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ve de former l'Etat, & qui produit actuellement la Souveraineté; il eft clair, que, lors que le fujet propre de la Souveraineté vient à manquer, le Roiaume n'eft plus qu'un Corps imparfait, uni feulement par la Convention originale des Etats, qui confifte en ce que chaque Particulier eft cenfè s'être engagé envers tous les autres à former une feule & même Société Civile. Cet engagement aquiert néanmoins beaucoup de force par la vue d'une commune (2) Patrie, & de la liaison qui en réfulte, laquelle tient un peu de la parenté; comme auffi par l'intérêt des Citoiens, qui ont la plupart leurs biens attachez au Païs (3), d'où ils ne fauroient les transporter ailleurs qu'avec beaucoup de peine, & qui, outre (4) la douceur du Climat, auquel ils font accoûtumez dès leur enfance, trouvent là toutes les perfonnes qui leur font les plus chéres, & avec lesquelles ils font étroitement unis par le fang, le fang, ou par l'alliance. C'eft pourquoi il y a une plus forte liaison entre les Citoiens d'un Etat, pendant l'Interregne, qu'entre les Soldats, fur tout ceux des troupes étrangères, après la mort de leur Général; la plupart des derniers n'aiant point de Patrie, ou du moins étant de différens Pais. Ainfi les gens un peu accommodez, pour conferver & mettre en fûreté tout ce qu'ils ont, entretiennent la paix avec leurs Concitoiens, pendant l'Interregne, & s'empreffent à rétablir parmi eux le Gouvernement. Au refte, quoi que l'on puifle appeller, avec un ancien Hiftorien, un Roiaume pendant l'Interregne (5), un Etat fans Gouvernement, & une Armée fans Général: cependant, comme tant que le Gouvernement n'a pas encore été mis entre les mains d'une perfonne ou d'une Affemblée (a), l'Etat naillant tient quelque chofe d'une Démocratie; & que d'ailleurs il eft na- (a) Voiez ci-defturel, que quand celui, à qui une Multitude avoit confié le foin de la gouverner, vient fus, Chap.V. §.6. à mourir, fans qu'il y ait aucun Succeffeur défigné, elle pourvoie elle-même à la propre confervation & à fes befoins; les Interregnes produifent une espece de Démocratie établie feulement pour un tems, en forte que l'on doit pendant ce tems-là adminiftrer en commun les affaires publiques, & élire un nouveau Roi d'un commun confentement; à moins que l'on ne trouve à propos de changer la forme du Gouvernement. Du refte, le Peuple, pendant l'Interregne, ne conftitue pas proprement une Démocratie parfaite, puis qu'il n'a point encore réfolu de laiffer la Souveraineté entre les mains de l'Affemblée générale de tous les Citoiens, & que les Loix & les Coûtumes publiques font encore accommodées au Gouvernement Monarchique. Il peut arriver néanmoins, lors que le Roiaume ett compofé de plufieurs parties confidérables, par exemple, de diverfes Nations, de différentes Provinces, & d'un nombre de grandes Villes, qu'il résulte de là, pendant l'Interregne, une espece d'Etat (b) Compose.

De ce que nous venons de dire, il paroit, en quel fens il faut entendre ce que Grotius dit, avec plufieurs autres, que quand la Famille Roiale vient à manquer, la Souveraineté retourne à chaque Peuple. C'eft-à-dire, qu'encore que, pendant l'Interregne, le Peuple n'aît pas proprement la Souveraineté, puis qu'on n'a point encore pris de délibération, par laquelle le Gouvernement aît été mis pour toûjours entre les mains de l'Affemblée gé

(2) On peut confulter auffi la Differtation de nôtre Auteur, de Obligatione erga Patriam, qui fe'trouve dans le même Ouvrage, que je viens de citer.

