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pire légitime, que de fe croire le vol permis, parce qu'on trouve trop dure la néceffité de gagner la vie en travaillant.

maniéres ceux

commettre des

§. IV. MAIS, quelque vrai que foit ce que nous venons de dire, il n'y a point de dou- En combien de te que l'Etat, & celui qui le gouverne, ne puiffent faire du tort à un Sujet; car le Sou- qui gouvernent verain, & les Sujets, font également foûmis du moins aux Loix Naturelles, ce qui fuffit l'Etat peuvent pour les rendre fufceptibles d'injure les uns de la part des autres. Or un Prince commnet injuftices envers des injuftices envers fes Sujets en deux maniéres générales, ou en violant à leur égard les les Citoiens? Devoirs du Souverain, ou en manquant aux Devoirs de l'Homme; c'eft-à-dire, ou en ne traitant pas les Citoiens comme ses Sujets, ou en ne les traitant pas même comme des Hommes.

Les Devoirs du Prince, entant que Souverain, regardent ou tous les Sujets en général, ou chacun en particulier. A l'égard des Sujets en général, il eft obligé de procurer le falut & l'avantage de tout l'Etat, ou en prenant les mefures qu'il juge les plus convenables, ou en gouvernant felon les Loix Fondamentales de l'Etat, lelon que fon Pouvoir eft ou Abfolu, ou Limité. Ainfi il fe rend coupable d'injuftice envers tous fes Sujets, lors qu'il abandonne entiérement le foin de l'Etat, fans établir même des Miniftres qui vaquent en fon nom aux affaires publiques; s'il ne travaille, par exemple, ni à défendre l'Etat contre les Ennemis du dehors, ni à maintenir au dedans la tranquillité publique par l'exécution des Loix, & que cependant, malgré une fi grande négligence, il ne laiffe pas de jouir de fa Dignité & des revenus de la Couronne, comme s'il n'étoit Prince que pour fatisfaire fes défits, & pour vivre dans toute forte de licence. J'avoue que, fi, en fe déchargeant du foin de fon Roiaume, il renonce auffi à la Dignité Roiale, & aux revenus qui lui étoient affignez en qualité de Souverain, il ne fait rien que d'innocent, parce qu'il eft censé s'être dépouillé entiérement de la Souveraineté, ce qui eft toûjours permis à un Prince, à moins que, par la mauvaise conduite, il n'aît engagé l'Etat dans de fâcheux embarras & dans de grands périls, où il ne fauroit le laiffer fans le trahir & le perdre. Mais c'eft, fans contredit, une injuftice manifefte, que de jouir des revenus d'un Emploi, pendant que l'on n'exerce aucune des fonctions qui y font attachées. L'injuftice feroit encore beaucoup plus criante, fi un Prince travailloit directement à perdre tous fes Sujets, & agiffoit envers eux par de véritables (1) fentimens d'Ennemi déclaré, qui font incompatibles avec le caractére de Souverain; comme on rapporte d'un Roi de Pegu en Afie (a), lequel, à l'inftigation (a) Voiez Joan. des Magiciens, à ce qu'on difoit, conçût une fi grande haine pour fes Sujets, qu'il leur b défendit, fur peine de la vie, de cultiver la terre pendant trois ans, de forte que la famine réduifit ce miférable peuple à fe tuer les uns les autres, pour avoir dequoi manger. Mais il eft impoffible qu'un Prince qui eft en fon bon fens, en vienne jamais à cet excès de fureur: car à qui commandera-t-il, s'il traite fes Sujets en ennemis ? & à moins que d'être fou, peut-on de gaieté de cœur détruire foi-même fon propre bien (b)? Il peut ar- (b)Voiez Grotius, river pourtant, qu'un Prince, qui régne en même tems fur plufieurs Peuples, travaille (2) à Lib. I. Cap. IV. en ruiner un, pour rendre l'autre plus floriflant. Les Souverains commettent encore des injuftices envers le Peuple, lors qu'ils renverfent, malgré lui, & fans une néceflité preffante, les Loix Fondamentales de l'Etat; ou qu'ils veulent changer la maniére dont ils ont été revêtus de la Souveraineté, c'eft-à dire, régner fur un autre pied, & avec plus de pouvoir qu'ils n'en ont reçû: lors qu'ils diffipent les biens & les revenus de l'Etat'; lors qu'ils exigent de plus grands impôts, qu'il n'eft nécellaire pour les befoins de l'Etat (c), ou qu'ils (c) Voiez l'Epiépuifent les Finances en dépenfes inutiles, ou qu'ils les tranfportent hors du Roiaume; & gramine d' Antipater, dans l'Anautres chofes femblables. Pour ce qui regarde les Particuliers, le Prince, entant que Southologie, qui peut être appliquee verain, ici.

