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322

LE DROIT

DE LA NATURE

ET DES

G E N S.

LIVRE HUITIEME,

Où l'on traite des principales Parties de la Souveraineté ; des Contracts
& des Traitez, tant Publics que Particuliers, des Puiffances Sou-
veraines; des différentes maniéres dont les Citoiens ceffent
d'être Membres d'un Etat; & des divers changemens
ou de la deftruction même des Sociétez Civiles.

De la nature des §.I. général.

Loix Civiles en

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Du Pouvoir qu'ont les Souverains de prefcrire des Loix
à leurs Sujets.

PRE's avoir expliqué tout ce qui regarde la nature de la Souveraineté en général, il ne reste plus qu'à examiner en détail les principales quef tions que l'on agite au fujet de chacune de fes Parties. Nous avons mis au prémier rang le Pouvoir de prefcrire aux Sujets la manière dont ils doivent régler leur conduite: Pouvoir d'où émanent les Loix que l'on (a) Liv. I. Chap. appelle Civiles. Il faut donc ajoûter ici à ce que nous avons dit (a) ailleurs des Loix en général, une idée plus diftincte de ce qui concerne en particulier les Loix Civiles, & les ordres du Souverain,

VI.

Poteft. circa Sa

era, Cap.III.num. 3,4, 11. & Cap.

Les Loix Civiles font ainfi appellées ou par rapport à leur autorité, ou par rapport à leur (b) Voiez Grot. origine. Au prémier égard on peut donner le nom de Loix Civiles à toutes (b) celles qui de Imp. Summ. fervent de régle aux jugemens des Tribunaux Civils, de quelque endroit qu'elles tirent leur origine. Les Loix Naturelles & les Loix Divines Pofitives obligent à la vérité, & rendent puniffables devant le Tribunal Divin, tous ceux pour qui elles font établies & publiées; & la violation des Loix de la Nature eft même fuivie ici bas des Peines Naturel les, dont nous avons (c) parlé ailleurs. Mais ce qui leur donne pleine & entiére force de Loi dans les Tribunaux Civils, c'eft l'Autorité du Souverain, à qui il appartient de déterinet les Crimes qui doivent être punis en Justice, & ceux dont on laiffe à Dieu la ven

IV. num. I.

(c) Liv. II. Ch.

MI. §. 21.

geance;

fage de Senéque,

geance; comme auffi les Obligations Naturelles pour lesquelles on peut avoir action en Juftice, & celles dont l'accompliffement eft abandonné à l'honneur & à la confcience de chacun. Or il n'y a que les maximes du Droit Naturel, fans l'observation defquelles les Citoiens ne fauroient abfolument vivre en paix les uns avec les autres, qui aient force de Loi dans tous les Etats du monde. Pour (d) les autres, on n'a pas jugé, à propos de (d) Voiez un pafdonner cette efficace à quelques unes, ni expreffément, ni par l'ufage du Barreau, foit cire ci-defius, parce que les actions, qui paroiffent contraires à ces maximes, auroient été d'une trop Liv. I. Chap. II. difficile difcuffion; foit pour ne pas ouvrir la porte à une infinité de procès; foit pour §. 10. Not. 3. laif- Voiez auffi ce fer aux véritables gens de bien la principale matiére des juftes louanges qu'on ne peut re- qu'on a dit, Liv. fufer à ceux qui pratiquant avec foin les Devoirs dont la violation demeure impunie devant le Tribunal Humain, montrent par là qu'ils n'agiffent point par la crainte de la peine, mais uniquement par la crainte de Dieu, & par l'amour de la Vertu.

cité

III. Ch. IV. §. 6.

cité ci-deffus,

Les Loix Civiles ainfi appellées à cause de leur origine, ce font celles qui ont unique. ment pour principe la volonté du Souverain; & elles roulent fur des chofes qui fe rappor tent au bien (e) particulier de l'Etat, quoi que d'ailleurs indifférentes par le Droit Naturel (e) Voiez un paf& par le Droit Divin, dont elles font (1) comme des fupplémens, felon l'expreffion d'un fage de Ciceron ancien Juif. Les Sujets ne doivent pourtant pas les obferver avec moins d'exactitude, que Liv.v.Chap.XII. les Loix purement Naturelles: car il eft manifeftement plus avantageux à la Société Hu. §. 8. à la fin. maine, de fe conformer à la volonté du Souverain en matière de chofes indifférentes, & de trouver bon ce qui lui paroit tel, que s'il y avoit là-deffus des conteftations perpétuelles, d'où il naîtroit infailliblement des guerres & des carnages, qui font fans contredit de terribles maux.

