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mettent à leurs Malades quelques petites chofes, pour les rendre obéisfans dans les grandes.

Grotius (e) ajoûte à cela les Péchez qui ne regardent ni directement ni indirectement la (c) Ubi fuprà; Société Humaine, ou à la punition defquels aucun Homme n'a intérêt. Car, dit-il, rien n'em- §. 20, num. I. pêche qu'on n'en laiffe la vengeance à Dieu, qui a une Connoiffance infinie pour les appercevoir; une fouveraine Equité, pour les juger; & une Puiffance fans bornes, pour les punir. Ce feroit donc mal à propos que les Tribunaux Humains puniroient de tels Péchez, puis qu'il n'en reviendroit abfolument aucune utilité. Mais je doute, fi, à la referve des fimples penfées, il y a quelque Péché qui ne tende ni directement, ni indirectement au préjudice de la Société Humaine.

(f) Voiez la Ler tre de Tibére,

dans Tacite, Ann. III, 53. & Senec.

de Clement. Lib.I. Cap. XXII.

3. Il vaut mieux dire que les Loix Civiles ne donnent pas action en Juftice pour certai nes choses vicieuses en elles-mêmes, & ne les puniffent pas, pour le repos de l'Etat, on pour quelque autre raison; comme, afin que la pratique des chofes oppofées foit plus glorieufe & plus louable, par l'entiére liberté avec laquelle on s'y porte; ou afin que les Juges n'aient pas la tête rompue d'une infinité de procès, ou pour des affaires de peu de conféquence; ou parce que la chofe eft d'une très-difficile difcuffion; ou à caufe que le mal eft (f) fi fort enraciné, qu'on ne fauroit entreprendre d'y remédier fans troubler l'Etat. 4. Enfin, il faut néceffairement laiffer impunis les Vices produits par un effet de la corruption générale du Genre Humain, comme l'Avarice, l'Ambition, l'Inhumanité, l'Ingratitude, l'Hypocrifie, l'Envie, la Médifance, l'Orgueil, la Colére, les Animofitez, & autres femblables Paffions, qui font fi communes (5), qu'on feroit réduit à la néceffité de détruire entiérement un Etat, fi l'on vouloit punir rigoureufement tous ceux qui y font fujets, tant qu'elles ne les portent pas à des actions trop éclattantes, & à des excès énor mes. Il n'y a que les motifs de la Religion Chrétienne qui puiffent efficacement détourner ou guérir les Hommes de ces fortes de Vices, & ce font auffi ceux-là que Nôtre Seigneur Jefus-Chrift travaille fur tout à déraciner par la fainteté de fes Préceptes. §. XV. ON n'eft pas même toûjours obligé de punir fans rémillion (a) les Péchez qui si l'on peut queld'ailleurs font puniffables par eux-mêmes devant le Tribunal Humain. Les Stoïciens, qui foûtenoient le contraire, n'ont allégué que de très-foibles raifons. Un homme fage, difoient- (a) Voiéz Grotius, ils, (b) ne pardonne jamais à perfonne: car lors qu'on pardonne, on doit fuppofer en même ubi suprà, S. 21. celui qui a péché n'eft point coupable; or quiconque péche, le fait par malice. Il (b) voiez Stob.

tems que cel fens de ce raifonnement fe réduife à ce Dilemine: Celui qui a péché, ou eft`

