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ture que celle des choses matérielles terrestres - d'être spatial d'avoir des dimensions - d'occuper un lieu caractère qui leur vient nous l'avons vu, de ce fait que leur perfection acte ou forme-insuffisante, à cause de sa situation abaissée dans la série des êtres, pour subsister par elle-même se détend, se limite de puissance qui entre ainsi dans sa notion et prend le nom de matière. Nous n'indiquerons ici que d'un mot - ayant à l'exposer plus en détail dans la suite ce qui les distingue : c'est que les corps célestes qui ont leur matière complètement actuée par leur forme et pour cela sont absolument inaltérables — immuables et par là même impérissables ne sont soumis ni à la génération, ni à la corruption; ils ne sont sujets qu'au mouvement local qui les emporte dans leurs révolutions. Les choses matérielles terrestres au contraire sont par essence soumises au changement et à la succession engendrées et corruptibles, subordonnées au reste et c'est ce qui maintient la hiérarchie entre les deux sections du monde matériel pour tout ce qui concerne leur génération, leur vie et leur décomposition, à l'action des corps célestes dont le mouvement mesure le temps et règle la vie des choses terrestres '.

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Dans ces deux grandes divisions de l'être : intellectuel et matériel, subdivisées comme nous venons de le dire, on pourrait comprendre tous les êtres donnés dans la nature, toutes les substances. Mais S. Thomas entend classer et hiérarchiser tout ce qui à un degré quelconque participe à l'être. Or, il existe encore une catégorie de choses qui, même soutenues par la matière, ne peuvent constituer des êtres indépendants, des substances, mais se groupent autour de celles-ci, pour y trouver une base — un substratum et leur donner en échange un complément de perfection ce sont les accidents. Ils n'existent que par un autre; ils ont cependant une réalité positive; mais, à l'extrême limite, une dernière catégorie d'êtres n'est plus même donnée dans la nature et n'existe que dans la pensée

1. V. 297; VIII, 50; XIV, 64; XXVII, 25-26.

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qui les conçoit, dont le dernier vestige d'être la dernière résonance, comme dit Denis n'est plus qu'une possibilité logique: ce sont les êtres de raison: produits éphémères et irréels de l'intelligence qui ne leur donne qu'une ombre d'existence, sans que rien les garantisse en dehors d'elle et qu'il ne faut pas par conséquent confondre avec les idées universelles-même de notre intelligenceen tant qu'elles sont l'expression des essences des choses. Ex universali causa omnium quæ Deus est, sunt substantiae angelorum, Deo similium, quæ sunt intelligibiles, in quantum sunt immateriales et sunt intellectuales, in quantum habent virtutes intelligendi se et alia et iste est primus gradus substantiarum quæ nec corpora sunt, nec corporibus unita. Secundus gradus est substantiarum quæ non sunt corpora sed corporibus unita sunt et quantum ad hoc dicit (Dionysius)« et animarum ». Tertius gradus est substantiarum corporalium... In quarto gradu entium sunt accidentia quæ sunt in novem generibus, Quintus gradus est eorum quæ non sunt in rerum natura, sed in sola cogitatione, quæ dicuntur entia rationis, ut genus, species, opinio et hujusmodi'.

Il nous reste maintenant à suivre par le détail, dans chacune de ces grandes catégories le développement descendant, continu et ordonné des êtres

1. XXIX, 50+.

JEAN DURANTEL.

Jésus et la Loi générale

de l'Amour des hommes'

I

Il n'est pas de ma compétence, il ne serait pas opportun d'expliquer ici la doctrine transcendante du royaume de Dieu. Un lecteur, même pressé, de l'Evangile sait la place qu'elle occupe dans l'Enseignement de Jésus. Mais je ne m'éloignerai ni de mon but, [ni de l'interprétation traditionnelle ou de celle des plus savants commentateurs, en marquant trois manifestations de ce règne de Dieu. La première, tout intérieure, a pour siège la conscience et les réalités intimes qui la posent et que nous enveloppons sous ces mots, l'intelligence, la volonté, la liberté, les intentions et les réflexions, qui classifient nos choix et les mettent dans le cadre du bien ou du mal, c'est-à-dire dans la ligne de la moralité. De ces « secrets » où seul « le Père voit », sortent les actes individuels ou sociaux qui tombent sous les sens. S'ils se conforment, au moins par le but poursuivi, aux volontés de celui qui est aux cieux, ils sont la manifestation extérieure du royaume. Ici-bas, elle a son épanouissement dans le corps vivant de l'Eglise, et son devenir dans son âme; au delà, dans l'assemblée triomphante des élus, suspendus par tout leur être aux désirs éternels. Cette triple apparition de l'Idée et du Vouloir divins, au fond des consciences, sur la face de l'Eglise et des élus, constitue la royauté de Dieu sur l'homme et réalise le vœu ardent de la

1. Chapitre d'un livre en cours de publication sur la Grande loi sociale de l'Amour des Hommes dans la collection La Pensée et l'ŒEuvre sociale du christianisme. A. Tralin, éditeur, 12, rue du VieuxColombier, Paris.