L'affemblage de ces fortes de Loix eft ce que l'on appelle ordinairement le Droit Civil. Mais il faut remarquer, que toutes les Régles qui fe trouvent contenues dans les Corps de Droit où les Codes, ne font pas des Loix Civiles proprement ainfi nommées, & qu'il y a bien des maximes du Droit Naturel mêlées parmi les Ordonnances que le Souverain fait en vue du bien particulier de l'Etat; quoi que jufques ici, les Interprêtes du Droit Civil aient la plupart confondu tout cela. Les réglemens de Droit purement Civil y font néanmoins le plus grand nombre, & ils confiftent (2) en général ou à preferire certaines formalitez, que l'on doit obferver, pour rendre valables en Justice les actes par lefquels on tranfporte quelque droit, ou l'on entre dans quelque engagement envers autrui; ou à régler la manière dont chacun doit poursuivre fon droit en Juftice. Si l'on traite ces chofes à part, & qu'on en écarte tout ce qui eft de Droit Naturel, le Droit Civil fe trouvera réduit à des bornes affez étroites. Pour ne pas dire, que, dans tous les cas où l'on ne trouve point de décision du Droit Civil, on a recours aux principes de la Raifon naturelle (3), de forte que le Droit Naturel fupplée en tout & par tout au défaut des Loix Civiles.

§. I. (1) Ὥσε εἰκότως προσθῆκαι μᾶλλον αἱ κα' μέρο πολιτείαι μιας τι και την φύσιν. προσθηκαν μπω γδ οι και πόλιν νόμοι τῇ τὸ φύσεως ὀρθό λόγω προσθήκη στ MITIKO'S ONE TO BIEVT púgn. Philon, Lib. de Jofeph, pag. 531. B. Ed. Parif.

(2) De plus, comme il y a bien des chofes que le Droit Naturel preferit feulement d'un manière générale & indéterminée, en forte que le tems, la maniere, le lieu, Tapplication à telles ou telles perfonnes, & autres femblables circonftances, font laiffées au difcernement & à la prudence de chacun; les Loix Civiles réglent ordinairement tout cela, pour l'ordre & la tranquillité de l'Etat : quelquefois même elles propofent des récompenfes à ceux qui voudront bien faire de leur propre mouvement ces fortes d'actions, auxquelles ils ne font pas tenus déterminément en tel ou tel cas particulier. Elles expliquent auffi ce qu'il peut y avoir d'obfcur dans les maximes du Droit Naturel, ou dans leur application: & les Particuliers font obligez de fe conformer à ces décitions faites par autorité publique, quand même ils ne les trou

§. II. veroient pas bien juftes. Enfin elles bornent encore en diverfes maniéres l'ufage des droits que chacun a natu rellement; ce qu'elles ne doivent faire qu'autant que le demande le bien de l'Etat. Au refte, chaque Particulier eft obligé de fe foùmettre à tous ces réglemens, tant qu'ils ne renferment rien de manifeftement contraire aux Loix Divines, foit Naturelles, ou Révélées; & cola non feulement par la crainte des peines, qui font attachées à leur violation, mais encore par un principe de confcience, & en vertu d'une maxime même du Droit Naturel, qui ordonne d'obeïr aux Souverains légitimes, en tout ce que l'on peut faire fans crime. De Offic. Hom. & Civ. Lib. II. Cap. XII. §. 6, 7, 8.

(3) Voiez Hobbes, de Cive, Cap. XIV. §. 14. C'eft làdeffus (ajoutoit nôtre Auteur) qu'eft fondée l'action infcripti maleficii que donnoit le Droit Romain pour des crimes qui ne fe trouvoient pas exprimez dans les Lois. On peut voir là-deffus les anciens Déclamateurs, fur tout Quintilien, Declam. CCLII.