femble que le
coupable, on ne l'eft pas. S'il n'eft point coupable, il n'a point commis de véritable Péché,
puis que tout Pécké fe commet par malice; & par confequent il n'a pas besoin de pardon. S'it
eft coupable, on ne peut pas lui faire grace, puis qu'on ne pardonne que les (1) fautes invo
lontaires. Mais qui ne voit que c'eft là une manifefte pétition de principe? Un homme de
bien, ajoûtent-ils, n'est point doux & clément: car la Clémence confifte à ne pas punir un
Coupable felon qu'il le mérite; or on doit indifpenfablement rendre à chacun ce qu'il mérite.
Mais la maxime, qu'il faut néceffairement rendre à chacun ce qu'il mérite, n'a lieu qu'en
matiére des Biens; car, quand il s'agit d'un Mal, qui ne tend pas à l'avantage de celui-là
même qui le fouffre, on peut fort bien le lui épargner, fans commettre aucune injuftice.
La Clémence, difent-ils encore, fuppofe que l'on trouve trop rigoureuses les peines portées
par les Loix, ou que l'on accufe le Législateur d'établir des peines contre ceux qui ne le mé-
ritent pas. Mais rien n'empêche qu'on ne relâche quelquefois légitimement la Peine por-
tée par la Loi, toute jufte qu'elle eft. Car les Loix réglent en général de quelle maniére

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§. XV. (1) L'Auteur dit le contraire, dans toutes les
Editions: quod illa: utique conveniat delictis fpontaneis.
Mais on voit bien que le raifonnement demandoit non
Spontaneis; comme je l'ai exprimé.

YY 3

(2) Ve

quefois faire

grace?

Serm. XLIV.

:༡

Comment on peut pardonner,

avant qu'il y ait des Loix Pena(a) Lib. II. Cap.

les?

XX. §. 21, 22.

chaque Crime doit être puni,' fans confidérer les circonftances particuliéres ou extraordi-
Or on ne fait gra-
naires des tems, des perfonnes, de la fituation des affaires de l'Etat.

ce que pour certaines raifons, qui n'ont pas toujours lieu, ni à l'égard de tous ceux qui
peuvent commettre le même Crime. Senéque fe fert d'une autre preuve, qui n'eft pas plus
folide: (2) Faire grace, dit-il, c'eft remettre la Peine qui étoit dûe; or le Sage fait toujours
ce qu'il doit faire. Mais il y a ici un jeu de mots. Car, fi cette maxime, la Peine eft due
an Compable, s'explique en ce fens, que l'on ne fait point de tort à un Coupable, & qu'il
n'a pas fujet de fe plaindre, lors qu'on le punit; il ne s'enfuit point de là, qu'en lui fai-
fant grace, on manque à fon Devoir, puis qu'il y a bien des chofes permifes & légitimes,
que l'on n'eft pourtant pas toujours indifpenfablement obligé de faire. D'ailleurs, comme
quand on dit, que la Peine eft due au Coupable, cela ne fuppofe en lui aucun droit, qui
impofe au Souverain l'Obligation de le punir; (car perfonne ne fe plaint qu'on lui aît fait
grace, à moins qu'il ne s'agifle de fimples corrections, qui, pour être négligées par l'in-
dulgence de ceux qui ont la direction de la Jeuneffe, laiffent former dans les Enfans de
mauvaifes habitudes, qu'ils confervent étant hommes faits) on ne peut pas dire non plus,
que le Coupable doive fubir la Peine, c'est-à-dire, être indifpenfablement tenu de s'y foû-
mettre, même de fon pur mouvement; comme nous l'avons fait voir ci-deffus. Que fi
l'on veut dire, que la Peine eft dûe par le Sage, c'est-à-dire, qu'il eft obligé de punir; je
répons à cela, prémiérement, que perfonne ne peut être tenu de punir, fi ce n'eft les
Miniftres des Loix, ou Publics, ou Particuliers. De plus, l'Obligation où font les Sou-
verains à cet égard ne regarde pas les Coupables, mais tout l'Etat ou toute la Société,
dont ils doivent procurer la confervation & l'avantage, par divers moiens, au nombre
defquels eft la punition des Méchans. Lors qu'ils ont trop d'indulgence, ils ne font par là
aucun tort à ceux qu'ils épargnent; ils violent feulement les engagemens où ils font en-
vers tout le Corps de l'Etat. Mais le bien même de l'Etat permet & demande même que
l'on faffe grace quelquefois, pourvû que ce foit à propos.

