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tre les infultes de ceux qui tâchent ou de nous faire du mal en nôtre perfonne, ou de nous enlever & de détruire ce qui nous appartient; ou pour contraindre les autres à nous rendre ce qu'ils nous doivent (2) en vertu d'un droit parfait que l'on a de l'exiger d'eux; ou enfin pour obtenir réparation du dommage qu'ils nous ont injuftement caufé, & pour leur faire donner des fûretez, à l'abri defquelles on n'ait rien à craindre déformais de leur part. Les Guerres entreprises pour le prémier fujet, font, à mon avis, des Guerres Défenfives (3); & les autres, des Guerres Offenfives. Quelquefois néanmoins celui qui prend le

Droit Naturel, ce qui eft contraire feulement à certaines Coutumes, quoi que reçues avec quelque fondement parmi plufieurs Peuples; telles qu'étoient presque toutes celles qui donnoient aux anciens Grecs de l'averfion pour les Perfes. Par cette raison (dit là-dellus 7. Frederic Gronovius) le Roi Darius avoit tort d'exiger des Carthaginois, qu'ils ne mangeaffent pas de la chair de Chien, & qu'ils ne brûlaffent pas leurs corps morts; ces deux Coûtumes n'aiant rien qui fourniffe un jufte fujet de guerre. Mais ce qu'il prétendoit en même tems, je veux dire, qu'ils n'immolaffent point de victimes humaines, étoit manifeftement fondé fur le Droit Naturel. (Juftin. Hift. Lib. XIX. Cap.I. num. 10. Ed. Grev.) 2. De ne pas mettre légèrement au nombre des chofes défendues par la Nature celles dont on n'eft pas bien affuré qu'elles y foient contraires, & qui font plutôt défendues fimplement par une Loi Divine Pofitive: telles font peut-être les conjonctions hors du Mariage, & quelques unes de celles qui paffent pour inceftueuses. Grotius ajoûte ici PUfure; mais il s'en faut bien que tout abus mis à part, elle aît rien de contraire au Droit Naturel, comme on l'a fait voir en fon lieu. 3. De diftinguer foigneusement les principes généraux du Droit Naturel, comme celui-ci, Qu'il faut vivre honnêtement, c'eft à-dire, d'une maniére conforme à la Raifon, & quelques autres approchans de ceux-là, mais qui font manifeftement inconteftables, comme quand on dit, Qu'il ne faut pas prendre le bien d'autrui; d'avec les conféquences que l'on en tire: dont les unes font aifées à appercevoir, telle qu'eft la défense de l'Adultére, en fuppofant le Mariage; au lieu qu'il y en a d'autres plus difficiles à découvrir, par exemple, Que la Vengeance, où l'on ne fe propofe que de rendre mal pour mal, eft criminelle..... Comme donc les Législateurs Politiques excufent ceux à qui leurs Loix n'ont pas été notifiées, ou qui ne font pas capables de les comprendre de même, en matière de Loix Naturelles, il eft jufte d'excufer ceux qui les violent par un effet de la foibleffe de leurs lumieres, ou de leur mauvaife éducation... 4. Enfin... les Guerres entreprises fimplement pour punir ceux contre qui l'on prend les armes, font fufpectes d'injustice, lors que le Crime n'eft pas très-atroce, & de la derniére évidence, ou qu'il n'y a pas d'ailleurs quelque autre raifon qui rende la Guerre légitime. C'eft ce que dit Grotius, Lib. II. Cap. XX. §. 41, 42, 43. Il traite dans les paragraphes fuivans, jufqu'à la fin du Chap. des Guerres de Religion, c'est-à-dire de celles que l'on entreprend contre ceux qui ont à cet égard quelque fentiment ou quelque pratique différente des nôtres (car du refte il eft clair, que l'on peut fe défendre contre ceux qui voudroient nous empêcher de faire profeffion de la Religion que nous croions la meilleure) Tout ce qu'il dit, fe réduit à ceci, que l'on ne peut legitimement prendre les armes pour cette feule raifon que contre les Athées, ou bien contre ceux qui outragent infolemment la Divinité même qu'ils font profeffion d'adorer. (Voiez la Differtation de Mr. Buddé, fur les Croisades; dans fes Selecta Juris Nature & Gentium, pag. 97, & feqq.) Bien Join qu'une fimple différence de fentimens en matiére des autres dogmes de Religion, fourniffe un jufte fujet de poursuivre par les armes, ou d'inquiéter le moins du monde ceux que l'on croit dans l'erreur; je ne doute pas que les Princes Proteftans ne puffent en bonne confcience fe liguer pour détruire l'Inquifition, & pour obliger les Puiffances, qui la fouffrent dans leurs Etats, à défarmer