(3) Καὶ γδ οἱ φύσει με πολῖται εἰσι, γνώμη ἢ χρῶνται ὡς πᾶτα γῆ πατρὶς αὐτοῖς ἔσιν, ἐν ᾗ ἂν τὰ ὅπιτήδεια ἔχωσιν, ὗτοι δῆλοί εἰσιν, ὅτι ἂν παρέντες τὸ τ' από λεως κοινὸν ἀγαθὸν, ὅτι τὸ ἑαυτῶν ἴδιον κέρδῶν ἔλθοιεν. διὰ τὸ μὴ τὴν πόλιν, ἀλλὰ τὴν ἐσίαν πατρίδα αὐτοῖς ἡγεῖ. ,, Ceux qui étant Citoiens de naiffance, font dans ces ,, fentimens, que tout Païs, où ils peuvent trouver de ,, quoi vivre commodément, eft leur Patrie; donnent ,, lieu manifeftement de penfer, qu'ils préféreront leur intérêt particulier au bien de l'Etat parce que ce n'eft pas l'Etat qu'ils regardent comme leur Patrie,, mais les biens qu'ils y poffedent. Lyfias, contra Philen. Orat. XXX. Cap. II. p. 471. Voiez auffi Antiphon,

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nérale

Orat. XVI. C'eft pour cela que les anciens Remains ne
prenoient pour Soldats que ceux qui avoient dequoi;
afin que les biens de chacun fuffent un gage de fa fidéli.
τέ, ενέχυρον τὴν ἐσίαν εκάσε τιθέναι δοκέντα, comme
le dit Plutarque, dans la vie de Marius, pag. 410. A.

(4) Tite Live fait cette réflexion, que Brutus auroit
rendu un mauvais fervice à la République Romaine, fi,
par un der trop precipite de la Liberté, il ent chafe
quelcun des prémiers Rois, avant que l'amour de la Pa-
trie eût uni cette multitude de gens ramaffez de toutes
parts, priufquam pignora conjugum ac liberorum, caritaf-
que ipfius foli, cui longo tempore affuefcitur, animos eorum
confociaffet. Lib. II. Cap. I.

(5) Timer deinde Patres inceffit; ne civitatem fine imperio, exercitum fine duce, multarum.cirea civitatum irritas tis animis vis aliqua externa aderiretur. Lib. I. Cap. XVII.

(b) Syftema Civitatum. Voiez ci

$.

16, & fuiv.

(c) Lib. I. Cap.

. §. 7. num. 2.

De ceux qui font déclarez Régens

du Roiaume pen

dant l'Interregne. (a) Les Latins

les nommoient Interreges.

(b) Voiez Con Lufitan. Lib. III.

neftag. de unione

nérale de tous les Citoiens; le Peuple peut néanmoins, en attendant, exercer ou par luimême, ou par fes Députez, tous les actes de la Souveraineté qu'il juge néceffaires pour fa propre confervation. Car c'eft fe tromper que de dire, comme font quelques-uns, qu'après l'extinction entiére de la Famille Régnante, le pouvoir d'exercer la Souveraineté ne retourne pas au Peuple, mais feulement le pouvoir de fe choisir un autre Prince; comme s'il falloit néceffairement que le Peuple créât un nouveau Roi, & comme s'il ne lui étoit pas libre de changer déformais le Gouvernement en Ariftocratique, ou Démocratique.