Il faut

§. XVI. GROTIUS (a) dit, que le Pardon, auffi bien que la Peine, peut avoir lieu, on avant qu'il y ait des Loix Pénales, ou depuis qu'elles font établies. Pour ce qui eft du prémier tems, la chofe mérite d'être bien expliquée car c'eft une maxime commune, que là où il n'y a point de Loi, il n'y a non plus ni Crimes, ni Peines, ni Pardon; & par Loix Pénales on n'entend pas feulement celles qui font accompagnées de menaces expreffes d'une certaine punition, mais encore celles qui laiffent à la prudence du Juge le foin de déterminer la nature & le degré de la Peine qu'encourront les contrevenans. donc favoir, que, dans les Etats où il n'y a point de Loix écrites, les Loix Naturelles tiennent lieu de Loix Civiles, felon lefquelles on adminiftre la Juftice, & dont les Juges puniflent la violation par des Peines arbitraires. Mais, dans les Etats même où il y a des (b)Voiez Lycurg. Loix écrites, comme il eft impoffible que les Légiflateurs expriment tous les cas (b) que Orat, contra Leo la malice humaine peut faire naître, les maximes de la Raifon & de la Loi Naturelle font un perpétuel fupplément des Loix Civiles; & lors que la Peine n'eft pas expreffément marquée dans la Loi, c'eft au Juge à la décerner comme il le juge à propos. Voilà de quelle maniére on peut punir, avant qu'il y ait des Loix Pénales; & c'eft ainfi qu'il faut expliquer les paroles fuivantes d'un ancien Orateur (1) Aucune Loi, dit-il, n'a fon effet pour le paffe, à moins qu'elle ne regarde une chofe mauvaise & infame par elle-même, & dont

Grat.

(2) Venia eft pana merita (ou, comme il dit plus bas, debita) remiffio..... Sapiens autem nihil facit quod non debet. De Clement. Lib. II. Cap. VII. Voiez Cicer. Orat. Pro Marana, Cap. XXIX. Mais tout cela n'étoit qu'une difpute de mots, indigne d'un Philofophe. Le Sage, felon les Stoiciens, ne pardonnoit pas, inais épargnoit. La belle fubtilité! Ecoutons Senéque lui-même: Parcit enim Sapiens, confulit & corrigit. Idem facit, quod fi ignofceret, aec ignofcit..... De verbo (ut mea fert opinio) controver

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Quaft. III. Cap.

Cap. XXIV. §. 2.

on devroit par conféquent s'abstenir avec beaucoup de foin, quand même elle ne feroit pas défendue par la Loi. Or, quoi que, dans un Etat où l'on ne voit point de Loix écrites, le Souverain aît certainement le pouvoir de punir les Méchans; il n'eft pas pour cela dans une Obligation indifpenfable de punir tous ceux qui ont commis quelque Crime. Cela dépend de la liaison qu'il y a entre la Peine, & les fins pour lesquelles elle a été établie. Si donc, en certains cas, ces fins ne font pas moralement néceffaires (c), comme, s'il (c) Voiez Gra e paroit pas à propos de publier un certain Crime; ou s'il fe préfente de l'autre côté des tan. Cauf. XXIII. fins qui ne font pas moins avantageufes ou néceffaires, je veux dire, fi en faifant grace on xvIII. XXIV. & peut procurer autant ou même plus d'utilité; enfin fi l'on peut obtenir plus commodément Grotius, Lib. II. par une autre voie ce que l'on fe propofe dans la Punition des Crimes: rien n'oblige alors précisément & indifpenfablement à punir. Pour donner un exemple du prémier cas, lors qu'un Péché (d) n'eft connu que de très peu de gens, il n'eft pas néceflaire, & quelque- (d) voiez le confois même il feroit dangereux de le publier, en le puniffant. Car plufieurs s'abftiennent de feil de Mécénas à faire du mal plûtôt par l'ignorance (2) du Vice, que par la connoiffance & l'amour de la Dion Caffius, Lib. Vertu, de forte que la punition d'un Crime, dont ils n'avoient point oui parler, bien loin LII. Apulée, Me. de les détourner d'en commettre de femblables, les y porteroit au contraire par un effet de cette curiofité infenfée que l'on a pour tout ce qui eft nouveau, & du panchant que l'on fent à faire ce qui nous eft défendu. C'eft la raison pourquoi (3) Solon n'avoit point fait de Loi contre le Parricide, de peur, difoit-il, qu'il ne femblât vouloir faire prendre envie de commettre ce crime, plûtôt que le défendre. Pour le fecond cas, on peut alléguer l'exemple d'un homme, qui demande grace en faveur de fes fervices, ou de ceux de fes Parens ou de fes Ancêtres, qui méritent récompenfe (e). Car il eft quelquefois auffi uti- (e) Voiez Procop le, ou même plus avantageux à l'Etat, de récompenfer certaines belles actions, que de Hift. Vandal.Lib. punir certains Crimes. Et une injure est effacée par un bienfait reçû non feulement (4) de

