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Freinshemius fur

d'Hoftilius Mancinus (b), que les Numantins avoient renvoié, la plupart des Sénateurs (b) Voiez les furent d'un avis contraire, pat cette raifon, entr'autres, que ce qui n'eft pas accepté eft Supplemes de cenfé n'avoir pas été donné Pour moi, voici ce que je penfe fur cette queftion. L'Etat qui T. Live, Lib.LV, a été offenfé, avoit droit, fans contredit, de poursuivre par les armes, comme un Enne mi, le Sujet de l'autre Etat. Mais lors que celui-ci lui livre fon Sujet, il le met fous fa puiffance, & il lui donne droit de même que s'il eût dépendu de fa domination. Si cet Etat accepte le Citoien, étranger, l'autre Etat eft dès-lots dépouillé de tout fon droit fur ce Sujet, puis qu'il a lui-même confenti qu'il paflât fous une autre domination. Mais fi l'on renvoie le Citoien offert, l'Erat qui l'avoit livré peut alors ou le bannir entiérement, ou le punir felon l'énormité du fait. Que fi le Coupable n'a été ni reçût par l'autre Etat, ni banni du sien, il ne perd pas le droit de Citoien qu'il avoit dans celui-ci (3). Car en livrant quelcun on ne renonce point par cela feul purement & fimplement à tous les droits qu'on avoit fur lui, mais feulement à condition que celui, à qui on le livre, accepte l'of fre qu'on lui en fait, Ainfi de Sujet livré n'eft pas non plus par cela feul privé de fes droits, à moins qu'il n'y aît là-deffus quelque Loi exprefle, qui déclare retranchez de la Société Civile tous ceux qui fe trouveront dans ce cas-là.

De ce que nous avons dit, il s'enfuit encore, que fi, l'offre aiant été acceptée, celub qui a été livré retourne enfuite par quelque hazard dans fa Patrie (4), il n'y tiendra plus! rang de Citoien, à moins qu'on ne le réhabilite dans fes anciens droits. Car le droit de Pofiliminie n'eft que pour ceux qui font tombez entre les mains de l'Ennemi fans le confentement de l'Etat dont ils étoient Membres, & non pas pour ceux dont l'Etat s'eft lui même défait en faveut de quelque autre.

mantibus manere, aliis contrà: quia quem femel Populus juffiffet dedi, ex civitate expuliffe videretur: ficut faceret, cùm aqua & igni interdiceret. in qua fententia videtur Publius Mucius fuiffe. Id autem maximè quæfitum eft in HostiTio Mancino, quem Numantini fibi deditum non acceperunt : de quo tamen Lex poftea lata eft, ut effet Civis Romanus, & Praturam quoque geffiffe dicitur. Digeft. Lib. L. Tit. VII. De Legationibus, Leg. XVII.

(3) C'est ce que Ciceron foûtient, alléguant fur ce fujet l'exemple de Mancinus. Vt religione Civitas folvatur, Civis Romanus traditur : qui cùm eft acceptus, eft eo

rum, quibus eft deditus: fi non accipiunt, ut Mancinum
Numantini, retinet integram caufam & jus civitatis. Orat.
pro Cacina, Cap. XXXIV. Nam neque deditionem, neque
donationem fine acceptione intelligi poffe. Topic. Cap. VIIL
Voiez auffi de Oratore, Lib. 1. Cap. XL. Lib. II. Cap.,
XXXII.

(4) An qui hoftibus deditus, reverfus, nec à nobis reri
ceptus, Civis Romanus fit, inter Brutum & Scævolam ve
riè tractatum eft. Et confequens eft, ut civitatem non adi-
pifcatur. Lib. XLIX, Tit. XV. De Captivis, & de Poftli-)
min. &c. Leg. IV.

§. I.

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Des changemens & de la deftruction des Etats.

L'évolutions qui n'empêchent pas que ce ne foit toûjours le même Etat : quelque- laffe pas d'étre 'ETAT reçoit du changement en trois maniéres. Car il s'y fait quelquefois des Un Peuple ne fois les révolutions vont jufqu'à faire que ce n'eft plus le même Etat: quelquefois enfin el- que la forme de Ies le détruifent entiérement.

fon Gouvernement ait cte

Lib. II. Cap. IX.

