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Ce que c'eft qu'un Etat Irré gulier.

autre, lors que la maniére, dont le Souverain gouverne, femble empruntée de la forme
du dernier comme fi, dans un Etat Démocratique, il y a un Chef, ou un Sénat, qui
foit chargé du soin de la plus grande partie des affaires; ou fi, dans un Etat Aristocrati-
que, il y a un principal Magiftrat, revêtu d'une Autorité toute particuliére, ou une Af
femblée du Peuple, que l'on convoque quelquefois pour le faire opiner fur plufieurs for-
tes d'affaires; ou fi, dans un Etat Monarchique, les affaires importantes doivent être pro-
pofées dans un Sénat, ou dans une Affemblée du Peuple. Que fi cette diftinction ne fuf-
fit pas pour expliquer quelques paffages des Anciens, que l'on allégue, voici d'autres re-
marques, qui feront comprendre ce que l'on doit penfer là-deffus. L'effence d'un Etat par-
fait & régulier confifte, comme je l'ai fait voir ci-deffus, dans une certaine union, par la-
quelle tout ce qui eft néceffaire pour le gouverner foit conduit, pour ainfi dire, par une
même ame. Cela étant, on voit manifeftement, que la prémiére forte de Gouvernement
Mixte, dont on parle ici, forme un Corps uni par une fimple Convention, & par con-
féquent un Etat fort irrégulier, affez foible, & très-sujet à des maladies & des Guerres in-
teftines. A l'égard de l'autre forte, je dis, que, fi ceux qui poffédent ainfi la Souveraine-
té par indivis, compofent un Sénat perpétuel, qui, comme un feul Corps, gouverne tout
l'Etat, c'est une véritable Ariftocratie, mais conftituée de telle façon, que les affaires y
font très-difficiles à terminer, puis que l'oppofition de quelque peu de personnes, ou mê-
me d'une feule, fuffit pour rendre inutiles les délibérations les plus unanimes de tous les
autres. Que fi chacun étant d'ailleurs égal aux autres, poffède en propre une partie des
terres de l'Etat, mais en forte qu'aucun ne puiffe exercer les actes de la Souveraineté, fans
le confentement unanime de tous les autres, ce fera proprement un Corps compofé de plu-
Lieurs Etats, mais qui, pour être trop gêné par cette fujettion fuperflue, ne fera guéres ca-
pable d'agir, & d'expédier les affaires communes. Enfin, fi un de ceux qui poffèdent la
Souveraineté indivis, a quelque autorité & un rang
par
deflus les autres,
confidérable par
avec le droit d'exercer lui-feul quelques petites parties de la Souveraineté; c'est un Etat ir-
régulier, qui tient le milieu entre une Monarchie trop chargée de Grands Seigneurs, & un
Corps compofé de plufieurs Etats. L'irrégularité deviendra plus grande, s'il y en a plus
d'un qui foit élevé au deffus des autres en prééminence & en autorité.

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§. XIV. POUR moi, fi malgré tout ce que j'ai dit, on veut encore retenir le nom de Gouvernement Mixte, j'y confens de tout mon cœur. Mais on me permettra bien auffi de préférer celui qui me paroit le plus clair, le plus commode, & le plus propre à expliquer certains Phénomenes, pour ainfi dire, que l'on remarque dans quelques Etats. J'appelle donc Etats Irréguliers, ceux où l'on ne voit ni aucune des trois formes régulières, ni une fimple maladie, ou une fimple corruption du Gouvernement, fans que d'ailleurs ils puiffent proprement être rapportez à un a un Corps compofe de plufieurs Etats. Ils différent des Etats Réguliers, en ce que toutes les affaires ne font pas gouvernées par une feule volonté, & que tous les Citoiens en général & chacun en particulier ne dépendent pas d'un empire commun. Ils différent des Corps compofez de plufieurs Etats, en ce que chacun de ces Etats unis eft un Etat diftinct & parfait. Enfin ils différent des Etats malades, en ce que ces maladies ont toûjours quelque chofe de honteux & de blâmable, puis qu'elles proviennent d'un mauvais ufage d'une bonne forme de Gouvernement, ou de l'établissement de quelques mauvaises Loix & de quelques mauvaises Coûtumes: au lieu que l'irrégularité change non feulement la forme intérieure du Gouvernement, mais encore eft approuvée par un confentement public & authentique. Ainfi la maladie arrive contre l'intention de ceux qui ont fondé l'Etat, & elle y eft toûjours regardée comme un vice: au lieu que l'irrégularitéLe forme ou s'entretient par la volonté ou par l'approbation des Membres de l'Etat. La prémiére reffemble à un bâtiment, dont le plan, a été fait felon les régles de l'Architecture, mais dans la conftruction duquel on a emploié de mauvais matériaux, ou dont le toit découvre, les murailles menacent ruine, les poutres plient, les fondemens croûlent,