(2) C'est ce que Justin dit des Scythes, par oppofition aux Grecs, dans un paffage que nôtre Auteur a deja cité ailleurs, Liv. II. Chap. III. §. 7. Not. 5.

(3) Ce n'eft pas la raifon que Solen en alléguoit luimême: car il répondit feulement, qu'il ne croioit pas que perfonne fût capable de commettre un fi horrible Grime. Ερωτηθείς διὰ τὶ καὶ πατροκτόνα νόμον ἐκ ἔθηκε ; dia To dTiTical. Diog. Laert. Lib. I. §. 59. Ed. Amft. Mais Ciceron, dont notre Auteur emploie les propres termes, fans le citer, dit que l'on a regardé ce filence du Législateur comme un grand trait de prudence, en ce qu'il ne défendit pas une chose, dont on n'avoit point encore và d'exemple, de peur que, s'il en parloit, il ne femblât avoir deffein d'en faire prendre l'envie, plû tôt que d'en détourner ceux à qui il donnoit des Loix. Is cum interrogaretur, cur nullum fupplicium conftituiffet in eum, qui parentem necaffet, refpondit, fe id neminem facturum putaffe. Sapienter feciffe dicitur, cùm de co nihil fanxerit, quod antea commiffum non erat, ne non tam prohibere quam admonere videtur. Orat. pro Sext. Rofc. Amer rin. Cap. XXV. Senéque remarque la même chofe, pour confirmer ce qu'il dit judicieusement, que fouvent les punitions trop fréquentes ne font que rendre le Crime plus commun, & qu'il eft dangereux de publier le grand nombre de Méchans qu'il y a dans l'Etat. Præterea videbis ea fæpè committi, qua fæpè vindicantur.... Summâ ... prudentià altiffimi viri, & rerum natura peritiffimi malverunt, velut incredibile fcelus, & ultra audaciam pofitum præterire, quàm, dum vindicant, oftendere poffe fieri. Itaque parricida cum Lege cœperunt, & illis facinus pœna monftravit..... Periculofum eft, mihi crede, oftendere Civitati, quanto plures mali fint. Le Philofophe en allegue à fon difciple un exemple domeftique. Vôtre Pére, lui dit,, il, a fait punir plus de parricides en l'efpace de cinq ,, ans, qu'on n'en avoit puni dans tous les fiécles paffez. Pater tuus plures intra quinquennium culleo infuit, quàm

Augußte, dans

tamorph. Lib.X. pag. 319. Ed. in ufum Delphini. Busbeq. Epift.III.

11.

la Harangue de

puis, Germain.
omnibus faculis infutos accepimus. De Clement. Lib. I.
Cap. XXIII.