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contraires au

XIV. §. 10,

Si les Loix Civi- §. II. HOBBES (a) avance ici un affez grand paradoxe car il foûtient, qu'il eft im? les peuvent être possible que les Loix Civiles foient contraires au Droit Naturel, tant qu'elles ne renferment Droit Naturel? rien d'injurieux à la Divinité. La raison principale fur laquelle il fe fonde, c'est que l'O(a) DeCive, Cap. bligation d'obferver les Loix Civiles étant antérieure à la publication de ces Loix, & fondée (b) Ibid. §. 9. fur la conftitution même de l'Etat, où chacun (b) de ceux qui entrent dans la Société, s'engage à obéir aux commandemens du Souverain, c'eft-à-dire, aux Loix Civiles; le Droit Naturel, en vertu d'une de fes Loix, qui défend de manquer à ce que l'on a promis, prescrit en même tems l'obfervation de toutes les Loix Civiles. Car, ajoûte-t-il, lors qu'on eft tenu d'obéir, avant que de favoir ce qui fera commandé, on doit fe foumettre généralement à tous les ordres que l'on recevra. Mais il eft certain, qu'avant la formation des Sociétez Civiles, les Hommes avoient déja les idées du Droit Naturel. Le but principal de cet établissement, c'eft même de pouvoir fûrement pratiquer les Loix de la Nature, qui font le fondement de la paix du Genre Humain. Enfin, il n'y a rien dans les Loix Naturelles, qui foit contraire au but & à la conftitution des Sociétez Civiles: au contraire l'obfervation de ces Loix eft d'un très-grand ufage pour le bonheur d'un Etat. Cela étant, il faut fans contredit fuppofer, que ceux qui en fe joignant enfemble pour former une telle Société, s'engageoient à obéir aux Loix Civiles, qui feroient établies pour le bien particulier de leur Etat, fuppofoient qu'elles ne renfermaffent rien de contraire ni au Droit Naturel, ni au but général des Sociétez Civiles. Ainfi, quoi que par abus on puiffe actuellement (c) faire quelque Loi Civile oppofée au Droit Naturel, il n'y a que des Princes infenfez, ou affez méchans pour fouhaitter de détruire leur propre Etat, qui foient capables d'établir de propos délibéré des Loix reconnues telles.

(c) Voiez, par exemple, Plu

tarch. in Demet.

pag. 900, 901. & la flatterie de le même Auteur,

Paryfatis, dans

in Artaxerx. pag. 1022. B.

Si ces mêmes

Loix peuvent déterminer la

nature des Crimes, felon que le Législateur le

juge à propos?

(a) De Cive, Cap. VI. §. 16. & Cap. XIV. §. 9, 10.

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§. III. LE même Auteur (a) appuie encore fon fentiment d'une autre maniére. Il est vrai, dit-il, que la Loi Naturelle défend le Larcin, l'Homicide, l'Adultére, & en général toute forte d'Injures: mais il appartient uniquement aux Loix Civiles de déterminer ce qu'il faut entendre par ces termes. Ce n'est pas toujours voler, que de prendre ce qu'un au tre poffede; mais le Larcin confifte à prendre une chofe qui appartient en propre à autrui: or la détermination du Mien & du Tien, dans un Etat, dépend absolument des Loix Civi les. On ne commet pas un Homicide, toutes les fois que l'on tue quelcun, mais feulement lors que l'on tue une perfonne à qui les Loix de l'Etat nous défendent d'ôter la vie. Tout commerce avec la femme d'autrui n'eft pas un Adultére, mais feulement celui qui fe trouve défendu par les Loix Civiles. Enfin la violation d'une Promeffe n'eft une Injure, que quand la Promeffe regarde une chofe permife; car, fi l'on n'a pas droit de faire une certaine Convention, perfonne n'aquiert par là aucun droit: or c'est aux Loix Civiles à régler, fur quelles chofes on peut on l'on ne peut pas traiter.