S. IV. (1) Comme l'Empereur Caligula, qui fouhaittoit, que le Peuple Romain n'eût qu'une tête, pour la faire fauter; ainfi que le rapporte Suetone dans fa vie, Cap. XXX.

TO M. II.

(2) C'est ce que faifoit autrefois Philippe, Roi de Macédoine; comme il paroit par l'Hiftoire de Tite Live, Lib. XL. Cap. III, & feqq.

PP

(3) Unc

Moquet, Itiner.

§. 11.

IV.

verain, eft tenu envers chacun de le laiffer jouir paisiblement des mêmes droits & des mêmes avantages, que les autres de fon rang & de fa condition; de le protéger & de le défendre; & d'adminiftrer (3) en fa faveur la Juftice: autant que tout cela fe peut fans préjudice du Bien Public. Si donc il ne s'aquitte pas envers chacun de ces Devoirs indifpenfables, lors que le falut de l'Etat le lui permet, il fait fans contredit du tort à ceux envers (d) Voiez fuftin. qui il les viole (d).

Lib. IX. Cap. VI. à la fin; quoi

fanias.

approuver

Les Devoirs du Prince, entant qu'Homme, peuvent être violez en diverses manières. qu'il ne faille Par exemple, s'il flêtrit l'honneur d'un honnête homme, qui n'a point mérité cet indigne Paction de Pau- traitement; s'il refufe de donner une récompenfe qu'il a promife, ou de paier fes dettes, ou d'exécuter quelque autre forte de Contract, ou de réparer les dommages qu'il a cau fez par fa faute; s'il débauche les filles ou les femmes de les Sujets; s'il maltraite quelcun en fa perfonne; s'il enleve ou détruit les biens d'autrui, s'il fait mourir des innocens, ou (e) Voiez Amm. fans autre forme de procès, ou en fubornant des calomniateurs, ou en (e) obligeant les XXVI. Cap.XIII. Juges par des menaces, ou par des promeflès, à prononcer une injufte fentence de condamnation; & autres chofes de cette nature.

Marcellin. Lib.

rain, lors qu'il

normes ?

Si l'on peut ré- §. V. LA difficulté confifte donc à favoir, fi les Sujets font tenus de fouffrir fans la fifter au Souve- moindre réfiftance toutes ces injuftices; ou fi, en certains cas, ils peuvent les repouffer nous maltraite par les voies de la force? Voici là-deffus mon fentiment. Comme la condition de la vie exceffivement,& humaine eft telle, qu'on ne fauroit jamais être à l'abri de toute incommodité, & qu'il n'y qu'il nous fait des injustices - a point d'homme, dont les mœurs foient fi bien réglées, que perfonne n'y trouve rien à dire; il y auroit également de l'impertinence & de l'infolence à prétendre avoir droit de fe foûlever contre lon Prince pour toute forte de vices & de méchantes actions d'autant mieux que l'on ne s'aquitte pas foi-même fi exactement de ce qu'on lui doit. Les Loix diffimulent bien quelquefois les fautes legéres des Particuliers: à combien plus forte raifon eft-il jufte de pardonner quelques petites injuftices à un Prince, dont les foins maintiennent la tranquillité dans l'Etat, & mettent en lûreté les biens & la vie des Citoiens? fur tout fi l'on fait réflexion, que l'on ne fauroit déthroner les plus méchans Princes (1), fans expofer les Citoiens & l'Etat à un nombre infini de maux, & à une grande défolation; comme l'expérience le fait voir. On doit donc fouffrir patiemment les injuftices lé, géres d'un Souverain, en confidération de l'Emploi pénible & relevé dont il est revêtu pour nôtre confervation, & des autres obligations qu'on peut lui avoir (2), & même en