§. VIII. MAIS c'eft une très-fage précaution que celle des Etats, qui, pour prévenir les troubles & les inconvéniens ordinaires de l'Interregne, défignent par avance ceux qui, doivent prendre en main les rênes du Gouvernement durant l'Interregne. De quelque maniére qu'on appelle ces Régens (a) du Roiaume, ce ne font que des Magiftrats à tems, &, pour ainfi dire, par provifion, qui exercent au nom & en l'autorité de tout le Peuple, les actes de la Souveraineté, du moins autant qu'il eft néceffaire pour entretenir la paix dans la Société du refte ils font fujets à rendre compte au Peuple de leur administration, à quoi le nouveau Roi même les oblige quelquefois au nom du Peuple. Dès que ce Roi eft créé, ou que l'on a établi une autre forme de Gouvernement, leur Pouvoir finit de lui-même. Que s'il y a, dans un Roiaume, un Confeil d'Etat perpétuel, mais qui pendant la vie du Roi n'avoit aucune part à la Souveraineté, elle ne lui revient pas de droit après la mort du Roi. On ne fauroit mieux faire à la vérité que de donner la Régence du Roiaume à ce (c) Voiez Bodin. Confeil, qui, du vivant même du Roi, avoit eû fous lui l'adminiftration d'une partie des Gap. 11. p. 417. affaires publiques. Mais tout le Pouvoir qu'il exerce pendant l'Interregne, eft cenfé lui (d) Voiez T. Liv. avoir été conféré par le Corps du Peuple: car celui qu'il tenoit du Roi en forme de MaLib.I. Cap.XVII. & Dénys d'Hali- giftrature fubalterne, finit du moment que le Roi vient à mourir fans laiffer (b) aucun Succarn.Lib.II.com- ceffeur; & s'il continue fes fonctions, c'eft déformais par la conceffion du Peuple, & non re de l'Interre- pas par une fuite de la faveur du Roi (c). Ainfi il ne fauroit légitimement garder la Régne de Pologne, gence plus long-tems que le Peuple ne le veut; moins encore s'ériger en Souverain perpéSigifmond, dans tuel, ou établir de fa pure autorité un Gouvernement Ariftocratique car c'est à tout le Paul. Piafec. ad Corps du (d) Peuple à régler la forme du Gouvernement, comme il le juge à propos; à ann. 1632. moins qu'il ne fe foit engagé avec ferment à laiffer fubfifter l'ancienne.

p. 116.

de Rep. Lib. III.

me auffi l'hiftoi

après la mort de

Examen de l'o

fur l'Interregne.

VII. §. 16.

§. IX. POUR éclaircir cette matiére, il eft bon d'examiner les paroles fuivantes de pinion de Hobbes Hobbes: (a) Suppofons, dit-il, qu'un Peuple ait conféré la Souveraineté à une perfonne pour (a) De Cive,Cap. toute fa vie feulement, & qu'après cela les Citoiens fe foient feparez fans rien régler du tout au fujet du lieu où ils doivent fe raffembler après la mort de celui qui vient d'être élû. En ce cas-là, il eft clair, que le Peuple n'est plus une feule Perfonne Morale, mais une multitude de gens qui n'ont point de liaison ensemble, & dont chacun a une pleine liberté de s'affembler avec qui il veut, en en divers tems & en divers lieux. Ainfi un Monarque établi de cette maniére, eft oblige, en vertu de la Loi Naturelle qui défend de rendre le mal pour le bien, à prendre des précautions, afin que l'Etat ne vienne pas à être détruit après fa mort; & c'est ce qu'il peut faire, ou en marquant un certain tems & un certain Lien, dans lequel les Citoiens pourront s'affembler, s'ils veulent, ou en nommant fon Succeffeur, felon qu'il le juge à propos pour le Bien Public. Mais il eft faux, qu'un Peuple, qui, après l'élection d'un Roi, n'a point réglé le tems & le lieu d'une autre Aflemblée, devienne, après la mort du Roi, une multitude de gens fans liaison. J'avoue, que ceux qui s'étant affemblez pour former une Société Civile, fe féparent fans prendre aucune délibération fur la maniére dont ils doivent tenir déformais leurs Séances, ni fur la forme du Gouvernement, demeurent chacun dans le même état où ils étoient auparavant. Mais Mais pour ceux qui fe font foumis à la domination d'un Roi, & qui par là ont formé un Etat parfait, dans lequel ils fe font établis; on ne fauroit préfumer, qu'ils aient été fi peu foigneux de leur confervation & de leurs intérêts, que de vouloir que cet Etat fut détruit prefque dans fa naiflance, c'est-à-dire, après la mort du Roi, & que tous les Citoiens rentraffent,

