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BIBLIOGRAPHIE

PIERRE BATIFFOL, Histoire du Bréviaire romain, 3• éd. refondue, X-431 p. in-16, Bibliothèque d'histoire religieuse, Alphonse Picard, Paris, 1911.

Mgr Batiffol, dans cette nouvelle édition refondue, expose avec son ingéniosité coutumière l'histoire mouvementée du bréviaire romain. Son ouvrage assurément n'épuise pas la question; mais il en trace précisément les cadres, et les garnit fort congrument.

Certains points sont de conséquence qu'on regarde, par exemple, un calendrier du vin siècle, on le verra dès ces temps reculés très chargé de fêtes de saints. Et certains de chanter victoire. Ils triomphent trop tôt : car « les fêtes marquées au calendrier ou dotées d'un office dans l'antiphonaire n'étaient pas pour autant toutes observées : une grande liberté régnait encore; chaque église, chaque monastère suivait sa dévotion, et le sanctoral était en somme beaucoup plus réduit qu'il ne semblerait au premier abord » (p. 166-167).

C'est qu'en effet si un usage nouveau commençait de prévaloir, le souvenir de l'ancien n'était pas encore perdu. Au via siècle«< le nombre des fêtes catholiques », fêtes fixes de Notre-Seigneur (Noël et Epiphanie) ou fêtes des grands apôtres (SS. Jacques, Jean, Pierre et Faul,auxquels est joint S. Etienne) est encore fort restreint. Mais chaque Eglise a ses anniversaires locaux. En règle générale, là où est la confession » ou tombeau du saint, et encore là où se trouve une mémoire du saint, c'est-àdire quelque relique, là se célèbre son natale la fête a toujours ainsi quelque attache topographique, comme au temps où elle se célébrait dans les cimetières ad corpus 1. De là vient que les communautés monastiques, celles que décrit Jean Cassien, ne fètent point les saints; et ce sera une originalité de

1. C'est en effet dans les seuls cimetières suburbains que se célebraient à l'origine les anniversaires des martyrs, de même que les anniversaires des défunts de chaque famille » (p. 89).

la règle bénédictine que d'introduire dans la liturgie monastique les natalitia sanctorum, qui sont jusque-là le propre des vieilles Eglises riches de martyrs locaux » (p. 38-39).

Au reste voici comment, à Rome même, les fêtes se détachérent de leur lieu d'origine : les barbares arrivant jusqu'aux portes de la ville, puisque le locus depositionis devenait inaccessible, il fallait, si l'on voulait conserver le culte du saint, le ramener à l'intérieur de l'enceinte (p. 94). C'est alors que les églises intra muros, qui jusqu'alors avaient porté le nom du fidèle ou du pape qui les avait établies à ses frais (p. 89), prirent au déclin du vr siècle et au cours du vie des noms de martyrs et de saints. Au vir siècle, à la suite du siège de Rome par Rodolphe et les Lombards (756), les corps des principaux martyrs des catacombes les plus voisines de Rome se trouvèrent transportés à l'abri des murs de la ville. Et leur culte les y suivit » (p. 95-96). Mais « les fêtes des saints, en cessant d'être des fêtes cimitériales, ne perdirent pas encore leur caractère strictement local. Là où était la relique, là se célébrait la fête, à l'église qui portait le nom du saint appartenait en propre sa fête. La fête du saint devenait une sorte de station. Ainsi les fêtes de la Vierge Marie étaient célébrées à SainteMarie-Majeure (p. 96). C'est le pape Grégoire III (731-741) qui le premier aurait décidé de faire célébrer quotidiennement à Saint-Pierre, après l'office de « tous les jours »>,lequel ne faisait aucune mention des saints dont est marquée la fête au calendrier, un service commémoratif spécial, afin que ces saints fètės ailleurs, ne soient point oubliés dans la basilique (p. 9798). L'usage ainsi institué se répandit tout spontanément sous l'influence des pèlerins, qui en furent si fort ravis « qu'ils n'hésitérent point à lui sacrifier la tradition propre de leurs Eglises » (p.103). Adopté d'abord à Metz (754) et à Rouen (760) il fut ensuite imposé par Pépin à toutes les églises franques. Encore qu'il ne fût point parti d'eux, ce mouvement agréa aux papes ils l'approuvèrent si bien qu'au 1x siècle comme un certain Honorat montrait des préférences pour la coutume traditionnelle de son abbaye, le pape Léon IX (847-855) entendit lui imposer l'usage de Saint-Pierre sous peine d'excommunication (p. 100, n. 1).

