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La Démocratie eft la plus an

c'eft une Aristocratie: ou enfin elle eft attachée à une feule perfonne, & c'est ce que l'on nomme Monarchie (1). Dans la prémiére forte de Gouvernement, le Souverain s'appelle le Peuple dans l'autre, les Principaux de l'Etat : & dans la derniére, le Monarque ou

le Roi.

§. IV. J'AI mis au prémier rang la Démocratie, & c'est par elle auffi que je vais comcienne forme de mencer; non que je la croie la plus illuftre forme de Gouvernement, ou la (1) plus comGouvernement. mode, mais parce qu'elle eft certainement la plus (2) ancienne parmi la plupart des Nations outre qu'il eft manifeftement conforme à la Raifon, de fuppofer, que ceux, qui renonçoient à l'état de la Liberté & de l'Egalité Naturelle, pour fe joindre en un feul Corps, voulurent d'abord gouverner en commun les affaires de la Société. En effet, le moien de s'imaginer, qu'un Pére de famille, qui après avoir apperçu les incommoditez d'une vie folitaire, entroit volontairement dans une Société Civile avec d'autres femblables à lui, oubliat fi fort en un moment fon ancien état d'indépendance, où il fe conduifoit à fa fantaisie dans tout ce qui regardoit la propre confervation, que de fe foûmettre d'abord à la volonté d'une feule perfonne en matiére des affaires publiques, d'où dépendoit fa fûreté & fon avantage particulier? Il y a beaucoup d'apparence au contraire, que l'on fuivit alors cette maxime, comme la plus équitable, que ce à quoi tous les Membres de la Société ont intérêt, doit être adminiftré par tous en commun; jufques à ce que la plùpart fe foûmirent avec le tems à une autre forme de Gouvernement, ou de leur pure volonté, ou y étant forcez, foit par les armes victorieufes d'un Etranger, foit par l'ambition de quelques Citoiens, qui s'étoient rendus puiflans. Ajoûtez à cela, que les prémiers Etats furent la plupart formez par des gens qui étoient d'une même (3) race: nouveau motif, qui devoit leur faire maintenir l'égalité. J'avoue, que l'Hiftoire Ancienne nous parle fouvent de divers Rois: mais on voit que la plûpart étoient établis plutôt pour donner des confeils, que pour commander avec autorité. Ainsi, lors que Juftin (4) dit, qu'au com mencement les Peuples & les Nations étoient gouvernées par des Rois; il s'agit là des (5) Roiaumes du tems des Héros, comme les appelle Ariftote, lefquels n'étoient nulle

ment

S. III. (1) Cette divifion fe trouve dans les paroles ανώμαλοι καὶ αἱ πολιτείαι, τυραννίδες τε καὶ ὀλιγαρχίας. fuivantes de Pindare, que nôtre Auteur citoit:

Ἐν πάντα ἢ νομὸν εὐθυγλωσ

στο ανής προφέρας"

Παρὰ τυραννίδι. χωπόταν ὁ

Λαβρὸς σρατός χαταν πόλιν οἱ σοφοὶ
Τηρέοντι,

Pyth. Od. II. verf. 157, & feqq. Ed. Oxon.
J'ajoute ces deux paffages: l'un d'Ifocrate, in Panathen.
pag. 448. Ed. Parif. Hy put, was wys ideas &'aro-
λιτειών, τρεῖς εἶναι μόνας, ολιγαρχιών, δημοκρατίαν, μου
vagia: l'autre de Senéque, Epift. XIV. Interdum Po-
PULUS eft, quem timere debeamus; interdum, fi ea Ci-
vitatis difciplina eft, ut plurima per SENATUM tranfi-
gantur, gratiofi in eo viri; interdum SINGULI, quibus
poteftas Populi, & in Populum data eft.

