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S. 10.

clurre, que, quand il en confie le foin à quelcun, cet autre ne foit pas tenu envers lui de les bien conduire. Mais Hobbes (d) a raifon de dire, que l'Ariftocratie a deux chofes de (d) vbi sœpràs communes avec la Démocratie. L'une, que, fi l'on ne fixe certains tems, & certains lieux, pour l'Affemblée du Sénat, ce n'est plus un Sénat, on une feule Perfonne, mais une Multitude fans liaifon, & fans Autorité Souveraine. En effet, le moien de connoitre la volonté du Confeil, fi les Sénateurs ne s'aflemblent pour délibérer des chofes qui concernent le Bien Public Car de les faire opiner par écrit, en leur envoiant à chacun une lifte des affaires qui font fur le tapis, cela eft fujet à bien des inconvéniens. L'autre chofe, néceffaire dans les Ariftocraties, auffi bien que dans les Démocraties, c'eft que les tems des Affemblées ne foient pas fort éloignez les uns des autres; on que, pendant cet intervalle, on remette l'exercice du Pouvoir Souverain entre les mains d'un ou de plufieurs Magiftrats, du moins en ce qui concerne les affaires ordinaires.

narchie.

§. IX. ENFIN, le Gouvernement Monarchique s'établit, lors que l'on confére l'Auto- De l'établisse Tité Souveraine à une feule perfonne; ce qui fe fait par une Convention entre le Roi, & ment de la Moles Sujets, comme je l'ai prouvé (a) contre Hobbes. Un Ecrivain (b) anonyme a avancé (a) Chap. II. §.9. ici un dogme bien pernicieux, qui mérite d'être réfuté. Selon lui, toute Autorité Souve- & fuiv. (b) L'Auteur du raine étant établie par les Hommes en vue de fe mettre plus aifément à couvert des maux Livre intitulé, que l'on avoit à craindre & de ceux du dedans, & de ceux du dehors; on ne fauroit rai- Bilancia Politica, fonnablement préfumer, que jamais aucune Affemblée Démocratique aît voulu donner la Couronne à un feul homme, & à fes Defcendans à perpétuité. Car, dit-il, cet avantage, que l'on fe propofoit, étant uniquement fondé fur le mérite préfent du Monarque élû: & tout le monde fachant combien l'efprit des Hommes eft changeant, & leur vie fragile, & qu'il peut arriver en peu de tems, ou que la vieilleffe mette le Roi hors d'état de gouverner; ou qu'il meure fans enfans; ou qu'il en laiffe en bas âge; ou que, s'il en a qui foient déja hommes faits, ils n'aient ni des qualitez naturelles qui les rendent plus capables du Gouvernement, que tout autre, ni des difpofitions favorables à procurer de tout leur poffible le bien & la confervation de la Société : il n'y a aucune apparence, que le Peuple ait jamais eû intention de renoncer au droit de dépofer un Prince méchant, ou incapable de régner, & d'en choifir un meilleur. Mais, ajoûte-t-il, ceux qui ont une fois pris en main les rênes du Gouvernement, affermiffent fi bien leur domination pour eux & pour leurs Enfans, en mettant dans leurs intérêts la plus grande partie du Peuple, & fur tout les Soldats, qu'ils fe trouvent en état de maintenir leur Autorité, malgré même leurs Sujets. Je répons, premiérement, que, fi un Peuple confére le Pouvoir Souverain à une perfonne, à condition qu'auffi tot qu'il trouvera que fon Gouvernement ne contribue pas davantage à l'avancement du bien public, & à la fûreté commune, que ne faifoit la Démocratie, cette perfonne-là puiffe être dépouillée de fa Dignité; ce n'eft pas un Monarque que l'on établit alors, mais un fimple Magiftrat principal, dont l'Autorité dépend de la volonté inconftante d'une Multitude aveugle, & qui par conféquent ne reçoit point de véritable Souveraineté. De plus, chacun fait combien il eft préjudiciable à l'Etat de changer fouvent de Maître, & qu'on ne peut, fans caufer quelque révolution périlleuse, dethroner un Souverain, qui a eu le moien d'augmenter fes richeffes & fes forces particuliéres, pendant qu'il gouvernoit celles du Public: pour ne pas dice que fouvent celui qui fuccéde, ne vaut guéres plus que fon Prédécefleur. Ainfi il y a grand fujet de préfumer, que le Peuple a voulu une fois pour toutes tranfiger, pour ainfi dire, avec la Fortune, en établillant, par une délibération irrévocable, un Souverain perpétuel; afin de prévenir par là les maux qu'entraîne après foi une conftitution de Gouvernement chancellante & fujette à des fréquens changemens: ces maux étant beaucoup plus certains, que ceux que l'on a à appréhender de la part d'un Roi qui dégénére de la prémiére vertu d'autant mieux qu'on peut, par de bonnes Loix Fondamentales, ôter aux Princes les moiens de lâcher la bride à leurs Paffions. Enfin, comme il entre beaucoup de hazard dans toutes les affaires humai

