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demi.. A la sortie de ses classes il se crut de la vocation pour l'état ecclésiastique, et à dix-neuf ans il entra à l'Oratoire où il resta dix-huit mois, puis au séminaire de St. Magloire d'où il sortit au bout d'un an. On a prétendu qu'à l'abbaye oratorienne de Juilly il chassait les poules du haut d'une fenêtre à l'aide de sa barette attachée à une ficelle.

L'opinion générale est qu'il ne sentit s'éveiller sa vocation poétique qu'à vingt-six ans, à la lecture de l'ode de Malherbe sur la mort de Henri IV; mais on a trouvé des essais de poésie légère qui sont antérieurs à cet âge. Il y a donc lieu de supposer qu'à l'époque où il étudia la jurisprudence, c'est-à-dire de 22 à 26 ans, les lectures de Malherbe et de Marot développèrent son penchant pour la poésie. Il se passionna aussi vivement pour les poëtes de l'antiquité et pour les conteurs italiens. Ses distractions devenues légendaires se manifestèrent de bonne heure. Un jour son père l'envoie à Paris pour s'occuper d'un procès. A peine arrivé, il oublie le motif pour lequel il est venu et va au théâtre avec des amis.

En l'année 1647 son père lui céda sa charge de maître des eaux et des forêts et s'occupa de le marier. Le 10 novembre de la même année La Fontaine, âgé de vingt-six ans, épousa Marie Héricart qui avait à peine 15 ans. Sa femme était assez spirituelle et belle, mais frivole dans ses goûts, mauvaise ménagère et ne lisant que des romans ou d'autres ouvrages futiles. De son côté La Fontaine, mauvais administrateur, dépensai' trop. Les deux époux ne s'entendant plus se séparèrer

de biens.

On raconte que plus tard ses amis, entre autres Racine e. Boileau, essayèrent de provoquer une réconciliation. La Fontaine part de Château-Thierry dans cette louable intention. Arrivé chez lui, un valet lui dit que sa femme est au salut. se retire chez un ami, y passe la nuit en festin et repart le lendemain content de son voyage. En débarquant à Paris il

Il

répond à ses amis qui l'interrogent avec empressement: "Je n'ai point vu ma femme, elle était au salut.

Présenté par un de ses parents au surintendant Fouquet en 1654, il gagna ses bonnes grâces et resta pendant sept ans un des familiers du Château de Vaux. Il reçut presque aussitôt une pension de mille livres sur la cassette du surintendant, sans compter de nombreuses gratifications, à condition de donner tous les trimestres pour quittance une pièce de vers. Après la disgrâce du prodigue et ambitieux Fouquet, en faveur duquel il écrivit la touchante Elégie aux nymphes de Vaux, 1661, et l'Ode au Roi, 1663, La Fontaine se fixa définitivement à Paris dont le principal charme pour lui était la société de Boileau, de Molière et de Racine.

En 1664 il entra en qualité de gentilhomme servant chez Marguerite de Lorraine, duchesse douairière d'Orléans qui le combla de libéralités pour avoir célébré en vers la gentillesse de "Mignon," son petit chien. Il publia ses Contes en 1665 et trois ans après les six premiers livres de ses Fables. La duchesse étant morte dans l'intervalle, le poète trouva de généreux protecteurs dans monsieur le Prince, dans le prince de Conti, le duc de Bourgogne, et des protectrices dans les duchesses de Mancini et de Bouillon.

Les six premiers livres des Fables avaient été dédiés au dauphin alors âgé de neuf ans. En 1678 et 1679 il publia les cinq livres suivants avec une pièce de vers en tête, à la louange de Madame de Montespan. Quant au douzième livre, publié en 1694, il est dédié au duc de Bourgogne qui avait douze ans à cette époque.

En 1680, la duchesse de Bouillon, compromise dans l'affaire des poisons de la marquise de Brinvilliers, ayant été exilée à Nérac, La Fontaine fut accueilli par Madame de la Sablière qui l'installa chez elle et pourvut à tous ses besoins. Cette dame vivait alors très retirée : "Je n'ai gardé," disait-elle, "que meş

trois animaux, mon chien, mon chat et La Fontaine." Ces paroles étaient dites par plaisanterie et non par dédain.

En 1614, le poëte fut reçu à l'Académie française, deux mois après Boileau. Le roi qui n'avait jamais aimé le fabuliste s'était précédemment montré hostile à sa réception. C'est vers cette époque que Madame Harvey, le duc de Devonshire, my lord Montaigu and my lord Godolphin pressaient notre auteur de se rendre en Angleterre ; mais La Fontaine refusa ces offres obligeantes, prétextant l'état de sa santé. Sur ces entrefaites la mort de Madame de la Sablière obligea le poëte à quitter les lieux où il avait passé vingt années dans une si douce sécurité. Il se disposait à venir chez Monsieur d'Hervart qu'il rencontra dans la rue même. "Je vous cherchais," lui dit le conseiller au parlement de Paris, "pour vous prier de venir chez moi.”—“J'y allais,” répondit La Fontaine, mettant dans ces trois mots toute sa candeur et toute sa bonhomie. Madame d'Hervart deploya un tact infini; elle prit soin du poëte comme d'un enfant, veillant sur sa manière de vivre et renouvelant ses vêtements au fur et à mesure qu'ils s'usaient; mais elle eut peu de succès dans ses efforts pour "dépouiller le vieil homme." Sa santé déclinait depuis plusieurs années. Dans les derniers temps de sa vie, il alla souvent à l'Académie et composait des œuvres pieuses. Il sentait venir la mort sans crainte, mais aussi sans regrets. Enfin le 13 avril 1695 il s'éteignit dans l'hôtel d'Hervart, âgé de 73 ans, neuf mois et cinq jours, laissant un fils qui avait été recueilli par Monsieur d'Hervart et sa femme, qui s'était abstenue de paraître à son lit de mort.

Maucroix, en apprenant la perte de son ami d'enfance écrivit "Nous avons été amis plus de cinquante ans,.....c'était l'âme la plus candide que j'aie jamais connue: jamais de déguisement, je ne sais s'il a menti en sa vie."

A côté des Fables et des Contes qui ont immortalisé le poète, nous avons encore de lui quantité d'œuvres diverses, des

poèmes, des élégies, des épîtres, des ballades, rondeaux, sonnets, madrigaux, épigrammes, des comédies, des libretti d'opéra, une tragédie lyrique et une tragédie inachevée, des traductions, de nombreuses lettres à sa femme et à ses amis. Enfin en l'année 1659 il écrivit sa propre épitaphe :

"Jean s'en alla comme il était venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien sut le dispenser;
Deux parts en fit, dont il soulait1 passer
L'une à dormir et l'autre à ne rien faire."

1. Souloir: avoir coutume de. De solere, verbe neutre latin souvent employé par Cicéron et Salluste.

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