La prémiére forte de changement arrive, lors que l'on introduit une nouvelle forme de changee. Gouvernement, comme fi une Monarchie dégénére en Ariftocratie, ou fi une Ariftocratie ou une Démocratie s'érigent en Monarchie (a). Car, en ces cas-là, la forme effentielle (Voicz Grotius, de l'Etat demeure la même, il n'y a de changé que la forme accidentelle, c'eft-à-dire, celle s. s. qui réfulte du (1) Sujet propre de la Souveraineté. Ainfi, c'eft toûjours le même Peuple, foit qu'il ait pour Chef un Roi, ou les Principaux de la Nation, ou une Affemblée générale de tous les Citoiens. Lors même qu'un Peuple Libre vient à être conquis par un Roi,

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Les Dettes Publiques ne s'a

néantiffent point par les change mens qui arrivent dans un

Etat.

(a)Voiez Grotius, ubi fuprà, num,

2,3.

VIII. §. 3, 8.

il ne laiffe pas d'être toûjours le même Peuple, pourvû que le Vainqueur, qui en eft devenu maître, le veuille déformais gouverner comme un Roiaume à part, & non pas comme une Province annexée à fes anciens Etats. En effet, toute Multitude qui a fa Souveraineté particuliére, eft ce que l'on appelle un Peuple: & il n'importe par rapport à l'effence d'un tel Corps, que le Roi qui le gouverne aît un Pouvoir Abfolu, ou Limité; car c'eft toûjours un feul Corps.

§. II. DE ce que nous venons de dire, il paroit, comment on doit résoudre une queftion propofée par Ariftote, favoir, fi, lors qu'un Peuple paffe du Gouvernement Absolu d'un Monarque, ou d'une Oligarchie, au Gouvernement Populaire; l'Etat ainfi devenu libre (a) doit garder les Traitez, les Contracts, & les autres actes du Roi, ou des Grands, fous la domination defquels il étoit auparavant? Ceux qui foûtenoient la négative, fe fondoient fur ce que (1) l'État ne pouvant être tenu que de fon propre fait, n'étoit pas obligé d'accomplir les engagemens d'un Monarque Abfolu, ou d'un petit nombre de Grands, dont l'Autorité avoit été fondée uniquement fur la force, & non pas rapportée à l'utilité publique; de forte qu'alors ce n'étoit pas proprement un Etat. Mais c'eft là fans contredit (b) Liv. VII. Ch. une raifon bien frivole. Car, pour ne pas répéter ce que nous avons dit ailleurs (b) du caractére des Tyrans; une Tête malade ne laiffe pas pour cela d'être une Tête: ainfi ce que les Chefs de l'État ont fait, quelque vicieux & déréglez qu'ils fuffent, eft cenfé fait par tout le Corps de l'Etat. Voudroit-on donc qu'un Etat malade ne fût plus du nombre des Sociétez Civiles? Au refte, cette question fut autrefois agitée parmi les Athéniens, après qu'on eût chaffé les trente Tyrans, qui avoient emprunté de l'argent aux Lacédémoniens au nom du Peuple d'Athenes. Comme les Lacédémoniens redemandoient leur argent, il fut réfolu, à la pluralité des fuffrages, que l'Equité & le bien de la paix demandoient qu'on paiât cette Dette des deniers publics; (2) le Peuple Athénien aiant mieux aimé, coinme le dit un de fes Orateurs, contribuer à aquitter une Dette contractée par des Tyrans, que de fouffrir qu'une Convention ne fût pas exécutée. Bien plus: lors même qu'un Peuple vient à être réduit en forme de Province, & qu'il n'eft plus par conféquent un Corps d'Etat, il n'eft point difpenfé pour cela de paier ce qu'il avoit emprunté auparavant : car il n'étoit pas Débiteur précisément entant que Corps d'Etat, mais entant que poffédant certains biens en commun; de forte que la Dette eft attachée à ces biens, à quelque poffeffeur qu'ils paffent.

valables les actes

Jufques où font §. III. LA chofe ne fouffre donc point, à mon avis, de difficulté, quand il ne s'agit & les engage- que des Dettes contractées pour les befoins de l'Etat. Mais il eft plus difficile de décider, mens d'un Ufur- fi cela a lieu généralement à l'égard de tous les actes & de tous les engagemens d'un Uqu'il a été chaf- furpateur, qui a été chaffé? Voici là-deffus ce qui me paroit le plus raisonnable.