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(c)Voiez Grotius, nes (c), & qu'il n'y a rien qui foit fans aucun inconvénient; il n'eft pas permis de révo Lib. I. Cap. III. quer un acte, par cette feule raifon que l'événement ne répond pas exactement à nos ef

§. 8. num. 1.

(d) Hobbes, de Ci

13.

pérances. La différence qu'il y a entre la Monarchie, & les deux autres (d) formes de Gouverneve, Cap. VII. §. ment, & qui rend la prémiére beaucoup plus commode que les derniéres, c'est que, dans les Démocraties & dans les Ariftocraties, il faut qu'il y aît certains lieux réglez, pour pouvoir délibérer & faire des Ordonnances, c'eft-à-dire, pour exercer actuellement l'Autorité Souveraine: au lieu, que dans une Monarchie, du moins lors qu'elle eft abfolue, le Souverain peut délibérer & donner les ordres en tout tems & en tout lieu, de forte que, comme le difoit un Ancien, (1) Rome eft par tout où se trouve l'Empereur. En effet le Peuple, & les Sénateurs, n'étant qu'un Corps Moral, ne peuvent agir fans s'affembler. Au lieu que le Monarque eft une feule Perfonne Phyfique & individuelle; & par conféquent il a (e) Ibid. §. 14. toûjours un pouvoir prochain d'exercer les actes de la Souveraineté. Hobbes (e) remarque auffi judicieusement, que, quand une Assemblée du Peuple, ou un Sénat, a pris quelque délibération contraire aux Loix Naturelles, l'Etat même, ou la Perfonne (Morale) qui eft revêtue du Pouvoir Souverain, ne péche point, mais feulement les Citoiens, dont l'avis l'a emporté en cette occafion. Car le Péché provient de la volonté naturelle & expresse de chaque Particulier,& non pas de la volonté Politique, (ou Morale) qui eft un ouvrage de l'Art: autrement ceux-là même qui (f) ont défapprouvé la délibération, en feroient coupables. Mais, dans une Monarchie, lors que le Roi ordonne quelque chofe de contraire aux Loix Naturelles, il péche toujours; parce qu'en lui la volonté Civile, & la volonté Phyfique ne font qu'une feule & même volonté.

(f) Comme, par exemple, Jofeph

d'Arimathée,

Luc, XXIII, s.

y a deux fortes défauts;

Dans les Etats il §. X. VOILA quelles font les formes régulières de Gouvernement. La plupart des Audedes teurs ajoûtent à cela quelques autres formes défectuenfes, ou corrompues. Sur quoi il eft uns attachez aux certain, que plufieurs Etats, auffi bien que chaque perfonne en particulier, font fujets à perfonnes qui out un très-grand nombre de défauts, & de maladies, en forte que ceux qui en ont le moins, veraineté; les paffent en quelque maniére pour parfaits. Ces maladies viennent, ou de la malice humaiautres à la confti- ne, ou de la mauvaise conftitution de l'Etat, d'où vient qu'on diftingue entre les vices des perfonnes, & les défauts du Gouvernement. Je vais en donner quelques exemples.

tution même du Gouvernement.

(a) Voiez le Pané gyrique de Théo

fe, par Lar. Pa

ratus Drepanius, Cap.XXVII.num. 1. Edit. Cellar. (b) Voiez The miftius, Orat. X.

de Pace ad Valent.

pag. 771. D. Ed.

Dans les Monarchies, ce font des défauts de la perfonne, lors que celui que la naiflance, ou le mauvais choix des Citoiens, ont élevé fur le Thrône, fe trouve deftitué des qualitez néceffaires pour bien régner; lors qu'il n'a que peu ou point à cœur le Bien Public, & qu'il livre en proie fes Sujets à l'ambition ou à l'avarice de quelques Ministres scélérats; lors qu'il s'abandonne à la cruauté & à la colére, ne fe fouvenant pas qu'il eft Homme, & qu'il commande à des Hommes; lors qu'il prend plaifir à expofer l'Etat fans néceffité, lors qu'il diffipe en luxe, ou en libéralitez (a) mal entendues, les revenus & les fubfides qu'on lui accorde pour les befoins de l'Etat; lors qu'il entafle des richeffes fuperflues, en extorquant de l'argent des Citoiens; lors qu'il eft outrageux & injufte (b); & enfin, lorfqu'il eft entaché d'autres vices semblables qui lui attirent à jufte titre le nom de mauvais Prince.

