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raifon que le Droit Romain donne action (3) pour cause de choses d'autrui détournées, en des cas où il y a un véritable Larcin.

demens du De

XIV. §. 9.

§. IV. HOBBES (a) prétend auffi, que les Commandemens du Décalogue ne font pas si les Comman des Loix Naturelles, mais des Loix Civiles, qui doivent être expliquées de cette maniére: calogue font des Ne refufez point à vos Péres & à vos Méres l'honneur que les Loix Civiles ordonnent de Loix Civiles leur rendre Ne tuez aucun de ceux à qui les Loix Civiles vous défendent d'ôter la vie: (3) De Cive, Cap, Ne vous abandonnez à aucun commerce d'amour défendu par les Loix: Ne prenez point le bien d'autrui fans le confentement du Propriétaire: Ne fraudez pas les Loix & ne irompez pas les Fuges par de faux-témoignages. Tout ceci roule encore fur la fauffe hypothefe de cet. Auteur, qu'avant l'établiflement des Sociétez Civiles il n'y avoit point de Mien & de Tien, ni de Mariage réglé, & que chacun pouvoit alors agir comme il lui plaifoit envers & contre tout autre. Mais il eft clair, que tous ces Commandémens ont lieu entre ceux qui vivent dans l'indépendance de l'Etat Naturel, & qui n'ont d'autres Loix communes que les Naturelles; aufli bien qu'entre les Coucitoiens d'un Etat. Avant qu'il y eût aticune Société Civile, on pouvoit fans contredit faire enfemble, par des Conventions, un partage des biens de la Terre, & on l'a fait actuellement. De forte qu'alors ceux qui prenoient le bien d'autrui ou de vive force, ou en cachette, ne péchoient pas moins contre le huitiéme Commandement du Décalogue, qu'un homme qui prend le bien de fon Concitoien. Si quelcum ofoit foûtenir, que ce n'eft pas un Adultere de débaucher la Femme d'un homme, par rapport auquel on vit dans la Liberté Naturelle; il n'auroit, pour fe défabufer d'une telle penfée, qu'à lire ce que Dieu dit autrefois en fonge à Abimelech (b), (b) Genef. XX, 3lors que ce Prince s'étoit faifi de Sara. Enfin, l'ufage des Arbitres, du moins (c) de ceux XXVI, 10. qui décident quelque queftion de fait fur le rapport des Témoins, a lieu fans contredit, (c) Voiez Hobbe dans l'Etat de Nature, & par conféquent auffi le neuviéme Commandement du Décalo lui-même, De gue. Du refte, quoi que la plupart des Commandemens du Décalogue fe rapportent par s. 23. eux-mêmes au Droit Naturel; il faut avouer qu'entant qu'on les confidére comme gravez fur deux Tables, & donnez aux Ifraelites par Moife, on peut fort bien les appeller les Loix Civiles de ce Peuple, ou plutôt les principaux chefs de fon Droit Civil, auxquels on ajouta enfuite divers Commandemens particuliers, accompagnez d'une détermination précife des peines dont le Légiflateur menaçoit les contrevenans. En effet le Décalogue (d) (d) Grotius, ad ne parle point de tous les Crimes, pas même de tous ceux qui étoient puniflables devant Voiez Philon. de le Tribunal Civil, mais feulement des plus énormes de chaque efpece. Il n'y eft point Decalog. fait mention, par exemple, des bleffures que l'on fait à fon prochain, mais feulement de l'Homicide; ni de tout profit illicite qui tourne au détriment d'autrui, mais feulement du Larcin; ni de toute Perfidie, mais du feul Faux-témoignage.

Voiez auffi

Cive, Cap. III.

Matth. V, 27.

Jufe & d'Iniufte

Civiles?