précette grande Cabale fous laquelle le Chriftianifme gémit depuis fi long-tems, & qui, fous un faux prétexte de zéle, exerce la tyrannie la plus horrible, & la plus contraire à la Société Humaine. Ceux qui aiment à aquérir de la gloire par les armes, ne fauroient trouver une occafion plus belle ni plus légitime de fignaler leur courage, fuppofé qu'ils euffent d'ailleurs affez de forces pour s'engager dans une telle entreprife; & jamais Héros n'auroit dompté des monftres plus furieux & plus funeftes au Genre Humain, que celui qui viendroit à bout de purger la terre de ces ames fcélérates, qui abufent fi impudemment du beau prétexte de la Religion, pour avoir dequoi vivre dans une molle oifivete, & pour tenir dans leur dépendance les Souverains, aufli bien que les Sujets.

(2) Sur quoi il faut fe fouvenir de ce que l'on a remarqué ailleurs, que, dans un cas de néceffité, le droit imparfait le change en droit parfait; de forte qu'alors le refus de celui qui ne veut pas nous rendre ce qu'il nous doit, fournit un jufte fujet de Guerre.

(3) Dans le IV. Tome des Obfervations choifies, qui s'impriment à Hall en Saxe, Obf. VIII. on trouve quelques réflexions, que je vais rapporter, en me fervant des termes mêmes de l'Extrait qu'en a donné Mr. Bernard, Nouv. de la Rep. des Lett. Septemb. 1704. pag. 304, & fuiv. C'est aujourd'hui la coûtume d'excufer les Guerres les plus injuftes, en difant que ce font des Guerres purement Défenfives. Il y a des gens qui croient, que toute Guerre Injufte doit être appellée Offenfive; ce qui n'eft pas vrai: car s'il y a des Guerres Offenfives, qui foient juftes, comme on n'en peut pas douter; il y a donc des Guerres Défenfives qui font injuftes, comme lors que nous nous défendons contre un Prince, qui a raifon de nous attaquer. Il ne faut pas croire non plus, que celui qui le prémier a fait tort à un autre, commence par là une Guerre Offenfive; & que l'autre, qui veut qu'on lui faffe juftice pour le tort qu'il a reçû, foit toûjours feulement fur la défenfive. Il y a beaucoup d'injuftices qui peuvent allumer une Guerre; & qui ne font pourtant pas la Guerre, comme lors qu'on a maltraité les Ambaffadeurs d'un Prince, qu'on a pillé fes Sujets, &c. Si donc on prend les armes pour venger une telle injuftice, on commence une Guerre Offenfive, mais une Guerre Jufte; & le Prince qui a fait tort, & qui ne veut pas le réparer, fait une Guerre Défenfive, mais Injufte. La Guerre Offenfive n'eft donc Injufte, que lors qu'elle eft entreprife fans une caufe légitime; & alors la Guerre Défenfive, qui dans d'autres occafions pourroit être Injufte, devient Jufte. En général donc le premier qui prend les armes, foit qu'il le faffe juttement ou injuftement, commence une Guerre Offenfive; & celui qui s'oppofe à cette Guerre, foit qu'il ait ou qu'il n'ait pas raifon de le faire, commence une Guerre Défenfive. Ceux qui regardent le mot de Guerre Offenfive, comme un terme odieux, & qui renferme toûjours quelque chofe d'injufte; & qui confidérent, au contraire, la Guerre Défenfive, comme infeparable de l'équité, brouillent toutes les idées, & embarraffent une matiére, qui paroit d'elle-même affez claire. Il en eft des Princes comme des Particuliers: le Demandeur, qui commence un procès, a quelquefois tort; mais il a auffi quelquefois raifon il en eft de même du Défendeur. On a tort de ne vouloir pas paier une somme qui est justement due ;

:

com

prémier les armes, eft censé agir défenfivement; lors, par exemple, que l'on va attaquer un Ennemi, qui avoit de tems en tems fait des courfes fur nos terres, & qui s'étoit reti (a) Voiez Justin ré promtement, auffi-tôt qu'il nous avoit vû paroitre pour le repouffer; ou lors qu'on Lib. II. Cap. III, le (a) prévient au milieu des préparatifs qu'il faifoit pour venir fondre fur nous.

num. 12.

caufes de la

fefte.