S. IV. (1) Nôtre Auteur citoit ici un paffage de Philon
Juif, (de opificio mundi, vers la fin) comme fi la Démo-
cratie y étoit reconnue pour la plus mauvaife forme de
Gouvernement. Mais il ne s'agit là que de l'abus qui
fe gliffe, lors que la vile populace eft maîtreffe des
afraires (oxonería) & d'ailleurs le même Auteur, dans
un autre Traite (de creatione principis, à la fin) dit for-
mellement, que la Démocratie eft la meilleure & la
plus legitime forme de Gouvernement. 'Ev ' aseow ǹ
ονοματάτη καὶ πολιτείων ἀρίση δημοκρατία.

(2) Voicz ce que j'ai dit ci-deffus, Chap. I. §. 7. No

te 1.

(3) C'est ce que dit Platon au fujet de la République d'Athenes fa Patrie. O dégas ropes dyabès eivas, noyτεῖ καὶ ἄρχει. αἰτία ἢ ἡμῖν ἡ πολιτείας ταύτης, ή εξ ἔσε γένεσις, αἱ μερα τὸ ἄλλες πόλεις ἐκ παντοδαπών και συσκευασμγίας ἀνθρώπων εἰσὶ καὶ ἀνωμάλων ώτε αὐτῶν

οἰκεσιν δε, ένιοι μή δέλας, οἱ 3, δεσπότας ἀλλήλες νομί ζοντες· ἡμεῖς ὃς καὶ ἡμέτεροι, μιας μητρὸς πάντες εδελφοὶ φύντες, ἐκ αξίδι δέλοι εδε δεσπόται ἀλλήλων εξ ναι ἀλλ' ἡ ἰσογονία ἡμᾶς ἡ και φύσιν ἰσονομίαν ἀναγκάζει ζητεῖν καὶ νόμον, καὶ μηδενὶ ἄλλῳ ὑπείκειν ἀλλήλοις, και PETNS- doen niets. In Menexeno, pag. 519. B.

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Chez nous, quiconque paffe pour avoir de la capacité ,, & du mérite, peut prétendre aux Charges & à toute "forte de Magiftrature. Ce qui a fait etablir un tel ,, Gouvernement, c'eft que tous les Citoiens de la République font de même extraction: au lieu que les » autres Etats aiant été fondez par des gens de toutes fortes & de tout Païs, de differente naiffance, & de diverfes conditions, leurs Démocraties, auffi bien », que leurs Monarchies & leurs Ariftocraties, se ref,, fentent de cette inégalité; de forte que, parmi eux; les uns fe regardent comme Efclaves, les autres comme Maîtres. Mais nous, & les nôtres, étant tous freres, & nez d'une même Mére, nous ne croions ,, pas, qu'aucun de nous foit Maître ou Efclave de l'autre l'égalité naturelle qu'il y a entre nous par la communauté d'une même origine, fait que nous cherchons une égalité civile, conforme à la Loi, & ,, que nous ne nous foûmettons qu'à ceux d'entre nous qui paffent pour avoir de la Vertu & de la Prudence. Voiez auffi Ifocrate, Panegyr. & in Panathen. & Libanius, Progymn. Loc, commun, contra Tyrann.