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Si celui, qui avoit envahi un Etat, a fait quelque Traité d'Alliance avec d'autres Etats contre un Ennemi commun, & qu'il leur ait enfuite donné ou vendu une partie du butin; l'Alliance, la Donation, & la Vente, subsisteront après même l'expulfion de l'Ufurpateur. Car en vertu de ces actes, les autres Etats ont aquis un droit valable, puis qu'ils ont traité avec l'Ufurpateur comme avec le Chef de l'Etat dont il avoit en main le Gouverne

§. II. (1) L'Auteur donnoit ceci pour deux raifons différentes: & cependant lui-mêmeil ne le réfute enfuite que comme une feule raifon. La vérité eft, qu'il n'y a qu'une feule raifon, avec fa preuve. Car fi l'Etat eft difpenfe, felon ceux dont Ariftote rapporte le fentiment, d'aquitter les Dettes, & de maintenir les autres actes d'un Monarque abfolu, ou d'un petit nombre de Grands qui s'etoient emparez du Gouvernement; c'est parce que, felon eux, il n'eft pas cenfé avoir fait ce qui à été fait par un tel Roi, & de tels Magiftrats. Et la raifon pourquoi il n'est pas cenfé l'avoir fait, c'eft que la domination de ces gens-là n'etoit pas fondée fur l'utilité commune, mais uniquement fur la fupériorité de leurs

A

ment,

forces; & par conféquent qu'elle n'étoit pas légitime: d'où l'on inferoit que le Peuple ne devoit pas avouer ce qu'ils avoient fait en fon nom, mais fans fon confentement. ̓Απερᾶσι γάρ τινες, πόθ ̓ ἡ πόλις ἔπραξε, καὶ τότε εχ ἡ πόλις οἷον ὅταν ἐξ ὀλιγαρχίας ή τυραννίδ γένηται δημοκρατία, τότε γδ ἔτε τα συμβόλαια, ἔνιοι βο λονται διαλύειν, ὡς & τ' πόλεως, ἀλλὰ τῇ τυράντα λαβόν τον ὅτ' άλλα πολλὰ ἢ τοιέτων, ὡς ἐνίας ἢ πολιτειών τῷ κρατεῖν ὅσας, ἀλλὰ & διὰ τὸ κοινῇ συμφέρον. Politic. Lib. III. Cap. III.

(2) Φασὶ ἢ δήμον ἐλέπς συνεισενέγκειν αὐτὸν καὶ μετα χεῖν + δαπάνης, ὥςε μη λῦσαι ὁμολογκαίων μηδέν. Demofthen, Orat. contra Leptin, 5. ЦЕ