§. IV. MAIS la juftice des (1) caufes de la Guerre, fur tout en matiére de Guerres Of La juftice des fenfives, doit être claire & manifeste, en forte qu'il n'y (2) aît point de doute, ni à l'é- Guerre doit être gard du fait, ce qui arrive, lors qu'on n'eft pas bien afluré qu'une chofe aît été faite, ou claire & maninon, ou à quel deffein elle a été faite; ni à l'égard du droit, ce qui a lieu ou lors qu'il paroit quelque conflict entre le droit rigoureux, & les Loix de la Charité, ou lors que l'on ne voit pas bien s'il eft plus avantageux d'entreprendre la Guerre, que de s'en abstenir. Quelque évidente même (a) que foit la juftice de nos prétensions, & l'utilité que l'on (a)Voiez Grotius, a lieu d'efpérer d'une Guerre; il ne faut pas pour cela courir d'abord aux armes, mais tâ- Lib. II. C.XXIV, cher auparavant de s'accommoder, foit par un (3) pourparler amiable ou entre les Parties même, ou entre leurs Agens; foit par un (4) compromis entre les mains d'Arbitres; foit enfin (5) par la décision du fort. C'eft (6) ce qui doit être obfervé fur tout par celui qui

comme on a raifon de se défendre de paier ce qu'on ne doit point.

,

§. IV. (1) Grotius (Lib. II. Cap. I. §. 1. & Cap. XXII.) les diftingue en Raifons iuftificatives, & Motifs de la Guerre: (Caufa juftifica, & Caufa fuaforia.) Les prémieres ce font celles qui rendent ou qui paroiffent rendre la Guerre jufte par rapport à l'Ennemi en forte qu'on croit ne lui faire aucun tort en prenant les armes contre lui. Les Motifs, ce font les vûes d'interêt qui obligent à déclarer la Guerre. Dans une Guerre innocente à tous égards, il faut non feulement que la Raifon juftificative foit véritablement légitime, mais encore qu'elle fe confonde avec le Motif; c'est-à-dire, que l'on n'entreprenne la Guerre que par la néceffité où l'on fe voit reduit de fe défendre contre les infultes d'autrui, de fe faire rendre ce qui nous eft inconteftablement dû, & d'obtenir réparation d'une injure manifefte. Ainfi une Guerre peut être vicieuse ou injufte, à l'égard de fes Caufes, en quatre maniéres. 1. Lors qu'on l'entreprend fans aucune Raifon juftificative, ni aucun Motif d'utilité tant foit peu apparente, mais feulement par une fureur infenfee & brutale, qui fait aimer le fang & le carnage pour lui-même. Mais il y a lieu de douter, fi l'on peut trouver aucun exemple d'une Guerre fi barbare. (Voiez Grotius, Lib. II. Cap. XXII. §. 2.) 2. Lors qu'on attaque les autres uniquement pour fon propre interêt, fans qu'ils nous aient fait aucun tort. Et ces fortes de Guerres font, par rapport à l'Agreffeur, de véritables Brigandages. (Voiez Grotius, ibid. §. 3.) 3. Lors que l'on a des Motifs fondez fur des Raifons juftificatives, mais qui n'ont qu'une équité apparente, & qui etant bien examinées le trouvent au fond illegitimes. Telles font celles, dont nôtre Auteur parle dans le §. fuivant, après Grotius, (ubi fuprà, §. 4. & feqq.) 4. Enfin, lors qu'aiant de bonnes Raifons juftifications, on entreprend la Guerre par d'autres Motifs, qui n'ont aucun rapport avec le tort que l'on a reçû, comme, pour aquérir une vaine gloire, pour étendre fa domination, pour s'enrichir, pour fatisfaire fon reffentiment, & par quelque autre vue d'intérêt ou public, ou particulier, mais dérache de la Raifon juftificative de la Guerre où l'on s'engage. (Voiez Grotius, ibid. §. 17.) De ces quatre fortes de Guerres, dont l'entreprife renferme quelque chofe d'injufte ou d'illicite, la troifiéme & la derniére font très-communes; n'y aiant gueres de Peuple affez féroce & affez barbare pour prendre les armes fans alléguer du moins quelque efpece de Raifon juftificative. La troifiéme eft auffi fort ordinaire; mais il n'eft pas difficile d'en découvrir l'injuftice. Pour la quatrieme, quoi que peut-être la plus commune de toutes, elle n'eft pas tant injufte en elle-même, que par rapport aux difpofitions