Ainsi se forma, se répandit, et finit par s'implanter dans le monde occidental l'office de Saint-Pierre de Rome: puis sous diverses influences, il se transforma profondément; d'une part une rédaction abrégée réglée par Innocent III pour la

curie est adaptée par les Frères mineurs à leur usage personnel, propagé par eux et imposé par Benoit XII en 1337 ; d'autre part l'ordo se surcharge peu à peu de tant de coutumes nouvelles (p. 258-259) qu'il serait difficile de ne pas voir en ces additions « un tort grave fait à l'office canonique en soi. Mais il y a un tort plus grave les fêtes sanctorales se sont multipliées jusqu'à faire du temporal, qui est la base de l'office romain, une chose condamnée à la désuétude, en encombrant d'ailleurs l'année de translations » (p. 263).

Dès le x1° siècle le Micrologue atteste les efforts qui se font à Rome pour empêcher que l'office dominical soit supplanté par un office sanctoral (p. 200, n. 2). Depuis lors les tentatives de réforme sont orientées en ce sens : ce fut l'idée qui présida aux retouches prudentes du Concile de Trente (p. 304 et 312). De là sortit en 1568 un bréviaire dont Pie V déclarait dans la bulle Quod a nobis qu'il ne pourrait en aucun temps être changé en tout ou en partie, et qu'on n'y pourrait ajouter ou enlever quoi que ce fût » (p. 315) 1. Cinq ans n'étaient pas écoulés que son successeur immédiat institua la fête du Rosaire; et en 1602 Clément VIII publia sans plus de scrupules une nouvelle révision du livre il n'y faisait pas mention des interdictions portées par son prédécesseur (p. 329). Ici le sanctoral commence à reprendre la prépondérance, et tant d'offices nouveaux s'introduisent enfin que les évêques de France prennent l'initiative d'une réforme.

Les bréviaires gallicans ont eu jusqu'alors une réputation fâcheuse Dom Guéranger en a dit beaucoup de mal, et Mgr Batiffol n'en pense pas beaucoup de bien : scrupules, direzvous, d'un auteur orthodoxe qui se méfie des infiltrations jansénistes ? il se peut. Mais il y a pis : le bréviaire de 1736 avait une bien autre tare: pas plus que celui de Quignonez il ne respectait cet antique ordo psallendi de l'Eglise de Rome, auquel le Romain qu'est l'auteur ne souffre pas qu'on porte la main: « le vieil office défend ici ses œuvres vives. Nous voyons bien... les psaumes distribués dans un ordre pra tique, expéditif, séduisant, mais pourquoi est-il tout nouveau ?... Tout cela est fort ingénieux et confortable, mais tout cela est neuf, et il faut pardonner à l'historien de partager la mauvaise humeur de la Sorbonne, qui disait de Quignonez :

1. L'édition parisienne du Bréviaire de Pie V n'est pas de 1574 (p. 312, n. 3), mais de 1573.

« L'auteur du bréviaire nouveau a préféré son sens propre aux décrets des anciens Pères et à l'usage éprouvé et commun de l'Eglise» (p. 281-282). Pardonnons à Mgr Batiffol la mauvaise humeur que lui inspire sa dévotion aux moindres traditions de l'Ecclesia mater: c'est l'amour indomptable du passé romain qui proteste contre d'indiscrets novateurs; ceux-là seuls y pourront trouver à redire qui, n'étant pas Romains comme lui, Romains d'éducation liturgique et archéologique, peuvent lire tout de sang-froid que la station est aux QuatreCouronnés, ou à Saint-Georges au Vélabre 2. Encore ces étrangers (Bapapot, auraient dit les Grecs) seraient-ils mal venus à se plaindre qu'on n'ait pas rendu justice à leur propre tradition. Mgr Batiffol accorde (avec dom Guéranger) que « le succès du bréviaire de Pie V fut excessif » ; il loue le chapitre de la cathédrale de Paris, en 1583, d'avoir refusé à son évêque Pierre de Gondy de recevoir le livre romain: car c'était entrer «< dans les vues conservatrices du Saint-Siège »; et même, comme pour donner plus de poids à sa protestation, il emprunte à l'illustre bénédictin ces fortes paroles: « Si donc aujourd'hui cette belle et poétique forme du culte catholique n'est plus, demandons-en compte, non pas au Saint-Siège, mais aux Parisiens qui, cent ans plus tard, se plurent à renverser l'antique et noble édifice que leurs pères avaient défendu avec tant d'amour ». Puis, comme il sait la fausseté de cette assertion, il ajoute une note, historien scrupuleux, pour rétablir, d'après un autre passage des Institutions liturgiques, la vérité méconnue ici par l'abbé de Solesmes: Dom Guéranger a tort de s'en prendre aux Parisiens du XVIIe siècle. C'est Pierre de Gondy, en 1584, qui fit corriger les livres parisiens et y fit entrer la presque totalité du bréviaire de S. Pie V ». D'accord. Mais un problème se pose donc, qu'il ne faudrait pas esquiver: on nous apprend d'une part que « le Saint-Siège entendait voir se perpétuer les liturgies remontant au moins à deux siècles » (p. 313); d'autre part que la bulle Quod a nobis remettait au pontife romain

