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BIBLIOGRAPHIE

The medieval mind: A history of the developement of thought and emotion in the middle ages, par M. HENRY OSBORNE Taylor, Londres, Macmillan, 1911, in-8°, XVI-614 p., 21 sh.

La connaissance de la nature et du monde au moyen-âge, par CH. V. LANGLOIS, Paris, Hachette, 1911, in-16, XXIV-589 pp., 3 fr. 50.

M. H. O. Taylor doit savoir comme nous que l'âme du Moyen-Age n'a jamais existé. Nous ne lui reprocherons donc pas d'avoir essayé de donner à ce bel être de raison les couleurs et la chaleur de la vie. Notre chétive science des choses humaines est fatalement obligée de se nourrir et de s'enchanter de ces abstractions. Chose étrange, le plus sûr, l'unique moyen que nous ayons de montrer la force et la grandeur de notre esprit consiste à voir les choses précisément d'une manière toute opposée à la manière divine. Dieu ne connaît pas «< l'âme du moyen-âge, mais toutes et chacune des myriades d'âmes qui sont venues au monde entre le pontificat de Grégoire le Grand et la prise de Constantinople. Rien que d'entrevoir cette voie lactée, donne le vertige, et cependant le simple érudit qui arriverait par impossible à établir l'état civil de chacun de ces grains de poussière, s'il s'en tenait là, si, par impossible encore, il se défendait victorieusement contre la séduction des idées générales, à la lettre il ne saurait rien. Je coupe court à ces vues profondes. Mais en regrettant que M. T. n'ait pas médité davantage sur ce conflit douloureux et décourageant entre l'érudition et la science proprement dite. Il n'a pas assez le sens du mystère.

Une petite note de lui va nous permettre de le harceler plus utilement. « Le présent livre, dit-il, ne s'occupera pas des brutalités de la vie du moyen-âge. L'ignorance, la superstition qui abondaient alors.... j'écarte tout cela. Par âme, par génie du moyen-âge ou autres expressions semblables, j'entends désigner seulement les esprits les plus riches et les plus constructifs de ce temps là ». N'allez pas croire, sur ces quelques mots, qu'il ait pour but d'étudier uniquement la pensée phi

losophique et théologique du moyen-âge. Non, et c'est là peut-être le plus sûr mérité de son livre, parallèlement à l'histoire de l'intelligence, il étudie l'histoire de la sensibilité. Il entend donc se borner aux personnages de premier plan,à ceux qui ont exercé une action profonde sur les mœurs et les idées de leur temps, et qui, par suite, restent, d'après M. T. les représentants authentiques de l'âme du moyen-âge. Est-il paradoxal de dire que cette méthode n'est pas très sûre. Ces hommes, ces prétendus représentants, ils se divisent grosso modo, en deux familles : les uns qui reflètent assez exactement l'état moral et mental de leurs contemporains, les autres qui les dépassent, qui s'en distingent. Fatalement c'est à ces derniers que M. Taylor s'attachera de préférence, lui qui veut chercher the more informed and constructive spirit of the medieval time », et, ce faisant, ce peintre de l'âme du moyen-âge va s'absorber dans la contemplation des génies, des poètes et des saints chez qui l'empreinte du moyen-âge est précisément le moins sensible.

Prenons des exemples. En théologie, S. Anselme est un précurseur d'une importance considérable. Il a amorcé, sans trop s'en douter peut-être, le grand mouvement qui s'est achevé au Concile de Trente, et par là, le voilà beaucoup plus moderne que moyen-âgeux, si l'on peut ainsi parler. Dans l'ordre de la sainteté, prenez François d'Assise. A première vue, on croirait bien que le meilleur moyen-âge se résume en lui. Cependant comme il est près de nous! Le P. Michel Ange nous le rappelait dans de beaux articles des Etudes franciscaines, par Duns Scot, par Ossuna, l'influence franciscaine arrive jusqu'à Ste Térèse, laquelle est toute moderne. Ainsi des autres mystiques, les Victorins par exemple ou Julienne de Norwich, qui ont anticipé le splendide épanouissement de la mystique moderne, les Jean de la Croix, les François de Sales. Pour la Divine comédie, pour les cathédrales, on en pourrait dire autant. M. T. me répondra-t-il que le moyen-âge a acclamé tous ces prophètes et s'est soumis à leur prestige? Quand cela serait, le problème resterait aussi aigu. Lorsque, par exemple, les foules s'enthousiasment pour François d'Assise, obéissentelles aux instincts particuliers de leur époque ou aux instincts éternels de l'humanité ? Le génie, l'héroïsme, la sainteté tout ce qui dépasse le niveau moyen n'est d'aucun temps, est de tous les temps, et voilà qui rend singulièrement difficile, sinon impossible, et, en quelque façon assez vaine, l'immense besogne que M. T. s'est choisie.

