous n'en avons jamais vu jusqu'ici dans ces royau

mes. »>

Sur ce tremplin d'expérience, l'activité doctrinale de Wesley va rebondir. Les Pensées sur la Perfection chré

tienne, dont la préface est datée d'octobre 1759, mois où est achevé aussi le quatrième volume de Sermons avec lequel elles paraîtront; les Avis et Instructions de 1762 à ceux qui professent les plus grandes choses dans les Sociétés méthodistes les Nouvelles Pensées où cet opuscule est incorporé la même année; le Simple Exposé qui résume l'enseignement donné de 1725 à 1765; les Brèves Pensées de janvier 1767, qui le condensent en une page; une demidouzaine de sermons ; et d'innombrables passages de la correspondance ou du journal, caractérisent cette décade. Et l'élan se poursuit jusqu'en 1790.

Simplicité et pureté; don total du cœur à Dieu; pur amour gouvernant les pensées et la conduite; amour de Dieu et de l'homme produisant tous les fruits décrits au Sermon sur la Montagne; par là, conformité d'esprit et d'action avec le Christ; restauration intégrale de l'image divine en nous voilà toujours la substance essentielle. Qu'importe, après cela, de la baptiser d'un terme général, qui occasionne les malentendus et les disputes ? N'insistons pas sur celui de perfection impeccable, bien qu'il faille maintenir qu'elle exclut le péché, sans quoi les gens ne s'en garderont pas suffisamment. De perfection absolue, il n'a, en tous cas, jamais été question. D'abord elle ne supprime pas les tentations, qui n'ont pas épargné N.-S. luimême. En outre, incompatible avec toute transgression volontaire, elle n'élimine point ces transgressions involontaires, ces mille insuffisances ou défectuosités, ces erreurs d'appréhension et de jugement, inévitables tant que l'âme est unie au corps et soumise à l'intermédiaire d'organes corporels, mais qui n'en sont pas moins autant de violations de la loi parfaite ou angélique sous laquelle vivait Adam avant la chute.

Or cette loi, comme la loi mosaïque, le Christ l'a abolie en ce sens seulement que les mérites incessants de sa Passion et sa continuelle intercession en notre faveur l'empêchent de nous condamner. Sans lui, nous tomberions aussitôt sous le coup de cette loi. De lui nous avons besoin, chaque fois que, de propos délibéré ou non, nous la trans

gressons. Une fois pour toutes, il nous a réconciliés avec le Père. Et pourtant nous ne saurions nous passer de lui ; il nous est, à chaque instant, indispensable dans son office prophétique de lumière du monde, comme dans son office de prêtre et de roi toute grâce, toute clarté nous vient de lui; qu'il se retire, ce n'est plus que ténèbres. Cette grâce, cette clarté non seulement nous viennent de lui et achetées par lui mais nous ne les possédons qu'en lui; Dieu ne nous livre pas une provision de sainteté ; notre perfection n'est pas celle d'un arbre qui fleurit par sa sève propre : nous sommes le sarment qui ne porte de fruits qu'uni au pied de vigne, et détaché se dessèche ; si nous n'étions ainsi alimentés à tout moment,il ne resterait que pourriture.Notre sainteté fût-elle enfin parfaite, Dieu ne l'accepterait encore que par la médiation de J.-C. Laissés à nous-mêmes, nous ne serions que péché, ténèbres et enfer.

Tant il est vrai que notre sanctification, pas plus que notre justification, ne s'opère par les œuvres. Certes, nous le savons, elle n'est accordée qu'à ceux qui obéissent : le peu de progrès qu'y font tant de croyants, tient à leur tiédeur, à leur négligence, à leur incrédulité. La vraie façon d'attendre ce grand changement est, non une inaction indolente et sans souci, un faux recueillement qui, dans un mauvais sens, couperait court à toute intervention du moi; mais un vigoureux déploiement de zèle, de vigilance et d'effort, attentif à l'observation universelle des commandements, à la pratique des ordonnances divines, à la prière, au renoncement, au jeûne, portant sa croix chaque jour et se crucifiant avec le Christ. Il n'est si menue ramification du devoir qui n'ait son importance: ainsi l'assistance au prêche matinal. Quiconque s'imaginerait réussir par une autre voie, ou garder ce qu'il aurait déjà, se trompe fort. Dieu ne donne qu'à ceux qui cherchent en toute diligence, de la façon qu'il a prescrite. De chaque acte d'obéissance ou de désobéissance, il dépend dans une large mesure de compléter ou de détruire l'œuvre de la foi. Le Christ a, en effet, adopté chaque détail de la loi morale pour le greffer sur la loi d'amour.