Dans les Ariftocraties, ce font des défauts des perfonnes, lors que la brigue, & les voies Imperat, & Plat. obliques, donnent entrée dans le Confeil aux fcélérats, ou aux perfonnes incapables du de Legib. Lib. I. Gouvernement, à l'exclufion des honnêtes gens, & de ceux qui ont les qualitez requifes Wechel. Philoftr. pour bien gouverner; lors qu'il fe forme des factions & des cabales entre les Sénateurs; de vita Apoll. lors qu'ils traitent le Peuple comme des Esclaves, & qu'ils s'enrichiffent en pillant les FiThyan. Lib. III. Cap. IX. init. & nances de l'Etat.

Claudian. de Bello Gildon. verf. 257. & feqq.

Dans les Démocraties, ce font des défauts des perfonnes, lors que des fots ignorans venlent foûtenir leur fentiment à cor & à cri, & caufent du tumulte dans les Aflemblées;

Ed. Oxon.

lors

§. IX. (1) 'Extï Te ǹ 'Pœμn, öтe œil är i Barineùs 7. Pompeianus apud Herodian. Lib. I. Cap. XIV. pag. 13.

lors que l'envie opprime des Citoiens d'un mérite diftingué, fans qu'ils en aient donné aucun fujet, & que l'Etat ait rien à craindre de leur part; lors que, par pure légèreté, on fait des Loix, & on les abolit, ou que l'on révoque fans néceffité les délibérations qu'on avoit prifes; lors que des gens de néant, fans mérite & fans capacité, font chargez de l'administration des affaires publiques (1).

Il y a un défaut général des perfonnes, qui peut fe trouver dans toutes les différentes formnes de Gouvernement; c'eft, d'un côté, lors que ceux qui ont entre les mains l'Autorité, en abusent, ou s'aquittent négligemment de leur devoir; de l'autre, lors que les Citoiens, à qui on n'a laiffé que la gloire d'obéir, prennent le frein aux dents (c), & fe (c) Voiez Hobbes, mutinent contre leurs Supérieurs légitimes.

Leviathan, Cap.
XXIX.vers la fin,

Pour les défauts du Gouvernement, ils fe remarquent en général lors que les Loix & les Coûtumes de l'Etat ne font pas conformes au naturel du Peuple qui doit s'y foûmettre, ou aux qualitez & à la fituation du Pais; ou lors qu'elles donnent occafion aux Citoiens de caufer des troubles au dedans, ou de s'attirer au dehors la jufte haine des voifins; ou lors qu'elles les mettent dans l'impuiffance de faire les fonctions néceffaires pour la conferva- (d) Comme aution de l'Etat, comme fi elles les réduifent néceffairement à vivre dans une lâche pareffe, trefois les Préou à ne pouvoir fubfifter fans la guerre, ou fi la (2) conftitution des Loix fondamentales tres de l'Ile de rend l'expédition des affaires publiques fort lente & fort difficile; enfin lors qu'elles ren- Diod. Sicul. Lib. ferment quelque chofe de contraire aux maximes fondamentales de la bonne Politique, III. Cap. VI. fut tout fi cela eft coloré du prétexte de la Religion, comme quand l'autorité des Prêtres pag. 566. Ed. Ges'étend jufqu'à difpofer de la vie des (d) Rois.

Méroé. Voicz

nev. Cafaub.

tant pas une

&

Lib.II. Cap.XIX.

