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là vient que, comme d'un côté les dettes actives font partie des biens d'une perfonne, de l'autre chacun n'a qu'autant qu'il lui refteroit, toutes dettes paiées; de forte que quand un dit Cefar de lui(a) Voiez ce que homme doit moins qu'il n'a vaillant (a), on peut dire qu'il a moins que rien. En un mot, meine, dans Apquand on prête de l'argent à quelcun, on aliéne à la vérité les efpeces qu'on lui donne, v. Lib. II. pag. mais en forte que l'on ne prétend ni rien ajoûter aux biens de celui qui emprunte (1), ni 432. B. Edit. H. rien diminuer des fiens propres. Stephan.

pien, de Bell. C1

ment de la va

de la Monnoie,

§. VI. IL eft plus important de bien décider une autre queftion, que l'on fait ici, favoir, S'il faut avoir éfi, lors qu'entre le tems du Prêt, & celui du paiement, il arrive du changement dans la gard au changeMonnoie, on doit rendre l'argent, que l'on avoit emprunté, fur le pied de ce qu'il valoit leur intrinfequé au moment du Contract, ou bien à raifon de ce qu'il vaut au terme du paiement? La plû- arrivé depuis part des Savans diftinguent ici entre la bonté intrinfeque, & la bonté extrinféque de la Mon- qu'on a prete de l'argent noie: dont la premiére dépend de la quantité d'un certain alloi; & l'autre, de la valeur que le Magiftrat attache aux efpeces. Lors qu'il arrive du changement à l'égard de la premiére, c'est-à-dire, lors que l'on diminue quelque chofe de l'alloi ou du poids des efpeces, (car le changement ne fe fait guéres qu'en pis) il faut felon eux, rendre l'argent prêté fur le pied de ce qu'il valoit lors qu'on l'a emprunté. Car, difent-ils, on a ftipulé tacitement par le Contract, que le Débiteur rendroit non feulement une chofe de même forte, mais encore de pareille bonté; autrement ce ne feroit pas la même quantité. Si donc la valeur intrinféque de la Monnoie nouvellement frappée eft diminuée d'un quart; celui, qui a reçû cent Ecus en anciennes efpeces, en doit rendre cent-vingt-cinq des nouvelles. Au contraire, fi l'on avoit emprunté cent pieces, dont l'alloi fut moitié cuivre, & qu'en refondant cette monnoie on l'eût faite toute d'argent, il ne faudroit rendre que cinquante piéces. Car quoi que le Souverain aît droit de hauffer ou de baiffer la valeur des efpeces, qui font de même alloi; cependant, lors que cette valeur extrinféque eft fort différente de l'intrinféque, le prix des marchandises doit fe régler fur la derniére, plûtôt que fur la premiére, ou fur le nom des efpeces; d'autant mieux que, fans cela, on réduiroit le commerce avec les étrangers à de fimples échanges. Ainfi, fuppofé que l'alloi de la Monnoie foit diminué d'un quart, il faudra donner cent-vingt-cinq Ecus d'une marchandise, que l'on pouvoit avoir auparavant pour cent Ecus. De forte que, fi celui, à qui j'avois prêté cent Ecus de l'ancienne Monnoie, ne m'en rendoit pas davantage de la nouvelle, je recevrois véritablement un quart de moins que je ne lui ai donné.

extrinfeque des efpeces?"

egard à la valeur

§. VII. MAIS lors que, fans rien changer à la valeur intrinféque, on augmente ou l'on si l'on doit avoir diminue la valeur extrinféque des efpeces, ces mêmes Auteurs prétendent, que cette augmentation & cette diminution font au profit ou aux périls du Débiteur. Si, par exemple, l'on a prêté cent Ecus en efpece, qui valoient alors quarante-huit fous, & qui ont été mis depuis à cinquante-deux; le Débiteur, qui paie en petite monnoie, n'eft obligé de donner que quarante-huit fous pour un Ecu; &, s'il paie en Ecus, il peut rabattre quatre fous par Ecu, de forte qu'il ne doit rendre que quatre-vingt-douze Ecus en efpece. Au contraire, fi les Ecus ne valoient plus que quarante-quatre fous, il faudroit qu'il comptat quatre fous de plus par Ecu en petite monnoie, & cent-huit Ecus en efpece. Mais cette décifion ne me paroit pas hors de toute difficulté. Car, dans le premier cas, le Créancier