§. V. IL faut encore examiner ici les paroles fuivantes du même Auteur, qui traitant s'il y avoit queldes opinions féditieufes propres à caufer la ruine d'un Etat, met au prémier rang cette que chose de maxine: (a) Que les Particuliers peuvent juger par eux-mêmes de ce qui eft Bon, on Mau avant Petabliffe vais. Car, dit-il, les Laix Civiles font la Regle du Bien & du Mal, du Fufte & de l'In- ment des Loix juste: par conséquent on doit regarder comme Bon, ce que le Législateur ordonne, & comme (a) De Cive, Cap Mauvais, ce qu'il défend. Or le Législateur est toujours le Souverain. On a donc Xil. §. 1, tort de dire, comme on fait ordinairement, que le Roi eft celui qui fait bien; & que l'on ne doit obéir aux Rois que quand ils ordonnent des chofes juftes : & d'autres femblables maximes. Avant l'établiffement des Gouvernemens Civils, il n'y avoit ni Jufte, ni Injußie: car ces derx idées font effentiellement rélatives an Commandement d'un Supérieur; & toute Action eft indifférente de fa nature de forte que, fi elle est Juste, on Înjuste, cela vient

(3) C'eft lors qu'un Mari, ou une Femme, en fe féparant, avoit retenu quelque chofe de ce qui devoit revenir à l'autre apres le Divorce. A caufe de l'étroite liaifon qu'il y avoit eû entr'eux par le Mariage, on adouciflbit Pidée du Larcin, que commettoit véritablement

de

celui qui ne rendoit pas un bien dont il n'étoit pas lé-
gitime poffeffeur, & on appelloit cela fimplement dé
tourner le bien d'autrui. Voiez Digeft. Lib. XXV. Tit. II.
De actione rerum amotarum,

(b) Voiez Rich.

Cumberland. de
Leg. Nat. Lib. V.

VI.) que Machia

de l'autorité du Souverain. Ainfi tout Roi légitime rend les chofes juftes, par cela même qu'il les ordonne; & injuftes, par cela feul qu'il les défend. Pour les Particuliers, en s'attribuant le droit de juger du Bien & du Mal, ils entreprennent fur les droits du Roi; ce qui ne peut fe faire fans détruire l'Etat.

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Je remarque là-deffus, qu'il dépend des Rois à la vérité de donner ou de ne pas donner force de Loi Civile aux Loix Naturelles; comme auffi de rendre justes ou injuftes, en les commandant ou les défendant, bien des chofes indifférentes en elles-mêmes par le Droit de la Nature. Mais de prétendre, qu'avant l'établiffement des Sociétez Civiles il n'y eût pas des Régles du Jufte & de l'Injufte, fondées fur le Droit Naturel, & auxquelles on fût tenu en confcience de fe conformer; cela eft auffi faux & auffi abfurde, que fi, l'on foûtenoit, que la Vérité & la Rectitude dépendent de la volonté des Hommes, & non pas de la nature même des Chofes, ou que les Souverains peuvent changer à leur fantaifie la nature des Chofes, ou que deux Propofitions contradictoires peuvent être vraies à la fois par rapport à un feul & même fujet. D'ailleurs le paradoxe que Hobbes avance ici, ne s'accorde pas bien avec fes propres principes. Selon lui, les prémiers Péres de famille, qui fe joignirent enfemble pour former des Sociétez Civiles, vivoient avant cela comme des Bêtes brutes; ne gardoient point les Conventions qu'ils avoient faites les uns avec les autres; ôtoient la vie & les biens à qui bon leur feinbloit, fans commettre néanmoins au cune injuftice: toutes leurs actions en un mot paffoient pour indifférentes. Sur ce pied-là, aujourd'hui même les Monarques abfolus, qui ne font foumis à aucune Loi Civile, nefe font point de tort les uns aux autres, lors qu'ils fe pillent, ou qu'ils fe manquent de foi. Or, de l'aveu même de Hobbes, les Conventions font le fondement des Sociétez Civiles. Mais comment eft-ce donc que ces Sociétez ont pû fe former & se maintenir, fi l'on ne croioit pas auparavant, qu'il fût Jufte de tenir fa parole, & Injuste d'y manquer? Ceux qui formoient les Etats, auroient-ils pû fans cela compter fur leurs Conventions réciproques? Et après même la formation de la Société, qu'est-ce qui empêcheroit les Sujets de fecouer, quand il leur plairroit, le joug de l'obéiffance, & d'abolir avec l'Etat toute différence du Jufte & de l'Injufte? Car la crainte toute feule ne fauroit retenir long-tems une fi grande multitude. Auffi n'y a-t-il jamais eu, à mon avis, de Roi affez fou pour ordonner pofitivement quelque chofe de contraire aux maximes générales du Droit Naturel, ou pour défendre quelque chofe que ce même Droit prefcrit. On ne trouve point de Loi Civile, qui porte, qu'il ne faut pas tenir ce que l'on a promis, ni rendre à chacun le fien, ni vivre honnêtement; & que l'on doit au contraire faire aux autres tout le mal poffible &c. Cependant rien n'empêcheroit qu'on ne fit de telles Loix, s'il étoit vrai, qu'il n'y eût rien de Jufte, ni d'Injufte, avant la détermination du Souverain. Mais la vérité eft, que les ordres les plus exprès du Souverain ne peuvent pas plus rendre bonnes & juftes cès fortes de chofes, qu'ils ne peuvent ôter, par exemple, à un venin fa qualité naturelle, qui le rend nuifible au Corps Humain (b).