§. XI. MAIS, quoi qu'il y aît une grande différence entre un Etat fain, & un Etat ma- Ces défauts ne lade; il ne faut pas pour cela multiplier les différentes fortes de Gouvernement, ni oppofer produifent pourà chacune des formes régulières une ou deux formes défectueuses, comme autant d'efpéces nouvelle forme proprement ainfi nommées: car tous ces défauts ne changent ni la nature du Pouvoir de GouverneSouverain confidéré en lui-même, ni le fujet propre de la Souveraineté. Jufques-là Hob- ment. bes a raifon de foûtenir (a), que l'Anarchie, ou la confufion, que les anciens Auteurs, qui (a) De Cive, Capa ont traité la Politique, oppofent à la Démocratie; l'Oligarchie, on la puissance de quelque VII. §. 2. peu de perfonnes, qu'ils oppofent à l'Ariftocratie, & la Tyrannie, qu'ils opposent à la Monarchie; ne constituent pas trois autres fortes d'Etat; & (b) que le défaut du Gouvernement (b) Leviathan, n'en change pas la forme. Mais les paroles qui fuivent (c) ne fe trouvent pas généralement (c) De Cive, ubi vraies: L'Anarchie, dit-il, l'Oligarchie, & la Tyrannie, ne font que trois noms différens, suprà. inventez par ceux qui n'étoient pas fatisfaits du Gouvernement, où des perfonnes entre les mains de qui il étoit. Car les Hommes attachent ordinairement aux termes non feulement l'i- (d) voiez Lyfias, dée des chofes mêmes qu'ils fignifient, mais encore celles de leurs propres Paffions, comme Populari fatu, de l'Amour, de la Haine, de la Colére &c. Ajoûtons, & du cas qu'ils en font. En effet, Cap. III. & Isoíci, comme dans toutes les autres chofes, ce qui plait à l'un eft fort odieux à l'autre; & crat, de Pace,pagcela non feulement parce que l'on trouve plus fon intérêt (d) à vivre fous une certaine for- (e) Oxxoxearia. me de Gouvernement, que fous une autre, mais encore à caufe d'une inclination particu- On auroit pourliére qui nous y porte. Les gens fiers & orgueilleux, qui ne fauroient fouffrir l'égalité d'un donner ce titre Etat Populaire, voiant que là chacun a droit de fuffrage dans les Affemblées où l'on traite odieux à un Edes affaires de la République, & que la populace y fait le plus grand nombre, ainfi que vroit une maxidans tous les autres Etats; appellent cela une (e) Ochlocratie, comme qui diroit, un Gou- me femblable à vernement où la vile populace eft maîtreffe, & où les perfonnes de mérite, tels qu'ils fe des anciens Ecroient eux-mêmes, n'ont aucun avantage par deffus les autres. Un homme, qui eft fa- phefens ché de n'être pas du Confeil, où il se croit auffi digne d'entrer qu'aucun des Sénateurs, Hermodore. Voicz

5. X. (1) Selon Plutarque, l'Ambition du Peuple eft une maladie auffi dangereufe & aufi furieufe que la Tyrannie. Καὶ τῇ πολιτεύματῷ ἐξελεῖν δημοκοπίαν, ὅπιμανὲς νόσημα, τυραννίδῷ ἐκ ἔλαττον. In Vita Dionis, TOM. II.

Orat. XXIV. de

320.

tant raifon de

tat, où l'on fui

l'Ordonnance

qu'ils chafferent dont Cicer.Tufcul.Lib. V. Cap. XXXVI. Diogen. Laert. (2) Cet exemple eft tiré de l'Abrégé de Offic. Hom. & Lib. IX. in HeraCiv. Lib. II. Cap. VIII. §. 10. clite, §. 2. Strab. Lib. XIV. p. 441.

P. 978. E.

Ii

. §. XI.

(f) 'Onyagia.

(g) Voiez la plainte d'Max,

dans 2. Calaber, Lib. V.

dont il eft compofé, l'appelle par mépris, & par envie, une (f) Oligarchie, c'est-à-dire, le Gouvernement d'un petit nombre de perfonnes, qui exercent infolemment une Autorité Souveraine fur des gens qui ont autant (g) ou mêine plus de mérite qu'eux. Ainfi les Peuples, qui ont le cœur haut, & en même tems l'efprit fouple, donnent le nom d'Efclaves aux Sujets d'une Monarchie, qui font accoûtumez à un Gouvernement plus ferme & plus abfolu; comme fi lors qu'un Pére, par exemple, traite rudement un Fils revêche, & avec douceur un autre Enfant de bon naturel, il exerçoit par là deux différentes fortes. (h) Tú. d'Autorité Paternelle. Il faut dire la même chofe du terme de (h) Tyran, qui portoit un caractére odieux & indélébile, dans l'ufage des Grecs accoûtumez à faire confifter la fouveraine félicité des Etats dans la Liberté du Gouvernement Populaire (1); jufques-là que la plupart donnoient le nom de (2) Tyrannie à tout Gouvernement Monarchique en général, fans confidérer s'il étoit légitime, ou non, & fi le Prince gouvernoit bien, ou mal. Avouons néanmoins, & tout le monde en doit convenir, que l'on peut fort bien quelquefois emploier à jufte titre ces termes odieux, dont je viens de parler, pour diftinguer le Gouvernement des mauvais Princes & des Sénateurs qui abufent de leur Autorité, d'avec celui des bons Princes, & des Magiftrats intégres; ou les Aflemblées tumultueufes d'une populace légére & turbulente, d'avec celles d'un Peuple fage & retenu (3).