au

au bout d'un fi petit efpace de tems, dans l'indépendance & dans l'Anarchie de l'Etat Naturel. Lors donc que le Roi élû n'a point reçû, avec la Couronne, le droit de la laiffer à fes Héritiers, ou de nommer tel Succeffeur que bon lui fembleroit; les Citoiens conviennent, du moins tacitement, de fe raffembler incontinent après la mort du Roi, & cela ou dans le lieu qu'ils avoient accoûtumé de choisir pour leurs Affemblées, ou dans celui qui étoit le domicile ordinaire du Roi défunt. Il est même bien difficile qu'il ne fe trouve, parmi le Peuple, des Citoiens diftinguez, qui ont affez de crédit pour tenir les autres dans leur devoir, pendant l'Interregne, & pour les obliger à pourvoir inceffamment aux besoins de l'Etat. De là il paroit encore quel jugement on doit faire de cette autre pensée du même Auteur: (b) Lors, dit-il, qu'un Monarque fe démet de la Souveraineté, & y renonce (b) Leviath. Cap. pour lui & pour fes Héritiers, les Sujets rentrent dans la Liberté abfolue de l'Etat Naturel. Cela peut être admis, fi on entend feulement, que les Citoiens recouvrent un plein droit de régler déformais, comme ils l'entendront, la forme du Gouvernement; mais non pas en ce fens, qu'ils deviennent dès lors une Multitude fans liaison.

XXI.

la mort d'un

Reine enceinte.

au fujet du Roi

§. X. IL furvient une autre espece d'Interregne dans les Roiaumes Héréditaires, lors De l'Interregne que le Roi en mourant a laiflé la Reine enceinte, ou que du moins il l'a crue telle. A la qui furvient par vérité la plupart des Nations s'accordent à reconnoitre, que l'on peut transférer quelque Roi, qui laifle la droit (a) aux enfans même qui font encore dans le fein de leur Mére, quoi qu'ils ne foient cercete (a) Voicz ce que pas capables d'en faire actuellement ufage. Or, tant qu'il y a un fujet propre de la Sou- firent les Perfes, veraineté, il ne furvient point d'Interregne d'où vient que, quand un Roi eft Mineur, Saper, lors qu'il ou qu'il tombe entre les mains des ennemis (1), il n'y a point d'Interregne proprement etoit ainfi dit. Mais cependant, avant que la Reine aît accouché, on n'eft pas aflûré fi l'Enfant dans le fein de naîtra mort ou en vie, & fi c'eft un garçon ou une fille; ce qu'il eft abfolument néceffai-garh. Lib. IV. re de favoir dans les Etats où le Roiaume ne tombe pas en quenouille. Ainfi jufques à ce Cap. X. que l'événement aît éclairci tout cela, le Peuple n'aquiert pas les droits qu'il auroit dans un Interregne bien évident; de forte qu'en attendant le Roiaume doit être gouverné de même maniére qu'il le feroit durant la Minorité du Roi (b).

la

encore

fa Mere: apud

(b) Voiez De Ser

res, Inventaire de l'Hift. de Philippe de Valois, au

commencement.

De la Succeffion, dans les Rotan

mes Patrimoтанх.

(a) Voiez Grotius,

Lib. II. Cap. VII.
S. 12, 13.

exemple, Al

§. XI. L'AUTRE maniére dont les Rois font établis, c'eft le droit de la Succeffion, par lequel ceux qui ont une fois aquis la Couronne, la tranfmettent à leur poftérité. L'ordre de cette (a) Succeffion eft réglé ou par la volonté du Roi, ou par celle du Peuple (1). Dans les Roiaumes Patrimoniaux, chaque Roi eft en droit de régler la Succeffion comme il le juge à propos; & lors qu'il a expreffément déclaré fa volonté là-deffus, on doit la fuivre auffi religieufement que fi c'étoit le Teftament d'un fimple Particulier. Ainfi un Prince qui eft Roi fur ce pied-là, peut partager également le Roiaume à fes Enfans, fans en excepter les Filles; &, au défaut d'Enfans Légitimes, appeller à la Succeffion un (b) Fils (b) Comme, par Naturel, ou un Fils Adoptif, ou même toute autre perfonne qui n'eft fon parent en au- phone V. Roi cune manière (c). Que s'il n'a point nommé de Succeffeur, il faut fuivre alors l'ordre na- d'Arragon, laiffa turel de la Succeffion. Car on préfume, qu'il n'a pas prétendu faire tomber l'Etat, après Naples à Ferdisa mort, dans une Anarchie pernicieuse à fes Sujets, ce qu'il n'auroit pû vouloir fans une nand. Voiez Guicgrande inhumanité: d'autant plus que, s'il avoit eû ce deffein, il lui étoit aifé de le fai- ciardin, Lib. V. (c) Voicz Jufin, re connoitre; & en ce cas-là les Citoiens auroient pû par avance prendre de bonnes me- Lib. XLI. Cap. fures pour prévenir de fi fàcheux inconvéniens. D'ailleurs, on a lieu de croire, que les 10 ou Rois, auffi bien que les autres Hommes, ne prétendent pas que les biens, qu'ils ont aquis, périffent après leur mort, ou foient abandonnez au prémier occupant, mais qu'ils