On peut néanmoins admettre en un autre fens la propofition de Hobbes, c'eft-à-dire, C. V. quoi qu'en en prenant le Bien & le Mal pour ce qui eft avantageux ou defavantageux à l'Etat. Car dife Polybe, (Lib. c'eft fans contredit une opinion féditieufe, que d'attribuer aux Particuliers le droit de juvel a copié fans ger, fi les moiens dont le Prince ordonne de fe fervir pour l'avancement du Bien Public, jugement, Dif. font convenables, ou non, à cette fin; en forte que l'obéiffance de chacun dépende des Cap. II. idées qu'il fe fait là-deffus. Il eft certain au contraire, qu'ici, comme à la Guerre, il y a des chofes que les Sujets doivent ignorer (1), comme il y en a qu'ils doivent favoir. Si

ad Liv. Lib. I.

5. V. (1) Tam nefcire quadam milites, quàm fcire oportet. Tacit. Hift. Lib. I. Cap. LXXXIII. Voiez auffi Annal. Lib. VI. Cap. VIII. & ce que l'on a dit ci-deffus, Liv. V. Chap. IV. §. 5. L'Auteur cite encore ici deux paffages, mais qui ne font pas fort à propos. Le prémier eft de Platon, (in Politic. pag. 555. D. Ed. Wech.) qui

tou

dit, que perfonne ne doit être plus fage que les Loix. Obδὲν γδ δεῖν ἢ νόμων εἶναι σοφώτερον. Cela s'entend des Loix écrites, & perpétuelles, établies par le confentement du Peuple; au lieu qu'il s'agit ici fur tout des ordres particuliers que le Prince donne, felon les cas & les circonftances. L'autre eft d'Ariftote, Rhetor. Lib. 1.

Cap. XV.

toutes les fois que le Souverain donne quelque ordre, chacun pouvoit en demander la raison, il n'y auroit plus d'obéiffance, ui par conféquent plus de Souveraineté.

cuter innocem

Supérieur ?

