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pofte aux dépens de fa vie; ou que fa vie ne foit manifeftement de plus grande utilité à l'Etat, que ne le feroit ce poste.

quelque autre

toien innocent?

§. V. MAIS que dirons-nous des cas, où l'Etat eft menacé de périr, ou de recevoir Si le Souverain quelque grand échec, s'il ne fe réfout à livrer un de fes Citoiens, pour appaifer la colére retirer à d'un Prince puiffant, qui demande fa vie? Il faut voir ici par quels motifs & pour quelle Puiflance un Ciraison on demande ce Citoien. Car fi c'eft pour quelque crime qu'il a commis, quoi qu'il puiffe peut-être chercher toutes fortes de voies pour échapper aux poursuites de ceux qui le veulent perdre, il doit toûjours prendre garde de le faire d'une manière qui n'attire point de mal ni fur l'Etat, d'où il fort, ni fur celui où il va fe réfugier. Je ne doute pas même, que l'Etat ne puiffe le chaffer, s'il trouve trop d'inhumanité à le livrer à ceux qui le de

Mines, pour le meurtre de fon

Virg. Æn. VI, 20.

(2) Comme t mandent. Que fi, pour tirer vengeance d'un crime public (a), on demande quelques Particuliers, Fils Androgée; qui n'en ont point été les auteurs; comme il n'y a point de ineilleure voie que le Sort, Ovid. Metam. pour décider, entre plufieurs perfonnes égales, quelle doit fouffrir le mal qu'aucune ne VIII, 170. Hygin. mérite plus que l'autre, je ne vois pas pourquoi un Citoien refuferoit de fe foûmettre à tarch. in Thef. cette décifion; à moins qu'il ne fe trouvât quelque Thésée, qui fe chargeât volontairement (b) Voie d'aller tuer le Minotaure.

Fab. XLI. Plu

Libanius, Decl.
XXVII. l'action

ne veux ici ni

que celle de Vir

Live, Lib. III.

Lib. III. Tit. I.

Lib. II. C. XXV.

Declam. CCLIII.

Mais, fi, fans aucun prétexte d'un Crime ni Public, ni Particulier, on demande un Citoien, d'un Pére, que je pour lui ôter la vie, ou pour lui faire fouffrir quelque autre mal plus fàcheux que la mort mê- blâmer me (b): en ce cas-là il eft encore hors de doute, à mon avis, que l'Etat ne doit pas s'ex- fier; mais qui eft pofer lui-même à périr, pour défendre ce Citoien: car cela ne mettroit pas à couvert l'in- plus exculable nocent, qui d'ailleurs n'a aucun droit de prétendre, que l'Etat périfle avec lui, pour le ginius, dans Tit. fauver. Ce pauvre malheureux n'a donc d'autre reffource que dans la fuite, ou dans quel- cap. L. Voiez que coup hardi, où il joue de fon refte. Que fi tous fes efforts font inutiles, & que d'ail- Boecler fur Grotius, Lib.I.Cap.I. leurs il ne lui foit pas permis de fe donner la mort à lui-même, pour éviter le fupplice f. L... cruel & ignominieux qu'on lui prépare; il doit fe réfoudre à fupporter patiemment fon (c) Voiez Digeft. infortune (c), dans laquelle il peut conferver fa confcience pure & nette. Pour ce qui eft de l'Etat, après avoir fait tout fon poffible pour défendre l'innocent, & pour lui four- Leg. I. §. 6. nir les moiens de s'enfuir, ou d'échapper par quelque autre voie, fans que tout cela aît (doiez Grotius, de rien fervi, & fans qu'il puiffe éviter par quelque autre voie le malheur qui le menace §. 3. Quintilians'il continue à protéger ce Citoien; il peut alors l'abandonner, c'est-à-dire, ne point em- Voiez auffi Heropêcher que le Tyran ne s'en faififfe (d). Mais il n'eft, à mon avis, ni jufte, ni néceflaire, dot. Lib. VII. où qu'il le livre pofitivement entre les mains de celui qui le demande, ni qu'il le contraigne il eft parlé de de s'y aller lui-même remettre. Du refte, la vie des Sujets doit être trop chére à l'Etat, pag. 269. Ed. H. pour qu'il la prodigue fans néceffité, afin d'éviter quelque péril incertain, ou de fe procu- Steph. & Marferer quelque avantage peu néceffaire, & un Citoien n'eft pas obligé de répandre fon Cap. XXXIII. fang (e) pour un tel fujet. Ainfi Caiphe appliquoit très-mal une maxiine d'ailleurs vérita- (e) Comme firent ble, lors qu'il prétendoit (f) qu'il fût permis de faire mourir un innocent, pour ôter aux deux freres Ph Romains tout prétexte de s'imaginer que les Juifs ne vouluffent fe rebeller; d'autant mieux lanus, dont parqu'il y a d'autres voies beaucoup plus douces pour prévenir de pareils foupçons. Je ne Bel. Fug.) & fai auffi, fi l'on peut excufer ce que fit (g) Darius, lors que, de concert avec Zopyre, Pomp. Mela,Lib. il lut lailla avoir l'avantage dans trois forties, où il facrifia quelques mille hommes, afin (f) fean, XI, so que ce feint transfuge gagnant par là la confiance des Babyloniens, pût lui livrer enfuite (g) Herodet. Lib. la Ville.