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دو

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ment incompatibles avec la Démocratie. Thucydide parlant des plus anciens Roiaumes, dit, (6) qu'ils étoient héréditaires, & limitez à certains honneurs que l'on déféroit aux Rois en recompenfe des foins qu'ils prenoient pour les affaires publiques. Mais peu à peu la vio. lence & les guerres réduifirent à un petit nombre de grands Empires ce nombre prodigieux de petits Etats Populaires, que l'on voioit dans le monde. Ariftote néanmoins eft pour l'antiquité du Gouvernement Monarchique par deffus les autres; & voici comment il prétend la prouver: Au commencement, dit-il, les (7) Villes [de la Gréce] avoient des Rois, comme en ont aujourd'hui les Nations barbares; parce que les fondateurs de ces Etats étoient des gens déja fujets an Gouvernement Monarchique, chaque Famille étant fous (8) la puiffance d'un Roi, c'est-à-dire, du plus ancien de la Famille. Mais la conféquence n'eft pas juste. Au contraire, cela même que les anciens Péres de famille étoient accoûtumez à commander, donne lieu de croire avec beaucoup de vraisemblance, qu'ils furent plus portez à établir un Gouvernement Démocratique, afin de pouvoir opiner fur les affaires publiques. D'autres difent, que le Pouvoir Paternel, qui eft la plus ancienne Autorité, aiant été d'abord exercé avec douceur, s'étendit enfuite au droit de vie & de mort, à mefure que les Familles, & les vices, fe multiplioient dans le monde: qu'alors l'Aîné de la Famille héritoit, par le droit de la naiffance, de l'Autorité paternelle, & par conféquent du droit de gouverner la Famille, & d'y faire les fonctions de Sacrificateur: & qu'ainsi, peu à peu, les Chefs de famille s'érigérent en petits Rois; d'où vient qu'il y en avoit un fi grand nombre dans le païs (a) de Canaan. Mais le droit de la Primogéniture ne donnoit (a) Voicz Jofué, pas par lui-même à l'Aîné une Autorité Souveraine fur fes Frères, fans leur confentement, fuge, 1, 7. & ne leur impofoit pas la néceffité de joindre toûjours leurs Familles avec la fienne. Ces anciens Roitelets, fous le nom de Rois, n'étoient au fond que les Chefs d'une Aflemblée Démocratique, ou les principaux Magiftrats du Peuple; &, quoi que le plus fouvent on conférât cette dignité au plus confidérable de la race, lors que plufieurs Familles unies par les liens de la parenté fe joignoient enfemble pour former une Société Civile; on n'avoit pas toûjours égard au droit de la Primogéniture, ou du Majorat.

Chap. XII. &

ne fe trouve pas

Monarchies.

§. V. UN (a) Auteur Moderne traitant des Ariftocraties & des Démocraties, qu'il com- La Souveraineté prend fous le nom d'Etat libre, dit, qu'il y a une forte d'Etat, où en pourvoiant an falut moins dans les commun par des Conventions, l'on évite la confufion d'une multitude difperfée, & l'on en- Démocraties, tretient un affez bon ordre, fans que pourtant perfonne y foit Sujet, & perde fa liberté, com que dans les me fous un Gouvernement Monarchique. Voilà prefque autant de fautes, que de mots. Car (a) 7. Frid. Horn, il eft faux, que l'ordre, qui régne dans une République, ne faffe que bannir la confu- de Civit. Lib. III. fion d'une Multitude qui n'eft unie par aucun lien de Société. Il eft faux encore, que le Gouvernement Républicain foit fondé fur de fimples Conventions, fans aucun Pouvoir Souverain. On ne fauroit dire non plus raifonnablement, que chaque Particulier d'une République foit moins fujet à l'Affemblée du Peuple, ou au Confeil Souverain des Sénateurs, que les Citoiens d'une Monarchie ne dépendent de leur Roi: ni que toutes les ties de la Souveraineté s'exercent moins dans une République, que dans une Monarchie; ni que le Peuple aît moins droit de vie & de mort fur chaque Citoien, que le Roi fur fes Sujets. De plus, bien loin que quelques Péres de famille, en fe joignant ensemble pour former une Société Civile, aient pris modéle fur les Roiaumes voifins: les prémiers Etats, qu'on aît vû dans le monde, ont été des Etats Populaires; & ce n'eft qu'avec le tems que le Gouvernement Monarchique s'eft introduit, lors que quelques uns aiant remarqué les inconvéniens du Gouvernement Populaire, trouvérent à propos, les uns plûtôt, les autres

(6) Πρότερον ἢ ἦταν ὅλὶ ῥητοῖς γέρασι πατρικοὶ βασι P. Lib. I. Cap. XIII. pag. 8. Ed. Oxon.