§. VI. ON demande ici, (& la queftion eft affez difficile à décider) fi un Sujet peut si ron peut pécher, en exécutant les ordres de fon Prince, lors qu'il témoigne ouvertement qu'il n'a- quelquefois exégit qu'en qualité de fimple exécuteur, fe déchargeant entiérement fur celui qui lui donne ment un ordre ces ordres du foin d'examiner, s'ils font juftes, ou non, & le rendant refponfable de tout? injufte de fon Je dis les ordres, & non pas les Loix: car il y a cette différence entre ces deux fortes de commandemens, que les derniers font généraux, & regardent tous les Sujets; au lieu que les autres s'adreffent à tel ou tel Sujet en particulier, à qui le Souverain les donne dans loccafion quoi que les uns & les autres impofent une Obligation d'obéir également indifpenfable. Le fentiment commun eft donc, que l'on péche quelquefois en obéillant aux ordres du Souverain; & qu'ainfi les Sujets peuvent & doivent les examiner felon les lumiéres d'une Confcience bien éclairée. (1) Il y a même, dit-on, une forte préfomtion, que tout honnête homme, qui eft perfuadé, qu'il doit un jour rendre compte de fes actions devant le Tribunal Divin, n'a promis d'obeir, qu'à condition que fon Souverain ne lui ordonneroit rien, qui fût manifeftement contraire au Droit Naturel & au Droit Divin Pofitif: car il n'en eft pas de même de ce qui feroit feulement contraire aux Loix Civiles, & il n'y a point de doute, qu'en ce cas-là le Sujet ne puisse obéir, fans fe rendre coupable en aucune maniére. Hobbes (a) au contraire met au rang des opinions féditieu- (a) De Cive, Cap. fes, de croire que les Sujets péchent, toutes les fois qu'ils exécutent quelque ordre de leur Prince, qui leur paroit injufte. Pour moi, je regarde comme une chofe dangereufe, & pour l'Etat, & pour la confcience des Particuliers, de s'imaginer, que pour un fimple fcrupule, ou un doute qui vient dans l'efprit, fur la juftice des ordres du Souverain, on puifle légitimement refufer d'y obéir. Car les Sujets fe verroient par là très-fouvent réduits à une néceffité inévitable de pécher; puis qu'ils agiroient contre leur Confcience, s'ils obéilloient, & contre la foûmiffion qu'ils ont promise à leur Souverain, s'ils défobéiffoient. (2) D'ailleurs, il eft certain, que, dans un doute, le meilleur eft pour la Confcience de prendre le parti le plus fûr. Or on court beaucoup moins de rifque de pécher en obéiffant aux ordres précis de fon Souverain, que l'on ne fait pas certainement être injuf tes, qu'en manquant, pour un fimple doute, aux engagemens exprès où l'on eft entré envers lui: car, en ce cas-là, il y a toujours préfomtion que le Souverain n'ordonne rien que de jufte, & il peut fouvent avoir des vûes qu'il n'eft pas permis aux Particuliers d'examiner. Il faut encore bien remarquer ici la diftinction de Hobbes; c'eft que l'on péche à la vérité toutes les fois qu'en faisant une chofe on croit commettre foi-même en fon nom propre un véritable Péché: mais on peut quelquefois faire, fans pécher foi-même, une chofe que l'on regarde comme un péché d'autrui. Car, ajoûte-t-il, fi j'ai ordre de faire une chose, qui est un péché pour celui qui me la commande; je ne péche point en l'exécutant, pourvû que celui,

Cap. XV. où ce Philofophe donnant des préceptes à un Orateur qui plaide une Caufe, à laquelle les Loix écrites font favorables, lui confeille, entr'autres chofes, de repréfenter: Que de chercher à raffiner fur les Loix, & prétendre être plus fage qu'elles, eft une chofe que les Loix les plus eftimées ont de tout tems défendu. C'eft ainfi que Caffandre tourne les paroles fuivantes : Kai Ti T, 7 νόμων σοφώτερον ζητεῖν εἶναι, τότ' ἐσιν, ὃ ἐν τοῖς ἐπαι να αθώοις νόμοις απαγορεύεται

§. VI. (1) Dans une Tragédie d'un ancien Poëte Grec, Antigone, qui avoit fait enfévelir fon frere Polynice, malgré les défenfes de Créon, Roi de Thebes, répond à ce Prince, lors qu'il lui demandoit, pourquoi elle avoit ofé contrevenir à fes Loix :

Οὐδὲ σθένειν τοσέτον ᾠόμην τὰ σὰ Κηρύγματ', ὡς ἄγραπλα καταλῇ Θεῶν Νόμιμα δύνας θνητὸν ὄντ ̓ ὑπερδραμεῖν. Οἱ γάς τι νῦν γε καχθες, αλλ' αεί ποτε TOM. II.

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Ζῆ ταῦτα, κουδεὶς οἶδεν ἐξ ὅτε φάγη.
Τέτων ἐγὼ ἐκ ἔμελλον, ἀνδρὸς ἐδενὸς
Φρόνημα δείσασ', ἐν θεοῖσι τὴν δίκην
Δώσει.

,, Je ne croiois pas, que les Edits d'un homme mortel
comme vous, cuffent tant de force qu'ils puffent l'em-
,, porter fur les Loix non-écrites, mais certaines & ma-
»nifeftes, des Dieux mêmes. Car elles ne font pas d'hier
» ou d'aujourd'hui, mais elles fubfiftent perpétuellement
,, & de tout tems, fans que perfonne fache d'où elles
, font venues. Je ne devois donc pas, par la crainte d'au-
cun homme, m'expofer, en les violant, à la punition
,, des Dieux. Sophocl. Antigon. v. 458. & feqq. pag. 232.
Ed. H. Steph.