de

& aux vûes de celui qui la fait. Il est d'ailleurs bien difficile de l'en convaincre; les Motifs étant d'ordinaire impenetrables, ou du moins la plupart des gens prenant beaucoup de foin pour les cacher. Ainfi l'on n'eft pas tenu de reftituer ce que l'on a pris fur l'Ennemi dans une telle Guerre, jufqu'à la concurrence du dommage ou du tort qu'il nous avoit fait. J'ai tiré ceci, à pen près, de Mr. Buddé (dans fa Philofophie Pratique, Part. II. Cap. V. Sect. II. §. 2, & seqq.) Comme il ne fait prefque qu'abréger Grotius, dans tout ceci, je me servirai ici de fon Livre en quelques autres endroits: & par là, auffi bien que par Grotius lui-même, & par l'Abrégé de Officio Hom. & Civis, je fuppléerai, foit dans le Texte, ou dans les Notes, ce qui manque à mon Auteur; qui traite affez legerement tout ce qui regarde le Droit de la Guerre & de la Paix, fans doute parce que Grotius avoit deja prefque épuifé la matière.

(2) Voiez ci-deffus, Liv. I. Chap. III. §. 7, 8. & Grotius, Lib. II. Cap. XXIII. §. 1, 2, 3, 4, 5, 6. Au refte, on demande, s'il peut y avoir une Guerre jufte des deux côtez? Mr. Buddé (ubi fuprà, §. 16.) repond que non, à confiderer la juftice de la caufe en elle-même. Car il implique contradiction manifefte, que deux perfonnes aient également droit l'une de demander, l'autre de refufer une feule & même chofe. Mais il peut arriver que l'un des deux, qui fe font la Guerre, en aiant une raifon très-legitime, l'autre fe trouve dans une ignorance invincible de l'injuftice de fa caufe. En ce cas-là, l'un & l'autre fait justement & légitimement la Guerre; l'ignorance invincible qu'il y a de la part de celui, dent la caufe eft injufte, empêchant que fon action ne puiffe être réputée injufte en elle-même. Mais cela ne fauroit arriver que très-rarement: car ceux qui s'engagent dans une Guerre, examinent ordinairement ou doivent du moins examiner avec beaucoup de foin toutes les raifons de part & d'autre. Voiez Grotius, Lib. II. Cap. XXII. §. 13.

(3) Voiez ci-deffus, Liv. V. Chap. XIII. §. 3. & Grotius, Lib. II. Cap. XXIII. §. 7.

(4) Voiez ci-deffus, Liv. V. Chap. XIII. §. 4, & fuiv. (3) Voiez ci-deffus, Liv. V. Chap. IX. §. 2, 3.

(6) Cette période eft tirée de l'Abrégé de Offic. Hom. &Civ. Lib. II. Cap. XVI. §. 3. Voiez Grotius, Lib. II, Cap. XXIII. §. 11, 12. où il fait ces deux Remarques, qui méritent d'être rapportées. La prémiere, c'eft que quelque affure qu'on foit de la juftice de fa caufe, fi l'on n'a pas en main des titres fuffifans pour convaincre celui qui détient nôtre bien, de l'injuftice de fa poffeffion, on ne peut pas legitimement lui déclarer la Guerre pour ce fujet; parce qu'en ce cas-là on n'a aucun droit de le contraindre à nous céder la chofe qu'il poffe

άς,

demande quelque chofe; toute poffeffion fondée fur quelque titre, rendant fans contredit la condition du pofleffeur plus favorable, que celle de l'autre qui lui contefte fon droit. Il faut auffi confidérer, que c'eft une grande folie & aux Particuliers, & aux Etats, de ne (b) Voiez Ifocrat. pas finir la Guerre au plûtôt, & de s'acharner les uns contre les autres, jufques à ce que pag.154. Ed.min. les (b) maux, qu'ils le font faits réciproquement, les aient mis dans l'impuillance de con

Orat. ad Philipp.

Parif.

de la Guerre.

XXII. §. 5, & fuiv.

tinuer les actes d'hoftilité.