Je répons à cela 1. Que du moins ceux qui, comme nous, reconnoiffent la divinité de l'Ecriture Sainte, peuvent être affûrez, & par les Loix que DIEU donna autrefois aux Juifs, & par les autres Révélations, de quelle maniére ce Souverain Législateur, qui eft l'Auteur de la Loi Naturelle, veut que l'on définiffe plufieurs fortes de Crimes. Si donc les Loix d'un Etat font regarder comme innocens certains actes, qui entrent dans les idées de ces définitions, ils ne laifferont pas pour cela d'être contraires à la Loi de Dieu d'autant mieux que l'on ne fauroit alléguer aucune raifon fatisfaifante, pourquoi Dieu les aiant défendus aux Juifs, les permettroit néanmoins aux autres Peuples. Chez les Lacédémoniens, par exemple, un Vieillard (b) caffé pouvoit faire coucher avec la Femme quelque Jeune homme vigoureux, fans que ni le Mari fe deshonorât par là, ni le Jeune homme, & la Femme, paffaffent pour commettre un véritable adultére; parce que les Loix de l'Etat n'avoient pas compris fous ce nom un tel commerce avec la Femme d'autrui du confentement du Mari même. Mais il n'en eft pas de même des Loix divines, qui, en défendant l'Adultére, entendent par là tout commerce impur avec une Femme actuellement mariée à un autre homme; de forte que la pratique autorifée par les Loix de Lacédémone, ne peut qu'être regardée comme un abus contraire au Droit Naturel. 2. De

ro Herberstein. de

2. De plus, quand même on s'opiniâtreroit à foûténir, que les définitions de certains actes déclarez illicites par les Loix de Moife, ne regardent que le Peuple Juif, à qui elles étoient données; il faudroit toûjours reconnoitre, que les Loix Civiles doivent détermi ner les actions défendues par le Droit Naturel, d'une manière qui ne donne aucune atteinte au but de la Loi Naturelle, qui eft d'entretenir parmi les Hommes une Société honnête & paifible; & par conféquent, que toute Loi Civile contraire à cette fin, eft auffi contraire au Droit Naturel. Si on vouloit définir, par exemple, l'Adultére, une copu lation charnelle avec la Femme d'autrui fans fon confentement; ou le Larcin, un vol fait de nuit, ou (c) d'une chofe dont on a befoin; ou l'Homicide, un meurtre commis ouverte- (c) Comme parment & à main armée; qui doute, que cela ne produifît dans l'Etat une infinité de défor. mi les Tartares, où cela eft perdres? En vain prétendroit-on, que la Loi étant générale, chacun pourroit fe dédomma. mis: Sigifm. Bager de ce qu'il en fouffriroit quelquefois, en profitant à fon tour, dans une autre occa rebus Mofcov. fion, de la permiffion qu'elle lui donneroit, auffi bien qu'aux autres; & que la parfaite Voiez pourtant égalité des Citoiens à cet égard ôteroit à chacun tout jufte fujet de plainte. J'avoue que Haythen, de Tar bien des gens fouhaitteroient d'être feuls en droit de faire certaines chofes : mais, fi les Cette autres pouvoient en ufer de même à leur égard, ils ne voudroient pas acheter à ce prix-là a lieu auffi dans une telle permiffion. Il n'y a que des Vauriens achevez qui puiffent s'accommoder de la Busbeq. Epift.IIL liberté que chacun a, par exemple, en Tartarie, de prendre impunément tout ce dont il P. 155. a befoin: car pour ceux qui font un peu faigneux de leur bien, il arriveroit très-fouvent qu'ils fe verroient dépouillez par là de ce dont ils auroient le plus de peine à fe paffer, fans trouver chez aucun autre rien de femblable fur quoi ils puflent fe dédommager, ou du moins fans que l'abfence ou la négligence du Propriétaire leur permit de le lui enlever. Que fi l'égalité parfaite du droit des Citoiens en matiére de pareilles chofes étoit une raifon fuffifante pour autorifer à les permettre; on pourroit, par la même raison, abolir toutes les Loix; expédient très-propre à introduire parmi les Hommes une entiére égalité à tous égards, mais qui ne viendra jamais dans l'efprit d'une perfonne de bon feus.