S. X. (1) Il eft pourtant arrivé quelquefois (ajoûtoit ici nôtre Auteur) que les parens d'un Roi prifonnier l'ont tenu pour civilement mort; au lieu qu'ils auroient dù fe contenter de prendre en fon nom l'adminiftration des affaires publiques, jufques à ce qu'il fût forti de captivité, où veritablement mort dans fa prifon. Voiez Juftin, Lib. XXXVI. Cap. I. & Trebell. Pollio, in GalTO M. II.

le Roiaume de

Phrahate laiile

l'Empire des

Parthes à Mithridate fon Frere, a veu- l'exclufion de tous fes Enfans.

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IX.. J. IS..

veulent au contraire les laiffer aux perfonnes qui leur étoient les plus chéres. Ainfi, dans les Roiaumes Patrimoniaux, l'ordre de la Succeffion, lors que le Roi défunt n'a point fait de Testament, doit être réglé de la même maniére que dans les Successions des fimples Particuliers; autant que la conftitution & le falut du Roiaume le permettent. Car, quoi qu'un Pére puiffe aimer quelcun de fes Enfans plus que tous les autres; s'il est raifonnable, il faura fi bien tempérer cette préférence, qu'elle ne tourne pas au préjudice de la Famille, dont la confervation dépend pour l'ordinaire d'une jufte diftribution des biens qu'il laifle; & c'eft ce que l'on doit préfumer, lors qu'il n'a pas déclaré expreffément le contraire. Cela pofé, il s'enfuit 1. Que le Roi d'un Etat Patrimonial veut que la forme du Gouvernement demeure Monarchique après fa mort, comme elle l'étoit fous lui, tant qu'il n'a rien fait ni dit par où il témoignât la défapprouver. 2. De plus, comme tous les Hommes fouhaittent naturellement du bien à ceux qui leur procurent de l'honneur & de la gloire, préférablement à tous les autres; & que les Enfans font ceux dont l'éléva tion & la puiffance contribue le plus à immortalifer la mémoire d'un Pére: il eft censé vouloir du bien à fes Enfans, plûtôt qu'à toute autre perfonne: car, à moins qu'il ne s'en foit expliqué formellement, on ne préfume pas qu'il aît été aflez fou pour vouloir fruftrer fes Enfans d'une fi belle Succeffion, & la laiffer au prémier occupant, ou en faire une pom(d) De Cive,Cap. me de difcorde. Hobbes (d) ajoûte pourtant cette exception: S'il n'y a point d'indice manifefte d'où l'on ait lieu d'inférer, que le Roi, qui eft mort fans faire Teftament, n'a pas prétendu que La Couronne passat à fes Enfans; comme, par exemple, une Coûtume établie depuis long-tems, & qui a été obfervée dans plufieurs Succeffions: celui qui ne défigne point fon Succeffeur, étant cenfe confentir, que l'on fuive la Coûtume. Mais cette Coûtume, foit qu'elle tire fon origine du prémier Auteur de la Famille Régnante, ou de quelcun de fes · Descendans, eft devenue une Loi Fondamentale de l'Etat. Or ce n'eft pas dequoi il s'agit ici: car nous cherchons quel doit être l'ordre de la Succeffion, lors que le Roi ne l'a point réglé, & qu'il n'y a point d'ailleurs de Loi ni de Coûtume qui le détermine. 3. On préfume encore, qu'un Roi veut non feulement que fon Roiaume conferve une forme réguliére, c'eft-à-dire, que les parties de la Souveraineté ne foient pas divifées entre plufieurs Fréres, ou plufieurs autres parens au même degré, & qu'ils ne gouvernent pas non plus par indivis avec un même pouvoir; mais encore que l'on ne démembre pas le Roiaume, en forte qu'au lieu d'un il s'en forme plufieurs diftincts: l'une & l'autre de ces chofes étant fort contraire au bien de l'Etat, & à l'avantage de la Famille Régnante. 