(3) Une bonne vieille répondit fiérement à l'Empereur Adrien, qui difoit, qu'il n'avoit pas le loifir de Jui donner audience: Ceffez donc d'étre Empereur. Xiphilin. ad ann. 118. Zonar. Tom. II. La même chofe avoit été déja dite à Philippe de Macédoine.

§. V. (1) C'est ce que difoit autrefois l'Empereur Claudius: Ac tamen ferenda regum ingenia, neque ufui crebras mutationes. Tacit. Annal. Lib. XII. Cap. XI. Voici encore là-deffus un beau paffage de Platon, que nôtre Aureur citoit en partie : Πατέρα ἢ ἡ μητέρα ἐχ ὅσιον ήγεμαι προσβιάζεις, μὴ νότῳ παραφροσύνης έχομένας εάν δέ τινα καθεσώτα ζώσι βίον, ἑαυτοῖς ἀρέσκοντα, ἐμοὶ ἢ μὴ, μήτε ἀπεχθάνεως μάτην νοθετόντα, μήτε ἢ κολακεύοντά γε, ὑπηρετεῖν αὐτοῖς, πληρώσεις επιθυμιών εκπορίζοντα, ἃς αὐτὸς ἀσπαζός ἐκ ἂν ἐθέλοιμι ζήν. του τὸν ἢ καὶ περὶ πόλεως αὐτῇ διανέμον χρὴ ζήν τ' έμπρο και λέγειν μαλ, εἰ μὴ καλῶς αὐτῷ φαίνοιτο πολιτεύεως, εἰ μέλλοι μήτε ματαίως ἐρεῖν, μήτε Σποθήκες λέγων βίαν Η πατρίδι πολιτείας μεταβολής μὴ προσφέρειν, ὅταν ἄνευ φυγῶν καὶ σφαγῆς ἀνδρῶν μὴ δυνατὸν ἦ γίγνεθς τὴν ἀρίσην ἡσυχίαν ἢ ἄγοντα, ευχεὼς τὰ ἀγαθὰ αὐτῷ τε, καὶ τῇ πόλει On ne doit jamais, à mon avis, ufer de violence envers fon Pére ou fa Mére, à moins qu'ils n'aient perdu l'ufage de la Raifon : mais s'ils vivent d'une maniere, qui nous déplait, il ne faut ni les irriter par des rémontrances inutiles, ni entretenir en eux, par de lâches Batteries & par une complaifance

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,, criminelle, les vices auxquels on ne voudroit pas être foi-même fujet. Un homme fage doit être dans les mêmes fentimens à l'egard de fa Patrie. Quand il la voit mal gouvernée, il peut s'en plaindre, s'il a lien d'efperer que fes plaintes feront de quelque fruit, & », qu'elles ne lui attireront pas la moit pour toute récompenfe. Mais il ne doit jamais avoir recours à la for,, ce, pour changer le Gouvernement,lors qu'il eft impoffible de le reformer fans caufer l'exil & le carnage d'un grand nombre de Citoiens. Il vaut mieux alors fe tenir en repos, & fe contenter de faire des vœux ,, en fecret pour fon propre bien, & pour celui de l'Etat. Epift. VII. pag. 1281. D. Edit. Wechel. Voiez auffi CiceEpift. ad famil. Lib. I. Ep. IX. pag. 50, 51. Ed. ma jor. Grav. avec les Interprêtes.