Enumération §. V. GROTIUS (a) fait une exacte énumération des caufes injustes de la Guerre, dont des caufes intuftes les unes font telles inconteftablement; au lieu que les autres ont quelque apparence de rai(a) Lib. II. Cap. fon, quoi qu'affez légére. Les prémiéres peuvent être rapportées à deux principales, favoir l'Avarice, ou le défir d'aquérir des chofes fuperflues; & l'Ambition, ou le défir d'étendre fa domination, & d'aquérir de la gloire (1) par des Conquêtes. On cache ordinairement avec beaucoup de foin l'Avarice, qui eft regardée comme la marque d'une ame baffe: mais plufieurs tirent vanité de leur Ambition, & veulent faire paffer leur humeur guerriére pour la marque d'une ame grande & d'un courage héroïque. Les autres causes injuftes, mais qui paroiffent avoir quelque fondement, font, par exemple (2), la crainte que l'on a de la puiffance d'un voifin; l'utilité feule qui peut revenir de la Guerre, fans aucun droit de l'entreprendre; l'envie de s'établir dans un endroit plus commode; le refus de ce que l'on nous doit purement & fimplement en conféquence de l'Obligation qu'impofent les Vertus diftinctes de la Juftice proprement ainfi nommée; le defir d'ôter une chofe à quelcun, qui nous paroit indigne de la pofléder; l'envie de fe délivrer de l'incommodité qu'on reçoit d'un droit d'autrui légitimement aquis; & autres femblables pré

textes.

A l'égard de la crainte ou de l'ombrage que donne la puiflance ou l'aggrandiffement d'un voilin, cette raifon toute feule ne fournit un jufte fujet de Guerre, que quand on a une certitude Morale des mauvais defleins qu'il forme contre nous. Un fimple foupçon peut bien nous obliger à prendre nos précautions, & à nous mettre de bonne heure en état de défense: mais il ne nous donne aucun droit d'attaquer, pas même pour demander fimplement à celui, qui nous eft fufpect, quelque fûreté réelle, comme on parle, à la faveur de laquelle on fe croie déformais à couvert de fes infultes (3). En effet, tant qu'on n'a

de. Du refte, file poffeffeur eft de mauvaise foi, quand
même on auroit perdu les actes qu'il feroit néceffaire de
produire devant des Arbitres; cela ne diminueroit rien
de nos prétenfions. & n'empêcheroit pas qu'on ne pût
pourfuivre fon droit par les armes; comme nôtre Auteur
l'a dit ci-deffus, Liv. V. Chap. XIII. §. 8. L'autre re-
marque de Grotius, c'eft que, quand le droit est dou-
teux de part & d'autre, fi aucune des Parties ne poffede
la chofe conteftée entr'elles, ou qu'elles la poffédent
toutes deux également; il faut alors en venir à un par-
tage; & celui qui refufe cet expédient, doit être tenu
pour injufte & pour ennemi de la Paix.

§. V. (1) Au lieu que tous les Princes devroient avoir
inceffamment devant les yeux cette maxime que Phi-
Lifcus propofoit à Alexandre le Grand fon Difciple:
Δόξης φρόντιζε, ἀλλὰ μὴ ἔσο λοιμὸς, καὶ μὴ μεγάλη ναυ
•, anna sipáva aj vyria.,, Recherchez la Gloire,
,, mais que ce foit en vue de porter par tout la paix & la
,, profperité, & non pas pour être un grand fleau du
,, Genre Humain. Elian. Var. Hift. Lib. XIV. Cap. XI.
Car, ajoûtoit nôtre Auteur, quoi que Dieu envoie or-
dinairement la Guerre aux Hommes, pour purger, s'il
faut ainfi dire, la Terre, & décharger le monde d'une
trop grande multitude d'habitans, comme un ancien
Poëte l'a remarqué :