1. Ce n'est pas le bréviaire de Vintimille, c'est celui de Quignonez qui inspire ces réflexions à Mgr Batiffol; mais le raisonnement vaut également pour les deux : l'un et l'autre a la même marque, défaut ou qualité, l'on ne sait plus que dire; plutôt qualité: Mgr Batiffol, comme on verra plus loin, est, depuis quelques semaines, enclin à l'indulgence envers le bréviaire de 1736.

2. Cf. La Croix du 3 janvier 1912.

le monopole de régler toute la liturgie, et supprimait aux évêques tout pouvoir sur la matière (p. 315, note): n'était-ce pas double raison de protester contre l'entreprise de Pierre de Gondy, et de sauver à la fois le bréviaire parisien et les droits que pour la première fois la bulle de Pie V réservait au siège apostolique? Ni Dom Guéranger, ni Mgr Batiffol n'ont l'air de soupçonner la difficulté: mais combien fulgurante elle leur apparaît lorsque, cent ans plus tard, M. de Harlay, fait procéder à une nouvelle révision du bréviaire de son Eglise ! « Assurément, s'écrie Mgr Batiffol à ce coup, il manquait aux liturgistes parisiens de 1680 la compétence canonique pour remanier ainsi le texte d'un bréviaire publié et privilégié par le Saint-Siège » (p. 356). Il ajoute, il est vrai, dans une note, que selon dom Bäumer, l'archevêque de Paris n'outrepassait pas son droit. Que ne nous dit-il aussi ce qu'il trouve à reprendre au sentiment de dom Bäumer? Il ressortait de la bulle Quod a nobis, 1° que nul ne pourrait dans la suite des temps faire aucune retouche au bréviaire de Pie V ; 2° qu'aucun évêque, hors le pontife romain, ne devait plus avoir la moindre initiative en matière de liturgie ? Qu'on nous dise pourquoi une bulle qui à Rome était devenue lettre morte sur le premier point, eût eu en France force de loi sur le second.

Au reste on aurait tort de croire que Mgr Batiffol nourrisse contre le brėviaire de Harlay, voire celui de Vintimille, une aussi fougueuse animosité que l'auteur des Institutions liturgiques: même il publie un document qui n'aurait pas laissé de rafraîchir un peu le zèle bruyant de l'Abbé de Solesme. C'est une lettre de Benoît XIV au cardinal de Tencin (7 juin 1743) pour lui exposer le projet d'une nouvelle réforme :

La critique, écrit le pape, étant devenue si pointilleuse, et les faits que nos bons ancêtres regardaient comme indubitables étant aujourd'hui révoqués en doute, nous ne voyons d'autre moyen de nous mettre à l'abri de cette critique que celui de composer un bréviaire dans lequel tout soit tiré de l'Ecriture Sainte... on suppléera par les écrits non contestés des premiers Pères à ce que l'Ecriture Sainte ne fournirait pas. Quant aux autres saints qui ont place aujourd'hui dans le bréviaire, on se contentera d'en faire une simple commémoraison. Tout ce qu'on pourra dire, c'est que c'est là une nouveauté qui va à diminuer le culte rendu jusqu'à présent à ces saints; et il est vrai que le retranchement des légendes fera crier ceux qui tiennent les faits qui y sont contenus pour si

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