4. Les Enfans Mâles, quoi que plus jeunes, doivent être préférez aux Filles; parce qu'ordinairement les femmes ne font pas fi capables, que les hommes, de bien conduire un Etat; & que leur Gouvernement eft prefque toûjours fujet à des inconvéniens fâcheux, fur tout lors qu'el les montent fur le Throne paternel à l'exclufion de leurs Frères. 5. Entre plufieurs Enfans de même sexe, le plus âgé doit fuccéder, non feulement à cause qu'il eft cenfe furpaffer les autres en prudence, auffi bien qu'en années, mais encore parce que tous les Frères font égaux à l'égard de la liaison du fang qu'ils ont avec leur Pére, de forte que, s'il falloit donner la Couronne au plus digne de la porter, cela produiroit entr'eux des inimitiez & (c) Voiez les des difcordes funeftes, comme (e) on l'a vu depuis peu dans l'Empire du Grand Mogol.. Volages de Ber- Pour prévenir donc ces défordres, le meilleur eft de fuivre (f) l'ordre de la naiffance, fur (f)Voicz Xenoph. lequel auffi prefque toutes les Nations fe réglent ici conftamment, comme fur une Loi que Cyrop. Lib. Vill. la Nature elle-même nous fuggére. Mais il faut que l'Aîné, qui hérite par le bonheur de Henr. Steph. dans la naiflance, donne à fes Frères dequoi s'entretenir honnêtement felon leur condition (g).. Je dernier Dif- Car il n'eft ni nécessaire, ni poffible, de les dédommager en leur donnant la valeur de ce cours de Cyrus, à quoi pourroit fe monter leur portion, fi le Roiaume étoit partagé entre tous. Suppo(g)Voicz Boecler. fons, par exemple, quatre Frères : d'où eft-ce que l'Aîné pourroit tirer affez d'argent pour fr Grotius, Lib. paier la valeur des trois quarts de fon Roiaume ? 5. Si le Roi eft mort fans Enfans, les II. Cap. VII.§.13. Fréres ou les Sœurs doivent fuccéder, & à leur défaut le plus proche parent, fauf néan

nier.

pag. 139. Ed..

Enfans.

Lib. II. Cap.VII.

moins toûjours la prérogative de l'âge, & du fexe. La Couronne peut même échoir aux plus proches Heritiers du dernier Roi, quoi qu'ils ne foient pas de la race du fondateur de la Monarchie, non feulement fi le Roi défunt l'a ainfi ordonné expreffément, mais encore fi cet ordre de Succeffion eft établi dans le Roiaume à l'égard des Particuliers: car on préfume que le Roi a voulu qu'il eût lieu au fujet de fon propre patrimoine (h), tant qu'il ne (h)voiez Grotius, paroit point d'acte formel, par lequel il en aît difpofe autrement. Hobbes (i) ajoûte ici une 5.11. num. 2. autre Régle, qui n'eft pas auffi inconteftable. De la même maniére, dit-il, que l'on kérite (1) De Cive, Cap. de la Souveraineté, on hérite auffi du droit de fuccéder à la Couronne. Car, fi un Aîné meurt IX. §. 19. avant fon Pére, il eft cenfé avoir tranfmis fon droit aux Enfans qu'il laiffe, à moins que le Pére n'en alt difpofe autrement. Ainfi les Petits-fils on Petites-filles doivent fuccéder préféra. blement à leurs Oncles (k) Paternels. J'avoue que ce droit de (2) Repréfentation eft extré- (k) Il y a dans le mement favorable, & qu'on a raifon d'y avoit beaucoup d'égard, afin que les Enfans ne mais Hobbes a foient pas fruftrez de la Succeffion, pour avoir eû le malheur de perdre de bonne heure voulu dire P4leur Pére, de qui ils l'attendoient. Cependant, comme tant que le Pére eft en vie, le Fils n'a pas un plein droit fur fes biens, mais feulement l'efpérance d'en hériter un jour; & qu'il ne paroit pas abfolument néceffaire qu'une efpérance, qui n'a pas encore aquis force de droit, paffe aux Enfans du défunt: le Droit Naturel tout feul ne donne pas inconteftablement la préférence aux Petits fils par deflus leur Oncle, à moins que cette prétention de Rep. Lib. VI. ne foit foûtenue par les Loix du Roiaume, ou par la Coûtume (1).