5. V. (1) C'eft-à-dire que, (comme le remarque trèsbien Mr. La Placette, dans fon Traité de l'Intérêt, Chap. XII. pag. 133.) fi celui, qui prête, transfére à l'autre la Propriété de la chofe même en efpece, il s'en referve néanmoins la valeur. Or cette valeur fubfifte toûjours. On fait où elle eft. On voit bien qu'elle fe trouve entre les mains du Débiteur: mais il eft clair auffi, que le Débiteur n'en eft pas le maître. Si cela étoit, il pourroit en difpofer abfolument à fà fantaisie: il pourroic la donner, la diftiper, la jouer; ce qui certainement ne lui eft pas permis. Le Créancier au contraire peut en faire preient au Debiteur même, ou à quelque antie: il peut fe

TOM. II.

peut

la faire rendre, la céder, la dépenfer, en un mot en
difpofer comme bon lui femble. Voiez le refte de ce
Chap. & du précedent, dans le Traité d'où j'ai tiré ce-
ci. Nôtre Auteur remarquoit, que c'eft pour cela qu'en
Latin une dette, ou l'argent que l'on emprunte, s'ap-
pelle as alienum, comme qui diroit, argent d'autrui :
non que le Débiteur n'aquiere pas la Propriété des cipe-
ces qu'il reçoit, mais parce qu'il ne Paquiert qu'à la
charge d'en iendre autant de même valeur. Au contrai-
re, un homme, qui ne doit rien, peut dire: Meo fum
dives in are.

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peut répondre, que, s'il eût gardé fes Ecus, il auroit profité du rehauffement de cere monnoie; & qu'ainfi le Débiteur s'enrichit à fon détriment. Le Débiteur, à fon tour, fera la même plainte, dans l'autre cas. Il faut donc ici examiner encore, fi l'on a prêté à la charge que le Débiteur rendroit en efpece autant d'Ecus, par exemple, qu'il en a reçû, ou bien fi on les lui a donnez fimplement fur le pied de monnoie courante: de plus, fi la valeur de toutes les efpeces a été changée, ou feulement celle d'une forte de Monnoie. Dans le premier cas, il faut fans contredit rendre un pareil nombre d'efpeces. Dans le fecond, la décifion, dont nous venons de parler, a lieu certainement; d'où vient que, pour l'ordinaire, quand on prête de cette maniére cent Ecus, on en spécifie la valeur en une autre forte d'efpeces, par exemple, on ajoûte, cent Ecus valant quarante-huit fous. Pour le troifiéme cas, c'eft-à-dire, lors que la valeur de toute la Monnoie en général vient à changer, felon la rareté ou l'abondance des autres chofes, il faut en juger par les principes, (a) Chap. 1. 5. que j'ai (a) établis ci-deffus; quoi que jufques ici ce ne foit guères l'ufage, d'avoir égard à ce changement général de la valeur des Monnoies, dans le paiement des dettes contractées auparavant. Enfin, au fujet du quatrième cas, il faut remarquer, que quand la valeur extrinféque d'une feule forte de Monnoie eft rehauffée, fans aucune augmentation de la valeur intrinféque, la valeur des autres efpeces diminue auffi ordinairement. Par exemple, lors que les Ecus, qui valoient quarante-huit fous, font mis à cinquante-deux, fans qu'on aît fait le moindre changement dans la qualité de l'alloi ou dans le poids, c'eft une marque que la bonté intrinféque de ces efpeces eft diminuée. De forte que, fi l'on avoit prêté cent Ecus en espece, & que le Débiteur voulût nous paier en fous, il faudroit qu'il nous donnât cinquante-deux fous pour un Ecu, & non pas quarante-huit. Mais, fi l'on avoit prêté en monnoie courante, l'augmentation des efpeces feroit au profit du Débiteur; à moins que la fomme prêtée ne fût fort groffe, ou le rehauffement de la Monnoie exceffif.

dernier, de ce Livre,

Sentiment des
Docteurs Juifs

37.Deuter.XXIII,

19.

(b) Selden. de J. N.&

& G. fec. Hebr. Lib. VI. Cap.IX.

Pour les autres chofes fufceptibles de fonction ou d'équivalent, pourvû qu'on les rende au terme & au lieu réglé, on n'a aucun égard à l'augmentation ou à la diminution de prix furvenue depuis le Prêt, mais le profit & la perte font pour le Prêteur; à moins qu'il n'en aît été autrement convenu. Mais fi l'Emprunteur eft en demeure de rendre, & que depuis ce retardement la chofe vienne à changer de prix (1); la perte eft toute pour lui.