Sperthies & Bulis,

laer, Legat.Lib.I.

fans neceffité les

lent Sallufe, (in

I. Cap. VII.

III. in fine.

§. VI. COMME il eft fouvent néceffaire de donner des (1) Otages, pour fûreté de Des Orages, l'exécution d'un Traité Public; le Souverain peut, de fon autorité, contraindre quelquesuns de fes Sujets à fe mettre pour cette raifon entre les mains de la Puiflance, avec qui l'on traite, s'il ne fe préfente perfonne qui offre d'y aller volontairement. Lors que l'on a af

faire

§. VL (1) Voiez ce que l'on dira encore plus bas, Chap. VIII. §. 6. & Grotius, Lib. III. Cap. XX. §..52 & Segg. TOM. II.

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donnant des Otages à Charles, Duc

de Bourgogne; Phil. de Comines,

Liv. II.

Lib. III. Cap.
XI. §. 18.

faire à un Ennemi fupérieur en forces, qui demande pour Otages précisément certaines perfonnes, il ne femble pas qu'elles puiffent efquiver légitimement. Mais s'il eft indifférent & à l'Etat, & à celui avec qui l'on traite, quels Otages qu'on donne entre plufieurs Citoiens du même ordre; en ce cas-là pour ôter tout fujet de plainte, le meilleur expédient eft de les faire tirer au fort. Que fi les Otages font donnez pour un espace de tems confidérable, il eft jufte de les faire relever par d'autres. D'un autre côté, l'Etat doit indemnifer les Otages, autant qu'il eft poffible, des pertes & de la dépenfe extraordinaire qu'ils font pour être abfens de chez eux, & entre les mains d'une Puiffance étrangère.

On peut demander, fi l'on engage proprement la vie des Orages, ou feulement leur liberté? Il eft clair, que donner des Otages, c'eft comme fi l'on difoit: Nous mettons entre vos mains ces perfonnes, comme les Membres de nôtre Etat qui nous font les plus chers, vous permettant de les traiter comme il vous plairra, fi nous ne tenons ce que nous vous avons (a)Comme firent promis. Quelquefois même (a) on confent en termes exprès, que les Ótages foient punis les Liégeois en de mort en ce cas-là. Comme donc l'infraction du Traité fournit un jufte fujet de déclarer la Guerre à celui qui l'a violé; il eft clair, que dès-lors les Otages peuvent être auffi bien regardez fur le pied d'ennemis, que tous les autres Sujets de l'Etat, dont ils font Membres, & qui la plupart n'ont point contribué perfonnellement à l'infraction du Traité. Auffi a-t-on vû des exemples d'Otages, qui ont été traitez en Ennemis. Plufieurs néanmoins ont trouvé de l'inhumanité à fatisfaire, par la punition de ces pauvres malheureux, le ref(b)Voiez Grotius, fentiment que l'on a d'une injure, dont ils font entièrement innocens (b). En vain quelques-uns difent-ils, que l'intention de ceux qui donnent des Otages, eft de confentir qu'ils portent la peine de l'infraction du Traité. Je ne vois pas, pour moi, comment le but naturel & légitime des Peines peut avoir lieu dans la punition d'un Otage innocent, qui, proprement parler, n'a point confenti à la violation du Traité, mais s'eft feulement engagé à ne pas refufer, en ce cas-là, de fouffrir quelque chofe en la place de ceux qui l'ont donné pour Orage; ce qui par lui-même n'emporte aucun Crime perfonnel. D'ailleurs les Otages ne laiffent pas d'être un gage affez affûré de la bonne foi de celui qui les donne, quoi que, par le Droit Naturel, ils ne foient pas fujets à une Peine proprement dite, pour un Crime, auquel ils n'ont aucune part: car il fuffit que, du moment que le Traité a été enfraint, on puiffe ufer envers eux du droit de la Guerre, & qu'ainfi leur vie dépende de la volonté d'un Ennemi irrité. Malgré tout cela, il vaut mieux dire, à mon avis, que l'Etat n'engage directement que la liberté corporelle des perfonnes qu'il envoie pour Orages. Car aiant, ou devant du moins avoir une ferme réfolution de tenir fa parole; il eft cenfè regarder comme moralement impoffible, qu'il arrive un cas où l'autre Puiflance, avec qui il traite, aît droit de faire mourir les Otages. Et il n'y a point de doute que l'Etat ne leur faffe du tort, lors qu'en fe rendant coupable d'infidélité il les expose à la fureur de l'autre Puiflance, ou qu'il ne les lui donne qu'afin de l'endormir, & de l'attaquer enfuite avec plus de force & d'avantage.

