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impreffions propres à les rendre où plus foûmis, ou rebelles au Gouvernement. En effet, fi en même tems que l'un ordonne quelque chofe fur peine de Mort naturelle, l'autre perfuade aux Citoiens, qu'en failant cela ils encourront la damnation éternelle, en forte que chacun d'eux agifle, de fon côté, par un droit propre & indépendant (1); il s'enfuit de là, non feulement, que des Citoiens innocens pourront être légitimement punis, puis qu'ils ne fauroient obéir en même tems à des ordres contraires; mais encore que l'Etat devient un Corps monftrueux, ou à deux Chefs. Car perfonne ne fauroit fervir en même tems deux Maîtres; & celui dont on croit devoir fuivre les préceptes, pour éviter la damnation éternelle, n'eft pas moins Maître, que celui à qui l'on obeit par la crainte de la Mort temporelle. D'ailleurs, fi l'on ôte au Souverain le droit de régler ce qui doit être enfeigné publiquement, les Citoiens gagnez par la fuperftition (a) feront entraînez à la revolte par les Voiez Hobbes, fauffes idées de leur cerveau. De dire maintenant jufques où s'étend le Pouvoir des Leviath. Cap. Souverains en matiére de Religion, parmi les Peuples Chrétiens, c'eft dequoi je laiffe le XXIX. & 7.Frid. foin (2) à d'autres. On peut voir fur tout le Traité que (b) Grotius a compofé la deffus (3). re, Lib. III. Cap.

§. XI. (1) Voiez la Differtation de notre Auteur, intitulée, De concordia vera Politica cum Religione Chriftiana, §. II.

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pour

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(a)

de Cive, Cap. VI.

Horn, de Civita

§. XII. un. §. 3.

fes il y a deux chofes, le culte extérieur, & les dogmes, l'Auteur marque les Devoirs du Magiftrat, à Pegard de l'une & de l'autre. Pour ce qui eft des Cé,, rémonies, il paroit par la définition de l'Eglife, qui eft, felon lui, une Société libre de gens, qui fe joignent "enfemble de leur bon gré, pour fervir Dieu publiquement, » comme ils croient qu'il le faut faire pour être fauvé; il » paroit, dis-je, par cette définition, que le Prince ,, n'a aucun droit d'y rien etablir par autorité. On ne » peut pas dire, qu'étant des chofes indifférentes, le ,, Prince a droit de les régler, comme il le trouve à pro"pos, parce que ces chofes étant appliquées à l'ufage ,, de l'Eglife, elles n'ont plus de rapport à ce qui re» garde la Societe Civile. Outre cela, fi elles font in,, différentes d'elles-mêmes, elles ne deviennent pas ,, agréables à Dieu, par l'approbation du Prince, à qui » Dieu n'a pas promis d'agréer le culte que les Puiffan,, ces établiroient. A l'égard des Dogmes, 1. les Prin,, ces n'en doivent fupporter aucuns, qui foient contraires à la Société Civile. 2. Ils ne doivent pas tolé,, rer particulierement ceux qui, fous prétexte de Reli,,gion, voudroient dépouiller de leurs biens civils, ou », les Particuliers, ou les Magiftrats mêmes. 3. Ils ne ,, doivent pas fouffrir les Eglifes, qui ne reçoivent per,, fonne parmi leurs Membres, qu'en fe foûmettant à une Autorité étrangere à laquelle ils font prêts à obeïr aveuglément, malgré qu'en aient leurs Princes naturels. 4. Enfin les Athées ne doivent pas demander qu'on les tolére; parce que n'aiant point de Religion, ils ne font confcience de rien, que de ce que les Loix Civiles puniffent. Voilà un extrait, que j'ai emprunté de Mr. Le Clerc, Bibliotheque Univerf. Tom. XV. pag. 403. & fuiv. Deux raifons m'ont obligé à propofer ici en peu de mots les principes de ce petit Ouvrage. L'une, c'eft qu'ils fuivent néceffairement d'une vérité, que mon Auteur a lui-même prouvée folidement dans fon Traité de habitu Religionis Chriftiane ad Vitam Civilem, je veux dire, que la Religion eft antérieure aux Sociétez Civiles, & qu'elle n'eft entrée pour rien dans leur établiffement. Voiez les §. 1, 2, 3, 4, 5, 6. L'autre raifon, c'eft que l'autorité de celui qui a compofé la Lettre fur la Tolérance, cft d'un très-grand poids: car Pilluftre Mr. Locke l'a reconnue pour fienne dans fon Teftament.