§. VIII. UNE autre queftion, que l'on agite ici avec beaucoup de chaleur, c'est celle qui concerne les Intérêts, que le Débiteur donne ordinairement au Créancier (1). La Loi (a) Exod. XXII, divine de Moife (a) défendoit aux Hébreux de prendre aucun intérêt de ceux de leur Nation, mais elle le leur permettoit à l'égard des étrangers. Et voici comment les Docteurs (b) Juifs expliquent cette Loi. Selon eux, d'Hébreu à Hébreu il étoit illicite non feulement de prendre intérêt, mais encore de le donner, & même de fervir d'entremetteur, de fecretaire, de notaire, ou de témoin, dans un Contract de Prêt à ufure. On pouvoit néanmoins placer l'argent d'un Pupille chez quelque homme riche, qui s'engageât à lui donner une partie du profit qu'il en retireroit, & à prendre toute la perte fur fon compte. Or ils diftinguent deux fortes d'Interêts, les uns proprement ainfi dits, qui font ftipulez out reçûs pendant le tems du Contract; les autres indirects (c), & qui, felon eux, n'étoient illicites qu'en vertu des décisions de leurs Ancêtres. On défobeït à la Loi divine, qui dé

fc) Ils appelloient ceux-ci la

poudre de l'Ufure.

§. VII. (1) Vinum, quod mutuum datum erat, per judieem peritum eft: quafitum eft, cujus temporis æftimatio fieret.... Sabinus refpondit, fi dictum effet, quo tempore redderetur, quanti tunc fuiffet: fi non, quanti tunc cum petitum effet. Interrogavi, cujus loci pretium fequi oporteat? Refpondit, fi conveniffet, ut certo loco redderetur, quanti eo loco effet: fi dictum non effet, quanti ubi effet peritum. Digeft. Lib. XII. Tit. I. De rebus creditis &c. Leg. XXII. Voiez auffi Lib. XIII. Tit. III. De condictione triticaria, Leg. IV. & Tit. IV. De eo quod certo loco dari oportet.

§. VIII. (1) Il faut, ajoûtoit nôtre Auteur, examiner cette question avec d'autant plus de foin, que la plupart

fend

des gens d'aujourd'hui ne font pas du fentiment des anciens Perfes, qui, au rapport de Plutarque, (De vitando are alieno, pag. 829. C. Edit. Wech.) tiennent le Menfonge pour le plus grand des péchez, après celui qui confifte à emprunter de l'argent; parce qu'il arrive fouvent aux Débiteurs de mentir. Hérodote met le Menfonge au premier rang; en quoi il a plus de raifon, felon nôtre Auteur, qui pouvoit bien néanmoins fe paffer de rapporter ce paffage, puis que la question, dont il s'agit, fe rapporte directement au Prêteur, & nullement à l'Emprunteur.