le tout par la négligence de celui qui y loge. L'autre eft comme un édifice, dont l'Archi tecte s'éloigne de propos délibéré des Régles ordinaires de l'Art, ou dans lequel appercevant quelques défauts qui s'y font gliffez malgré lui, il imagine quelque expédient extraordinaire pour ajuster & affortir, comme il peut, les endroits irréguliers avec le refte

du bâtiment.

XXIX.

Il y a des irrégularitez du Gouvernement qui fe font formées dès le commencement même de l'Etat; & d'autres qui ont été introduites avec le tems, & d'une manière impercep tible. En effet, il peut arriver, que les Fondateurs d'un Etat, ou ceux qui font quelque changement confidérable dans le Gouvernement déja établi, ne lui donnent pas une forme régulière, foit par ignorance, ou parce que la fituation préfente des affaires ne leur permet pas de penfer à régler toutes chofes avec la derniére exactitude (a). Quelquefois (a) Voiez Hobbes auffi ceux qui ont été les principaux inftrumens pour élever un Prince fur le Throne, fe Leviathan, Cap font donner, en reconnoiffance d'un tel fervice, de fi grandes Seigneuries,& de fi grands priviléges, qu'ils ne peuvent plus déformais être regardez comme de véritables Sujets. Souvent auffi, par la négligence du Souverain, ou par quelque autre caufe, l'Etat fe trouve attaqué d'une maladie fi invétérée, qu'on ne pourroit entreprendre de l'en guérir entiérement, fans le détruire: & alors le feul parti qui refte, c'eft de changer, pour ainfi dire, le mal en bien, par une approbation publique, & d'appeller déformais un droit, ou un privilége, ce qui jufques-là avoit été flêtri du nom d'ufurpation, de faction, ou de re

volte.

§. XV. ON ne fauroit fixer un certain nombre de formes (1) irrégulières de Gouverne- Exemples de ces ment, ni les réduire à certaines efpeces, à caufe de la grande diverfité des irrégularitez que irrégularitez, l'on remarque actuellement dans ces fortes d'Etats, ou de celles que l'on peut, outre cela, concevoir comme poffibles. Pour faire donc comprendre un peu plus diftinctement la nature des Gouvernemens Irréguliers, le plus court eft d'en donner quelques exemples confidérables. C'eft ce que j'ai tâché de faire, en examinant la conftitution de (2) la République Romaine. Un Auteur Moderne, qui fe nomme (3) Sévérin de Monzambano, a entrepris la même chofe, au fujet de l'Empire d'Allemagne. Je me contente ici de faire quelques remarques fur l'irrégularité que quelques-uns trouvent dans l'ancien Empire Romain, qui femble avoir été divifé quelquefois en deux ou trois parties, comme quand on a vâ deux Empereurs, l'un pour l'Orient, l'autre pour l'Occident, ou même trois, dont chacun avoit fon département: quelquefois aufli avoir eû deux ou trois Chefs, ou deux ou trois Empereurs, qui comme Collègues gouvernoient les affaires en commun par indivis. A l'égard du premier cas, je dis, que lors que deux Empereurs, indépendans l'un de l'autre, régnoient à part, l'un en Orient, l'autre en Occident, c'étoient véritablement deux Monarchies diftinctes, auxquelles on donnoit en commun le nom d'Empire Romain, parce qu'elles étoient forties du partage de ce grand Empire: outre qu'il paroiffoit y avoir entr'elles quelque efpece d'union, à caufe que les Loix & les Coûtumes en étoient fort femblables; que les Princes & les Peuples de l'une avoient des liaifons étroites avec ceux de l'autre, par la parenté, par une origine commune, & par la confédération; & que las Couronne de chacun de ces Empires étoit, pour ainfi dire, fubftituée à ceux qui gouvernoient l'autre. Mais il n'eft pas fi facile de trouver un nom qui exprime bien la forme dur Gouvernement de l'Empire Romain, lors qu'il y avoit deux ou trois Empereurs, qui gou