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point

fondez à croire, que, pourvû que la Guerre eût été déclarée enfuite d'une délibération du Sanhedrin, ils pouvoient attaquer les autres Peuples, les dépouiller de leurs biens, & les fubjuguer, uniquement pour augmenter la gloire & les conquêtes du Peuple d'Ifraël. Selden. de J. N. & G. fecund. Hebr. Lib. VI. Cap. III. & XII. Ajoûtons ici un beau paffage de Ciceron, fur les fauffes idées que l'on a des Conquérans. Sed ea animi elatio, qua cernitur in periculis & laboribus, fi juftitia vacat, pugnatque non pro falute communi, fed pro fuis commodis, in vitio eft. non enim modo id virtutis non eft, fed potiùs immanitatis, omnem humanitatem repellentis. » Si cette ,, grandeur d'ame, que l'on fait paroître à foûtenir les ,, travaux, & à s'expofer aux perils les plus affreux, n'eft accompagnée d'un grand fonds de juftice; & fi on l'emploie pour foi-même & pour fes avantages ,, particuliers, au lieu de l'emploier pour le bien com,, mun; bien loin que ce foit une Vertu, c'eft un Vice; ,, c'est une ferocité toute pure, qui étouffe tous les fentimens de l'humanité. De Offic. Lib. I. Cap. XIX. J'ai fuivi le dernier Traducteur.

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(2)

Fuit hac menfura timoris:
Velle putant quodcunque poteft.

Lucan. Pharfal. Lib. III. v. 100, 101.
Voiez ce que l'on a dit ci-deffus, Liv. II. Chap. V. §. 6.
Aurefte j'ai tiré de l'Abrégé (de Offic. Hom. &Civ. Lib.
II. Cap. XVI. §. 4.) cette énumération des Caufes Injuf-
tes de la Guerre: car l'Auteur fe contentoit de renvoier
ici à Grotius.

(3) Aulu-Gelle remarque, qu'il n'en eft pas ici comme d'un combat de Gladiateurs, dans lequel il faut mou

point été actuellement offenfé par quelcun, & qu'on ne le furprend pas dans une machination manifefte; (car on peut quelquefois tirer raifon par les armes d'une injure feulement commencée, auffi bien que fi elle étoit achevée) en ce cas-là on doit préfumer qu'il continuera à s'aquitter de fon devoir, fur tout lors qu'il nous en fait mille proteftations amiables, & qui paroiffent fort fincéres. Ainfi il feroit injufte d'exiger par force d'un tel homme quelque fûreté réelle, pendant que lui eft obligé de fe fier uniquement à nôtre bonne foi. Mais, pofé qu'il y aît d'ailleurs un jufte fujet de prendre les armes contre un voisin, qui devient trop puiflant; cette raifon doit entrer en grande confidération, lors que l'on délibére fi on lui déclarera la Guerre (b); l'expérience faifant voir, que la plupart des gens de- (b) Voiez Polyb. viennent plus ambitieux & plus entreprenans, à mesure qu'ils aquiérent des forces. Pour ce qui eft de l'utilité toute (c) feule, il faudroit être bien impudent, pour préten- Lib. p. 32. Ed. dre qu'elle donne fur le bien d'autrui le même droit, que la néceffité; d'autant mieux Steph. Senec. Oequ'il feroit au fond très-inutile au Genre Humain, de permettre à chacun d'enlever à au- Herodes, Orat. de trui tout ce qui l'accommoderoit, & qu'il trouveroit à fa bienféance, puis que les autres R. Goth. Lib. à leur tour s'attribueroient la même liberté à fon égard. Il faut dire la même chofe des autres prétextes, dont parle Grotius.

Je ne faurois approuver non plus ce que dit un fameux (4) Chancelier d'Angleterre, qui foûtient, que la coûtume qu'ont les Américains d'immoler des Hommes à leurs fauf fes Divinitez, & de manger de la chair humaine, eft un fujet fuffifant de déclarer la Guerre à ces Peuples,' comme à des gens profcrits par la Nature même. Pour bien décider cette question, il faudroit examiner diftinctement 1. Si un Prince Chrétien peut attaquer les Indiens fimplement parce qu'ils fe nourriffent de chair humaine comme (5) de toute autre viande, ou parce qu'ils mangent ceux de leur Religion, ou parce qu'ils mangent les Etrangers? 2. A l'égard des derniers, il faut confidérer, s'ils vont dans les Indes en qualité d'Ennemis & de Corfaires, ou feulement comme des gens qui veulent y entrer, & y voiager honnêtement, fans avoir deffein d'y faire aucun mal, ou qui y ont été jettez par la tempête? Car ce n'eft que dans le dernier cas qu'ils ont droit de faire la Guerre à ces Peuples fauvages, qui traitent leurs compagnons d'une maniére fi cruelle & fi barbare.

L.I. C.LXXXIII.
App. Alex. in

dip. v. 542, 543.