fend les premiers, non feulement lors qu'on reçoit plus que l'on n'avoit prêté d'une chote de même espece, mais encore fi, en confidération du Prêt, l'Emprunteur laisse demeurer le Prêteur dans fa maison ou dans fa métairie, fans lui demander aucune rente, jufques à ce qu'il lui aît paié la dette; ou s'il lui loue fa maison ou fa métairie à meilleur mar ché qu'il ne pourroit la louer à un autre; ou s'il lui donne en gage une chofe, pour en retirer les fruits pendant tout le tems de la dette. Cependant on n'étoit point fujet à recevoir des coups pour avoir pris quelque intérêt d'une chofe prêtée, comme les Juges y condamnoient ordinairement ceux qui violoient les autres Loix divines; il falloit feulement ref tituer ces intérêts. Mais les Héritiers n'y étoient point tenus à l'égard de l'argent, & des autres chofes fufceptibles de fonction: on fe contentoit, que pour l'honneur du défunt, ils rendiffent les vaiffeaux, les habits, les outils, les meubles, & les bêtes, qui fe trouvoient parmi fes biens, & cela même fuppofé qu'il le fût répenti, & qu'il eût eû deffein de reftituer lui-même avant que de mourir. Il étoit auffi défendu aux perfonnes fans lettres de recevoir le moindre préfent d'un homme, tant qu'il étoit leur Débiteur. Mais les Docteurs de la Loi avoient cette permiffion, parce qu'on préfumoit que des gens fi verfez dans l'étude de la Loi, qui défend le Prêt à intérêt, n'avoient garde de la violer, & qu'ils recevoient ces préfens comme un fimple effet de l'honnêteté ou de la libéralité de leur Débiteur. A l'égard de l'Ufure indirecte, elle comprenoit toute forte d'émolument & de reconnoiffance que le Créancier recevoit du Débiteur, dans quelque vûe que ce fût qui fe rapportât au Prêt, hors du tems que duroit le Contract, ou de l'intervalle qu'il y avoit entre le moment du Prêt, & le terme du paiement : c'est-à-dire non feulement les préfens faits au Créancier, afin de l'obliger à prolonger ce terme, mais encore tout ce qu'un homme, qui avoit deffein d'emprunter quelque chofe d'un autre, lui donnoit avant que de lui rien demander, pour l'engager par là à vouloir bien lui prêter. Car on étoit fi rigide làdeffus, que de défendre abfolument à un Débiteur tout office même d'Humanité & de Civilité envers fon Créancier, à moins que le commerce de ces fortes de fervices ne fût déja auparavant lié entr'eux. On tenoit auffi pour une Ufure indirecte d'acheter d'une perfonne, qui faifoit cette propofition: Demain vous n'aurez cette marchandise que pour cent ficles; mais, fi vous la prenez aujourd'hui, je vous la donnerai pour quatre-vingt-dix; cat, difoit-on, fur ce pied-là l'Acheteur gagne dix pour cent d'intérêt. Il n'étoit pas non plus permis à un homme, qui avoit une terre en gage de la relouer au Propriétaire même, moiennant une certaine rente; car cette rente fembloit tenir de l'Ufure. On n'étoit pourtant pas obligé de reftituer ce que l'on avoit profité d'une Ufure indirecte, & le Débiteur n'avoit point action en Justice pour le répéter: le Créancier, qui avoit violé par là les réglemens des Ancêtres, étoit feulement battu, ou puni de quelque autre manière. Au refte, tout ce que nous avons dit n'avoit lieu que d'Hébreu à Hébreu : car pour les Paiens, on croioit que la Loi (d) permettoit non feulement de leur prêter à intérêt, mais qu'elle (d) Deuter.XXIII, l'ordonnoit même, afin d'appauvrir & d'affoiblir ces Peuples que la Juftice divine avoit 19 deftinez à être exterminez. Un Rabbin (e) prétend néanmoins, que cela doit s'entendre (e) Leon de Modes fept Nations Cananéennes, & non pas des autres Peuples; mais que les mifères d'une dére, Cerem, des longue captivité, qui a dépouillé les Juifs de leurs poffeffions, & qui ne leur laiffe pas v. d'autre voie plus honnête d'amaffer du bien, les ont réduits à agir contre l'ordonnance de la Loi. Et pour ce qu'on publie, que les Juifs font ferment tous les jours de tâcher de tromper les Chrétiens; il foûtient que c'eft une pure calomnie, inventée pour les rendre odieux à tout le monde.

Juifs, Part. II. C.

traire au Droit

§. IX. IL s'agit maintenant de voir, fi ces maximes débitées & obfervées autrefois par Le Prêt à ufure les Juifs avec tant de foin, font de Droit Naturel; ou du moins de Droit Divin Po- n'eft point confitif, mais qui oblige tous les Peuples fans exception? Il eft clair, qu'il y a là bien Naturel. des chofes ajoutées par les Docteurs Juifs, afin de prévenir les artifices dont on pourroit s'avifer pour éluder la Loi; décifions, qui par conféquent ne font que de Droit Potitif.

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ubi fupra.