5. XV.. (1) Voiez la Differtation de nôtre Auteur, de Republica Irregulari, qui eft parmi fes Differtationes Academica felectiores, & dans laquelle il traite un peu plus à fond cette matiére.

(2) Dans une Differtation, intitulée, de Forma Reipublica Romana, parmi celles que je viens de citer.

(3) La voix publique donne cet Ouvrage à nôtre Auteur. Quoi qu'il ne l'aît jamais avoué publiquement, que je fache; il l'a lui-même défendu vigoureusement

ver

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a) Voiez Plu

tarch. in Vita Romuli.

(b) Voiez Erycius Putean. Hift. In fubric. Lib. II.

(c) Procop. Lib.I.

Hift. Goth.

vernoient ensemble par indivis. Deux perfonnes certainement ne fauroient conftituer une Ariftocratie. Car chacun aiant un Pouvoir égal, comme on le fuppofe, ils ne peuvent être liez que par une fimple Convention; & toutes les fois qu'ils ne fe trouveront pas de même avis, il n'y a pas moien de terminer les affaires, faute d'un tiers qui fafle pancher la balance. J'avoue que le même inconvénient fe trouve dans un Confeil compofé d'un nombre pair de Sénateurs: mais, outre que cette égalité de voix eft beaucoup plus rare dans une Affemblée un peu nombreuse, il peut aifément arriver, que quelcun de ceux qui font de l'un ou de l'autre fentiment, fe range de l'autre côté : autrement on doit s'en tenir à l'opinion qui laiffe les chofes dans leur ancien état. Ce n'étoit pas non plus proprement une Ariftocratie, lors qu'il y avoit trois Empereurs à la fois, puis qu'ils n'étoient pas Collégues de telle maniére, qu'ils formaflent une Aflemblée, où les affaires de l'Empire fe décidaffent à la pluralité des voix, & où les deux, qui étoient de même sentiment, puffent obliger le troifiéme avec autorité à s'y conformer: or, dans toute Affemblée, où la moindre partie n'eft pas tenue d'aquiefcer au fentiment du plus grand nombre, les Membres ne font pas tant unis par le lien du Gouvernement Civil, que par une fimple Convention. Il faut donc dire, à mon avis, que la Souveraineté réfidoit véritablement & originairement en (4) la perfonne de celui, qui s'étoit affocié un autre à l'Empire; quoi que, par rapport aux marques extérieures de la Dignité Impériale, celui-ci femblat être devenu entièrement égal au prémier. Et il n'y avoit guéres à craindre, que le nouvel Empereur fût affez ingrat pour agir contre la volonté de fon bienfaicteur; d'autant mieux (5) que c'étoit d'ordinaire un Fils, un Gendre, ou un Frére, que l'on choififfoit pour l'élever à ce haut rang, de forte que les liens du fang ou de l'affinité étoient un bon garant que l'Affocié n'abuferoit pas de fon Autorité, au préjudice de celui de qui il la tenoit. Ainfi, par cette affociation, l'Empereur régnant ne partageoit pas proprement la Souveraineté avec un autre; il nommoit feulement un Succeffeur & une espece de Vice-Roi général, pour gouverner conjointement avec lui, comme revêtu des marques de la Dignité Impériale expédient auquel on étoit obligé d'avoir recours à caufe de la légéreté des Soldats, que l'on voioit s'être mis fur le pied de proclamer Empereurs leurs Généraux, qui avoient fû les gagner par des largeffes. Que fi ce que nous venons de dire ne fatisfait pas encore, ou qu'on ne puiffe pas l'appliquer à chaque exemple particulier, comme quand (a) Romu lus, & Tatius, régnoient en même tems à Rome; Pertharite, & Gundebert (b), Lombards, en Italie; Theuderic, & Odoacre (c), à Ravenne: il faut néceflairement en venir à reconnoitre, que ce font là des Etats Irréguliers, dont la Souveraineté eft par indivis entre les mains de plufieurs Princes, qui ne font unis ensemble que par une fimple Convention, ou par une espece de faction; de forte que, fi la méfintelligence ou la haine se glisfent parmi eux, il ne (6) peut que naître de là des défiances, & des embûches mutuelles, &