(e) Voiez Ammien Marcellin, Lib. XXVIII. Cap. VI. Died. Sic. Lib. XX.

à

Mais de quelle maniére doit-on fe conduire, lors que celui, à qui l'on a donné les Otages, en abuse pour nous manquer impunément de parole, & pour nous faire des injures atroces, avec menaces de faire mourir les Otages, fi l'on fe met en devoir de repouffer fes infultes? En ce cas-là, fi les injures qu'on reçoit font d'une telle conféquence, qu'il vaille mieux exposer ces innocens, que de laiffer fouffrir patieminent tout l'Etat; on peut, à mon avis, réfifter au perfide Ennemi. Et en abandonnant ainfi les Otages, l'Etat ne leur fait pas plus de tort, qu'il n'en fait aux Soldats en les plaçant dans un pofte, où il leur impofe Cap. LV. Gun- la néceffité de tenir ferme jufqu'à la derniére extrémité, de forte qu'il faut ou qu'ils meurent, ou qu'ils foient faits prifonniers. Les Otages doivent donc alors regarder comme un fimple malheur le cas où ils fe trouvent, & ne point murmurer contre leur Patrie, qui n'a pù le prévoir (c). Cet inconvénient ne diminue rien d'ailleurs des avantages de la Société Civile car de pareils cas n'arrivent que très-rarement, au lieu

ther. Ligurin.

des otages des
Crémonois; &

Borcler, ad Gret.
Lib. I. Cap. I.

P. 102,

que,

que, dans l'Etat Naturel, on eft exposé à tout moment à des inconvéniens auffi fàcheux.

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Du Pouvoir des Souverains fur la vie & fur les biens de leurs Sujets, pour la Punition des Crimes, & des Délits.

5. I.

UTRE le Pouvoir indirect, dont nous venons de parler, le Souverain a encore un Pouvoir direct fur le Corps & fur la Vie, comme auffi fur les biens de fes Sujets, pour caufe de Crimes ou de Délits, & c'eft ce que l'on appelle proprement Droit de vie & de mort: Pouvoir qui d'ailleurs n'eft en rien femblable à celui que DIEU (a) a fur fes Créatures, ni à celui que l'Homme a fur les Bêtes.

D'abord il fe préfente ici une difficulté à réfoudre, favoir, comment les Particuliers ont pû, par les Conventions qui font le fondement des Sociétez Civiles, conférer un tel Pouvoir à l'Etat, ou à ceux qui le gouvernent? En effet la Peine étant un mal que l'on fait fouffrir à quelcun malgré lui; il eft difficile d'expliquer comment on peut fe punir foimême, & par conféquent comment on peut transférer à autrui un Pouvoir que l'on n'a pas. Il ne ferviroit de rien d'alléguer ici les Flagellations des Moines, ou d'autres gens, qui fe donnent la difcipline eux-mêmes, ou de leur pur mouvement, ou en vertu de quelque Régle de leur Religion car ou ce ne font pas des Peines proprement dites, mais feulement des auftéritez que l'on s'impofe foi-même comme un remede propre à mortifier fes Paffions; ou ce font des pénitences que l'on ne fubit que pour obéir à un Prêtre, à qui l'on croit que Dieu a donné pouvoir de nous les impofer. Et en ce dernier cas, ce n'eft pas moins une punition, quoi que le Pénitent fe fouette lui-même de fes propres mains: car il ne le fait que pour éviter un plus grand mal, qu'il s'attireroit, à ce qu'il s'imagine, s'il refufoit d'obéir; de même qu'un (1) Criminel marche au lieu du fupplice, pour ne pas s'y faire traîner.