(7) Διὸ καὶ τὸ πρῶτον ἐβασιλεύοντο αἱ πόλεις, καὶ νῦν ἔτι τὰ ἔθνη ἐκ βασιλευομλύων γδ συνῆλθεν, πάσα γδ οἰκία βασιλεύεται ὑπὸ το πρεσβυτάτε. Politic. Lib. I. Cap. II.

(3) Ces derniéres paroles (ajoûtoit nôtre Auteur)

par

plus

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(b) Voiez Tite Live, Lib. IL Cap. III.

plus tard, de fe foûmettre à l'Autorité d'une feule perfonne, ou lors que d'autres furent
fubjuguez par des Conquérans. Les paroles fuivantes ne renferment pas plus de folidité:
Comme l'Art, dit-on, tache d'imiter la Nature, mais ne la furpaffe & ne l'égale même ja-
mais: les formes du Gouvernement Républicain, qui font l'ouvrage des Hommes, tiennent
quelque chofe à la vérité de la nature des Monarchies, par rapport à la vertu qu'ont ces
Gouvernemens de procurer l'utilité commune;
commune; mais pour ce qui eft de l'Autorité Souveraine,
qui conftitue la Monarchie, & qui eft l'ouvrage d'un Dien Tout-puiffant, les Hommes ne
fauroient la produire. Ce que l'on dit là fur l'origine de la Souveraineté, a été fuffifam-
ment réfuté ci-deffus; & je ne vois pas pourquoi elle ne pourroit pas convenir à une Per-
fonne Morale, ou à une Affemblée, auffi bien qu'à un feul Homme. Il n'y a nulle con-
tradiction à dire, que tous les Membres d'un Confeil Souverain font égaux, confidérez
chacun en particulier, & que chacun elt néanmoins foumis à l'Autorité Souveraine de
tout le Corps. Il ne faut pas non plus beaucoup d'efprit pour comprendre la différence
qu'il y a entre tous les Citoiens en général, & chacun en particulier, entre l'Affemblée
du Peuple, & chaque Citoien dans fa famille. Ainfi rien n'eft plus vain que ce raisonne-
ment: Ou l'Autorité Souveraine réfide dans tous les Citoiens ensemble, ou dans quelques-
uns feulement. Si elle refide dans tous, il n'y a point de Sujets: car une feule & même
perfonne ne fauroit commander & obéir en même tems. Que fi l'on dit, que chaque Parti-
culier eft Sujet, tout le Corps entier ne fera pas Souverain, puis que chacun ne peut conférer
au Corps que ce qu'il a, c'est-à-dire, fa qualité de Sujet. Mais rien n'empêche, à mon
avis, que l'on n'attribue à un Corps Moral ce qui ne convient ni à chacun pris en par-
ticulier, ni à un feul d'entr'eux; le Corps entier étant une Perfonne Morale, diftincte
des Particuliers, & qui a fa volonté, fes actions, & fes droits propres. Par là tombent
auffi les difficultez que l'on fait fur ce que, dans les Affemblées du Peuple, les choses se
décident à la pluralité des voix. Car c'est là une Propriété effentielle d'un Corps Moral,
que le confentement du plus grand nombre de ceux dont il eft compofé, paffe pour la vo
lonté de tous fans exception; n'y aiant point d'autre expédient pour unir les volontez de
plufieurs en une feule volonté moralement telle, lors qu'ils ne fe trouvent pas tous de mê-
me fentiment. Ainfi, dans les Démocraties & dans les Ariftocraties, le füjet, où réfide la
Souveraineté, n'est point vague, ni difficile à connoitre, quoi que ceux, dont les fuffra-
ges l'emportent aujourd'hui, puiffent être demain du nombre de ceux qui ont du deffous.
Tout cela ne détruit nullement l'unité de la volonté Morale qui convient à un Corps com-
pofé de plufieurs perfonnes phyfiquement diftinctes, mais jointes ensemble par quelque
engagement, qui n'en fait qu'un feul Tout. S'il arrive, par exemple, que, dans le Con-
feil Souverain, les voix fe trouvent également partagées, le Confeil eft censé ne rien déci-
der fur l'affaire, dont il s'agit; & par conféquent on ne doit rien entreprendre là-dessus.
J'avoue, que cela expofe fouvent l'Etat à quelques inconvéniens; mais il ne s'enfuit
de là, que le Confeil ne foit point revêtu de l'Autorité Souveraine. Il est faux encore,
qu'on ne puiffe attribuer une véritable Souveraineté à un Peuple, parce qu'il n'est point af
treint à perfifter dans les délibérations qu'il a une fois prifes, & qu'un Corps entier ne s'obli
ge à rien; de forte, dit-on, que rien n'impofe ici la néceffité d'obéir. Mais comme un Roi
n'en eft pas moins Souverain, ni moins en droit de faire exécuter fes Arrêts, pour avoir
la liberté de les révoquer, quand bon lui femble, après quoi les Sujets ne font plus tenus
de s'y conformer: de même, quoi que le Peuple puiffe changer de volonté, & abolir
une Ordonnance, qui a paffé; tant qu'elle fubfifte, chacun elt dans une Obligation auffi
indifpenfable d'y obeir, que fi c'étoit l'Arrêt d'un Monarque abfolu. En effet, ceux qui
violent les Loix dans une République, ne font-ils pas punis (b) auffi bien que ceux qui
défobéillent à leur Roi? Si la Souveraineté, continue-t-on, eft entre les mains de quelques
perfonnes feulement, il faut nécessairement que chacun en aît une partie, & que la Souve-
raineté entiére résulte de toutes ces parties prifes enfemble or chaque partie doit être un