(4) Julius Capitolinus dit, que Lucius Verus, quoi qu'affocie à l'Empire, vêcut foûmis en quelque maniére à Marc Antonin. Vixiffe deinde non in fuo libero principatu, fed fub Marco in fimili ac paris Majeftatis imperio. Cap. I.

(s) Voici ce que dit un ancien Orateur, au fujet de Valentinien, qui s'étoit affocié à l'Empire fon frere Valens : Ὁ ἢ τέλεια μαζὶ λαβὼν, τέλεια ἢ νείμας· ἀδελφὸς καὶ πατὴρ τὸ με ένα τι φύσεως, τὸ ἢ αὐτὸς ποιήσας ἴσα μὺ ἐδωρήσατο, σύμπαντα ἢ ἔχει δι' ευπείθειαν το κοι varioart.,,Valentinien, Frére & Pére tout à la fois, ,, le prémier pat la nature, l'autre par un effet de fa pu,, re volonté; aiant reçû l'Empire entier, l'a commu,, niqué auffi tout entier: mais, quoi qu'il aît donné à ,, fon Frére une égale Autorité, il la conferve néan,, moins toute, à caufe de la condefcendance & de la ,, foûmiffion de celui à qui il en a fait part. Themiftius, Orat. VI. Fratres amantes, pag. 76. B. Edit. Parif. Harduin. C'est ainsi qu'Enée regna trois ans, conjointement avec Latinus fon Beau-pere, Tribufque mox annis cum

Latino regnavit focia poteftate. Solin. Cap. VII

en

(6) En effet, un Souverain ne fauroit gueres fe réfoudre à fouffrir d'égal, & ceux qui partagent enfemble la Roiauté, ne fe voient prefque jamais de bon cuil. Il n'y a ici parenté qui tienne. Un ancien Poëte le prouve par l'exemple de Romulus & Rémus, Fréres jumeaux, dont le premier fe défit de l'autre, pour régner feul dans un petit coin de terre, où il avoit ouvert un Azile à toute forte de fcélérats.

Dum terra fretum, terramque levabit
Aer, & longi volvent Titana labores,
Noxque diem cælo totidem per figna fequetur,
Nulla fides regni fociis, omnifque poteftas
Impatiens confortis erit, nec gentibus ullis
Credite, nec longè fatorum exempla petantur:
Fraterno primi maduerunt fanguine muri.
Nec pretium tanti tellus pontufque furoris
Tunc erat: exiguum dominos commifit afylum.
Lucan. Pharfal. Lib. I. verf. 89. & feqq.
Voicz Euripide, dans son Andromaque, verf. 471. & feqq..

enfin des Guerres Civiles. On peut auffi appliquer en général à ces fortes d'Etats, ce que Sélim, Empereur des Turcs, difoit de l'Empire d'Allemagne, qu'il comparoit à une Tortue, qui ne fe remue tout d'une pièce qu'avec beaucoup de peine (7), & dont les parties ne demeurent pas long-tems dans une bonne harmonie (8).