Mais il est aifé de lever cette difficulté, qui ne roule que fur une fauffe fuppofition. I faut donc favoir, que comme, en matiére de chofes Naturelles, un Corps Compofé peut avoir des qualitez qui ne fe trouvoient dans aucun des Corps Simples, du mélange def quels il eft formé : de même un Corps Moral (2) peut avoir, en vertu de l'union même des perfonnes dont il eft compofé, certains droits dont aucun des Particuliers n'étoit for mellement revêtu, & qu'il n'appartient qu'aux Conducteurs d'exercer. Perfonne n'ofera dire, par exemple, qu'aucun Particulier aît le Pouvoir de fe preferire des Loix à lui-même; & cependant auffi-tôt que plufieurs perfonnes ont foûmis leur volonté à celle d'un feul, celui-ci aquiert le droit de prescrire déformais des Loix à chacune d'elles. Ainfi, quoi

5. I. (1) Il y a même (ajoûtoit ici l'Auteur) des Peuples, chez qui le Magiftrat ordonne aux Criminels de fe tuer eux-mêmes; comme autrefois parmi les Ethiopiens, au rapport de Diodore de Sicile, Lib. III. Cap. V. Dans le Japon (difoit-il encore plus bas, §. 4.) ceux qui font condamnez à mort, s'ouvrent le ventre avec un couteau. Et autrefois en Lithuanie, les Criminels fe dreffoient eux-mêmes une potence, où ils fe pendoient. C'eft, (ajoûtoit-il au même endroit) un cas extraordinaire, que ce que Fite Live rapporte de Gracchus, lequel, pour châtier une partie de fes Soldars, qui avoient refufé de combattre, leur fit prêter ferment de ne manger ni boire que debout, tant qu'ils ferviroient fous lui. Lib. XXIV. Cap. XVI. Mais en ce cas-là même c'étoit malgré eux que les lâches Soldats fe voioient réduits à

qu'au-
la néceffité de fubir cette Peine ignominieuse, plûtôt
que de fe parjurer.

(2) L'Auteur cite ici une Loi du Digefte, où il ne s'a-
git pas des droits qui conviennent aux Sociétez entié-
res, quoi que les Particuliers, dont elles font compo-
fées, n'en foient pas revêtus; mais qui prouve feule-
ment que l'on peut faire aquérir à un autre quelque
droit que l'on n'a pas foi-même, comme, par exemple,
un Créancier, qui vend le gage de fon Debiteur, rend
P'Acheteur maître du gage, quoi qu'il n'en eût pas lui-
même la Propriété. Non eft novum, ut qui dominium non
habeat, alii dominium prabeat. Nam & creditor, pignus
vendendo, caufam dominii praftat, quam ipfe non habuit.
Lib. XLI. Tit. I. De adquir. rerum dominio, Leg. XLVI.
(3) Voiez

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1

(b) Voiez Hobbes,

deffus, Liv. III.

Chap. VIL S. 5.

qu'aucun des Membres dont une Société fe forme, ne puifle s'infliger des Peines à luimême; il fuffit, pour donner ce droit au Chef de la Société, que chacun s'engage à ne de Cive, Cap. II. pas défendre (b) ceux qu'il aura condamnez, & à lui prêter même main forte, s'il le faut, 9. 18. & ce que pour empêcher que le Criminel n'échappe. Quelques-uns prétendent, que, quand un 'Auteur a dit ci- Souverain ôte quelque chofe à fes Sujets en forme de punition, il le fait en vertu de leur propre confentement, parce qu'en fe foûmettant à fon empire ils ont promis d'aquiefcer à tout ce qu'il voudroit ou qu'il feroit. Mais il vaut mieux dire, que, comme il dépend des Sujets de ne donner à leur Souverain aucune jufte occafion de les punir de mort; chacun regarde l'ufage actuel de ce Pouvoir par rapport à lui, comme un cas qui n'arrivera ja(c) Leviath. Cap. mais. Hobbes (c) foûtient, que le Droit de vie & de mort ne vient pas originairement du confentement des Sujets, & qu'il eft uniquement fondé fur le droit que chacun avoit, dans l'Etat de Nature, de faire tout ce qu'il jugeoit néceffaire pour fa propre confervation; de forte que ce droit a été laiffé, & non pas conféré, à l'Etat, qui aiant en main de fi grandes forces pour le faire valoir, peut s'en fervir, comme il le trouve à propos, pour la confervation de tous les Citoiens. Mais le droit de punir eft différent du droit de fe conferver, &, au lieu que le dernier convient à chacun, l'autre ne s'exerçant que fur des (3) Sujets ne fauroit être conçu dans l'indépendance de l'Etat Naturel.