20. Voicz la-def

Mais, pour ce qui regarde le Prêt à ufure, confidéré en lui-même, je foûtiens, que, s'il n'eft point accompagné d'extorfion ni d'inhumanité envers les pauvres, & qu'il n'excede pas le profit que le Créancier auroit pû retirer lui-même de fon argent, ou celui que le Débiteur en fait; fur tout lors que l'on prête à des gens, qui empruntent pour le gain, plûtôt que par néceffité: il n'a rien de contraire, ni au Droit Naturel, ni au Droit Divin Pofitif & Univerfel; de forte que, fi la Loi de Moife le défendoit de Juif à Juif, c'étoit pour des raifons particulieres, qui avoient leur fondement dans la conftitution de la Répu (a) Voiez Selden. blique Judaïque. Les Rabbins (a) eux-mêmes tombent d'accord, qu'en prenant intérêt on ne commet point de Larcin; ce Contract étant fondé fur un confentement libre & mutuel des Parties : & par conféquent que l'Intérêt n'eft point de lui-même contraire au Droit Naturel. Mais il y a dans la Loi même dequoi le prouver évidemment. Car, quoi qu'elle engageât les Juifs à s'aimer entr'eux d'une façon très-particuliére & très-étroite; ils n'étoient pas pour cela difpenfez de pratiquer envers tous les autres Hommes, de quelque Nation qu'ils fuffent, les devoirs généraux de la Loi Naturelle : & Juvenal cenfure avec raison ceux qui témoignoient par leur conduite, qu'ils avoient une opinion toute contraire: Qu'un voiageur, dit-il (1), les prie de leur montrer le chemin, ou, qu'étant altéré, il leur deman de où il peut aller boire; c'est en vain, s'il n'eft Juif & circoncis. Or fi tout intérêt que l'on prend d'un Débiteur eft contraire à la Loi Naturelle, je ne vois pas comment DIEU, qui eft la fainteté même, auroit pù permettre expreflément & recommander, pour ainfi dire, à un Peuple qu'il s'étoit choifi pour le rendre faint d'une façon toute particuliére, de violer cette maxime du Droit Naturel envers des gens qui ne lui avoient fait aucune inju (b) Chap. XXIII, re: car la Loi du (b) Deuteronome regarde tous les Peuples fans exception, & non pas feulus Mr. Le Clerc. lement les (2) Cananéens. Difons donc, que Dieu défendoit de prêter à ufure de Juif à Juif, pour deux raifons Politiques; l'une tirée du naturel de ce Peuple; l'autre de la conftitution de l'Etat. En effet, de tout temns cette Nation a été poffédée d'un défir très-ardent d'amaffer du bien, & remplie de préjugez qui lui faifoient regarder les richeffes comme la fouveraine félicité. De forte que, fi Dieu n'avoit fait une telle Loi au fujet de l'Intérêt, les riches auroient opprimé & entiérement ruiné les pauvres. Cependant, pour ne pas faire trop de violence à l'inclination dominante des Juifs, il leur permit de mettre en ulage toute leur adreffe dans le commerce, à l'égard des Etrangers. De plus, il paroit, que Moife voulut former un Etat Populaire : (car cela n'eft pas incompatible avec l'autorité des Héros & des Juges qui le conduifoient.) Or une des principales régles pour le maintien & la profpérité d'un tel Gouvernement, c'est d'empêcher, autant qu'il fe peut, qu'il n'y aît une trop grande inégalité de biens entre les Citoiens. C'eft pour la même railon que ce fage Légiflateur établit, par ordre de Dieu, l'année de (c) repit, dans laquelle les Créanciers ne pouvoient rien demander à leurs Débiteurs; & celle (d) du Jubilé, qui faifoit rentrer les anciens Propriétaires en poffeffion des fonds qu'ils avoient aliénez, comme auffi la Loi, (e) en vertu de laquelle les filles, qui héritoient des biens de leur pére, ne pouvoient le marier que dans leur Tribu. D'ailleurs, en ce tems-là tous les revenus des Ifraëlites fe tiLoi de Solon, fort roient du bétail, de l'Agriculture, ou du travail des Artifans. Le commerce y étoit auffi me aufli dans le fort fimple, & fort médiocre, les fecrets du négoce, & l'ufage de la Navigation, ne leur Peros. Voiez Gai- étant pas encore connus (f), comme ils l'étoient de la plupart des Nations voifines. Dans cila de la Vega, un Pais, où les chofes font fur ce pied-là, perfonne n'emprunte que par néceffité. De là Liv. IV. C. VIII. vient que Moife (g), pour exprimer la profpérité & l'abondance dont Dieu récompenseroit (f) voiez Grotius, l'obfervation de fes Loix, dit entr'autres chofes : Vous prêterez à intérêt à plufieurs Nations, & vous n'emprunterez de perfonne. Or le profit que de tels Débiteurs retirent de l'ar

(c) Deut. XV, z. (d) Levit. XXV,

13. & fuiv.