§. XVI. VENONS maintenant aux (1) Etats Compofez, par où j'entens un assemblage Un Etat n'eft pas de plufieurs Etats étroitement unis ensemble par quelque lien particulier, en forte qu'ils fem- avoir plufieurs composé, pour blent ne faire qu'un feul Corps, quoi que chacun conferve toujours en lui-même la Souverai- Provinces. neté, indépendamment des autres.

XXII.

Il paroit par cette définition, qu'on ne doit pas, comme fait (a) Hobbes, mettre au (a) Leviath. Cap. rang des Etats Compofez, ceux qui renferment fimplement plufieurs Corps fubordonnez; ni ceux qui fe font aggrandis en engloutiffant d'autres Etats, qu'ils ont incorporez avec leur ancien Domaine: ce qui fe fait en deux façons principales. L'une, lors qu'un Vainqueur transporte dans fes terres les Peuples conquis, ou leur donne les mêmes priviléges & les mêmes Loix qu'à fes anciens Sujets: l'autre, lors que laiffant les Vaincus dans leur Pais, il abolit leur Gouvernement, en forte qu'ils font déformais purement & fimplement Sujets du Vainqueur. Dans l'un & dans l'autre cas le Peuple conquis ceffe d'être un Etat: mais, dans le prémier, les nouveaux Sujets font égaux aux anciens; au lieu que, dans l'autre, les Vaincus font réduits à une condition plus défavantageufe, & érigez en Provinces. Néanmoins on laifle fouvent aux Peuples conquis une partie de leurs Loix & de leurs Priviléges, quelque différens qu'ils foient des Loix & des Coûtumes de l'Etat vainqueur (b). Car l'unité d'un Etat ne demande pas néceflairement, que toutes les terres de (b)Voiez Hobbes; fon obeillance foient gouvernées par les mêmes Loix Pofitives, ou que tous les Sujets Leviath. Cap. foient d'une condition également avantageufe: il fuffit qu'ils dépendent tous d'un Souverain commun. Et c'eft fouvent une adreffe de Politique, que de ne rien changer aux an. ciennes Coûtumes des Vaincus, ou de s'y accommoder du moins un peu. Au refte, pour ce qui regarde les Provinces conquifes, Hobbes prétend, que quand la Judée (2) avoit des Gouverneurs Romains, ce n'étoit ni une Démocratie, ni une Ariftocratie, puis que les affaires publiques n'étoient pas entre les mains d'une Affemblée de Juifs. Quoi donc? ajoute-t-il, la Souveraineté réfidant ainsi, non dans une feule perfonne, mais dans une Affemblée de Romains, étoit-ce pourtant une Monarchie? Pourquoi non? A la vérité le Gouvernement du Peuple Romain, par rapport aux Cutoiens Romains, étoit Aristocratique on Démocratique,

& Hérodien, Lib. IV. Cap. I. & feqq. Le Panégyrifte de
Trajan va même jufques à dire, qu'un Prince le réfout
plus aifément à quitter l'Empire, qu'à le partager.
Nam quantulum refert, deponas, an partiaris imperium?
nifi quod difficilius hoc eft. Plin. Cap. VIII. num. 4. Ajoû-
tons ces vers de Racine, dans les Fréres Ennemis, A&t. I.
Scen. V.