ment, & que ces actes tendoient à l'avantage du Peuple, fans renfermer d'ailleurs en euxmêmes aucun vice capable de les annuller. Du refte ils n'avoient que faire de s'embarraffer fi celui, avec qui ils traitoient, étoit en poffeffion du Gouvernement à juste ou à faux titre. Mais fi l'Ufurpateur a vendu à quelque autre Etat des biens extorquez ou ravis injuftement aux Citoiens oppriméz, ceux-ci pourront-ils les revendiquer enfuite, lors que le tems le permettra? Un (a) Auteur Moderne prétend, que, foit que les Acheteurs aient fû, ou non, par quelle voie le Vendeur avoit aquis de tels biens, ils doivent reconnoitre leur faute, & le réfoudre à perdre ce qui n'avoit pû être légitimement ni vendu, ni acheté; & il faut avouer, que cette décifion eft fort plaufible devant le Tribunal de la Confcience. Mais, à confidérer les idées & l'ufage commun des Peuples, je ne vois pas en vertu dequoi ceux qui ont été ainfi dépouillez de leurs biens, pourroient les redemander aux Etrangers qui les ont achetez. Car tant que l'Ufurpateur ne fe foûtient que par la force & la violence, il eft regardé comme Ennemi de l'Etat ; & par conféquent le butin qu'il a fait fur les Citoiens, lors qu'il eft une fois tranfporté dans un autre Etat, ne peut pas être revendiqué, non plus que les autres (1) chofes mobiliaires, aquifes par droit de Guerre. Que fi l'empire de l'Ufurpateur devient enfuite légitime par le confentement des Citoiens qui s'y foumettent, ou expreflément, ou tacitement; les Etrangers peuvent alors regarder comme légitimement confifquez, les biens dont il avoit dépouillé les Citoiens. En effet, comme les Etats Neutres peuvent tenir & tiennent ordinairement la balance égale entre deux Ennemis, qui ont les armes à la main l'un contre l'autre, en attendant que le fort des armes aît décidé de leur différent de même ce n'est pas aux Etrangers à s'informer de quelle maniére un autre Etat difpofe de fon Gouvernement.

Mais pour ce qui regarde les actes d'un Ufurpateur dont l'effet eft renfermé au dedans de l'Etat même, le Souverain légitime, qui rentre dans fes droits, peut annuller ces actes autant qu'il le jugera à propos pour le Bien Public. Et cela a lieu non feulement par rapport aux Loix que l'Ulurpateur a établies, mais encore à l'égard de fes Donations ou autres Aliénations de biens, dont il ne pouvoit disposer en faveur de perfonne, fans préjudice de l'Etat, & des Loix du Pais.

(a) Boecler. Difte qued

fert. De eo

agit Civitas

autres Puiffan

dont le Gouver

nement a été

(a) Vbi fuprà,

§. IV. UNE autre queftion que l'on agite ici, c'eft, quel rang doit tenir, parmi les au- Quel rang doit tres Puiffances, un Roiaume érigé en République, ou un Prince qui a aquis la Souverai- avoir, parmi les neté d'un Peuple auparavant Libre? Grotius (a) répond fimplement, que le Peuple doit, ces, un Etat, après cette révolution, avoir le même rang qu'avoit fon Roi; & le Roi, le même rang qu'avoit autrefois le Peuple. Mais, à mon avis, il faut diftinguer, fi le Roi, par exem- changé, ou fon ple, qui eft devenu maître d'une République, demeure Membre de la même Affemblée, nouveau Chef? ou du même Corps d'Etats Conféderez; ou bien s'il veut déformais renoncer à la Société, num. 3. & ménager à part fes affaires. Dans le prémier cas, il ne fauroit fans contredit prétendre d'autre rang que celui qu'avoit le Peuple dont il eft devenu Souverain, quelque grande que foit la (1) fplendeur & la Majefté de la Dignité Roiale. Par la même raifon, un Peuple, qui s'eft érigé en République, a droit de prétendre, dans l'Affemblée commune, le même rang que les Rois y occupoient. Mais fi le Roi, ou le Peuple, fe féparent entiérement du Corps des Etats Conféderez; ils ne feront point tenus alors de céder le pas à ceux qui avoient autrefois la préfeance dans l'Aflemblée commune; tous les Souverains étant naturellement égaux.

་་

que d'un Etat

§. V. 2. La feconde forte de changement, c'est-à-dire, celui qui fait qu'un Etat ne De la révolution paroit plus le même, arrive principalement en deux maniéres car quelquefois d'un feul qui arrive, lors Etat il s'en forme deux ou plufieurs diftincts; quelquefois au contraire deux ou plufieurs il s'en forme Etats le réuniffent en un. Dans le prémier (a) cas, la divifion fe fait, ou par un confen- plufieurs. (a) Vaiez Gratisy tement mutuel des parties de l'Etat qui fe féparent; ou par droit de Conquête. On con

5. ill. (1) Voiez Grotius, Lib. III. Cap. IX.

1.4.

fent

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bifuprà, §. 10.