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(2) Il y a dans l'Original, car: mais, comme c'eft une nouvelle preuve, & non pas une raifon de ce que P'Auteur vient de dire immédiatement j'ai cru qu'il falloit mettre, d'ailleurs.

Tt

(3)

--- Ad

1

à qui j'obéïs, foit mon Supérieur, & qu'il aît droit de me commander (3). En effet, on peut fans contredit exécuter en qualité de (4) fimple inftrument une action ordonnée par

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Voiez un paffage de Procope, qui a été cité déja ci-deffus, Liv. I. Chap. V. §. 14. Not. 3. L'Auteur alleguoit encore ici Senec. Controv. Lib. IV. Contr. XXVII. p. 255, 256. & Digeft. Lib. III. Tit. II. De his qui notantur infamia " Leg. I. où il y a: QUIVE SUO NOMINE, NON JUSSU EJUS, IN CUJUS

POTESTATE

ESSET. 11 remarquoit auffi, à la fin du paragraphe, que les Bramins croient qu'en vertu du Pouvoir d'un Mari fur fa Femme, elle peut innocemment faire toutes les chofes qu'il lui ordonne, quelque mauvaises qu'elles foient en elles-mêmes. Abr. Roger. de Bramin. Part. I. Cap. XIX.

(4) Cette diftin&tion ne leve pas la difficulté. Car, de quelque maniére que le Sujet agiffe, ou en fon propre nom, ou au nom du Prince, fa volonté concourt toûtjours en quelque forte à l'Action injufte & criminelle, qu'il exécute par l'ordre de fon Souverain. Ainfi ou il faut toujours lui imputer en partie ces fortes d'Actions, ou il ne faut jamais lui en imputer aucune. Et il ne ferviroit de rien de dire, que, dans le cas dont notre Auteur parle, l'Action eft du nombre de celles qu'on appelle Mixtes; ou d'alléguer ici les droits & les priviléges de la Néceffité. Voiez ce qui a été remarqué, "Liv. I. Chap. V. S. 9. Not. 1. & Liv. II. Chap. VI. §. 2. Not. 4. Le plus für eft donc de foûtenir généralement & fans reftriction, que les plus grandes menaces du monde ne doivent jamais porter à faire, même par ordre & au nom d'un Supérieur, la moindre chofe qui nous paroiffe manifeftement injufte ou criminelle, & qu'encore que l'on foit fort excufable devant le Tribunal Humain, d'avoir fuccombé dans une fi rude épreuve, on ne l'eft pas entiérement devant le Tribunal Divin. Il n'y a qu'un feul cas, où l'on puiffe en confcience obeïr aux ordres évidemment injuftès d'un Souverain; c'est lors que la perfonne intéreffée à l'Action illicite que le Prince nous commande, nous difpenfe elle-même de nous expofer en fa faveur aux fâcheufes fuites d'un refus: bien entendu qu'il s'agiffe d'une chofe, à l'égard de laquelle il foit en fon pouvoir de confentir au mal que le Souverain veut lui faire, ou de la violation d'un droit auquel il lui foit permis de renoncer: car fi quelcun me permettoit, par exemple, de le tuer, je ne pourrois pas pour cela innocemment me rendre le miniftre de la fureur du Prince, perfonne n'étant maitre de fa propre vie. Voilà, à peu près ce que dit Mr. Titius, ObJeru. DCXXX. DCXXXI. Nôtre Auteur prétend néanmoins, (dans fon Apologie, §. 20.) que, fi l'on n'adtnet le fentiment qu'il foûtient ici, on fera obligé néceffairement de reconnoitre, que tous les Soldats, les Huiffiers, les Bourreaux &c. doivent entendre la Politique, & la Jurifprudence, & qu'ils peuvent fe difpenfer d'obeir, fous prétexte qu'ils ne font pas bien convaincus de la juftice de ce qu'on leur commande; ce qui réduiront à rien l'Autorité du Prince, & le mettroit hors d'état d'exercer les fonctions du Gouvernement. Mais cela prouve feulement, que les Sujets ne peuvent pas & ne doivent pas même toujours examiner tous les ordres de leur Souverain, pour favoir s'ils font juftes, ou non. Si cela étoit, il n'y auroit, je l'avoue, prefque aucun Soldat, qui fit innocemment fon mêtier. Combien peu y en a-t-il, qui fachent les véritables raifons du Prince pour qui ils portent les armes ? Et quand ils les fauroient, combien peu y en a-t-il qui fuffent capables d'en juger? Ainfi pour l'ordinaire la plupart des gens que le Souverain enrolle dans fes Etats, ne peuvent pas s'excufer fur les doutes qu'ils ont au fujet de la justice de la Guerre où on les fait marcher; parce que cela de