pas

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Pouvoir Souverain: donc il y aura dans un feul Etat plufieurs Pouvoirs Souverains; ce qui eft abfurde. Mais, quand il s'agit d'un Corps Moral, rien n'empêche, que les volontez particulières, de l'union defquelles réfulte la volonté générale du Corps, foient deftituées de quelque vertu & de quelque qualité, dont celle-ci eft revêtue. Ainfi de ce que le Pouvoir d'une Affemblée eft un Pouvoir Souverain, il ne s'enfuit pas que chaque Membre, confidéré à part, aît auffi un Pouvoir Souverain: de même que, de ce que le fufrage de chacun ne fuffit pas par lui-même pour établir une Loi, il ne s'enfuit point que plufieurs voix jointes enfemble n'aient pas la force de produire cet effet. Enfin, dit-on, dans un Confeil il n'y a aucun des Sénateurs, qui ne puisse être puni par ordre de fes Collègues, s'ilvient à commettre quelque Crime d'Etat : donc, fi tous les Sénateurs s'en trouvoient coupa bles à la fois, il faudroit que les Citoiens les punissent; & alors, que deviendroit la Souveraineté? Mais il eft facile de répondre à cette difficulté, pourvû que l'on explique bien ce que l'on entend par Crime d'Etat. Ce crime confifte proprement à faire, contre les ordres ou les Loix du Souverain, quelque chofe de contraire au Bien Public. Or tous les Sénateurs à la fois ne fauroient rien commettre de femblable, à moins qu'ils ne violent les Loix Fondamentales de l'Etat, à l'obfervation defquelles ils fe font engagez, lors qu'on leur a déféré l'Autorité Souveraine, ou qu'ils ne traitent les Citoiens en ennemis : attxquels cas, les Rois n'ont pas, à cet égard, plus de privilége qu'eux. Les autres chofes, que le même Auteur débite, au défavantage des Républiques, font manifeftement fauf fes: comme quand il dit, que le Pouvoir des Rois eft entiérement différent de celui qui s'exerce dans les Républiques, quoi que l'un & l'autre produise des effets semblables; les Monarques, outre la Dignité & l'éclat de leur Grandeur perfonnelle, dont aucun Magiftrat n'est revêtu avec tant de fplendeur dans une République, aiant encore la Majesté Souveraine, qui ne fe trouve point dans les Républiques. Pour moi, il me paroit certain, que Dieu n'eft pas plus l'auteur des Monarchies, que des Républiques, & que les unes & les autres font également produites par des Conventions, d'où réfultent toûjours, & par tout, les droits de la Souveraineté, qui, dans tous les divers Gouvernemens, eft le fondement prochain & immédiat de l'obéillance à laquelle font tenus les Citoiens. Ainfi ceux qui vivent fous un Gouvernement Républicain, ne font pas dans de moins étroites Obligations, ni moins Sujets, que ceux qui vivent dans un Roiaume; & parmi les prémiers on punit les Criminels avec autant de droit, que parmi les derniers. Car qui croira fur la fimple décifion de nôtre Auteur, qu'il n'y ait que les Etats Monarchiques, où l'on puniffe les Criminels par le droit du Glaive; & que, dans les Républiques, qui n'ont pas ce droit, felon lui, on inflige des peines à ceux qui violent les Loix de l'Etat, comme à des Ennemis, ou par droit de Guerre.

