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Cally, dit Moréri, trouvant peu de solidité dans cet ouvrage, négligea d'y répondre d'abord, mais ensuite pressé par quelques amis, il en fit une réfutation en latin qu'il ne fit point imprimer 1. » Cette réponse signée Rusticani (du Bourg) par opposition à de la Ville (Urbani) n'a pu être retrouvée, mais comme l'auteur eut l'occasion de traiter à nouveau cette question dans son Universæ Philosophia Institutio et de la développer amplement dans un ouvrage célèbre qui a été conservé, cette perte est en somme de peu d'importance.

Dans son cours de 1695, Cally répond en effet au Père le Valois et ne lui ménage pas les attaques. Il s'exprime ainsi en traitant de l'essence: «< c'est là que tend cette longue discussion de Louis de la Ville, par laquelle il prétend que toutes les essences ne peuvent être changées même par Dieu, parce que quiconque dit ou pense qu'une chose est sans essence, pense et dit des choses qui se contredisent, comme si Dieu ne pouvait pas faire plus de choses que nous n'en pouvons penser ou dire. »

Plus loin parlant de l'actuel et du possible, Cally cite ce passage de Louis de la Ville : « Ce qui a trompé les Cartésiens, c'est qu'ils n'ont pas assez distingué l'estre possible, l'estre à venir, et l'estre actuel des choses. Le salut du mauvais riche est absolument possible, mais il n'est point et ne sera jamais; le salut d'une âme qui est dans le Purgatoire est possible et il se fera quelque jour, mais il n'est point encore; le salut de l'âme du pauvre Lazare est possible, il est actuellement et il sera toujours. Il est vray que l'estre à venir et l'estre actuel de toutes les choses créées dépendent de la volonté de Dieu, parce qu'il n'y a rien hors de Dieu que ce que Dieu fait, il n'y aura jamais rien que ce que Dieu fera, et Dieu ne fait et ne fera jamais rien que ce qu'il veut de toute l'éternité. Mais comme il est absolument tout puissant, antécédemment à tous les décrets 1. Moréri, Dict. hist., t. III, p. 72.

2. Science générale (Ed. de 1695), p. 14.

de sa bonté, l'estre possible des choses est aussi tel antécédemment à ces mesmes décrets. Que Dieu veuille faire quelque chose ou qu'il ne veuille rien faire, les choses possibles sont néanmoins toujours possibles et quand il forme le décret de faire les choses son décret ne rend pas les choses possibles, au contraire il les suppose possibles, mais il fait qu'elles passent de l'estre purement possible à l'estre à venir comme lorsqu'il les produit dans le temps qu'il a résolu, il fait qu'elles passent de l'estre à venir à l'estre actuel1. »

Cally répond brièvement ainsi : Ce critique fait voir assez clairement ce qu'il pose en principe, à savoir qu'il juge de Dieu et de ses actes comme il ferait d'un artiste et des œuvres d'un artiste. Ce critique comme tous les autres d'ailleurs n'a pas vu qu'il est au pouvoir de Dieu de détruire. la matière et la forme d'une œuvre faite par l'art, à tel point qu'il peut les renvoyer dans le néant, puisque Dieu est si puissant qu'il peut faire plus de choses que nous n'en pouvons penser. Autrement ils auraient jugé que ces essences qu'ils appellent immuables et éternelles ne sont telles que par la volonté de Dieu qui connaît tout et peut tout 2.

A un autre endroit, Cally écrit encore: Par quelle anticipation d'esprit plusieurs philosophes et d'un certain renom ont-ils persévéré à nier que la matière peut être fort bien définie « une chose étendue de toutes parts », que dans la matière, il n'y a rien d'antérieur à l'essence, enfin que l'essence de la matière consiste dans l'étendue? On sait ce que le « très illustre et docte » Huet a écrit en latin dans sa Censura philosophiæ cartesianæ. Huet pense que cette doctrine cartésienne de l'étendue détruit de fond en comble le très auguste Sacrement de l'Eucharistie, car si le corps est ce qui a les trois dimensions, le corps de Jésus-Christ n'est point dans l'Eucharistie, car là il n'y a point d'étendue. On sait ce qu'avant Huet, Louis de la Ville a écrit en français sur cette question. Il résulte, d'après lui, des canons

1. Cf. L. de la Ville, op. cit., p. 248-249. Il y a entre ce texte et celui rapporté par Cally des différences de détail insignifiantes. 2. Science générale (éd. de 1695), p. 17-18.

du Concile de Trente, que le corps de Jésus-Christ existe dans l'Eucharistie, sans son étendue impénétrable, donc l'étendue impénétrable n'est pas l'essence du corps. Nous pouvons répondre à cette objection que nous ne parlons pas ici du corps, mais de la matière seulement. En outre nous nions que le Concile de Trente ait enseigné que le corps du Christ est dans l'Eucharistie sans son étendue impénétrable, et les mots que l'on cite peuvent fort bien s'expliquer autrement, soit qu'il s'agisse de la totalité du corps de JésusChrist sous chaque espèce, soit de la fraction des parties. Mais traiter de l'Eucharistie appartient aux théologiens et nous leur laissons cette tâche, à condition que, suivant l'usage, les théologiens laisseront aux philosophes le droit de traiter, aussi longuement qu'ils le voudront, du suppôt1. (A suivre.)