(4) Les termes, dont l'Auteur fe fert, font voir qu'il
a en vue un paffage de Senéque, rapporté par Grotius,
§. 22. num. I. Mais comme ce grand Homme l'a cité
apparemment par mémoire, (car il ne marque pas feu-
lement le Traité où il fe trouve) il change & renverse
entiérement la penfee du Philofophe Stoïcien, en écri-
vant injuria, au lieu d'injuriam; & je fuis furpris que
cette inadvertence n'ait pas été relevée par Gronovius.
Senéque traite cette question, fi l'on eft obligé à quel-
que reconnoiffance envers une perfonne, qui, après
nous avoir rendu fervice, nous a depuis fait une injure?
& il conclut que l'Injure efface le Bienfait paffe. Quo-
modo fi quis fcriptis noftris alios fupernè imprimat ver
fus, priores litteras non tollit, fed abfcondit: fic benefi-
cium SUPERVENIENS INJURIA apparere non pa
titur. De Benefic. Lib. VI. Cap. VI. in fine. Grotius au
contraire lui fait dire, que les Bienfaits effacent l'In-
jure. Pour illuftrer cette derniére maxime, il auroit
mieux valu alléguer un paffage de Ciceron, auquel Gro-
novius renvoie dans fes Notes; lors que ce grand Ora
teur dit, que, quand même Céfar fe feroit laiffe aller
à quelque chofe de contraire aux Loix, on devroit l'ou-
blier en confideration des belles chofes qu'il avoit faites
depuis. Si jam violentior aliquâ in re C. Cæfar fuiffet, fi
eum magnitudo contentionis, ftudium gloria, praftans ani-
mus, excellens nobilitas aliquo impuliffet.... maximis re-
bus, quas poftea geffit, obliterandum. Orat. in Vatin.
Cap. VI. Ajoutons cette Loi du Digefte, qui veut que
l'on faffe grace à un Transfuge qui a pris depuis un
nombre confidérable de Brigands, ou découvert plufieurs
autres Transfuges. Qui transfugit, & poftea multos la-
trones adprehendit, & transfugas demonftravit, poffe ei
parci D. Hadrianus refcripfit. Lib. XLIX. Tit. XVI. De
re militari, Leg. V. §. 8.
(s) Voiez

puis, mais encore (5) auparavant. Un exemple du dernier cas, c'eft lors que le Coupa ble (6) s'eft corrigé fur une fimple réprimande, ou qu'il a fait fatisfaction de bouche & donné des fùretez pour l'avenir à la perfonne offenfée; fans que d'ailleurs le Crime foit d'un exemple contagieux. D'où il paroit, pour le dire ici en paffant, jufques où font valables les (7) Tranfactions faites avec un Accufateur, ou avec la perfonne lézée, au fujet d'un Crime puniffable par les Loix. Car ordinairement il eft permis à l'Accufateur, ou à la perfonne lézée, de décharger de la Peine pour ce qui regarde leur intérêt particulier, fans préjudice néanmoins de l'intérêt public. Ainfi les Conventions des Particuliers peuvent bien rendre la Punition non-néceflaire par rapport à la feconde fin des Peines, mais non pas par rapport à la troifiéme. On peut rapporter encore ici (8) les Péchez de Feuneffe, comme on parle, que les perfonnes équitables pardonnent ailément à ceux qui s'en (f)Voiez Grotius, corrigent, lors que le feu de l'àge eft paffé. En tous ces cas, la (f) Clémence veut que Lib. II. Cap. XX. l'on panche plus à faire grace, qu'à punir. Car toute Punition, fur tout fi elle est un peu rigoureufe, renfermant quelque chofe qui paroit contraire en lui-même, finon à la Juftice, du moins à l'Humanité & à la Charité; la Raifon permet aifément de s'en abftenir, & veut qu'on s'y porte (9) lentement, & avec mûre délibération. Mais auffi lors que le Coupable eft incorrigible, & l'exemple contagieux (10), une Charité plus grande & plus jufte demande néceffairement qu'on puniffe; & c'eft une cruauté que de pardonner à un Criminel, dont l'impunité tourne au préjudice & à la ruine d'un grand nombre d'Inno

§. 22. num. 2.

En quels cas on

les Crimes com

Loi Pénale?