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Ton,

(2) Il faut bien faire attention à cela. Car le Souverain n'a jamais aucun droit de faire la moindre injuftice. Si donc on doit s'abtenir de lui refifter, hormis à la derniére extrémité, ce n'eft pas pour l'amour de lui, & en vertu de fon Pouvoir, mais à caufe de l'intérêt de la Société, qui feroit par là expofee à de grands troubles. Outre que, (comme le remarque Gronovius, dans fes Notes fur Grotius, Lib. I. Cap. III. §. 8. num. 15.) fouvent, après avoir chaffe un mauvais Prince, on tombe fous la domination d'un autre plus méchant, le beau nom de Liberté fervant quelquefois de prétexte à ceux qui veulent réduire un Peuple fous leur ciclavage. C'eft

la

§. 4. num. 2,3,4,

faveur de nos Concitoiens & de tout l'Etat (a). Un Ancien Général d'Armée fe fervit uti- (a) Voiez Grotius lement de cette raifon, pour ramener des Sujets révoltez: (3) Il vous faut fupporter, di- Lib. I. Cap. IV. foit-il, le luxe & l'avarice de vos Gouverneurs, comme on fait les fterilitez, les orages, 5, 6. & les autres défordres de la nature. Il y aura des vices, tant qu'il y aura des hommes; mais le mal ne dure pas toujours, & eft compensé par le bien qui arrive de tems en tems. L'intérêt même des Particuliers demande qu'ils reçoivent quelquefois fans dire mot les injuftices des Grands, pour ne pas s'attirer des maux (b) plus fâcheux par des plaintes hors de fai- (b)C'eft ce qu'Efon, Enfin, (4) l'Ecriture Sainte, & la droite Railon, concourent à nous impofer une regimber contre Obligation indifpenfable de fupporter patiemment les caprices & les duretez de nos Mai- Paiguillon; in tres, auffi bien (5) que la mauvaife humeur de nos Péres & Méres.

Il eft certain encore, que lors même qu'un Prince, par pure animofité, menace quelcun de fes Sujets des injures les plus atroces, & des traitemens les plus indignes, le Sujet doit fe mettre à couvert par la fuite, ou fe retirer dans un autre Etat, plûtôt (6) que de prendre les armes contre fon Souverain, rude envers lui à la vérité, mais néanmoins Pére de la Patrie.

Que fi l'innocent ne trouve pas moien de s'enfuir, doit-il en humble victime souffrir patiemment tout ce que la rage infpire à fon Souverain? Ici plufieurs ne fauroient concevoir, qu'un Prince conferve fon caractére de Souverain par rapport à celui dont il fe montre Ennemi fi déclaré, & de quel front il prétendroit être regardé comme une perfonne facrée, d'un Sujet innocent, qu'il veut immoler à fa fureur. Ils foûtiennent même, qu'en ce cas-là le Prince eft cenfé dégager fon Sujet de l'Obligation où il étoit envers lui; du moins en forte que le Sujet peut avoir recours aux voies de la force pour fe mettre à couvert d'une injure atroce dont il eft menacé de la part de celui qui devoit le protéger: défenfe d'autant plus innocente & plus légitime, que ceux que le Prince veut perdre, font en grand nombre.

Mais on ne trouve guéres d'exemples de Princes, qui aient voulu faire mourir un Sujet innocent, fans fe mettre en peine de fauver les apparences. Quelque fureur qui les anime, ils cherchent ordinairement quelque prétexte, pour couvrir leur paffion de quelque ombre de juftice, comme, par exemple, le refus que celui qu'ils veulent perdre a fait d'obéir à un ordre injufte par lui même: & il eft plus difficile de décider, quel parti on doit prendre en ces fortes d'occafions. Je fuppofe d'abord, que, comme on n'eft jamais cenfé conférer à autrui aucun Pouvoir fur foi-même, au préjudice des droits d'un Maître Supérieur, de qui l'on dépend; les Citoiens de même, en établiffant la Souveraineté, n'ont ni pû, ni voulu fe fouftraire à l'empire de leur Créateur; & qu'ainfi ils ne font point tenus d'obeir aux ordres de leur Prince, lors qu'ils fe trouvent manifeftement contraires à la volonté de Dieu. Ainfi ce n'eft pas à nous à décider, de quelle maniére doit fe conduire un Sujet, lors que fon Prince veut l'empêcher par force de faire (7) profeffion de la