nement Démocra

§. VI. VOIONS maintenant, quelle eft la conftitution du Gouvernement Démocrati. De la conftituque, & ce qu'il a de particulier qui le diftingue des autres. Du moment qu'une Multitude tion du Gouver de gens libres s'affemble à deflein de former un Etat, c'eft une efpéce de Démocratie, en rique. tant qu'il eft dès lors permis à chacun d'eux de propofer fon avis en matiére des affaires communes. Mais perfonne n'eft encore tenu de foumettre fon jugement particulier au fentiment du plus grand nombre, jufques à ce que, par une autre Convention, on aît éta bli une forme de Gouvernement Démocratique. Faute de diftinguer ces deux différentes Conventions, Hobbes (a) raisonne ici d'une manière un peu embrouillée. Nous avons fait (a) De Cive,Cap voir (b) ci-deffus, qu'on n'eft nullement tenu d'aquiefcer au fentiment du plus grand nombre, avant que de s'être foûmis à une forme de Gouvernement Démocratique. Il eft donc faux, que par cela feul que plusieurs perfonnes se font assemblées pour former un Etat, elles foient cenfees s'être engagées à en paffer par ce qui feroit réfolu à la pluralité des voix, Voici comment on peut développer plus diftinctement ce que dit enfuite le même Auteur. Lors que ceux qui fe joignent enfemble, s'engagent à unir leurs forces pour leur fûreté mutuelle, ou ils réglent d'abord la forme du Gouvernement, ou ils ne le font pas. S'il n'y a point de délibération prife ni fur la forme du Gouvernement, ni pour fixer le lieu & Hh 3

le

VII. §. 5.
(b) Chap. II.§.7-

Des caractéres,

ordinairement

(a) Voiez Thuey

dide, Lib.II. Cap.

le tems auquel on fe raffemblera de nouveau; cette prémiére Affemblée eft inutile, & chacun demeure,, comme auparavant, dans l'indépendance de l'Etat Naturel: car il ne fauroit y avoir de Corps ou de Société, tant que l'on n'eft pas convenu d'une manière conftante & perpétuelle de gouverner les affaires communes. Mais fi en fe féparant, fans avoir rien. conclu, on a marqué un certain tems & un certain lieu, pour examiner une autre fois plus amplement la chofe, & prendre enfin quelque délibération; ce n'eft-là encore qu'une prémiére ébauche de l'Etat, à laquelle on ne peut pas donner le nom de Démocratie, puis que la même chofe a lieu dans le commencement & les négotiations, pour ainfi dire, de toutes fortes de Sociétez & de Conventions. La Démocratie ne fe forme donc proprement que quand chacun a remis pour toujours à une Aflemblée compofée de tous, le droit de régler toutes les affaires qui regardent le falut & l'avantage commun.