(b) Voiez Thu

Cap. IX. §. 8.

fent à faire plufieurs Etats d'un feul, lors qu'on envoie des Colonies, fur le pied que le pratiquoient autrefois les Grees: car les Colonies de prefque tous les Peuples d'Europe, auffi bien que celles des anciens Romains, demeurent toûjours Membres de l'Etat d'où elles fortent; au lieu que celles des Grecs formoient autant d'Etats féparez & indépendans (b), quoi Valef.ad Excerpta qu'elles fullent tenues de témoigner un refpect tout particulier pour l'Etat qui leur avoit Peirefe. p. 6,7. & donné la naillance, & de regarder leur anciere Patrie comme leur Mére. Il faut avouer Hobbes, de Cive, néanmoins, qu'à parler exactement, l'Etat en lui-même n'eft point changé, pour avoir envolé quelque Colonie: tout ce qui résulte de là, c'est que l'Etat en produit un antre, de même qu'un Animal en engendre un autre, fans cefler pour cela d'être le même Individu. Au refte, une Colonie de cette nature n'eft point obligée d'aquitter les Dettes contractées par l'Etat d'où elle eft fortie; à moins qu'il n'y ait eû là-deffus quelque Convention exprelle par laquelle la Colonie s'y foit engagée en partant: car ces Dettes font directement & immédiatement attachées aux biens de l'Etat, auxquels on fuppofe que la Colonie n'a plus de part. Et quoi que les Membres de la Colonie puiffent avoir retiré quelque avantage des dépenfes pour lesquelles on avoit emprunté cet argent; la Patrie, en les congédiant, & fe démettant de tout fon pouvoir fut eux, déclare par cela feul authentiquement, qu'elle ne leur demandera jamais rien fous ce prétexte. Mais fi un Roiaume fe divife en deux ou plufieurs États, par un commun confentement des Provinces qui fe féparent, alors il eft jufte que les Dettes, auffi bien que le Thréfor & le Domaine Public, fe partagent également; partage néanmoins qui ne fauroit guéres bien fe faire que par quelque Convention expreffe..

De la réunion de plufieurs Etats

en un.

(a) Ubi suprà,§.9. Lib. I. Cap. LII.

Voiez Tit. Liv.

au commence

ment.

f

En quel fens les Peuples font immortels?

§. VI. L'AUTRE forte de changement qui fait qu'un Etat n'eft plus le même, c'eft, comme nous l'avons dit, lors que deux ou plufieurs Peuples s'uniffent, non par une Alliance ou une Confédération, ni par la dépendance d'un Roi commun, mais en forte que de deux ou plufieurs Etats il en résulte un feul. Grotius (a) croit, qu'en ce cas-là les droits qu'avoit auparavant chacun des Etats réunis, ne fe perdent pas, mais deviennent communs à tout le Corps, auffi bien que les Dettes & les autres charges; à moins qu'on n'en difpofe autrement par quelque Convention. Il faut néanmoins bien remarquer ici, que cela n'arrive que quand deux ou plufieurs Peuples s'uniflent de telle manière qu'ils fonnent déformais enfemble un feul & même Etat, où tous jouiffent d'un droit égal, & vivent fous les mêmes Loix; comme, fi deux Peuples différens, dont le Gouvernement étoit Démocratique, fe foûmettent à un même Roi, pour ne compofer ensemble déformais qu'un feat Roiaume; ou fi deux Roiaumes aboliflant l'un & l'autre les Loix Fondamentales de leurs Etats, & ôtant la Couronne aux Familles Régnantes, qui en étoient en poffeffion depuis long-tems, fondent enfemble un feul Roiaume: car, en ces cas-là, les anciens Etats ne fubfiftent plus entant que tels, & il s'en forme un tout nouveau. Mais lors que l'un des Etats, qui s'uniffent enfemble, conferve fon ancien Gouvernement, avec les terres qu'il occupoit, pendant que les Citoiens de l'autre fortant de leur Pais vont s'établir dans celui du prémier, pour y vivre fous les mêmes Loix; le dernier à la vérité n'eft plus un Etat, mais l'autre fans contredit demeure toûjours le même, quoi que, par cette jonction, il s'accroiffe confidérablement. Du refte, l'union de plufieurs Etats différens, dont chacun demeure ce qu'il étoit, ne fauroit le faire que par une étroite & perpétuelle Confédération, d'où il réfulte un Corps compofé de plufieurs Etats diftincts, & non pas un feul Etat proprement

ainfi nommé.