(e) Nombres, XXXVI.Il y avoit

à Athénes une

femblable; com

Hift. des Yncas,

fur Luc, VI, 35.
(g) Deuteron.
XXVIII, 12. Voiez
aulli &V, 7, 8.

S.IX.(1) Non monftrare vias, eadem nifi facra colenti

Quafitum ad fontem fotos deducere verpos.

Satyr. XIV. verf. 193, 104.

J'ai fuivi la Verfion du P. Tarteron.

(2) Si cela etolt, (dit Mr. la Placeite, Traité de l'Inté

gent rét, p. 86.) Dieu n'auroit pas excepté les pauvres etrangers, comine il ne les excepte pas parmi ceux qu'il condanne à être exterminez fans remiflion. Voiez Levit. XXV, 35, 36.

(3) C'eft

gent qu'on leur a prêté, ne pouvant être que bien médiocre, le moindre intérêt, qu'on exigeroit d'eux, les incommoderoit extrémement. Tout leur travail n'aiant pû les empêcher d'être réduits à emprunter, pour fubvenir aux néceffitez de la vie, ils ont beaucoup de peine à amaffer dequoi paier le capital, bien loin d'être en état de donner le moindre intérêt. C'eft ce qui caufa autrefois tant de troubles dans la République d'Athénes, auxquels le Légiflateur (h) Solon crût ne pouvoir remédier que par une abolition générale, ou, (h) Plutarch, in comme on l'appelloit, une décharge des dettes. Rome, avant que d'être parvenue à ce ejus Vitn. haut point de grandeur & d'opulence où elle s'éleva depuis, éprouva auffi les inconvéniens fâcheux de la permiffion de prêter à intérêt à des gens qui ne font point accommodez, & qui ne fubfiftent que des revenus de la terre. Ajoutez à cela, que le fage Légiflateur des Juifs, en leur défendant de prêter à intérêt les uns aux autres, vouloit les détourner d'une fordide avarice (i), mais fur tout produire en eux des fentimens défintéreffez d'un amour (i) Voiez Philon, & d'une Charité toute particulière: Vertu, dont il recommande avec foin la pratique Lib. de Caritate. dans (k) plufieurs autres de fes Loix. Et l'ufage de celle-ci étoit d'autant plus fréquent, (k) Voiez, p. e. qu'en ce tems-là les dettes fe réduifoient ordinairement à de petites fommes empruntées Ex par des gens pauvres, ou du moins peu accommodez. Mais il n'en eft pas de même au- 26, 27. XXIII, 4, jourd'hui. Le plus fouvent les Débiteurs gagnent du bien en faifant valoir l'argent de leur 5,9, 11, 12. LeCréancier, ou en achetant quelque chofe qui leur procure un profit confidérable. En ver- 13,33. xxii1,22. tu dequoi devroit-on prêter gratuitement à des gens qui empruntent dans cette vûe? Ne XXV, 6, 10, 11, feroient-ils pas au contraire bien déraisonnables de nous refuser une partie du (3) gain con- fuiv.Deuter.XIV,

(3) C'eft ce que l'on appelle Intérêt lucratif; au lieu qu'on nomme Intérêt compenfatif, un fimple dédommagement du profit ceffant, & du dommage émergent. Il n'y a point de difficulté tant foit peu apparente au fujet du dernier, & il faut fe créver les yeux, pour ne pas voir la juftice d'un tel Intérêt; puis qu'en l'exigeant on ne demande que ce qu'on avoit lors qu'on a prête. Si quelcun en doutoit, il pourroit fe convaincre pleinement par la lecture des Chapitres V. VI. & VII. du Traité de l'Intérêt de Mr. La Placerte. A l'égard de l'Intérêt lucratif, on peut à la vérité alléguer quelque chofe de plus fpécieux pour le combattre, mais au fond, fi l'on apporte ici un efprit libre de préjugez, on trouvera aifément, que cet Intérêt n'eft pas moins innocent ni moins legitime que le compenfatif. Ce que Mr. La Placette dit là-deffus, eft très-folide, & je vais en emprunter ici quelques réflexions. Comme il dépend du Créancier de prêter ou de ne pas prêter; il dépend auffi de lui, lors qu'il s'eft une fois déterminé à prêter, de laiffer fon argent entre les mains du Débiteur pour plufieurs annees, ou pour une feule, ou pour un mois, ou pour une femaine, ou pour un feul jour même. Suppofé donc que, ce qu'il peut ne prêter que pour un jour, ou pour une semaine, il veuille bien le prêter pour un ou deux ans, s'engageant à ne pas redemander plûtôt fa dette; pourquoi eft ce qu'une telle renonciation, dépendant de lui, & pouvant être utile au Débiteur, ne pourroit pas être mife à prix ? Lors qu'on a un droit de fervitude fur une maifon, ou fur un champ, on peut y renoncer pour un tems, ou pour toûjours, & mettre à prix cette ceffion. La même chofe a lieu en matiére d'hommages & de redevances. En vertu dequoi feroit-il donc défendu d'en ufer ainfi à l'égard du droit qu'on a de fe faire rendre ce que l'on prête? En vain diroit-on, que du moins, fi la fomme prêtée demeurant entre nos mains ne devoit vraisemblablement nous porter aucun profit, on a tort en ce cas-là de faire acheter à fon prochain l'utilité qu'il en pourra retirer, fans qu'on y perde rien foi-même. Cette réponse fuppofe deux chofes également fauffes. L'une, que, dans les traitez qu'on fait avec fes prochains, il n'eft permis de chercher que notre fimple indemnité. L'autre, qui eft une fuite de la premiére, que l'on eft tenu de faire en faveur de fon prochain tous