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(2) Il feroit bon pourtant de dire un mot fur cette queftion importante. Si l'on apporte ici un efprit libre de préjugez, elle peut être décidée en peu de mots, du moins autant qu'il eft néceffaire pour avoir des principes généraux, d'où l'on puiffe aifément tirer des conféquences dans les cas particuliers, & dans les autres questions qui dépendent de celle-là. La Lettre fur la To lérance, publiée en Latin à Tergom, en 1689. fournit làdeffus dequoi fe fatisfaire, & la matiére y eft traitée avec beaucoup de netteté, de force, & de brièveté. » L'Auteur veut, que l'on diftingue avec foin la République, d'avec l'Eglife. La République eft une Société établie la confervation, & pour l'augmentation des biens qu'il appelle civils, c'est-à-dire, la vie, la li,, berté, le repos, les poffeffions &c. 11 foûtient, que le Magiftrat n'eft chargé que du foin de ces chofes ,, extérieures, & que fon Pouvoir ne regarde nullement le falut des ames. C'eft ce qu'il prouve par ces trois ,, raifons. 1. Le foin du falut des autres n'a pas été confié au Magiftrat, plus qu'aux autres Citoiens, ni ,, par le Ciel, ni par les Hommes. Dieu n'a dit nulle » part, qu'il entendoit que les Peuples fuffent de la Religion de leurs Princes; & perfonne ne peut raifonnablement, ni fincérement s'engager à croire ce » que fon Prince voudra. 2. Le Magiftrat n'a rien de ,, plus que les autres hommes, hormis la force, qui ne :,, » peut être d'aucun ufage dans cette rencontre, parce que la force ne perfuade pas, & que, fans la perfuafion intérieure, il n'y a point de Religion. 3. Suppofe que la force pût perfuader, il feroit impoffible d'être fauvé, fi ce n'eft en vivant fous un Prince Or,,thodoxe; c'eft-à-dire, qu'il n'y auroit qu'un très» petit nombre de perfonnes, qui puffent être fauvées, ,, pour avoir eû le bonheur d'être nées fous un Prince » Orthodoxe, & de demeurer dans fes Etats.... L'Au,,teur foûtient donc, que le Magiftrat doit laiffer à tout ,, le monde la liberte de faire profeffion des fentimens, " qu'il croit les plus raifonnables, & empêcher qu'on ,, ne faffe violence à perfonne pour cela. Il fait voir au », long les inconvéniens qu'il y auroit à fe foûmettre ,, aux caprices des Princes; lefquels n'agiffent que par la fuggeftion des Eccléfiaftiques, qui approchent le plus de leur perfonne. S'il falloit fuivre la Religion du Prince, il faudroit changer toutes les fois qu'il ,, change; de forte que, fi des Princes de divers fentimens fe fuccédoient les uns aux autres, comme il eft arrivé en Angleterre, il faudroit que les habitans d'un ,, Taïs fuffent en peu d'années de diverfes Religions, 15 pour être fauvez, Mais comme dans toutes les Egli

"

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(b) De Imperio fummarum Potef tatum circa facra,

(3) Je n'ai pas le loifir (ajoûtoit nôtre Auteur) d'exa-
miner ce que dit Philon Juif (de Pramiis & Panis, pag.
919. A. Edit. Parif.) où, après avoir montré, que Mo
fe étoit tout enfemble Roi, Législateur, Prophete, &
Souverain Sacrificateur, il ajoûte, que ces quatre ca-
ractéres ont une fi grande liaifon enfemble, qu'ils doi-
vent être réunis en une feule perfonne, en forte que celui,
qui manque d'un seul, n'eft Prince qu'à demi, n'aiunt) -
Gg 3

qu'une

Eclairciffement

par des exemples

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XXXII. LVIII.

IV. Cap. I. V.

Diod. Sic. Lib.