XXVIII. init.

(d) Plutarque la

reconnu en parmin. vindicta,

tie, De fera NuP. 549. F.

Les Peines Humaines n'ont

point de lieu

Nature.

(1) Voiez ci-def-fus, Liv.II.Chap.

V. S. 3. à la fin.

Au refte il faut avertir ici en un mot, que je ne prétens point parler des Peines naturelles, qui accompagnent le Péché par une fuite néceffaire, ni des Peines divines proprement ainfi dites; mais uniquement des Peines humaines, qui font établies & décernées par les Légiflateurs & les Tribunaux Politiques, dont les régles font différentes en (d) plusieurs chofes de celles de la Juftice divine.

§. II. POUR reprendre la chofe dès le commencement, on doit favoir, que la plûpart des Péchez, fur tout de ceux que l'on commet contre fon Prochain, renferment deux dans l'Etat de chofes, la violation même de la Loi, & le dommage que l'on caufe à autrui, ou directement, ou indirectement. Il eft certain encore, que, par le Droit Naturel, tout Homine qui a caufé du Dommage par fa faute, de quelque maniére que ce foit, eft indifpenfablement tenu de le réparer; & que, s'il l'a caufé malicieufement, il doit de plus donner à la perfonne lézée des fûretez pour l'avenir. Mais la maniére dont on peut demander ces fûretez, eft différente felon que l'on vit dans la Liberté Naturelle, ou dans une Société Civile. Dans l'Etat de Nature, lors qu'un Homme touché de répentir vient de lui-même of frir la réparation du Dommage qu'il a caufé, tout ce que la perfonne lézée peut exiger de lui, après cela, c'eft qu'il lui promette ou fimplement, ou avec ferment, de ne plus (a) loffenfer à l'avenir. De forte que, fi, par une injufte défiance, ou par une animofité inflexible, elle demande, les armes à la main, de plus grandes fûretez: l'autre n'étant point tenu, par le Droit Naturel, de les lui donner, il peut légitimement fe défendre; & alors celui qui étoit auparavant la perfonne lézée, devient à fon tour l'Offenfeur, & fe rend coupable d'avoir violé la paix. Mais lors qu'on n'a pu obtenir fatisfaction que par la force comme cela marque l'obftination de l'offenfeur dans fa malice, & qu'on ne fauroit déformais, en pareil cas, tirer d'un tel homme aucune fatisfaction, à moins que d'être plus fort que lui; on peut prendre toutes les fûretez dont on croit avoir befoin, le défarmer, par exemple, démolir fes fortereffes, ou s'en emparer, le condamner à une prison perpétuelle, &c. le faire même mourir, fi l'on ne trouve pas d'autre expédient plus cominode pour se mettre à couvert des mauvais deffeins que l'on voit qu'il a de nous perdre. Tout cela fe fait par droit de Guerre, & nullement en forme de Punition proprement ainfi nommée (car du refte on donne le nom de Peines dans un fens plus général à toute forte de maux qui accompagnent le Péché par une fuite naturelle, & par conséquent à ceux que l'on s'attire par quelque injure, dans l'indépendance de l'Etat Naturel) ainfi on

(3) Voiez ce que je dirai plus bas dans la Note 3. fur le §. 4.

ne

ne fauroit dire, à parler jufte, que perfonne foit (1) obligé de donner de telles fûretez; puis que, dès-là qu'on eft réduit à en venir aux voies de la force, cela fuppofe que l'Offenfeur, bien loin de nous faire fatisfaction de fon bon-gré, s'obftine à foûtenir fon injuftice par la violence, & qu'ainfi il eft à nôtre égard dans des fentimens contraires à la Loi Naturelle, ou dans des difpofitions d'Ennemi, qui le mettent avec nous en état de Guerre. Or les maux que l'on cause à quelcun par droit de Guerre, n'étant pas proprement des Peines; comme nous le ferons voir plus clairement dans la fuite; il eft évident, que les Peines Humaines proprement ainfi nommées ne fauroient avoir lieu entre ceux qui vivent dans l'indépendance de l'Etat Naturel; quoi qu'ils foient fujets, comme nous venons de le dire, aux maux qui fuivent le Péché par un effet naturel & ordinaire.