S.VII. IL y a trois chofes principales, qui font néceffaires pour conftituer une Démocra qui diftinguent tie. Prémiérement, il faut qu'il y ait un certain lieu & de certains tems réglez pour déliles Democratics. bérer en commun des affaires publiques. Car, outre que chacun a fes affaires particuliéres, qui ne lui permettent pas de refter toûjours dans l'Affemblée; fi l'on n'étoit demeuré d'accord d'un certain tems & d'un certain lieu, les Membres de l'Affemblée pourroient, ou s'affembler en divers tems & en divers lieux, d'où il naîtroit des factions & des conventicules; ou ne s'aflembler point du tout, & alors ce ne feroit plus un Peuple, mais une Multitude défunie, à laquelle on ne pourroit point attribuer de droits & d'actions propres, comme à une feule Perfonne Morale (a). Secondement, il faut que les fuffrages du plus grand nombre foient réputez la volonté de tous; étant très-rare qu'un grand nombre de gens fe trouvent de même avis. Enfin, comme il y a de deux fortes d'affaires, les unes ordinaires & peu confidérables, les autres extraordinaires & de la derniére importance; & que le Peuple entier ne peut pas commodément le trouver toûjours à l'Affemblée, ou s'affembler fi fréquemment, qu'il aît le tems de pourvoir à tout par lui-même : il eft néceffaire d'établir des Magiftrats, qui foient comme autant de Commiffaires chargez par le Peuple d'expédier en fon nom les affaires ordinaires; de pefer mûrement celles qui font un peu confidérables; &, s'il furvient quelque chofe de grande conféquence, de convoquer inceffamment l'Affemblée du Peuple, pour le faire délibérer là-deffus; enfin d'exécuter les Ordonnances du Peuple, à quoi une grande multitude n'eft guéres propre.

XXII. au com

mencement: E

dit. Oxon.

En quoi confifte le Gouvernement

Ou

§. VIII. L'ARISTOCRATIE fe forme, lors que la Multitude, qui s'uniffant par la Ariffecratique ? premiére Convention avoit déja donné l'ébauche d'un Etat, prend une délibération, par laquelle elle confie le Gouvernement à un Confeil Souverain, compofé d'un petit nombre de Sénateurs. On choifit ces Sénateurs, en les défignant ou par leurs noms propres, par leur extraction, ou par quelque autre marque diftinctive, qui les fait clairement connoitre; après quoi, s'ils acceptent cette Charge éminente, ils font dès lors revêtus de l'Autorité Souveraine fur tous les autres Citoiens, qui fe font foumis à leur volonté. Hob(a)vbifuprà,s.s. bes (a) dit, que l'Aristocratie tire fon origine de la Démocratie; ce qui eft faux, s'il entend par là, que toutes les Ariftocraties ont fuccedé à des Démocraties parfaites: car il paroit par l'expérience, & il n'y a point de raifon capable d'en faire douter, que de la prémiere Convention on a pû, fans commencer par la Démocratie, paffer immédiatement à l'établiflement d'une Ariftocratie, ou d'une Monarchie. Le même Auteur ajoûte, que le Peuple, confidéré comme une feule Perfonne, ne fubfistant plus, du moment qu'il a mis la Souveraineté entre les mains des Principaux, il n'y a point de Convention entre le Sénat, & (b) Chap.II.5.12. les Citoiens: principe que nous avons déja réfuté (b) ailleurs. La conféquence qu'il tire enfuite du Gouvernement Démocratique, dans lequel le Peuple, felon lui, ne contracte (c) Voiez ci-def- aucun engagement, n'eft pas mieux fondée. Car, quand on accorderoit (c) cela, il ne fus, §. 5. de ce s'enfuivroit pas, qu'il en dût être de même du Gouvernement Ariftocratique : non plus que, de ce que chacun peut gouverner lui-même fes propres affaires comme il le juge à propos, fans être là-deffus dans aucune Obligation envers perfonne, l'on ne fauroit con

Chapitre.

clurre,

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