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le

mande une difcuffion qui eft au deffus de leur portée,
an lieu qu'ils n'ont pas besoin d'un grand favoir ni d'u-
ne grande pénétration pour être clairement convaincus
de l'Obligation où ils font d'obeïr à leur Souverain.
Mais fi an Officier, habile en Politique, & qui connoit
bien les affaires & les intérêts de l'Etat, voit avec la
derniére évidence, que fon Prince s'engage dans une
Guerre injufte, ou non-néceffaire; ne doit-il pas tout
facrifier, & même fa propre vie, plûtôt que de fervir
dans une Guerre comme celle-la? Il ne faut pas même
toûjours être extraordinairement éclairé, ni avoir en-
trée dans le Confeil du Cabinet, pour découvrir l'in-
juftice des Guerres qu'entreprennent les Princes ambi-
tieux. Souvent les Manifeftes, qu'ils publient eux-mê-
mes, comparez un peu attentivement avec ceux de leurs
Ennemis, fuffifent pour faire voir à quiconque a tant
foit peu de Bon-fens, & de droiture, la foibleffe de
leurs raifons, & l'iniquité de leur caufe. En ce cas-là,
on eft non feulement difpenfé d'obéir, mais on doit
même s'en abstenir & le refufer, à quelque prix que ce
foit. Il faut dire la même chofe, à mon avis, d'un Par-
lement à qui le Prince ordonne d'enregîtrer un Edit
manifeftement injufte; d'un Miniftre d'Etat, que fon
Souverain veut obliger à expedier ou à faire exécuter
quelque ordre plein d'iniquité ou de tyrannie; d'un
Ambaffadeur, à qui fon Maitre donne des ordres ac-
compagnez d'une injuftice manifefte; d'un Officier, à
qui le Roi commande de tuer en fecrer un homme dont
Finnocence eft claire comme le jour; &c. Et ce ne font
pas feulement les perfonnes d'une condition diftinguée,
ou d'une habileté & d'une pénétration au deffus du com
mun, qui peuvent & doivent fe difpenfer d'obéir, par
la raifon que nous avons dite. Les gens les plus fimples
fe trouvent auffi quelquefois, quoique plus rarement,
dans une obligation indifpenfable de refufer à leur Sou-
verain le miniftére de leur bras, au péril même de leur
vie. Un Huifier, par exemple, n'eft pas à la vérité or
dinairement tenu de s'informer, fi le Magiftrat, qui lui
commande de fe faifir d'une perfonne, a jufte fujet, ou
non, d'ordonner contr'elle prife de corps: ce n'eft pas
la fon affaire, & il doit bien préfumer en faveur de ceux
qui adminiftrent la Juftice, tant qu'il n'a pas des preu-
ves manifeftes du contraire. Mais, fuppofé qu'il ait ef
fectivement de telles preuves, je foûtiens qu'en ce cas-
là il ne doit point obeir. Et cette fuppofition ne renfer-
me rien d'impoffible. Il peut arriver, par exemple, (&
chacun le concevra aisement) que l'Huiffier connoiffe,
avec une entiére certitude, l'innocence d'un homme ac-
cufé, par exemple, de meurtre, ou de vol, & qui eft
perdu, fi une fois il eft entre les mains de la Justice. Dans
les derniéres perfécutions de France, ceux que l'on en-
voioit, pour prendre des gens. dont tout le crime con-
fiftoit visiblement à fervir Dieu felon les mouvemens
de leur Confcience, ne pouvoient-ils pas & ne devoient-
ils pas voir avec la derniére évidence, l'injuftice [ty
rannique & la cruauté barbare des ordres qu'ils rece
voient? Si en ces cas-là on peut innocemment accorder
fon intérêt avec fa Confcience, en faisant femblant de
chercher des malheureux que l'on ne veut pas trouver,
& leur fourniffant même fous main le moien de s'éva
der; à la bonne heure. Mais je ne faurois me perfuader,
que l'on puiffe exécuter ponctuellement de pareils or-
dres, fans fe rendre complice de l'iniquité de celui qui
les donne. Il faut dire la même chofe des Bourreaux;
fur quoi voiez Grotius, Lib. II. Cap. XXVI, §. 4. num. 9.
Confultez auffi le Difcours fur le Gouvernement, par M
Sidney, Chap. III. Sect. XX. & l'Apologie de Socrate, par
Xénophon, ou il y a plufieurs belles chofes, pour faire
voir, qu'on ne doit jamais obeir à fes Supérieurs, au
prejudice de fon Devoir.