la réflexion que Tacite met dans la bouche d'un Général d'armée Ceterum Libertas & fpeciofa nomina pretexuntur, nec quifquam alienum fervitium & dominationem fibi concupivit, ut non eadem ifta vocabula ufurparet. Hift. Lib. IV. Cap. LXXIII. Un autre Hiftorien Latin nous en donne un exemple en la perfonne de Sandrocottus, qui s'empara du Roiaume des Indes, après la mort d'Alexandre le Grand: Auctor Libertatis Sandrocottus fuerat; fed titulum Libertatis poft victoriam in fervitutem verterar. Juftin. Lib. XV. Cap. IV. num. 13.

(3) Quomodo fterilitatem, aut nimios imbres, & cetera natura mala; ita luxum vel avaritiam dominantium tolerate. Vitia erunt, donec homines: fed neque hac continua, & meliorum interventu penfantur. Petilius Cerialis, apud Tacit. Hift. Lib. IV. Cap. LXXIV. Voięz le Parrhafiana, Tom. II. pag. 268, 269.

(4) L'Apôtre St. Pierre, après avoir dit, Craignez Dieu, & respectez le Roi; ajoûte: Vous, Esclaves, foiez

Reli

foumis à vos Maitres, avec toute forte de crainte, & non
feulement aux bons & aux doux, mais auffi à ceux qui font
rudes. I. Epit. II, 17, 18. Voiez Grotius, Lib. I. Cap. IV.
§. 4. num. 6.

(s) Ut Parentum favitiam, fic Patria, patiendo ac fe-
rendo leniendam effe. Tit. Liv. Lib. XXVII. Cap. XXXIV.
Voiez Epictet. Enchir. Cap. XXXVII. & Juftin. Lib. XV.
Cap. III. num. 10.

(6) Le refte de cette période n'eft pas dans l'Original, & je l'ai tiré de l'Abrégé, de Offic. Hom. & Civ. Lib. II. Cap. IX. §. 4.

(7) Comme on ne fauroit prouver, ni par les principes du Droit Naturel, ni par l'Ecriture Sainte, que les Souverains foient revêtus du Pouvoir d'empêcher, que chacun ne ferve Dieu paifiblement felon les mouvemens de fa Confcience (Voiez ci-deffus, Chap. IV. §. II. Note 2.); il s'enfuit, que les Peuples ont un droit auffi naturel & aufli incontestable de defendre leur Religion Pp 2 par

fchyle appelle,

Prometh. vinct.

X, 32.
Chap. I. §. 6.

Religion Chrétienne, ou le maltraiter pour cette feule raifon; puis que le Livre même, où font contenues les Loix du Chriftianifme, enfeigne clairement quel foin chacun doit (c) Voiez Matth. avoir de ne rien (c) faire contre la Confcience. Pour ce qui regarde les actions contraires Liv. VIII. par elles-mêmes au Droit Naturel, nous ferons voir (d) plus bas, qu'on peut, fans fe rendre foi-même coupable, les exécuter en qualité de fimple inftrument, lors que l'on eft réduit à la nécessité ou de s'y réfoudre, ou de périr. Mais fi l'action eft de telle nature, que l'on ne puiffe pas même fervir de fimple inftrument à fon exécution, fans fe rendre complice du crime de celui qui l'ordonne, ou que l'exécution toute feule en paroiffe plus fâcheufe que la mort même; fans que d'ailleurs le Souverain allégue ou feigne du moins quelque raifon apparente, tirée ou du Bien Public, ou de quelque faute, en punition de laquelle il impofe à ce Sujet une néceffité preffante d'exécuter une chofe, qui pouvoit être faite par quelque autre, ou qui eft entiérement déraisonnable: il eft clair qu'en ce cas-là le Prince ne penfe qu'à perdre un innocent, pour fatisfaire uniquement fa paffion & fon animofité. Ainfi par cela même qu'il fe dépouille du caractère de Souverain, pour prendre celui d'Ennemi, il eft cenfé tenir quitte le Sujet des engagemens où il étoit envers lui. Le Sujet néanmoins doit fuir, s'il le peut, & chercher à fe mettre fous la protection d'un tiers, qui ne dépende pas du Prince. Que s'il n'y a pas moien de fe fauver, il faut fe réfoudre à mourir, plûtôt que de tuer (8); non pas tant à caufe du Prince même, qu'à caufe de tout l'Etat, qui en ces fortes d'occafions eft ordinairement exposé à de grands trou

bles.