Je ne puis songer à résumer cet énorme livre. Mieux vaudra sans doute traduire la table des matières : Livre I. Les fondations. Conquête latine. Les Pères. La transmission de la culture antique et patriotique. Les barbares. Les Celtes. Les Teutons. Conversion des peuples du Nord au christianisme. - Livre II. Le premier moyen-âge. - La mentalité du XIe siècle (Italie, France, Allemagne). Emotionalisation de la chrétienté latine. Livre III. L'idéal et le réel. - Les saints. La réforme monacale. Le tempérament érémitique. S. Bernard et l'amour. François d'Assise. Les mystiques (Elisabeth de Schönau, Hildegarde, Marie d'Oignies, Mechtilde). Les misères morales du temps. Le monde de Salimbene. Livre IV. L'idéal et le réel. La société. - Féodalité et chevalerie. L'amour romanesque. La transformation de Parsival. Le cœur d'Héloise. Walther von Vogelweide. Livre V. Le symbolisme. Honorius. Hugues de St-Victor, Durand et Vincent de Beauvais, Adam de St-Victor et Alain de Lille. Livre VI. Littérature et droit. Le prestige des classiques; évolution de la prose médiévale et du vers latin; assimilation du droit romain. Livre VII. Activité intellectuelle au XII et au XIIIe siècles. Je ne donne pas les titres de ce dernier livre qui me paraît manqué et qui s'achève par un chapitre sur Dante considéré comme l'incarnation suprême de l'âme du moyen-âge.

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L'érudition de M. T. n'est pas toujours de première main, ses idées générales non plus, mais enfin cette œuvre, bourrée de textes, souvent très bien choisis, rendra de grands services. Le petit livre de M. Langlois ne sera pas moins utile. Si les ambitions de M. L. sont moins magnifiques que celles de M. T. sa méthode me paraît beaucoup plus sûre. Dans deux premiers volumes, il avait demandé aux romanciers et aux moralistes du moyen-âge «< quel était le milieu matériel, moral et intellectuel où les hommes de cet âge étaient plongés ». Désireux maintenant de nous faire connaître la petite philosophie de l'univers », que chacun se faisait alors, il résume excellemment six œuvres de vulgarisation scientifique : le Lapidaire et le Bestiaire de Philippe de Thaon; l'Image du monde ; le livre de Barthélemy l'Anglais sur les propriétés des choses; le roman de Sidrach; le livre des secrets aux philosophes et le livre du Trésor de Brunet Latin. Ecrits en langue vulgaire, ces livres ont eu une fortune extraordinaire, et ils ont passé tout entiers dans les moëlles d'un public immense.

H.IB.

L'idéalisme franciscain spirituel au XIV' siècle. Etude sur Ubertin de Casale, par FRÉDÉGAND CALLAEY, O.M. Cap., Paris, Picard. 1911, in-8°, XXVII-280 p., 5 fr.