2. Je renvoie sur ce point au chap. V. de L'Enseignement de Jésus, de Mgr Batiffol.

déprécation: «< que ton règne arrive, que ton ordre soit fait sur la terre et au ciel ! » Ce sont là, si l'on veut, trois royaumes et comme trois domaines distincts, mais qui se commandent et s'appellent. Et nul n'entre dans le dernier s'il n'est passé par les deux autres. Etre encadré dans la maison et le royaume qu'est l'Eglise, crier avec ceux qui l'habitent «Seigneur, Seigneur », ne sert que peu, si l'on n'a d'abord bâti au plus profond de son âme le royaume où se consomme la volonté du Père.

Un jour, se rendant à Jérusalem et traversant un village sur la fontière de Galilée et de Samarie où il venait de guérir dix lépreux dont l'un n'était pas juif, le Maître fut accosté par un groupe. Des gens le composaient dont il a dit : «Ils font toutes leurs œuvres pour être un spectacle aux hommes; ils étendent leurs phylactères et ils déploient les franges de leurs habits». Ces paradeurs s'approchèrent et voulurent contenter leur curiosité. Ils avaient entendu rapporter que le jeune Rabbi annonçait un royaume. Ce ne pouvait être que celui attendu si impatiemment et qui devait satisfaire les rêveurs nationalistes en humiliant les ennemis et en assurant la domination d'Israel. On comprend l'empressement de leurs interrogations « Dis-nous, quand arrive le royaume de Dieu ». Ils l'entrevoyaient descendant des sphères célestes éclatant comme un météore à tous les yeux et terrible comme un tonnerre à toutes les oreilles. Et voici la réponse: « Le royaume de Dieu n'arrive pas à la façon de ce qui s'observe», c'est-à-dire qui frappe les sens. « On ne dira pas : il est ici où il est là. » En rigueur, on ne saurait le voir. «En effet, voici, le royaume de Dieu est au dedans de vous 3. » Il est en votre

1. Math. XXIII, 5.

2. « Le nationaliste juif s'exaltait dans l'interprétation « charnelle »>, qui gagnait en crédit depuis l'écrasement et l'humiliation des juifs au temps d'Antiochus Epiphane (175-164) et à mesure que la revanche espérée se faisait plus attendre. Au temps de l'Evangile, la conscience juive en était à cette alternative: d'un côté une théodicée se justifiant dans l'au delà, de l'autre un nationalisme attendant sa revanche sur terre. » Batiffol, L'Enseignement de Jésus, p. 144-145.

3. Luc, XVII, 2, v. 21. « Intra vos est, i-e in manu, in potestate vestra,

pouvoir et for intérieur où s'entend et s'exécute la volonté du Père.

L'Evangéliste ne renseigne pas sur l'accueil fait à ces paroles. Elles durent surprendre et troubler ces hommes. qui avaient vidé d'âme leur religion, la réduisant à n'être qu'un geste ou un costume. Ils purifiaient l'extérieur de la coupe et du plat, mais au dedans d'eux où devait s'établir le royaume,« ils étaient remplis de rapines et d'impuretés »1. Ils ne se souciaient guère d'un royaume intérieur. Le leur devait être tout en dehors. Ils pouvaient appartenir au peuple élu de l'esprit. Ils formaient la coterie puissante qui, à l'heure où Jésus parlait, étouffait la religion sous l'apparat cultuel. On sait la lutte vive et ardente soutenue en Israel dès l'origine entre la lettre et l'âme, le formalisme mort des lèvres et la vie profonde du cœur. Ces grands hommes, depuis Moïse gourmandant les hébreux agenouillés devant le veau d'or, jusqu'à Isaïe le prophète, mettant dans la bouche de Jahvé ces paroles : ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi; tous les fils de l'Esprit, législateurs et voyants, s'élèvent sans trêve contre ceux qui inclinaient à faire de la loi,non le lien des volontés, mais le garde-chiourme du peuple, et du culte, non l'épanouissement extérieur des âmes adorant en vérité, mais le geste du mannequin devant une idole. Le psalmiste était l'écho de ces défenseurs des droits imprescriptibles de l'Esprit, quand dans la sublime prière de son repentir il disait : «O Seigneur, si tu avais voulu un sacrifice, je te l'aurais offert. Mais tu ne prends pas plaisir aux holocaustes. Le sacrifice agréable à Jahvé c'est un esprit affligé. Tu ne dédaignes pas un cœur contrit et brisé 2. »

si audiatis, si faciatis Dei præceptum. » Tertullien, Adv. Marc. IV, 35. Notons, à propos du royaume intérieur, ces belles paroles de Pascal: << L'espérance que les chrétiens ont de posséder un bien infini est mêlée de jouissance aussi bien que de crainte car ce n'est pas comme ceux qui espéreraient un royaume dont ils n'auraient rien étant sujets : mais ils espèrent la sainteté, l'exemption d'injustice, et ils en ont quelque chose.» Plus on est chrétien et plus on fait pénétrer en son âme de béatitude éternelle.

1. Luc, XI, 30.

2. « Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n'ont

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