Il faut dire la même chose de

relles des Arifto

Démocraties.

(a) Politic. Lib. IV. Cap. II. & Segg.

§. XII. IL y a plus de difficulté à expliquer la conftitution des Etats, qui ne fauroient diverfes circonf-, être rapportez ni aux formes faines & régulières, ni à une fimple corruption du Gouvertances acciden- nement. La plupart des Savans croient, que le plus court eft de les appeller des Gouvernecraties, & des mens Mixtes, c'est-à-dire, compofez d'un certain mélange des formes fimples. Comme plufieurs s'appuient ici de l'autorité d'Ariftote, il ne fera pas inutile d'examiner, quelles ont été les idées de ce Philofophe. Je remarque donc que ce qu'il dit (a) des diverfes fortes d'Ariftocratie, & de Démocratie, n'a aucun rapport avec les Gouvernemens Mixtes, dont parlent nos Auteurs Modernes. Car il traite feulement des différentes qualitez, & des divers ordres de ceux que l'on admettoit aux Affemblées du Peuple, ou au Confeil Souverain des Principaux de l'Etat : ce qui ne change en aucune maniére la forme du Gou vernement, ni ne fépare les Parties de la Souveraineté, ni ne divife l'Etat en deux ou plufieurs Corps, mais diverfifie feulement les Ariftocraties, & les Démocraties, par quelques circonftances accidentelles. On définit, par exemple, la Démocratie, un Etat où le Gouvernement eft entre les mains de l'Affemblée générale de tous les Citoiens, Or les Enfans, les Femmes, & les Serviteurs ou les Efclaves, ont fans doute intérêt, auffi bien que les Péres de famille, à la confervation & au bien de l'Etat. Dira-t-on cependant, que, dans les endroits où les Femmes, les Fils de Famille, & les Domestiques font exclus des Af femblées publiques, il y aît pour cela une nouvelle efpece de Gouvernement? Il fuffit, à mon avis, pour conftituer une Démocratie, que ceux qui ont fondé l'Etat, & les héritiers de leurs droits, de génération en génération, aient voix délibérative dans l'Affemblée du Peuple. Or il eft clair, que les Etats ont été formez par des Péres de famille, qui aiant autorité fur leurs Femmes, leurs Enfans, & leurs Domeftiques, ne prétendoient pas fans doute fe dépouiller entiérement de ce pouvoir, & par conféquent n'avoient garde de leur

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qui affectant par excellence le nom de Gouvernement (Honreía) aux Etats Populaires bien réglez, regarde la Tyrannie, POligarchie, & la Démocratie, comme autant d'abus des trois formes légitimes de Gouvernement, Παρεκβάσεις 3 ἢ εἰρημθύων, τυραννίς με, βασιλείας όλ γαρχία 5, ἀρισοκρατίας δημοκρατία 5, πολιτείας. Ροlitic. Lib. III. Cap. VII. Voiez le Philofophe Sallufte, de Diis & Mundo, Cap. XI. & Themift. Orat. XVI. p. 336. Edit. Petav. Or oferoit-on foûtenir, qu'auffi-tôt qu'un Gouvernement fe corrompt par les abus qui s'y gliffent, il réfulte de là une nouvelle forme de Gouvernement? Voiez au refte, fur quelques-uns des termes d'Ariftote, que l'on a rapportez, la Note 4. de Mr. Perizonius, fur Elien, Var. Hift. Lib. II. Cap. XX,