Que les personnes affligées d'une imagination forte se gardent d'ouvrir ce livre qui leur donnerait d'affreux cauchemars. Ubertin de Casale se trouve placé comme acteur de premier rang, à la rencontre de deux des drames les plus navrants qui aient dėsolé l'Eglise d'une part le drame franciscain, la guerre sans merci et parfois sanglante entre les spirituels » qui veulent la pauvreté parfaite et les autres enfants de S. François qui la veulent mitigée: d'autre part, le drame pontifical, la détresse et la démission de Célestin V, l'élection de Boniface VIII. Ubertin est le représentant le plus fougueux des «< spirituels » que Boniface n'aimait guère, et il est, par suite, l'adversaire impitoyable du pontife. Entre autres injures, il rapporte dans son Arbor vitæ, la curieuse communication que Dieu aurait faite à un saint personnage. S'il y avait eu, en 1294, un être plus diabolique que le cardinal Gaëtani, la Providence, pressée de châtier l'Eglise, aurait fait monter ce monstre sur le siège de S. Pierre « alicui amico (Deus) revelavit misericorditer quod si habuisset pejorem, ipsum permisisset a diabolo locari, quare hoc peccata ecclesiæ exigebant».Nonobstant de tels éclats, Ubertin semble avoir gardé l'estime des plus saints personnages de son temps. Le prestige qu'il exerça sur Clément V ne fait pas de doute. Somme toute, malgré la guerre acharnée qu'il eut à subir au sein de son ordre, il n'est devenu suspect qu'à la fin du XVIII siècle. Suspect, mais à tort, pense le R. P. Callaey qui pourtant ne nous cache aucune des misères d'Ubertin. Illuminė, rigoriste intransigeant, polémiste farouche, Ubertin n'est certes pas le représentant authentique de l'idéal franciscain primitif. Il «< incarne fidèlement la mentalité spirituelle radicale qui tout en troublant l'ordre et l'Eglise entière dans les contrées méridionales, les poussa à la répression d'abus très réels». On peut admirer Ubertin d'avoir mis à défendre le glorieux privilège de la pauvreté étroite plus de courage que ses adversaires n'en ont mis à l'abolir ».

Modéré, prudent, érudit, le R. P. a magistralement débrouillé le chaos de cette histoire, et si, lorsque nous fermons son livre, la tête nous tourne, la faute n'en est pas à lui sans doute, mais à cette impossible époque. Je crois pourtant qu'une méthode plus ample et moins menue aurait été plus satisfaisante. L'auteur s'est peut-être trop absorbé dans la contem

plation de son héros. Rechercher mot par mot les emprunts de l'Arbor vilæ aux écrits de St Bonaventure, travail utile et, pris en soi, excellent, mais enfin la bibliothèque d'Ubertin nous intéresse moins que le milieu vivant dans lequel a grandi cet homme extraordinaire qui ne semble pas, du reste, avoir été un esprit fort original. Un plus long chapitre sur les premiers << spirituels n'eût pas été inutile, notamment sur cet Olive, si important, si peu connu, qui eut tant d'influence sur Ubertin. On voudrait aussi savoir pour quelles raisons la querelle eut un tel retentissement. On dirait vraiment qu'à cette époque, la moitié de la catholicité était devenue franciscaine. On voudrait plus de détails sur la secte du libre esprit, sur les fraticelles. Pourquoi tel pape, Clément V par exemple, se montre-t-il si bienveillant envers les spirituels? Pourquoi Jean XXII leur fait-il la guerre ? Presque à chaque page, se posent à moi de nouveaux problèmes. Mon ignorance est sans doute pour beaucoup dans ce désarroi. Mais enfin un livre, une thèse n'est pas un simple article de dictionnaire où on accumule simplement tout ce que l'on a pu découvrir sur un personnage donné.

Sur un point du moins, la critique que je viens de faire, ne porte pas. L'auteur a discuté d'une façon lumineuse le problème des origines franciscaines et l'authenticité des nombreuses légendes rigoristes que l'auteur de l'arbor vitæ a popularisées plus que personne. Toute cette partie de son livre est très précieuse. L'analyse des sources et du contenu de l'arbor vitæ est aussi menée de maîtresse main. Dès qu'il faut recourir à la loupe, le R. P. a tous ses avantage. Il excelle aussi à garder son sang froid, à renvoyer dos à dos tous ces violents, on peut bien dire, tous ces forcenés qu'il met en présence. « Il fallait leur dit-il doucement user d'indulgence des deux côtés. Car, si les frères de la communauté succombaient trop aux tentations de la vaine science et de la vie facile, les spirituels ne résistaient pas assez a .x charmes d'une pieuse oisiveté, se laissant entrainer aux dangereuses rêveries joachimistes et à la critique virulente de confrères moins parfaits qu'eux. Maitres solennels de Paris et humbles solitaires de l'Alverne pouvaient vivre paisiblement côte à côte dans l'ordre: il était assez grand pour les accueillir tous, seulement, l'effort nécessaire pour se comprendre faisait le plus souvent défaut de part et d'autre ». C'est la sagesse même. Tout le livre est écrit dans cet esprit.

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La scène la plus invraisemblable de cette histoire se déroule

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