L'intérêt de l'Etat eft de n'avoir qu'un Roi,
Qui d'un ordre conftant gouvernant fes Provinces,
Accoutume à fes Loix & le Peuple & les Princes.
Ce régne interrompu de deux Rois différens,

En lui donnant deux Rois lui donne deux Tyrans.
Vous les verriez toûjours l'un à l'autre contraire,
Détruire aveuglément ce qu'auroit fait un Frére,
L'un fur l'autre toujours former quelque attentat,
Et changer tous les ans la face de l'Etat.
Ce terme limité que l'on veut leur preferire,
Accroit leur violence, en bornant leur Empire.
Tous deux feront gémir les Peuples tour à tour,
Pareils à ces torrens qui ne durent qu'un jour,
Plus leur cours eft borné, plus ils font de ravage,
Er d'horribles dégats fignalent leur passage.
(7) Voiez les Fables de la Fontaine, Liv. I. Fab. XII.
intitulée, le Dragon à plufieurs têtes, & le Dragon à plu-
fieurs queues.

(8) Au refte, (ajoûtoit nôtre Auteur) il ne faut pas

mais

mettre au rang des Etats Irréguliers le Roiaume de Ton-
quin, fous prétexte qu'il y a deux Rois, dont l'un eft
appellé Bua, & l'autre Choua: car le dernier a véri-
tablement l'Autorité Souveraine, au lieu que l'autre
n'a qu'un vain nom & un éclat de Roi; fi ce n'eft qu'il
confére le titre de Docteur, & qu'il reçoit le ferment de
fidélité, que les Sujets prêtent tous les ans. Alexand.
de Hales, Itiner. Part. II. Cap. VI. Il faut dire la même
chofe de ce que rapporte un autre Voiageur (Francifc.
Carron) que le Dairo, qui étoit le légitime héritier de
l'Empire du Japon, en aiant été injuftement dépoffedé,
PUfurpateur ne lui laiffa que l'éclat & les marques ex-
térieures de la Dignité Roiale.

§. XVI. (1) Je n'ai point trouvé de terme plus com-
mode pour exprimer ce que notre Auteur appelle Syfte-
ma Civitatum. J'ai fuivi en cela Mr. Titius, & d'autres,
qui diftinguent entre Civitas Simplex, & Civitas Compo-
fita. Au refte notre Auteur a traité plus à fond cette ma-
tiére dans une Differtation de Syftematibus Civitatum,
que l'on fera bien de confulter. Elle eft parmi fes Differ-
tations Académiques.

(2) J'ai traduit les paroles mêmes de Hobbes, telles que je les trouve dans le Chap. XIX. de fon Léviathan, que nôtre Auteur cite, mais en forte qu'il donne fans néceffité une paraphrafe du paffage, quoi qu'il le rapporte en caractére Italique,

XXVI.

XXII.

mais cela n'empêche pas qu'il ne fût Monarchique par rapport aux Juifs: car la Souverai noté d'un Etat fur d'autres Etats eft auffi bien une Monarchie, que celle d'une feule perfonne fur une multitude de gens. Ainfi Hobbes femble regarder comme des Monarchies, les Provinces qui dépendent d'un Etat Ariftocratique, ou Démocratique. Mais quoi que les (Ibid. Cap. Provinces, comme il le fait voir (c) ailleurs au long, foient ordinairement gouvernées par une feule perfonne, plûtôt que par une Affemblée; il eft inutile, à mon avis, de mettre en question, quelle eft la forme du Gouvernement des Provinces. Car toute Province n'aiant plus en elle-même de Souveraineté propre, celle d'être un Etat, & devient une fimple dépendance d'un autre Etat. Et foit qu'elle obéifle à un Gouverneur, ou à une Affemblée, cela ne fait rien à la forme même du Gouvernement; puis que l'un & l'autre n'a qu'un Pouvoir fubordonné. Ainfi la Souveraineté qui s'exerce fur les Princes ou les dépendances des Etats, paroit toûjours uniforme, & ne fauroit être appellée qu'improprement Ariftocratie ou Monarchie; cette différence de forme de Gouvernement ne regardant que les Etats proprement ainfi dits, & qui ont une Souveraineté propre.