ainfi nommées,

§. III. MAIS, dans les Sociétez Civiles, outre qu'il eft plus aifé d'obtenir la répara- C'eft feulement tion du Dommage par la voie de la Juftice, que dans l'Etat de Nature par la voie de la dans les Sociétez Civiles que l'on Guerre, où l'on n'a d'autre fecours que dans fes propres forces; chaque Citoien a de plus, inflige des Peiautant que le permet dans la condition des chofes humaines, de bonnes fûretez contre les nes proprement injures & les dommages qu'il pourroit recevoir à l'avenir : & ces fûretez confiftent dans les Peines dont les Loix menacent ceux qui les violeront, & que les Tribunaux Civils doivent infliger à ceux qui les auront encourues; Peines, dont la crainte eft le moien le plus efficace pour diriger & pour réprimer la Volonté Humaine naturellement capable de fe déterminer vers l'un ou l'autre des deux côtez oppofez.

S.IV. LA Peine eft en général un mal que l'on fouffre à cause du mal que l'on a fait (a), c'eft-à-dire, quelque chofe de fâcheux à quoi l'on eft condamné malgré foi par un Supérieur, en conféquence d'un Crime dont on s'eft rendu coupable.

Je dis 1. un mal que l'on fouffre: car, quoi que fouvent on ordonne pour punition certains travaux, comme lors que l'on condamne quelcun aux mines, aux galéres, à la brouette, à nettoier les rues, &c. on ne regarde ces travaux qu'en ce qu'ils ont de gênant & de fàcheux, de forte qu'il faut toûjours les mettre au rang des maux que l'on fouffre.

la Peine.

Ce que c'eft que
(a)Voicz Grotius,

Lib. II. Cap. XX.
S. I.

XIII.

J'ai dit 2. que l'on fouffre ce mal à cause d'un mal que l'on a fait, ou d'un Crime que l'on a commis d'où il paroit, qu'on ne doit pas mettre au nombre des Peines proprement ainfi nommées, les incommoditez que l'on fouffre par l'effet d'une (b) maladie con- (b) Voiez Levit. tagieufe, ou (c) de la perte d'un membre, ou de quelques autres (d) impuretez fembla- (c) Voiez Deuter. bles à celles qu'on trouve marquées en grand nombre dans la Loi des anciens Hébreux; XXIII, 1. comme, par exemple, lors que les Lépreux étoient bannis des compagnies & privez de tout (d) Voiez Levir. commerce avec les autres Citoiens; & les perfonnes, à qui il manquoit quelque membre,

XV.

(e) exclues de la Dignité Sacerdotale &c. En tout cela il n'y a pas plus de véritable Punition, (e) Voiez Levit. que quand les Etrangers, ou les gens du commun peuple font exclus de certaines Charges de XXI, 17. & fuiv, l'Etat, ou lors qu'un homme, qui s'eft caflé la jambe, fouffre de grandes douleurs pendant qu'on la lui racommode: quoi que d'ailleurs on donne quelquefois improprement à ces fortes de chofes le nom de Peine, à caufe de quelque reffemblance; jufques-là que l'on dit même communément de ceux qui font fort incommodez & fort difgraciez de la Nature, qu'ils vivent pour leur fupplice. De là il s'enfuit encore, que lors qu'on met quelcun en prifon feulement afin qu'il ne s'évade pas, ce n'eft point proprement une Peine; perfonne ne pouvant être justement puni, avant que d'avoir été jugé. Il eft donc contre la Loi Naturelle de faire fouffrir à un Prifonnier, qui n'eft encore ni condamné ni oui, plus de mal (1) que n'en demande la néceffité de le tenir renfermé; de forte que, fi on l'a fait, on doit l'en dédommager, ou diminuer (2) d'autant la rigueur de la Peine à laquelle il a été condamné depuis.

§. II. (1) L'Auteur fuit une fauffe idée de la nature de PObligation. Voiez plus bas, §. 4. Not. 8.

§. IV. (1) Solent Prafides in carcere continendos damnare, aut ut in vinculis contineantur. Sed id eos facere non

3. J'ai oportet: nam hujufmodi pœna interdi&ta funt: carcer enim ad continendos homines, non ad puniendos haberi debet. Digeft. Lib. XLVIII. Tit. XIX. De Panis, Leg. VIII. §.9. (2) Par un Refcript des Empereurs Honorius & Théodofe,

VV 3

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