1. lbid., p. 104 et 105.

G. VATTIER.

BIBLIOGRAPHIE

NOEL VALOIS, La crise religieuse du XV° siècle. Le Pape et le Concile (1418-1550), Paris, A. Picard, 1909, in-8°, XXIX-408-426 p. ; 20 fr.

Lorsque prit fin le Concile de Constance (22 avril 1618), « la vieille monarchie pontificale restaurée ressemblait, à s'y méprendre, à une république. C'est que l'Eglise n'avait pas pris en vain l'habitude de se laisser gouverner par une assemblée.. trônant, au nom de l'Esprit saint, au-dessus des pontifes douteux. Ce régime représentatif, imposé par les circonstances, tendait à se perpétuer ». Il y tendait d'autant plus que le Concile avait pris soin lui-même, soit par une déclaration solennelle de principe, soit par une réglementation minutieuse, d'assurer pour toujours la suprématie conciliaire.Juges suprêmes « en ce qui concerne la foi, l'union et la réforme, les conciles généraux devaient à l'avenir se réunir tous les dix ans et redemander au pape des comptes. « L'Eglise paraissait donc vouloir inaugurer une constitution nouvelle. Ce n'était pas seulement un retour en arrière. Le gouvernement ecclésiastique n'avait pas toujours été aussi centralisé qu'au xiv' siècle, tant s'en faut : mais, à aucune époque, la papauté n'avait été tenue en lisière par une assemblée réunie périodiquement. Pour la première fois, le rôle du vicaire de Jésus-Christ allait être normalement ravalé à celui de simple exécuteur des volontés de la multitude » ; à quelle crise cette situation devait fatalement conduire l'Eglise et la conduisit en effet, par quel moyen Martin V, Eugène IV et Nicolas V arrivèrent-ils à regagner le terrain perdu par la papauté et à ruiner pour toujours le principe de la suprématie conciliaire, tel est le sujet du livre de M. Valois, et sur ce sujet si important, si embrouillé, ce titre apporte la lumière définitive.

Conciliant, adroit, Martin V commence par éviter de heurter de front les pères du Concile de Constance. Il ne s'engage pas sur la question de fond, et bien loin de là. Mais il se soumet à

la réglementation qui avait été décidée à Constance. Il réunit un Concile, à Sienne d'abord, puis à Bâle. Il meurt au moment où la lutte allait se déchaîner de nouveau. Eugène IV son successeur était moins adroit, plus cassant et comme il arrive souvent, plus faible aussi. Au lieu de temporiser, il prononça la dissolution du Concile de Bâle qui passa outre et qui après deux ans de lutte amena le Pape à capituler. Insensiblement néanmoins Eugène reprend confiance. Les sympathies de la Chrétienté lui reviennent expliquées par les excès et par les échecs successifs des parlementaires Balois. Lorsque en 1438 Eugène transfère le Concile de Bâle à Ferrare puis à Florence,la majorité des évêques est avec le Pape. Vaine résistance de Bâle qui nomme un antipape. En 1441 la bulle etsi non dubitemus qu'on ne sait pourquoi les historiens gallicans et nombre de controversistes ultramontains ont ignorée, réduit à néant la thèse de Constance et de Bâle sur la suprématie conciliaire. Aidé par Charles VII, Nicolas V pacifie enfin l'Eglise. Pour la doctrine elle-même, les papes désormais s'appliquèrent à la mettre en pratique, bien plus qu'à la formuler. Cette attitude qui fut continuée jusqu'au Concile du Vatican, explique l'invraisemblable persistance avec laquelle les théologiens gallicans, Bossuet entre autres, ont opposé aux droits du St-Siège les principes de Constance et de Bâle. Il est vrai que plusieurs papes, Pie II notamment, ont semblé se soumettre aux décrets de Constance, en réalité, ils ne faisaient qu'interpréter les décrets de 1415 conformément à la doctrine traditionnelle. Voici la conclusion de M. Valois : « en décrivant l'état d'esprit, les illusions, les aspirations véhémentes de la chrétienté au lendemain du grand Schisme d'Occident, en rappelant l'attitude réservée ou accommodante des souverains pontifes à l'égard de cette doctrine insolite, leurs concessions forcées, plus apparentes que réelles, leur langage parfois équivoque et embarrassé (ces pages) aideront à comprendre la sincère bonne foi avec laquelle la plupart des partisans de la suprématie conciliaire s'obstinèrent à défendre un principe qu'ils croyaient fécond, nécessaire et même démontré. D'autre part l'étude attentive des trois pontificats... révèle, au même degré chez Martin V, chez Eugène IV et chez Nicolas IV, la volonté ferme et toujours évidente, bien que dissimulée quelquefois, de ne pas laisser la papauté déchoir à un rang inférieur. La vieille monarchie pontificale, bien ébranlée, battue en brèche et menacée, à ce qu'il semble, de se voir remplacer sous

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