Des Etats Compe

fez, qui refle plufieurs Etats dépendent d'un

tent de ce que

même Roi.

§. XVII. ON remarque deux fortes d'Etats Compofez, proprement ainfi dits : l'une, c'eft lors que deux ou plufieurs (1) Etats diftincts n'ont qu'un feul & même Roi: l'autre, lors que deux ou plufieurs Etats Confédérez ne forment ensemble qu'un feul Corps.

A l'égard de la prémiére forte, il faut remarquer, qu'il n'en eft pas des Corps Moraux, comme des Corps Naturels, qui ne fauroient, fans paffer pour des monftres, n'avoir qu'une feule tête en commun à plufieurs: car au contraire une feule perfonne peut fort bien être le Chef de plufieurs Sociétez ou Aflemblées, fans qu'elles ceffent pour cela d'être véritablement diftinctes. Or il y a diverfes caufes capables de produire un Etat Compofe. Les plus ordinaires, ce font les Mariages des Princes, & le droit de Succeffion. En effet, il y a des Etats, où la Couronne tombe en quenouille, non feulement lors que tous les Mâles de la Famille Roiale viennent à manquer, mais encore lors qu'il ne refte point de Mâle à un degré plus proche, ou du moins au même degré. Si donc une Princeffe héritière d'un Roiaume, époufe un Roi étranger, les deux Roiaumes fe réuniront par là du moins dans les Enfans nez de ce Mariage: car, en ce cas-là, il n'eft pas néceflaire que la Reine se foûmette, elle & fon Roiaume, à l'empire de fon Mari. De même fi, dans un Roiaume indivifible, dont la Succeffion eft ou fimplement héréditaire (2), ou linéale; un des Héritiers éloignez venant à aquerir un autre Roiaume, de quelque manière que ce foit, l'ordre de la Succeffion l'appelle enfuite lui-même au prémier Roiaume, où il avoit droit auparavant; ces deux Etats alors fe réuniront enfemble. La même chofe arrive, lors qu'un Peuple fe choisit pour Roi un Prince, qui étoit déja maître ou héritier d'un autre Roiaume. Il fe peut faire auffi, que deux ou plufieurs Peuples conviennent ensemble de fe choisir un même Roi, fans ceffer pour cela de demeurer autant de Roiaumes diftincts, & fans établir une Affemblée générale où ils délibérent de toutes leurs affaires en commun. Enfin, il fe forme un Etat Compofé, lors qu'un Roi, qui a été établi par un libre confentement de fes (a) Grotius,Lib.I. Sujets, fubjugue (a) un autre Peuple, en fon nom propre & particulier, à fes rifques, périls, Cap. III. S. 12. & fortunes, & à fes dépens, fans que fes anciens Sujets y entrent pour rien.

num. 3. le prouve, contre Hottoman.

Comme l'union de ces fortes d'Etats Compofez eft uniquement fondée fur la perfonne même du Prince commun, ou tout au plus fur la Famille Roiale; il eft clair, qu'auffi-tôt que cette Famille vient à être entiérement éteinte, le Corps eft détruit en même tems; de forte que chaque Peuple rentre dans le droit de fe choifir déformais un Roi en particulier, ou d'introduire telle autre forme de Gouvernement qu'il jugera à propos, fans confulter perfonne car je fuppofe que ces Roiaumes n'étoient unis purement & fimplement que par la dépendance d'un Monarque commun. De même, fi un Prince, qui poffèdoit déja un Roiaune par droit héréditaire, eft devenu maître d'un autre par une libre élection

§. XVII. (1) Comme, par exemple, l'Angleterre, l'Ecoffe, & l'Irlande. Voiez la Differtation de nôtre Auteur,

de Syftemat. Civit. §. 9, 10.

(2) Voiez ci-dessous, Chap. VII. §. 12, 13.

du

(3) Lex

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