(s) Com

exemple remar

Perf. Lib. V. Cap.

le Souverain, qui en eft regardé comme l'unique auteur, fur qui toute la faute retombe. 1. Que l'on exéIl faut pourtant (5) à mon avis, fuppofer les trois conditions fuivantes. oute fimplement l'ordre injufte du Souverain, c'eft-à-dire, que l'on prête feulement les membres & les forces à l'exécution de l'action injufte que le Souverain commande; fans faire d'ailleurs la moindre chose qui puiffe y fervir d'occasion ou de prétexte, & fans l'excufer en aucune manière; mais en l'exécutant comme une action d'autrui, & non pas comme fon propre fait. 2. Que l'on n'obéifle qu'avec beaucoup de répugnance (b), & (b) Voiez uR après avoir fait tout ce qu'il étoit poffible pour fe difpenfer d'un fi trifte emploi. 3. En quable, dans fin, que l'on foit menacé d'une mort certaine, ou de quelque autre mal fort fâcheux, Olearins, Itiner. auquel ni les Loix de la Justice ni les Devoirs de la Charité ne nous obligent en aucune XXXII. maniére de nous expofer en faveur d'autrui, par un refus d'exécuter les ordres injuftes d'un Souverain, qui eft en état de nous faire à l'inftant fouffrir ce mal; fur tout fi à nôtre défaut il ne lui manque pas d'autres gens pour s'aquitter d'une telle commiffion. J'avoue tous les ordres de quel homme que ce foit qui fe trouvent contraires aux Loix Divines, n'ont certainement par eux-mêmes aucune force d'obliger, c'est-à-dire, d'imposer à ła Confcience la néceffité de s'y foûimettre; & qu'ainfi on ne péche point du tout, lors qu'on refuse de les exécuter. Mais autre chofe eft de dire, que l'on eft tenu en confcience d'obéir; & antre chofe de dire, que l'on peut le faire innocemment, pour détourner un inal très-fâcheux dont on eft menacé. Il y a bien des chofes que la néceffité nous donne droit de faire, auxquelles on n'eft pas néanmoins obligé d'ailleurs en confcience. Il faut avouer pourtant, qu'il y a des actions fi abominables, que la fimple exécution en paroit à plufieurs beaucoup plus affreufe que la mort même; comme, par exemple, fi on recevoit ordre d'un Tyran de tuer fon Pére ou fa Mére, ou fes Enfans, de coucher avec la propre Mére, avec fa Fille, ou avec une Bête. En (c) ces cas-là, un homme, qui a un peu de cœur, aimera (c) Voiez d'au