Repub.

Hift.

IV. Bacon. Serm. fid. Cap. XIX. Cumberl. de Leg.

Nat. Cap. II. §. 15. in fin.

(c) Voiez Thu

d. Lib. I. Cap.

LXXVI. Ed. Oxon.

ftratagêmes con

§. VI. QUOI QUE la terreur & la force ouverte foit le caractére propre de la Guerre, Il eft permis d'u& la voie la plus commune dont on fe fert, il eft permis néanmoins d'emploier la rufe & fer de rufes & de l'artifice, (1) contre un Ennemi, pourvû qu'on le faffe fans perfidie, & fans violer ce que tre un Ennemi. l'on a promis. C'eft ce qu'un ancien Capitaine appelle, (2) condre la peau de Renard à

rir, ou tuer fon homme: les dangers, où l'on eft expofé de la part d'autrui, ne font pas fi inévitables, que f'on doive faire une injuftice, pour prévenir celle que l'on peut recevoir. Gladiatori compofito ad pugnandum pugne hac propofita fors eft, aut occidere, fi occupaverit, aut occumbere, fi ceffaverit. Hominum autem vita non tam iniquis, neque tam indomitis neceffitatibus circumfcripta eft, ut idcirco prior injuriam facere debeas, quam nifi feceris, pati poffis. Lib. VII. Cap. III.

(4) Nôtre Auteur cite ici Bacon, de augmentis Scientiarum, pag. 348. Je ne fai de quelle Edition il fe fervoit: mais je ne trouve nulle part ce paffage, dans l'Edition d'Amfterdam 1652. quoi que je l'aie toute parcourue d'un bout à l'autre, & là tous les endroits qui avoient quelque rapport avec la chofe dont il s'agit. Je ne doute pas qu'ici, comme il fait quelquefois ailleurs, il n'aît cite un Ouvrage pour l'autre, ou peut-être même un Auteur pour l'autre. A l'égard de la chofe en ellemême, voicz la Note fuivante.

(5) Si ces Anthropophages mangeoient feulement la chair des Créatures humaines qui meurent de mort naturelle, ou qui ont été tuées par d'autres qu'eux ; quelque fauvage & barbare que fût une telle Coutume, elle ne donneroit aucun droit de les attaquer pour ce feul fujer. Mais puis qu'ils égorgent eux-mêmes des CréatuTOM. II.

celle

res humaines, pour les manger, ou pour les facrifier à
leurs Idoles; c'eft une chofe fi cruelle, fi contraire à
l'Humanité, fi deftructive de la Société & du Genre Hu-
main, qu'on ne peut que regarder comme jufte & loua-
ble une Guerre qui tendroit à en abolir l'ufage, quand
même ces gens-là ne le pratiqueroient qu'entr'eux, &
qu'ils épargneroient les Etrangers. Si nôtre Auteur foû-
tient le contraire, c'eft qu'il raifonne toûjours fur un
principe, dont nous avons prouvé ailleurs la faufseté.
Voiez la Note 1. fur le §. 3. de ce Chap. & Chap. III. §. 4.

Not. 3.

§. VI. (1) Agefilas difoit, qu'il y a de l'impiété à violer injuftement ce que l'on avoit promis par un Traité; mais qu'il n'eft pas moins jufte & glorieux, que doux & utile, de tromper un Ennemi. "Epa tois pinois, ̓Αποσπεισάμψον μὺ ἀδίκως, ἀσεβες· τις ἢ πολεμίες σας ραλογίζεις, ε μόνον δίκαιον καὶ ἐπίδοξον, ἀλλὰ καὶ ἡδύ

negdanov. Plutarch. Apophthegm. Lacon. pag. 209. B. Voiez ci-deffus, Liv. IV. Chap. 1. §. 19. & Grotius, Lib. III. Cap. I. §. 6. comme auffi la Cyropédie de Xénophon,

Lib. I.

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2

actes d'hoftilité?

celle de Lion. Ainfi on peut tromper l'Ennemi par de faufles nouvelles, & des difcours inventez à plaifir: mais on ne doit jamais violer ce à quoi l'on s'eft engagé envers lai par quelque Promeffe, ou par quelque Convention.