(a)Voiez Grotius, ubi fupra, §. 24,

cens.

§. XVII. IL paroit plus de difficulté à dire comment on peut pardonner (a), lors qu'il peut pardonner y a des Loix Pénales exprelles, je veux dire, dans lefquelles la Peine eft formellement démis contre une terminée par la Loi; & cela non pas tant parce qu'il femble très-jufte que le Législateur agiffè lui-même conformément à fes Loix, que parce que les Loix perdent beaucoup de leur autorité, lors qu'on en fufpend l'exécution fans de très-fortes raifons: outre que le (b) Voiez Arnob. Magiftrat (b) invite lui-même, pour ainfi dire, au Crime, lors que l'on a autant ou plus Lib. VII. Voiez de fujet de fe promettre l'impunité, que d'appréhender la Peine. Encore donc que toutes ci-deffus, Liv. I. les Loix Humaines dépendent de la volonté du Législateur, & dans leur origine, & dans leur durée; on ne doit ni les abolir, ni les changer, ni en fufpendre l'exécution, fans des raifons confidérables; autrement on péche contre les régles de la Prudence du Gouvernenement. Il paroit même plus dangereux de laiffer impunément violer une Loi à certaines

Chap. VI. §. 17.

(s) Voiez le paffage de Ciceron, que l'on citera fur le paragraphe fuivant, Note 2.

(6) Quifquis vacuus irà, meritam cuique pænam injungit. Dimittit fæpe cum, cujus peccatum deprehendit ; fi pænitentia facti fpem bonam pollicetur; fi intelligit, non ex alto venire nequitiam, fed fummo, quod ajunt, animo inhærere. Dabit impunitatem, nec accipientibus nocituram, nee dantibus. Senec. de Ira, Lib. I. Cap. XVI. p. 20. Ed. Gron. Voiez Arrien, de expedit. Alexand. Lib. VII. & Ariftot. Rhetoric. Lib. II. Cap. III.

1

(7) Voiez Digeft. Lib. II. Tit. XV. De Transactionibus ; comme auffi la Bibliotheque Choifie de Mr. Le Clerc, Tom. IV. pag. 301, & fuiv. & un paffage de Tacite, que l'on a deja cité ci-deffus, Liv. IV. Chap. II. §. 9. Not. 3. C'est une régle generale, que les Conventions des Particuliers n'ont aucune force, lors qu'elles font contrai. res aux droits du Souverain, ou de l'Etat. Privatorum conventio juri publico non derogat. Digeft. Lib. L. Tit. XVII. De diverf. Reg. Juris, Leg. XLV. §. 1. Voiez auffi la Loi XXVII.

(8) Defenfor culpa dicet mihi: fecimus & nos

Hac juvenes. Efto: desisti nempe, nec ultra
Fovifti errarem. Breve fit, quod turpiter audes.
Quedam cum prima refecentur crimina barbà.
Indulge veniam pueris.

C'eft-à-dire, felon la Verfion du P. Tarteron: Quel

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» Damafipe: en avons-nous moins fait etant jeunes? Mais cela n'a pas duré, & vous êtes devenu fage. Les honteux emportemens de la debauche ne fauroient être trop courts. Quand on a vingt ans paffez, plus de libertinage. Je le pardonnerois à de jeunes étourdis. Juvenal, Satyr. VIII, 163, & feqq.

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(9) Nulla unquam de morte hominis cunétatio longa eft. " Quand il s'agit de la mort de qui que ce puiffe être, ,, on ne fauroit trop differer. Juvenal. Satyr. VI, 229. Voiez Plutarch. Quæft. Rom. LXXXII. pag. 283.

(10) Cuneta prius tentata: fed inmedicabile vulnus Enfe recidendum; ne pars fincera trahatur. Ovid. Metamorph. Lib. I. verf. 190, 191. Εὖ γδ ἴσε ὅτι ἡ πρὸς τὰς τοιέτος [πανέργος καὶ κλέπτας] πραότης αύξει καὶ τρέφει τὴν ἐν τοῖς ἀνθρώποις κακίας. Julian. in fin. Mifopogon. pag. 371. Ed. Spanhem.