§. VII. ENFIN, un Etat eft entiérement détruit, lors que le Corps du Peuple vient (a) à fe diffoudre, ou à s'éteindre tout-à-fait. Car le commun Proverbe, qui porte, (a)Voicz Grotius, que les Rois (1) font mortels,mais que les Etats font immortels, ne fignifie pas, que les Peuabi fuprà, §. 3. ples ne puiffent être ni éteints ni diffipez, par quelque accident violent & extraordinaire;

mais S. VII. (1) Principes mortales, Rempublicam æternam esse. Tiber. apud Tacit. Annal. Lib. III. Cap. VI. Voiez auli T. Live, Lib. XXVIII. Cap. XXVIII. (2) Tür

Georg. Lib. IV.

Amft. Tom. I.

(c) Voiez Lucret.

mais feulement qu'ils ne font pas comme une Perfonne Phyfique, ou comme chaque Homme, qui périt au bout d'un certain tems, par un effet inévitable de fa conftitution naturelle, au lieu que, quand les Membres d'un Etat meurent, ou quittent le Païs, il en fuccéde perpétuellement d'autres, ou par (b) la propagation de l'efpece des Naturels du (b) Voiez Virg. Pais, ou par la fubftitution des Etrangers qui viennent s'établir dans l'Etat; de forte qu'à verr. feqq. cause de cette fucceffion perpétuelle, le Peuple eft toûjours cenfé le même, & jouit des & Lucian. de Amêmes droits, quoi que les Particuliers, dont il étoit compofé, aient été plufieurs fois morib. p.888. Ed. remplacez par d'autres. Selon les anciens Philofophes, il y (2) a des Corps compofez de parties feparées, comme une Flotte, une Armée: d'autres qui ont leurs parties attachées enfemble par l'industrie humaine, comme une Maison, un Navire d'autres enfin, dont les parties font naturellement unies, tels font tous les Animaux. On peut faire une divifion plus exacte, de cette maniére. Un Corps en général eft tout ce qui a des parties unies enfemble par quelque liaifon. Cette liaifon eft ou Phyfique, ou Artificielle, ou Morale. La liaison Phyfique, c'eft celle qui unit les parties des Corps Naturels. La liaifon Artificielle, c'eft celle qui Lib.111. verf. $60, eft un effet de l'induftrie humaine, par laquelle plufieurs chofes naturellement féparées font & feqq. Senec. jointes enfemble, en forte qu'elles femblent déformais unies par la nature même. La liai- Ep. LVIII. Plutarch. de Ei apud fon Morale, c'eft celle qui doit fon origine à l'inftitution humaine, en vertu de laquelle Delphos, pag.392. plufieurs Individus font cenfez ne faire enfemble qu'un feul Tout. Cette derniére forte de A.B. & Th. Brow liaison pourroit être conçue par rapport aux Bêtes, auffi bien que par rapport aux Hom- sec. XXXVI. mes, par exemple, dans l'idée d'un Troupeau de bêtail: cependant on ne l'applique gué. (d) Plutarch. in res qu'aux Hommes. De là réfultent trois fortes de Corps, les Corps Phyfiques, les Corps Artificiels, & les Corps Moranx; qui ont (3) tous ceci de commun, qu'ils paroiffent de. meurer les mêmes, tant que le lien originaire, qui les a formez, n'eft pas diffous tout la fois. Ainfi un Homme ne laiffe pas de paffer pour la même perfonne, quoi que les petites parties de fon Corps aient changé perpétuellement (c) par la transpiration, & par la nourriture. De même plufieurs Anciens ont foûtenu, que le Navire de Thésée (d) étoit card. ad Politic. toûjours le même, quoi qu'avec le tems il eût été fi fort raccommodé, qu'il n'y rettoit pas Cap. 11. Digeft. une feule des planches dont il avoit été conftruit. A plus forte raifon doit-on penfer la mê- Lib. VII. Tit. IV. me chofe d'un Etat, qui, comme le difoit un ancien Philofophe, ne reçoit (4) pas avec fruct. vel ufus le tems de fi grands changemens, que chaque perfonne dont il eft compofé. Car, fi l'on amitt. Leg.X. a été quelques années fans voir un de fes Amis, on le trouve fi fort changé & par rapport ble contraire à à fon air, & fouvent même par rapport à fes maniéres, qu'on ne le reconnoit prefque plus. ces autres, Dig. Au lieu qu'après avoir été trente ans hors d'un Etat, on y trouve, à fon retour, non feu. Lib. XLVI. Tit. lement les mêmes bâtimens, mais encore les mêmes Loix, les mêmes mœurs, & les mê- & liber. Leg. mes Coûtumes. Il faut avouer néanmoins, qu'au bout d'un certains tems on ne fauroit Lib. XLV. Tit. I. regarder un Peuple comme le même, à l'égard de (5) tous les effets de droit, ou de tout Leg. LXXXIII. ce que l'on peut exiger de lui.