Latin Avunculi:

trui.

(1) Voiez Bodin,

pag. 144, & feqq.

mes établis par la

§. XII. MAIS, dans les Roiaumes qui ont été établis par un confentement libre du De la Succeffion, Peuple, l'ordre de la Succeffion dépend auffi originairement de la volonté du Peuple. Si dans les Roiandonc le Peuple, en fe choififfant un Roi, lui a non feulement conféré la Souveraineté, volonté du Peu mais encore donné expreflément le pouvoir de nommer fon Succeffeur (ce qui n'arrive ple; & 1. de la Succeffion puguéres;) en ce cas-là, celui qui aura été défigné par le Roi défunt, fuccédera incontefta- rement Herediblement. Mais fi le Peuple s'eft refervé à lui-même le droit de régler l'ordre de la Succef- taire. fion, comme cela fe fait ordinairement; ou il a voulu que l'on fuivît les régles des autres Succeffions, autant qu'elles peuvent être appliquées à la Succeffion au Roiaume, fans préjudice de l'Etat, ou bien il les a modifiées d'une façon particuliére. La prémiére forte de Succeffion s'appelle purement Héréditaire, & l'autre Linéale.

(a) Voiez Grotius,

Lib. II. Cap. VII. §. 14. & Segg.

suprà, §. 15.

A l'égard de la Succeffion purement Héréditaire, voici à peu près en quoi le bien de l'Etat demande qu'elle fuive une route un peu différente des Succeffions des Particuliers (a). 1. Le Roiaume ne doit pas être partagé entre plufieurs Frères, ou autres Héritiers au même degré; (1) autrement on affoibliroit l'Etat, & l'on diminueroit l'union & la concorde des Citoiens. 2. Il faut que la Succeffion demeure dans la poftérité du prémier, & qu'elle ne paffe pas à ceux qui ne lui font parens qu'en Ligne Collatérale, moins encore à ceux qui ne font unis avec lui que par des liaifons d'Affinité (b). En effet le Peuple a prétendu don- (b) Voiez Boerler ner la Couronne à ce Roi & à sa postérité; de forte que, dès qu'il ne refte plus aucun de fur Grotius, ubi fes Defcendans, le droit de difpofer du Roiaume retourne au Peuple. 3. On ne doit admettre à la Succeffion que ceux qui font nez d'un Mariage conforme aux Loix du Pais. Par là les Enfans Naturels ou Bâtards en font exclus, quand même le Pére les auroit aimez auffi tendrement que fes Enfans Légitimes. Car on regarde avec mépris, du moins parmi les Nations un peu polies, ceux qui font nez d'une Mére à qui leur Pére n'a pas fait l'honneur de l'époufer dans les formes, & avec qui il a eu un commerce de galanterie, plûtôt qu'une véritable liaison de fociété. Outre que, comme ces fortes de Femmes n'ont point donné la foi de Mariage à celui à qui elles ont accordé leurs faveurs, & qu'el les ne demeurent pas continuellement avec lui, on ne peut pas être bien affùré qui est le

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