3. Rien n'eft plus faux que ce que Hobbes fuppofe ici, que les queftions qui regardent le Mien & le Tien foient uniquement du reffort des Loix Civiles proprement ainfi nommées; & que, dans l'Etat de Nature, il n'y ait point de Propriété de biens. Il eft vrai, que la poffeffion de ce qui appartient à chacun eft beaucoup plus affûrée dans les Sociétez Civiles, où l'on jouit de fes biens à l'abri du fecours de plufieurs perfonnes jointes enfemble, & de la protection des Juges communs, établis par autorité publique, que dans l'Etat Naturel, où chacun n'a que les propres forces pour fe défendre contre les infultes d'un injufte raviffeur. Mais cela n'empêche pas que l'établiffement de la Propriété des biens ne foit antérieur à la formation des Sociétez Civiles, & il ne fuffit pas d'affirmer gravement le contraire, il faut le prouver. Aujourd'hui même les Princes & les Etats vivent dans l'Etat de Nature les uns par rapport aux autres, de forte que la Propriété des biens de chacun d'eux n'eft pas fondée fur l'autorité d'une Loi commune, ou d'un Juge Supérieur d'où ils dépendent également, mais uniquement fur des Conventions tacites, & fur les titres que donnent les maniéres naturelles d'aquérir une chofe en propre oferoit-on foûtenir pour cela, qu'un Roi puiffe, fans fe rendre coupable de larcin ou de rapine, prendre ou fecrétement, ou de vive force, le bien d'un autre avec qui il n'a point fait de Traité ? J'avoue encore, que les Conventions des Citoiens au fujet d'une chofe défendue par les Loix, ne font pas valides: mais s'enfuit-il de là, que ceux qui vivent dans l'indépendance de l'Etat Naturel, ne fe faffent point de tort les uns aux autres, lors qu'ils violent les engagemens où ils étoient entrez? Il eft donc faux, que le Tort ou l'Injure fuppofe toûjours néceffairement la détermination des Loix Civiles. On ne fauroit non plus foûtenit, que, dans l'état de la Liberté Naturelle, un homme qui en tue un autre, fans y être aurtorifé par le droit de la Guerre, ou par la néceffité de défendre fa propre vie, ne commette pas un véritable Homicide. Les principes du Droit Naturel fuffifent auffi pour nous Ss 3

faire

tar. Cap.XLVIII.

la Colchide. Voiez

même chofe du

faire clairement comprendre, que l'Adultére confifte dans la violation de la foi conjugale; fans qu'on ait befoin pour cela de la décision des Loix Civiles. Tout ce qu'elles peuvent faire, c'eft d'ajouter aux Contracts de Mariage quelques circonftances & quelques formalitez, dont le défaut les rend nuls, & les dépouille de certains effets, qu'ils auroient eu fans cela.

4. Enfin, il faut bien diftinguer ici entre ce que les Loix Civiles ordonnent, & ce qu'elles permettent (1) fimplement, ou ce qu'elles ne défendent pas fous quelque peine. Car rien n'empêche qu'une feule & même chofe ne foit défendue par le Droit Naturel, & permife par le Droit Civil. La permiffion des Loix Civiles ne fait pas qu'une action ceffe d'être contraire au Droit Naturel, ou qu'on puifle la commettre fans pécher contre DIEU, le Souverain Légiflateur: toute la vertu qu'elle a, fe réduit à déclarer, que le Souverain n'ufera pas de fon autorité pour réprimer ceux qui voudroient commettre une telle action, ni ne les en punira point, s'ils l'ont une fois commife; & qu'elle aura d'ailleurs devant les Tribunaux Humains les mêmes effets, que celles qui font permifes par la Loi Naturelle. Les Loix de Tartarie, par exemple, n'ordonnent pas formellement de prendre le (d) Il faut dire la bien d'autrui (d); elles ne défendent pas non plus, je penfe, aux Propriétaires de repoufLarcin permis fer ceux qui viennent leur enlever leurs biens: elles accordent feulement une pleine impuaux enfans à La- nité à ceux qui ont pris quelque chofe qui appartient à autrui, & ne les contraignent pas cédémone per même de le rendre à fon maitre : de forte que, devant les Tribunaux de ce Païs-là, ce miffion, qui même ne regardoit que l'on a pris de cette maniére paffe pour (2) légitimement aquis. Il n'y avoit non plus à Lacédémine aucune Loi qui ordonnât aux vieux Maris de fouffrir que leurs Femmes autres chofes couchaffent avec quelque Jeune homme, ni aux Jeunes hommes de coucher avec la Femque l'on mange, me de quelque vieux Mari: mais lors que les intéreffez y confentoient de part & d'autre, in Lycurg, & Xe- les Loix ne s'y oppofoient pas, & tenoient au contraire pour légitimes les enfans nez d'un noph. de Rep. La- tel commerce, en forte qu'ils étoient admis à la fucceffion des biens paternels. Ainfi, ced. quoi qu'en dife focrate,dans dans les endroits où les Duels font permis, celui qui tue fon homme en cette occafion ne fon Oraifon Pa laifle pas d'être coupable devant le Tribunal Divin, quoi qu'il foit exemt de la peine dont les Loix Civiles puniffent d'ailleurs l'Homicide. De dire maintenant, fi le Souverain peut légitimement permettre de pareilles chofes, & cela non par une fimple connivence, mais par un acte formel & authentique, qui les autorife; c'eft fur quoi je n'oferois prononcer affirmativement: car de cette maniere on encourage & l'on follicite prefque les Citoiens à commettre des actions contraires au Droit Naturel. Mais la fimple tolérance eft en quelque façon excufable, lors que les circonftances des tems, & le naturel des Peuples, ne permettent pas de remédier directement à ces fortes d'abus. Ce n'eft pas non plus fans