Lors que le Sujet a veritablement commis un crime, & que le Souverain veut l'en punir; quoi qu'il ne foit pas obligé de s'expofer de gaieté de cœur à la peine, en fe dénonçant, ou en fe remettant de lui-même entre les mains de la Juftice, il ne lui eft pourtant pas permis en ce cas-là d'emploier la violence pour fe défendre. La raifon en eft, que le Souverain alors ne fait qu'ufer de fon droit, de forte que, fi on lui donne atteinte, fous quelque prétexte que ce foit, on fe rend certainement coupable d'injustice.

Il faut remarquer encore, que quand même on accorderoit, qu'un Sujet peut quelquefois innocemment avoir recours à la force pour défendre fa vie, dans la derniére extrémité, contre la fureur de fon Souverain, il ne s'enfuivroit pas de là, que les autres Sujets du même Prince fuffent en droit pour cela feul de lui refufer déformais leur obéiffance, ou d'arracher par force d'entre fes mains l'innocent qu'il veut opprimer. Car, outre qu'il ne leur appartient pas d'examiner les actions que leur Souverain fait en vertu du Pouvoir Judiciaire, dont il eft revêtu; & qu'on voit fouvent de véritables criminels protester à faux de leur innocence, pour rendre le Prince odieux à leurs Concitoiens: les injuftices que le Prince commet envers quelcun de fes Sujets, ne difpenfent pas les autres de lui rendre ce qu'ils lui doivent; chaque Citoien n'aiant ftipulé que pour lui-même le foin & la protection du Souverain, & ne s'étant pas foumis à fon empire à condition qu'il trai teroit avec justice & équité tous fes Concitoiens en général, & chacun en particulier. La crainte qu'il peut avoir, que le Prince n'en ufe enfuite de même à fon égard, ne fuffit pas non plus pour le dégager de l'obéiffance: car, outre qu'il n'eft pas affûré que cela arrive, il peut y avoir des raifons particuliéres qui animent un Prince contre un de fes Sujets, &

par les armes contre un Souverain, qui veut les con-
raindre d'y renoncer, ou leur en interdire l'exercice,
que de défendre leurs vies, leurs biens, & leurs liber-
tez contre les entreprifes d'un Tyran. Ce droit eft mê-
me plus favorable qu'aucun autre; puis qu'il regarde le
plus grand de tous les intérêts, & la plus forte de tou-
tes les Obligations, ou plutot celle qui eft le fonde-
ment & la fource de toutes les autres, je veux dire la
aeceffite indifpenfable où chacun eft de fuivre les lu-
mieres de fa Confcience. C'eft en vain que Grotius,
apies avoir approuvé la conduite des Maccabées, pré-
read neaumoins que la Religion Chrétienne ne laifè à

qui fes Difciples d'autre reffource que la fuite, ou la patience. Les paffages, qu'il allégue, ne regardent que les Particuliers, qui font dans l'impuiffance de réfifter: mais, (comme l'a remarqué Mr. Bernard, Nouv. de la Rep. des Lett. Mai, 1700. p. 557.) Jesus-Christ_laisse d'ailleurs aux Peuples la Liberté de défendre leurs droits par les voies ordinaires. Voiez au refte la grande Note de Gre novius, fur Grotius, Lib. I. Cap. IV. §. 7. num. 8: & la Differtation de Mr. Van der Muelen, de fanctitate Summi Imperii Civilis &c. pag. 70. & feqq.