fidé

ce que l'on peut faire fans rien perdre. Si la premiére avoit lieu, le commerce feroit cilentiellement injufte; car il ne confifte qu'à tâcher de profiter fur ce que l'on vend. Mais au fond, pourvû que le profit, qu'on fait, n'ait rien de contraire ni à la Charite, ni à la Juftice, (ce qui n'eft pas impoffible) rien n'empêche qu'on ne le recherche legitimement. Si l'autre fuppofition étoit véritable, il faudroit condamner cent chofes, que l'on fait tous les jours, & où l'on n'a jamais trouvé rien à dire. Par exemple, j'ai deux maifons, dont l'une m'eft inutile, & même à charge, parce qu'en effet, perfonne n'y habitant, elle dépérit. J'ai deux exemplaires d'un même Livre, dont l'un m'eft très-inutile. S'enfuitil de là, que je ne puiffe, ni vendre, ni donner à louage, cette maifon, ou ce livre? Il y a une infinité d'occafions femblables, où perfonne ne trouve mauvais qu'on vende la Propriété, ou l'ufage de certaines chofes, qui ne coûtent rien, & qui étoient auffi inutiles à ceux qui les vendent, qu'utiles à ceux qui les acherent. D'où vient donc que l'on ne pourroit faire, fans injuftice, à l'égard de l'argent qu'on prête, ce que l'on fait fi innocemment par tout ailleurs? Mais il y a ici une preuve plus précife, & tiree de la chofe même. Le Créancier permet au Débiteur de fe fervir de l'argent prêté : cela fuffit pour lui donner droit de s'en faire paier l'ufage. En effet, fi l'on peut innocemment donner à loiiage une Maifon, un Cheval, des Boeufs, des Outils, & cent autres chofes de cette nature, pourquoi ne pourroit-on pas faire la même chofe de l'Argent, & généralement de tout ce qui entre dans le commerce? On répond là-deffus diverfes chofes, dont on trouvera la folution dans le paragraphe fuivant de ce Chap. de nôtre Auteur; auffi bien que dans le Traité, d'où j'ai tiré ce que je viens de dire. Ajoûtons feulement les cine conditions que Mr. la Placette pofe, pour rendre légi time l'Intérêt lucratif. 1. Que le Créancier ne foit pas tenu d'ailleurs de prêter gratuitement. 2. Que le Debiteur s'oblige volontairement à paier un tel intérêt. 3. Que le Débiteur doive vraisemblablement profiter du Prêt. 4. Que l'intérêt n'excede pas le profit qu'il efpere de retirer de l'argent prêté. s. Enfin, qu'il n'aille pas au delà du pied fixe par les Loix. Remarquons encore, avec le même Auteur (Chap. XVIII.) qu'il y a deux for

H 3

Exod. XXI, 10, 11.
XXII, 22, 23, 25,

vit. XIX, 9, 10,

36, 36, 37, 39. &

28, 29. XV,2,4,7, 8,9,10,11. XXIII, 24, 25. XXIV,10, 11, 12, 13, 14, 15, 19,20, 21. XXVI, 12, 13.

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