Jufques où l'on §. VII. POUR ce qui eft de la force ouverte, que l'on exerce contre l'Ennemi, ou en peur porter les fa personne, ou en fes biens, il faut diftinguer le droit que l'on a contre lui purement & fimplement en vertu de l'état de Guerre, d'avec les tempéramens que la Loi Naturelle de la Douceur & de l'Humanité nous prefcrit d'apporter aux actes d'hoftilité. Comme par le Droit Naturel, la pratique des Devoirs de la Paix doit être réciproque; celui qui les viole le prémier à nôtre égard, nous dispense, autant qu'en lui eft, de les obferver désormais envers lui; & par cela feul qu'il fe déclare nôtre Ennemi, il nous autorise à agir contre lui par des actes d'hoftilité pouffez à l'infini, ou auffi loin qu'on le jugera à propos: d'autant mieux que l'on ne pourroit jamais obtenir la fin qu'on fe propofe dans les Guerres, tant Offenfives, que Défenfives, fi l'on étoit obligé de s'en tenir à certaines bornes, au delà defquelles il ne fût point permis d'aller, & de ne fe porter jamais aux derniéres extrémitez contre un Ennemi. C'est pourquoi les Guerres déclarées dans les formes renferment une espece de Convention, qui fe réduit à ceci : Faites contre moi ce que vous pourrez; je ferai contre vous de mon côté tout ce qui me fera possible. Cela a lieu non feulement lors qu'un Ennemi travaille à nous perdre entiérement, mais encore lors qu'il ne veut nous faire du mal qu'à un certain point. Car il n'a pas plus de droit de nous faire la moindre injure, que la plus grande. Ainfi l'on peut agir contre lui non feulement jufques à ce que l'on fe foit mis à couvert du danger dont il nous menaçoit, ou que l'on aît recouvré ce qu'il nous avoit enlevé injuftement, ou que l'on fe foit fait rendre ce qu'il nous devoit, mais encore jufques à ce qu'il nous aît donné de bonnes fûrerez pour l'avenir: car cela feul qu'il faut les lui arracher par la voie des armes, montre bien qu'il eft encore dans la difpofition de nous faire du mal à la prémiére occafion qu'il en trouvera. Et il n'eft pas toujours injufte de rendre plus de mal, qu'on n'en a reçû. Car pour ce que difent quelques-uns, qu'il faut garder en cela une jufte proportion; cette maxime n'a lieu que par rapport aux Tribunaux, dans lefquels un Supérieur inflige des Peines à ceux qui dépen. dent de lui. Mais les maux que l'on caufe à quelcun par droit de Guerre, ne font pas des Peines proprement ainfi nommées: car on ne les fouffre pas en vertu de la fentence d'un Supérieur confidéré comme tel, & ils ne tendent pas non plus directement à corriger l'Offenfeur, & à détourner les autres du Crime par fon exemple, mais uniquement à la défenfe de la perfonne lézée, & au maintien de fes droits. Or, quoi qu'on puiffe, pour cet effet, mettre légitimement en ufage tous les moiens qui nous paroiffent les plus propres, contre un injufte Offenfeur, qui, par fes infultes, nous a mis en droit de pouffer à l'infini les actes d'hoftilité, fans lui faire aucun tort, jufques à ce qu'on en vienne avec lui à un accommodement la Loi de l'Humanité met néanmoins des bornes à l'ufage de ce droit. Elle veut que l'on confidére non feulement fi tels ou tels actes d'hoftilité peuvent être exercez contre un Ennemi, fans qu'il aît lieu de s'en plaindre, mais encore s'ils font dignes d'un Vainqueur humain, ou même d'un Vainqueur généreux. Ainsi, autant qu'il eft poffible, & que nôtre défenfe & nôtre fûreté avenir nous le permettent, il faut fuivre, dans les maux qu'on fait à un Ennemi, les régles que les Tribunaux Politiques obfervent dans la punition des Crimes, & dans la taxe des dommages & intérêts. Souvent même nôtre propre intérêt nous oblige à tempérer la rigueur des droits de la Guerre, de peur que, comme les armes font journalières, nous n'éprouvions à nôtre tour le même traite(a) Voiez Diod. ment (a) que nous aurons fait à un Ennemi. Au refte, fi l'on veut favoir en quoi consistent ces tempéramens, auffi bien que l'étendue des droits de la Guerre, & par rapport à (1) l'En

Sic. Lib. X. Cap.
XLVII. Virgil.
An. X, 533. An-
ton. Gratian. de
Bell.Cypr. Lib.V.

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