(8) Voiez Grotius, Lib. II. Cap. I. §. 9. avec les Notes. de Gronovius.

qui n'auront pas lieu à l'égard des autres. Or tant que l'Obligation des Sujets envers leur Prince fubfifte, ils ne peuvent, fous aucun prétexte, lui résister à main armée.

de fe foûlever

ment qu'il paffe

§. VI. LES maximes, qui viennent d'être établies, ne renferment rien, au gré de Les Sujets ne bien des gens, qui donne aucune atteinte au refpect inviolable que l'on doit aux Souve- font pas en drois rains. Mais on ne fauroit approuver l'opinion de ceux qui difent tout crûment, qu'auffi- contre leur Soutôt qu'un Roi a dégénéré en Tyran, il peut être déthroné, & puni même, par le Peu- verain, du mople. Comme les affaires Politiques font la plupart du tems fi obfcures & fi délicates, que pour Tyran. le commun (1) Peuple n'eft pas capable d'examiner, fi les mesures que l'on prend font juftes ou néceffaires, dequoi les Paffions l'empêchent auffi fouvent de juger; & que d'ailleurs il eft ordinairement d'une grande importance pour le bien de l'Etat, que les vues des ordonnances & des entreprifes du Souverain foient tenues fecrettes: il eft bien difficile de déterminer au jufte pour quelles actions un Prince mérite d'être regardé comme un Tyran, contre qui tout foûlevement & toute résistance des Sujets foit légitime (a). Ainfi il peut (a) Voiez Boecler

S. VI. (1) Quand on parle d'un Tyran, qui peut légitimement être dépofé par le Peuple, on n'entend pas par le mot de Peuple la vile populace ou la canaille du Païs, ni une cabale d'un petit nombre de féditieux, mais la plus grande & la plus faine partie des Sujets, de tous les Ordres du Roiaume. De plus, il faut que la Tyrannie foit notoire & de la derniére evidence, en forte que perfonne n'en puiffe plus douter. Or un Prince peut aifement éviter de le rendre fi generalement fufpect & odieux à fes Sujets car, comme le dit Mr. Locke, (dans fon Second Traité du Gouvernement Civil, Chap. XVIII. §. 11.) il eft impoffible qu'un Prince ou un Mageftrat, qui n'a en vue que le bien de fon Peuple, & la confervatien de fes Sujets, & de leurs Loix, ne le faffe connoitre & fentir; de même qu'un Pere de famille ne peut que faire remarquer à fes Enfans, par fa conduite, qu'il les aime, & qu'il prend foin d'eux. Ainfi le foûlevement géneral de toute une Nation ne merite pas le nom de rebellion. On peut voir ce que dit là-deffus Mr. Sidney, dans fon Difcours fur le Gouvernement, Chap. III. Sect. XXXVI. Les Sujets ne font pas même obligez d'attendre que le Prince aît entiérement forgé les fers qu'il leur prépare, & qu'il les aît mis dans l'impuiffance de lui retifter. 11 fuffit que toutes fes démarches tendent manifeftement à les opprimer, & qu'il marche enfeignes déploiées à la ruïne de l'Etat. En ce cas-là, dit très-bien Mr. Locke, on eft auffi bien fondé de courir aux armes, & de penfer férieusement à fa confervation, que le feroient des gens, qui fe trouvant fur mer, que le Capitaine du Vaiffeau a deffein de les mener à Alger, parce qu'ils remarqueroient qu'il tire toûjours de ce coté-là, quoi que les vents contraires, la néceffité de faire radouber fon Vaisseau, & le manque d'hommes ou de vifions le contraigniffent fouvent de changer un peu de route: car ils auroient lieu de penfer, que, ft-tôt que ces obftacles le lui permettroient, il feroit voile fans difcontinuation vers ce malheureux Païs où régne l'Esclavage. Cela a lieu fur tout par rapport aux Rois, dont le Pouvoir eft limité par des Loix Fondamentales. Que fi l'on objecte, qu'en faifant ainfi dépendre l'Autorité Suprême de l'opinion des Particuliers, on expofe l'Etat à une ruïne certaine; le même Auteur vous répondra, qu'il eft au contraire très-difficile de porter le Peuple à chan"ger la forme du Gouvernement, à laquelle il eft ac», coûtumé. L'Angleterre, par exemple, malgré toutes les brouilleries qu'elle a eues dans fon fein, a toùd'un ,, jours gardé la même forme de Gouvernement, » Roi, & d'un Parlement. Quoi qu'aient pâ faire les Rois, on n'a pû porter le Peuple à abolir pour toûjours la Roiauté, ni à tranfporter la Couronne à une Famille etrangére. Mais au moins, dit-on, cette hypothefe eft propre à faire naître des féditions, contre ceux qui gouvernent. Pas plus qu'une autre,