Il n'en est pas moins vrai que distinguer la loi de foi ou d'amour de la loi des œuvres n'a rien de subtil ni de superflu. Que de doutes ou d'erreurs cette distinction préviendrait ! David Brainerd, par exemple, ce modèle de dévotion et de mort au monde,ne s'est-il pas rongé de l'impossibilité d'être affranchi du péché? C'est que nous ne sommes qu'impuissance et indignité. Si nous ne devions compter que sur nos mérites et nos efforts, l'affranchissement d'une nature corrompue serait encore bien plus chimérique que le pardon de nos fautes passées et la réconciliation avec Dieu. Et ce qui retarde ou entrave tant de croyants, c'est précisément qu'ils s'imaginent avoir à l'acheter à force d'œuvres ou de souffrances ; c'est qu'ils ne comprennent pas la gratuité du don de Dieu. Ce don, qui dépend indirectement de nos œuvres, gages de notre bonne volonté, ne dépend immédiatement que de la foi.

Utiliser toute la grâce que nous possédons, et compter sans délai sur toute celle dont nous avons besoin, tel est le grand secret. La seule condition, c'est d'oser croire. Les promesses ne sont-elles pas formelles? « Demandez, et vous recevrez; cherchez et vous trouverez; si tu es capable de croire, toutes choses sont possibles à celui qui croit. » Ce que Dieu a promis, nous devons être persuadés qu'il est en mesure de l'accomplir; ce qui est impossible à l'homme, ne fait pas difficulté pour le Tout-Puissant. Qu'il parle ; et la chose est faite ! Il en a la volonté comme il en a le pouvoir. Sa grâce est suffisante pour vous. Elle est à vous, puisque le Christ est à vous. Tout ce qu'il commande, tout ce qu'il attend de vous, il est prêt à l'effectuer en vous.

Mais quand? Sera-ce à l'heure de la mort ? avant ou après la séparation de l'âme et du corps? combien de mois, de jours, ou d'années avant ? combien d'années ou de mois après la justification? En général, c'est à l'heure de la mort, juste avant que l'âme quitte le corps. Le seul obstacle à ce que cela se produise plus tôt, n'est-il pas l'idée que cela n'arrivera point auparavant ? Et pourquoi différer jusquelà? Ce n'est pas subordonné à ce que nous valons et à ce que nous sommes. Il n'y a pas à être ou à faire ceci ou cela

pour

le mériter. C'est de l'avoir cherché par les œuvres, graduellement, qui a égaré tant de bonnes volontés. Une œuvre graduelle, assurément, se déroule au préalable et par la suite, surtout en ce qui touche ies habitudes et les actions extérieures. Il existe une infinité de degrés et de variations qui font que le salut du péché ne réside pas dans un unique point indivisible, et comporte croissance et progrès comme il comporte recul, rechute, perte et recouvrement. Néanmoins la délivrance de tout péché, qui chez beaucoup précède l'irruption du pur amour, est un acte instantané: de même qu'un mourant ne meurt qu'à l'instant précis où l'âme se sépare du corps, la mort au péché, si longuement qu'elle se prépare, ne se consomme qu'au moment où le péché disparaît de l'àme; s'opérant par un simple acte de foi, elle est l'affaire d'un clin d'œil. Cette constante communion avec Dieu nous est accordée en un moment.

Si N.-S. une seconde fois ne criait pas ainsi tout d'un coup à notre cœur : « Sois pur »>,il nous faudrait nous résigner à demeurer pleins de péché jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort sous le poids d'une culpabilité continuellement digne de châtiment. Mais puisque la chose est toute en son pouvoir, qu'une seconde pour lui ne diffère pas de milliers d'années, qu'il n'a pas besoin de plus de temps pour accomplir sa volonté, pourquoi pas maintenant, aujourd'hui, à l'instant même ? Espérez-le par la foi, tel que vous êtes, dès à présent. Remettre jusqu'à la mort, jusqu'à une date indéterminée, cela revient, au fond, à n'y pas compter. Qu'attendriez-vous? Le Christ est mort pour vous. Il est tout ce qui vous manque. Il se tient à votre porte, et vous n'avez qu'à lui ouvrir.

En 1725, John Wesley avait résolument orienté sa vie vers Dieu. En 1738, la clé du royaume céleste où il aspirait à entrer, lui était apparue dans la certitude de la réconciliation personnelle par le pardon des péchés en JésusChrist. Son développement religieux s'enrichit ici d'un troisième stade, bien qu'à la différence du précédent il n'indique nulle part ni la date où il l'a franchi, ni même

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