Plus fape nocet patientia Regis,

Quam rigor: ille nocet paucis, hac incitat omnes,
Dum fe ferre fuos fperant impunè reatus.

Gunther. Ligurin. Lib. I. v. 478, & fegg.

Voiez Tacit. Annal. Lib. III. Cap. L. Appian. Alexandr. in Mithridat. Bell. pag. 250. A. Ed. H. Steph. Sadus, Rofar. Perfic. Cap. VIII. Jacob. Reg. Angl. Donum Regium, Lib. II.

S. XVII.

perfonnes, que de l'abolir tout à fait; puis que, dans le prémier cas, on donne occafion à de grandes plaintes, & l'on fe fait foupçonner d'un injufte acception de perfonnes. Ce-pendant, comme le Souverain peut entiérement abolir une Loi, pour de juftes causes; à plus forte raifon peut-il, lors qu'il en a un fujet valable, fufpendre fimplement les effets de quelque Loi à l'égard de certaines perfonnes, & dans certaines circonftances. Je dis, le Souverain: car pour ce qui eft des Magiftrats fubalternes (1), ils doivent juger invariablement felon les Loix.

Grotius (c) diftingue deux fortes de raisons qui autorisent à exemter quelcun des Peines (c) vbi suprà, portées par la Loi, les unes intérieures, les autres extérieures. Les raifons intérieures con- $. 25, 26, fiftent, felon lui, en ce que la Peine feroit trop rigoureuse par rapport au fait dont il s'agit, quoi que d'ailleurs en elle-même elle n'eût rien d'injufte, puis qu'elle eft formellement & légitimement ordonnée par la Loi. Mais, à mon avis, fi la Peine eft trop rigoureufe, à prendre la Loi dans toute fon étendue, il vaut mieux alors corriger la Loi même, que de faire grace à quelque peu de gens, pendant que les autres font fujets à une punition dure & injufte. Que fi, dans une certaine action, il fe trouve des circonftances particuliéres qui empêchent qu'elle ne foit auffi atroce que la Loi la fuppofoit; l'Equité feule oblige les Juges, non à remettre entiérement la Peine, mais à l'adoucir, fans que par on falle rien contre l'efprit de la Loi. Il vaut donc mieux dire, qu'il n'y a proprement. que des raifons extérieures qui engagent à pardonner; comme font, par exemple (2), les fervices paflez du Coupable, ou de quelcun de fa famille; quelque qualité extraordinaire (3), une rare induftrie, ou quelque autre chofe qui le rend particulièrement recommandable; une grande efpérance qu'il donne d'effacer fon Crime par de belles actions; l'interceffion puiflante (d) de quelques perfonnes de crédit. L'Empereur Adrien diminuoit (d) Voiez T. Lila Peine des Criminels (e) à proportion du nombre d'Enfans qu'ils avoient. Il y en a qui ve, Lib. VIII. ont obtenu grace en faveur de la réputation & de la gloire de leurs Ancêtres, ou à caufe (e) Xiphilin. Equ'ils étoient les feuls qui reftoient d'une Famille illuftre. Toutes ces raifons, & autres pit. Dion. femblables, font encore plus fortes, lors qu'il fe trouve que le fondement ou le motif particulier de la Loi ceffe, du moins dans le fait dont il s'agit. Par exemple, le fondement général des Loix Somptnaires c'est l'autorité & la volonté du Légiflateur, qui doit fuffire, même fans autre raifon: mais le fondement ou le but particulier, c'eft d'empêcher que les Sujets ne fe ruinent par des dépenfes exceffives & fuperflues. Cependant, quoi que la raifon générale de ces Loix fufhile pour rendre fujets à la Peine tous ceux qui les violent, de