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arri

Mr. Locke: car enfin un Peuple maltraité par un Fou-
voir Arbitraire fe rebelle auffi fréquemment, qu'un
Peuple qui vit fous certaines Loix, qu'il ne veut pas
fouffrir que l'on viole. Que l'on élève les Rois tant
,, que l'on voudra, qu'on dife tout ce que l'on a ac-
coûtumé de dire de leurs perfonnes facrées, & de leur
dépendance de Dieu feul; des Peuples réduits à la
,, mifere, & n'aiant rien à perdre, fouleront aux pieds
toutes ces belles raifons, à la prémiére occafion, où
ils le pourront faire avec fûreté. 2. Une révolution
,, n'arrive pas dans un Etat, pour de légères fautes com-
,, mifes dans le Gouvernement. Le Peuple en fupporte
,, même de très-grandes, & paffe à ceux qui le condui-
fent tout ce que la foiblefie humaine peut leur faire
commettre, lors qu'ils n'ont pas de manvais deffeins.
3. Le pouvoir, que le Peuple a, de changer la Puif-
fance Legislative, ou la Puiffance Exécutrice, lors
» qu'elles agilent contre la fin pour laquelle elles ont
ete etablies, eft un excellent moien d'empêcher la
,, rebellion; parce que la Rebellion ne regarde pas les
,, perfonnes, mais l'autorité des Loix. Ce font ceux
», qui effaient de les renverfer, en introduifant une
», autorite arbitraire, qui font de véritables rebelles
,, comme l'Auteur le fait voir. Enfin il montre qu'il y
a encore de plus grands inconvéniens à permettre
,, tout à ceux qui gouvernent, qu'a accorder quelque
chofe au Peuple. Mais, dit-on, des gens mal-inten-
tionnez fe peuvent gliffer parmi le Peuple, & lui fai-
re accroire que le Prince, ou la Puiffance Législative
pafient l'etendue de leur Pouvoir, quoi qu'ils ne le
faffent point. Mr. Locke repond, que le Peuple nean-
moins doit juger de tout cela; parce que perfonne
,, ne fauroit mieux juger, fi l'on s'aquitte bien d'une
», commiflion, que celui qui l'a donnée. Il pouvoit
,, faire une femblable queftion, (ajoûte Mr. Le Clerc,
de qui j'ai emprunté cet extrait),,& demander, fi un
,, Peuple étant opprimé par une Autorité, qu'il n'a
,, établie que pour fon bien, il eft jufte que ceux,
,, qui font revêtus de cette Autorité, & de qui l'on fe
plaint, foient juges des plaintes, que l'on fait con-
tr'eux? Les plus grands flatteurs des Rois n'ofent
,, pas dire, que le Peuple foit contraint de fouffrir ab-
folument tous leurs caprices, quelque déréglez qu'ils
,, foient; & ainfi il faut qu'ils avouent, que lors que
l'on n'a aucun égard à leurs plaintes, les fondemens
de la Société font ruïnez; le Prince & le Peuple
font en état de Guerre l'un avec l'autre, comme deux
Etats indépendans, qui fe font juftice à eux-mêmes,
& ne reconnoiffent aucune perfonne fur la Terre, qui
puiffe juger fouverainement de leurs démêlez.
bliotheque Univerf. Tom. XIX. p. 591. Voiez le Difcours
fur le Gouvernement, par Mr. Sidney, Chap. 1. Sect,
XLL
(2), Per-

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fur Grotius, Lib. I. Cap. IV. §. 14.

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