que les fruits des jardins, & les

Voiez Plutarch.

nathen.

"

rai

culiers. Il y a des maux perfonnels, qui concourent au bien & à l'avantage de chaque famille. Il y en a ,, qui affligent, ruïnent, ou deshonorent les familles, ,, mais qui tendent au bien & à la confervation de la ,, machine de l'Etat & du Gouvernement. La Bruyere, Caractéres on Mœurs de ce fécle, Chap. du Souverain & de la République, pag. 316, 317.

S. II. (1), Il y a de certains maux dans la Républi-,,
» que qui y font foufferts, parce qu'ils préviennent ou
empêchent de plus grands maux. Il y a d'autres maux,
, qui font tels feulement par leur établiffement, & qui
» étant dans leur origine un abus ou un mauvais ufage,
font moins pernicieux dans leurs fuites & dans la pra-
, tique, qu'une Loi plus jufte, ou une coûtume plus
raifonnable. L'on voit une espece de maux que l'on
peut corriger par le changement ou la nouveauté, qui
,, eft un mal, & fort dangereux. Il y en a d'autres ca-
chez & enfoncez comme des ordures dans une cloa-
», que, je veux dire enfevelis fous la honte, fous le fe-
cret & dans l'obfcurité; on ne peut les fouiller & les
» remuer, qu'ils n'exhalent le poifon & l'infamie : les
2 plus fages doutent quelquefois, s'il eft mieux de con-
,,noitre ces maux, que de les ignorer. L'on tolére quel
,, quefois dans un Etat un affez grand mal, mais qui
», détourne un million de petits maux, ou d'inconvé→
,, niens qui tous feroient inévitables & irremediables.

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Il fe trouve des maux dont chaque Particulier gémit, » & qui deviennent néanmoins un bien public, quoi » que le Public ne foit autre chofe que tous les Parti

(2) Denys l'Ancien (comme le remarquoit plus bas nôtre Auteur) puniffoit févérement les autres crimes, mais il accordoit l'impunité à ceux qui avoient fait un fimple vol des habits de quelcun; & il en ufa ainfi, pour faire perdre aux Syracusains la coûtume de tenir table long-tems, & de s'enyvrer ensemble. Plutarch. Apophthegm. p. 175. F. Par le Droit Romain, un homme qui fouffroit que l'on jouất chez lui à quelque Jeu de hazard, ne pouvoit pas redemander en Justice ce qu'on lui avoit vole pendant ce tems-là. Prator ait: S1 QUIS EUM, APUD QUEM ALEA LUSUM ESSE DICK TUR, VERBERAVERIT, DAMNUMVE EI DRDERIT, SIVE QUID EO TEMPORE DOLO EJUS SUBTRACTUM EST, JUDICIUM NON DABO.

Digeft. Lib. XI. Tit. V. De Aleatoribus, Lcg. I.

(3) C'eft

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