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LIVRE SEPTIÈME.

LE TEMPS.

CHAPITRE Ier.

Importance et difficulté de la matière.

1. La question qui va nous occuper n'est pas une question vaine. L'édifice tout entier des connaisances humaines porte sur l'explication de l'idée du temps. Le principe de contradiction sur lequel tous les autres s'appuient implique cette idée. « Impossibile est idem simul esse et non esse, » disent les scolastiques. L'être et le non être n'impliquent impossibilité qu'en vertu du simul, en un même temps. Ainsi l'idée du temps entre d'une manière nécessaire dans le principe de contradiction.

2. L'idée du temps se mêle à toutes nos perceptions; elle embrasse un plus grand nombre d'objets. que l'idée de l'espace : le temps mesure et le mouvement des corps et les opérations de l'esprit.

3. L'idée du temps emporte avec elle l'idée de succession, et, réciproquement, la succession emporte l'idée du temps. Nous concevons qu'une chose succède à une autre succession impossible sans avant et après, c'est-à-dire sans le temps. Ceci paraît indiquer que ces idées ne se peuvent expliquer l'une par l'autre, et qu'il y a identité.

4. Il ne semble point que le temps puisse être distingué des choses. En effet, qu'est-ce qu'une durée distincte de ce qui dure, une succession distincte de ce qui se succède? Le temps serait-il une substance? une modification inhérente aux objets et distincte des objets? Tout ce qui est quelque chose existe. Que l'on dise où existe le temps? Le temps est composé d'instants divisibles à l'infini, essentiellement successifs, et, partant, incapables de simultanéité. Imaginez l'instant le plus court possible; efforts stériles! cet instant se compose d'autres instants infiniment petits qui ne peuvent exister ensemble, et, partant, il n'est pas. Pour concevoir un temps existant, il le faut concevoir actuel, et, pour cela, le saisir en un instant indivisible; mais cet instant n'est point le temps: il n'implique pas succession; il n'est point une durée dans laquelle on trouve un avant et un après.

5. Rien de plus facile que de mesurer le temps; rien de plus difficile que de le concevoir dans son essence. Nous recommandons un magnifique passage de saint Augustin dans lequel le grand docteur s'efforce de pénétrer le mystère'.

Voir la note à la fin du volume.

CHAPITRE II.

Si le temps est la mesure du mouvement.

6. Le temps, disent quelques philosophes, est la mesure du mouvement: idée féconde, mais qui veut être éclaircie.

Nous mesurons le mouvement en prenant un terme de comparaison fixe: la rapidité d'une course, par exemple, à l'aide d'une horloge. Mais le temps de l'horloge, comment le mesurons-nous? Par l'espace que l'aiguille parcourt sur le cadran; convention purement arbitraire. Supposons, en effet, que le temps dont il s'agit soit ce que nous appelons une heure; l'espace parcouru par une aiguille marquant les quarts d'heure, à savoir la circonférence entière de la montre, n'a d'autre rapport avec l'heure que celui qu'il tient de l'ouvrier, lequel a construit l'horloge de telle sorte qu'à chaque heure l'aiguille fasse le tour du cadran. Si l'horloger l'eût construite d'une autre façon, comme il l'a fait relativement à l'aiguille qui marque les heures, le temps serait le mème, bien que l'espace parcouru fût tout différent.

7. Donc le temps marqué par l'horloge ne sert de mesure qu'en tant qu'il est soumis à une autre mesure; donc il n'est point la mesure primitive. La même chose se peut dire de toutes les horloges, puis

qu'en les supposant réglées les unes par les autres, il faudrait arriver à une première horloge, laquelle n'aurait point été réglée de la même manière : donc l'art ne fournit point de mesure primitive.

8. Cherchons dans la nature, c'est-à-dire dans les œuvres de Dieu, ce que nous ne trouvons point dans les œuvres de l'homme. En prenant pour unité fixe le temps que le soleil met à parcourir le méridien, nous avons le jour : le jour, divisé en vingt-quatre parties, nous donne les heures.

Voilà l'horloge qui sert à régler toutes les autres. Cette solution est-elle aussi satisfaisante qu'on le croit à première vue?

9. Le temps solaire et le temps sidéral offrent des différences. Par exemple, qu'une étoile vienne à se rencontrer dans le méridien en même temps que le soleil, cette étoile y précède le soleil de quelques secondes le jour suivant: sait-on lequel des deux foyers de lumière a été inexact au rendez-vous?

Si le temps est chose fixe, indépendamment du mouvement, l'une ou l'autre des mesures fournies par l'étoile et le soleil ne correspond point au temps d'une manière précise.

10. Cet argument pratique est fortifié par un autre argument de pure théorie. A prendre les mouvements célestes pour mesure du temps, est-il vrai qu'il s'écoule un temps fixe et déterminé toutes les fois que le mouvement qui sert de règle a lieu? Si l'on répond par l'affirmative, j'en tire cette conséquence que P'on accélère ou ralentisse la vitesse d'une révo

lution solaire, le temps écoulé reste le même, ce qui paraît absurde.

L'uniformité de mouvement que l'on suppose est une pétition de principe. L'uniformité du mouvement exige qu'en des temps égaux des espaces égaux soient parcourus. Si, par nature, le temps relève du mouvement du soleil ou d'un autre astre, comme mesure primitive, l'uniformité ou la diversité n'ont aucun sens.

Si l'accomplissement des vingt-quatre heures tient à l'accomplissement de la révolution, que cette révolution s'accomplisse avec la vitesse que la lumière met à parcourir l'espace ou avec la lenteur de la tortue, il n'y aura jamais ni plus ni moins de vingtquatre heures.

Mais si ces heures dépendent d'une autre mesure, si antérieurement à ces heures il existe un temps qui mesure la vitesse du mouvement et en calcule le retard ou l'accélération, dès lors le mouvement de l'astre n'est point la mesure première : l'astre se trouve dans le même cas que nos horloges; il marque le temps parcouru, mais ce n'est pas parce qu'il le marque ou le calcule que le temps s'écoule. Le temps est la mesure du mouvement de l'astre; le mouvement de l'astre n'est point la mesure du temps: le mouvement est dans le temps, et non le temps dans le mouvement.

11. Donc, pour résoudre la difficulté, il ne suffit pas d'avoir recours au mouvement de notre système planétaire; ce que nous disons de notre soleil se peut dire du dernier soleil perdu dans les profon

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