que

(s) Comme, après la mort de Cacilius Clafficus, Proconful Romain dans la Province de Bétique en Espagne, on recherchoit avec foin ceux qui avoient été les miniftres de fes concuffions & de fes violences; Pline le Jeune, qui agiffoit pour les habitans de la Province, crût qu'il falloit commencer par prouver, que l'on fe rend complice des méchancetez que l'on exécute par ordre d'un Supérieur. Horum autem antequam crimina ingrederer, neceffarium credidi elaborare, ut conftaret, minifterium crimen effe. Lib. III. Epift. IX. num. 14. Mais, (difoit plus bas nôtre Auteur) ceux contre qui Pline parle, n'avoient pas été fimples exécuteurs des crimes de Claffics: car ils avoient intenté de fauffes accufations à des perfonnes innocentes, afin que le Proconful eût un prétexte plausible pour les dépouiller de leurs biens; & ils s'étoient portez pour délateurs en leur propre nom, & non pas au nom ou par ordre de leur Gouverneur. Ils s'excufoient à la vérité fur la néceflité où étoient réduits des gens de Province, comme eux, d'obeïr à tous les commandemens de leur Gouverneur, par la crainte des maux que leur attireroit le moindre refus. Neque enim ita defendebantur, ut negarent, fed ut neceffitati vemiam precarentur: effe enim fe provinciales, & ad omne Proconfulum imperium metu cogi.' (Num. 15.) Mais il y a beaucoup plus d'apparence, que c'étoit pour s'enrichir eux-mêmes qu'ils avoient bien voulu fervir d'inftrumens à l'iniquité du Proconful: &, quand même il leur auroit fait de grandes menaces, il n'eft pas croiable qu'ils courullent rifque de perdre la vie inévitablement au moindre refus, fans pouvoir en aucune maniére fe dérober à fa fureur. Ainfi ces gens-là étoient dans le mêmne cas, que Publius Suillius, fameux fcélérat, qui s'ésoit rendu redoutable du tems de l'Empereur Claudius. Comme on l'accufa depuis devant Néron, il répondit, que tout ce qu'il avoit fait, il l'avoit fait par ordre du Prince. Nihil ex his fpontè fufceptum, fed Principi paruif fe defendebat. Mais Néron lui ferma la bouche, ca di

tres exemples, mieux dans Diod. de Si

fant, qu'il avoit appris par les mémoires de fon Pére,
qu'il n'avoit jamais contraint perfonne à entreprendre
d'accufations. Alors il tâcha de fe défendre par les com-
mandemens de Mellaline, mais inutilement. Car, lui
repliqua-t-on, pourquoi etoit-il le feul, qui eût prêté
fa voix & fon eloquence aux fureurs d'une impudique?
On dit donc, qu'il falloit punir les Miniftres des cruau
tez, qui, après s'être enrichis de leurs crimes, en re-
jettoient la faute fur les autres. Puniendos rerum atrocium
miniftros, ubi pretia fcelerum adepti, fcelera ipfa aliis de-
legant. Tacit. Anna!. Lib. XIII. Cap. XLIII. Au contrai-
re on a loué avec beaucoup de raifon la fermeté de Ju-
lius Gracinus, qui fut tué par le commandement de Ca-
ligula, pour n'avoir pas voulu entreprendre l'accufation
de Marcus Silanus. Tacit. in Vita Agricol. & Senec, de
Benefic. Lib. II. Cap. XXI. Pour ce qui eft de l'action
de Doeg, rapportée 1. Samuel, XXII, 18. elle est très-
criminelle, felon mes principes. Car on doit toûjours
faire tout fon poffible pour fe difpenfer de pareilles com-
miffions, ou en refufant ouvertement, comme firent
les autres Officiers de Sail; ou en tâchant, s'il eft pof-
fible, d'éluder les ordres injuftes d'un Prince par quel-
que artifice innocent, comme le pratiquérent très-bien
les Sages femmes d'Egypte Exod. 1. Au lieu que Dog,
après avoir fauffement accufé les Sacrificateurs d'être
d'intelligence avec David, pour confpirer contre le
Roi, (comme cela paroit affez clairement par le Pfeau-
me LII.) fe porta fans aucune répugnance, & même
avec plaifir, à exécuter les ordres de Saul, qui ne pa-
roit pas lui avoir fait aucunes menaces, s'il refufort
d'obeir. Enfin, continuoit nôtre Auteur, je ne crois
pas non plus que, dans les cas, dont il s'agit, les pric-
res & les confeils d'un Supérieur doivent être prifes
pour un commandement tacite; ainfi que Platon le dit
de celles des Tyrans; Epift. VII. Voiez la Differtation
de Obligatione erga Patriam, §. 16. & fegg.

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cile, Lib. XXV. Excerpt. Peirefc. & Laonic. Chalcondyl. Lib. I.

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