à

ne, Relig. Medic.

Thef. pag. 10. C.

voiez Dénys Halicarn.Lib.I. Cabane de Romutus: Alex. ab I. Cap. 1. Pic

où il parle de la

Alexandr. Lib.

Ariftot. Lib. III.

Quib. mod. ufusè

quelle Loi fem

III. De folution.

S. s.

S. VIII. MAIS, quoi que les Peuples foient immortels dans le fens que nous venons Comment le de l'expliquer; ils peuvent fans contredit être entiérement détruits. Cela arrive, ou lors fond même du

(2) Τῶν σωμάτων οἱ φιλόσοφοι τὰ ἐξ ἐκ διεκόταν λέ γεσιν εἶναι, καθάπες σόλον καὶ σρατόπεδον τὰ ἢ ἐκ συναπλιωτεύων, ὡς οἰκίαν καὶ ναῦν· τὰ 3 ενωμλία καὶ συμ Quĥ, naburig is: 7 (war inasov. Plutarch. in Coniugial. Pracept. pag. 142. F. Voiez Senec. Epift. CH. Digeff Lib. VI. Tit. I. De rei vindicat. Leg. XXIII. §. 5. & Lib. XLI. Tit. III. De Ufurpat. feu Vfucapion. Leg. XXX.

(3) C'eft la décision des Jurifconfultes Romains. Refpondi, (Alfenus) non modo fi unus, aut alter, fed & fi omnes Judices mutati effent, tamen & rem eamdem, & judicium idem, quod antea fuiffet, permanere. Neque in hoc folum evenire, ut partibus commutatis eadem res effe exiftimaretur, fed & in multis ceteris rebus: nam & legionem eamdem haberi, ex qua multi deceffiffent, quorum in locum alii fublecti effent: & populum eumdem hoc tempore pu

Peuple vient à

que perir?

tari, qui abhinc centum annis fuiffet, cum ex illis nemo
nunc viveret: itemque navení, fi adeo fæpè refetta effer',
nt nulla tabula eadem permaneret, qua non nova fuiffet,
nihilominus eamdem nauem effe exiftimari. Quod fi quis
pataret, partibus commutatis aliam rem fieri fore, ut
ex ejus ratione nos ipfi non iidem effemus, qui abhinc anno
fuiffemus; propterea quod, ut Philofophi dicerent, ex qui-
bus particulis minimis confifteremus, hoc quotidie ex nofiro
corpore decederent, aliaque extrinfecus in earum locum acce-
derent. Quapropter cujus rei fpecies eadem confifteret, rem
quoque eamdem effe exiftimari. Digeft. Lib. V. Tit. I. De
Judiciis &c. Leg. LXXVI.

(4) Plutarch. de fera Numinis vindička, pag. 559. B. C.
Ed. Wech.

(s) Voiez le Chap. III. de ce Livre, §. 29.

S. VIIL

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