§. XVII. (1) C'eft la remarque d'un ancien Orateur : Γινώσκων [ὁ τὸ νόμο κύρι] ὅτι ἄλλη μεν δικας, ἄλλη ο βασιλέως ἀρετὴ καὶ τῷ καί προσήκει ἐπειθς τοῖς νόμοις, τῷ ἢ ἐπανορθῶν καὶ τες νόμες, καὶ τὸ ἀπηνὲς αὐτῶν καὶ αμείλικτον παραδεικνύναι, ἅτε νόμῳ ἐμψύχω ὄντι, καὶ ἐκ ἐν γράμμασιν ἀμεταθέτοις καὶ ἀσαλεύτεις. Themiftius, Orat. XIX. De Humanitate Theodofii, (V. Petav.) pag. 227, 228. Ed. Harduin. Parif. Voiez aufli Lyfias, II. in Alcibiad. Orat. XIII. Cap. III. pag. 259. Ed. Wech. & Digeft. Lib. XL. Tit. IX. Qui & à quibus manumiffi liberi non funt &c. Leg. XII. §. 1. & Lib. XLIX. Tit. VIII. Qua fententia fine appellatione refcindantur, Leg. I. §. 2.

(2) Ciceron renferme la plupart des raifons, dont on parle ici, dans les paroles fuivantes, que nôtre Auteur citoit, & où l'Orateur donne des préceptes à un Défendeur, qui étant convaincu du crinie dont on l'accuse en demande le pardon. Oportebit igitur eum, qui fibi ut ignofcatur poftulabit, commemorare, fi qua fua poterit, beneficia, &, fi poterit, oftendere, ea majora effe, quam hac, qua deliquerit, ut plus ab eo boni, quàm mali, fectum effe videatur: deinde majorum fuorum beneficia, fi qua exftabunt, proferre. Deinde oftendere, non odio, neque crudelitate feciffe quod fecerit, fed aut ftultitia, aut impulfu alicujus, aut honeftà aliqua, aut probabili caufà: poftca polliceri & confirmare, fe & hoc peccato dolłum, & beneficio eorum, qui fibi ignoverint, confirmatum, omni TOM. II.

pro

quel-
à tali ratione abfuturum: deinde fpem oftendere,
tempore
aliquo fe in loco, magno iis, qui fibi concefferint, usui fu-
turum. De Invent. Lib. II. Cap. XXXV. Voiez ci-deffus.
Liv. IV. Chap. I. à la fin, ce que l'on dit, après Ciceron,
de la maniere dont Marc Antoine fit obtenir grace à Mare.
Aquilius. Autrefois, en Angleterre, ceux qui étoient.
convaincus de quelque crime que ce fût, à la referve
du crime de Léze-Majefté, n'étoient condamnez qu'à
une prifon perpetuelle, pourvu qu'ils fuffent lire. Polyd.
Virg. Hift. Angl. Lib. XXVI. Notre Auteur rapporte en-
fuite l'exemple de l'Orateur Hyperide (il dit mal à pro-
pos Lyfias) qui, pour fauver la Courtifane Phryne', ac-.
cufée en Juftice d'un Crime Capital, lui découvrit la
gorge, pour toucher les Juges par la vue de cet objet.
Athen. Lib. XIII. Quintilian. Inflit. Orat. Lib. II. Cap. X.
Mais est-ce là une raifon pour exemter de la feverité
des Loix? J'aimerois prefque autant qu'on approuvât
la grave réflexion du P. Maimbourg, qui difoit un jour
en chaire: Ce fera grand dommage que des Dames fi bel-
les & fi bien faites foient damnées. Défenfe de la Tra-
duct. de Mons, V. Partie.

(3) Ad beftias damnatos, favore populi Prefes dimitte
re non debet: fed fi ejus roboris vel artificii fint, ut dignè
Populo Romano exhiberi poffint, Principem confulere debet.
Dig. Lib. XLVIII. Tit. XIX. De Panis, Leg. XXXI.

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Cap. XXXV.

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