donner place dans les Affemblées publiques, ce qui les auroit rendus égaux à eux. Lors même que le Gouvernement Démocratique étoit une fois établi, il étoit libre fans contredit aux Citoiens de recevoir ou de ne pas recevoir dans l'Etat des Etrangers; de donner plein droit de Bourgeoifie à ceux qu'ils recevoient, ou de ne le leur accorder qu'avec certaines reftrictions; de les admettre également avec eux au Gouvernement de la Républi que, ou de les en exclurre. Ainfi rien n'empêche, que, dans un Etat Populaire, plufieurs foient privez du droit de fuffrage, fans préjudice de la forme du Gouvernement. Il peut arriver néanmoins qu'un Gouvernement, qui étoit d'abord Démocratique, & où l'on exclut des Affemblées publiques & des Charges tous ceux qui entrent depuis dans l'Etat, fe change avec le tems en une efpece d'Ariftocratie, lors que le nombre des habitans s'eft extrémement multiplié. Il y a des endroits, où, pour devenir Membre du Confeil Souverain, il ne faut avoir que du mérite: en d'autres les Sénateurs doivent outre cela être Nobles, ou Riches. Il y a des Etats Populaires, où toute perfonne libre a droit de fuffrage: en d'autres, il faut avoir une certaine quantité de bien pour entrer dans les Affemblées publiques: en d'autres, on en eft exclus entiérement, lors qu'on exerce certaines profeffions, & qu'on méne un certain genre de vie. Tout cela pourtant ne forme pas diverfes fortes proprement ainfi dites d'Ariftocratie, & de Démocratie; moins encore la diverfité des Loix au fujet de la diftribution des Charges, auxquelles, par exemple, tout le monde peut prétendre dans certaines Républiques, au lieu qu'en d'autres on a égard aux biens de ceux que l'on choifit. Ce n'eft pas non plus une nouvelle forme de Gouvernement, lors que les Riches, par exemple, peuvent impunément s'abfenter des Aflemblées du Peuple, mais (b) vbi fuprà, non pas les Pauvres; ou au contraire les Pauvres, mais non pas les Riches. Tout cela eft x. de la derniére évidence. A l'égard du Gouvernement Mixte, qu'Ariftote (b) trouve dans (Ibid. Cap.XII. la République de Lacédémone, & dans celle de Créte, nous en parlerons ailleurs. La République (c) d'Athenes étoit auffi au fond un Etat Populaire. Pour le jugement de Polybe (d) Diff.de Forma au fujet de la République Romaine, nous l'avons examiné dans (d) un autre Ouvrage.

& Ifocrat. in A

Reip. Rom. §. 20.

mens Mixtes,

nes.

Bell. Pun. p. 64.

§. XIII. QUELQUES Auteurs Modernes forgent plufieurs efpeces de Gouvernemens Des GouverneMixtes, dont ils condamnent néanmoins la plûpart, fe bornant à deux qui leur paroiffent dont parlent les les plus raisonnables. Le prémier, c'eft lors que les Parties de la Souveraineté font divifées, Auteurs Moder entre les mains de diverfes perfonnes ou de divers Corps d'un même Etat, en forte que chacun exerce indépendamment, & felon qu'il le juge à propos, la Partie qui lui eft échue; étant du refte lui-même comme Sujet, en ce qui dépend de la Jurifdiction des autres. C'est ainfi, à peu près, que Scipion (a) partagea le Roiaume de Numidie, après la mort de Ma- (a) Appian. de finiffa: ordonnant que les trois enfans légitimes de ce Prince auroient chacun le titre de Ed. H. Steph. Roi; mais que Micipfa l'aîné feroit maître de Cirte la Capitale; que Guluffa, le fecond, auroit le Pouvoir fouverain de la Guerre & de la Paix; & que Manaftabal, le plus jeune, préfideroit à l'administration de la Justice. L'autre forte de Gouvernement Mixte, dont on parle, c'est lors que plufieurs ont en main la Souveraineté par indivis, en forte que, fi an feul n'eft pas de même fentiment que les autres, ceux-ci ne peuvent prendre aucune délibération valable, ni exercer aucune Partie de la Souveraineté. Cela fe fait en deux maniéres: car ou tous font abfolument égaux, ou quelcun d'entr'eux a certaines prérogatives, & certains droits, dont il peut faire ufage fans la participation & le confentement des autres. On cite auffi plufieurs Auteurs anciens, qui parlent fouvent de Gouvernemens Mixtes. Mais, comme nous l'avons déja remarqué, la plupart des chofes qu'ils difent làdeffus, ne regardent point la divifion des Parties de la Souveraineté entre plufieurs perfonnes ou plufieurs Affemblées diftinctes, mais un jufte tempérament des qualitez requifes pour entrer dans le Confeil Souverain, ou une combinaison bien concertée des Coûtumes de divers Etats. D'ailleurs, on peut, à mon avis, fort bien expliquer quelques exemples de ces Gouvernemens Mixtes, en diftinguant la maniére de gouverner, d'avec la forme même du Gouvernement. Sur ce pied-là, un Gouvernement tiendra quelque chofe d'un

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