IX. 2. Curt. Lib.
VIL. Cap. IL.

§. XII. POUR comprendre plus diftinctement la liaison naturelle de toutes les Parties de cette vérité, de la Souveraineté, examinons un peu les diverfes maniéres dont on pourroit les concevoir divifées. Suppofons, par exemple, que le Pouvoir de faire, la Guerre & la Paix loit entre les mains du Prince; le Pouvoir Législatif, & le Pouvoir Judiciaire, entre les mains d'un Sénat; & le Pouvoir d'établir des Impôts, entre les mains de l'Affemblée du Peuple. Si le Roi vient à ordonner aux Citoiens de fe mettre fous les armes, & qu'ils refufent d'obeir, ou il a alors le Pouvoir de les y contraindre lui-même par des peines, ou bien il doit les faire juger par le Sénat. Dans le premier cas, je ne vois point en vertu dequoi celui qui n'a pas le droit de faire exécuter les Loix, pourroit punir des Citoiens, qui ne font pas encore enrollez. Si l'on dit, que c'eft-là le feul cas, dans lequel il eft permis au Roi de punir ceux qui lui défobéiffent, on lui donne par là le Pouvoir de maltraiter à fa fantaifie tous les Citoiens: car lors qu'ils n'auront pas voulu prendre les armes, il leur fera fouffrir tel fupplice qu'il lui plairra; & s'il les méne à quelque expédition, la difcipline militaire lui donnera fur eux droit de vie & de mort: & l'on fait combien il eft facile à (a) Voiez T. Liu, un Général de perdre un Soldat, pour qui il a conçu de l'animofité (a). Que fi le Roi est Lib. II. C.XXIII, obligé de remettre entre les mains du Sénat, ceux qui refufent de marcher à la guerre, il Lib. III. Cap. X. faut, ou que le Sénat prononce & décerne la peine purement & fimplement felon la voXX. XXIV. Lib. lonté du Roi, ce qui eft contre la fuppofition; ou qu'il connoiffe, de l'accusation intentée LVIII. Lib. V. contre ces Citoiens, ce qui feroit fort inutile, tant qu'il ne pourroit pas en même tems Cap. II. X. &c. examiner, s'il eft avantageux, ou non, à l'Etat de s'engager dans la Guerre, que le Roi XIV. C. LXXIII. veut entreprendre: or du moment que le Sénat eft autorifé à entrer dans cette difcuffion, Polyb. Lib. I. C. le droit du Roi fe réduit à rien. Les mêmes inconvéniens fe trouvent dans cette fuppofition, en comparant le droit du Roi, avec celui du Peuple. Car certainement, comme le difoit autrefois un célébre Historien Latin (1), on ne fauroit, ni maintenir les peuples en repos fans le fecours des armées, ni entretenir les armées fans argent, ni avoir de l'argent que par le moien des impôts & des fubfides. Si donc le Prince n'a pas le Pouvoir de contraindre les Citoiens de fa pure autorité à paier ce à quoi ils font taxez; tout fon droit de faire la Guerre fe réduit à une fimple permiffion de représenter aux Citoiens, qu'il eft avantageux à l'Etat de lever des troupes en telle & telle circonftance. Que fi le Peuple n'eft pas en droit d'examiner, fi la Guerre, aux frais de laquelle il doit contribuer, eft avantageufe, ou non; que lui refte-t-il autre chofe, fi ce n'eft l'emploi pénible de régler les taxes, & de lever les fubfides? ce qui eft contre la fuppofition. En un mot, de quelque autre maniére qu'on veuille divifer les Parties de la Souveraineté, les mêmes difficultez revien (b) Voiez Bedin. dront toûjours (b); & nous devons conclurre avec un Ancien (2), que l'Etat n'aiant qu'un Cap. I. p. 287. & corps, il ne faut qu'un efprit pour le gouverner, c'eft-à-dire, une feule perfonne, ou une Arnifaus, de Rep. feule Affemblée. On peut éclaircir cela par l'exemple de l'Ame Humaine, avec laquelle la Seat. I. s... Souveraineté a quelque rapport. Car fuppofé que l'Entendement & la Volonté euffent §. leur fiége en deux fujets différens, en forte que l'un n'eût que l'Entendement, & l'autre que la Volonté; aucun de ces fujets ne pourroit être appellé Homme, ni produire des Actions Humaines, puis que le premier demeureroit toûjours immobile, pendant que l'au (c) Voiez, dans tre étant aveugle tâcheroit inutilement de fe conduire (c). Si donc. on veut abfolument féPAnthologie, Lib. 1. une Epigram- parer les Parties de la Souveraineté, il réfultera de là un Corps Irrégulier, dont les Memme fur deux bres, entre lefquels elles feront partagées, ne feront point unis par le lien d'un Gouvernehommes, dont ment commun, mais uniquement par leurs Conventions. Ainfi la concorde pourra bien s'y maintenir en quelque maniére, tant qu'ils concourront de concert à l'avancement du

de Repub. Lib. II.

Lib. II. Cap. VI.

gle, porte l'au

tre, qui étant eftropié ne fauroit marcher;

par où ils s'entrefecourent.

qu'une adminiftration imparfaite des affaires publiques."
Ταῦτα μιας ὄντα ἰδέας, ἀλληλοχεῖν ἐφείλει το αρμονίας
δεσμοῖς ἐνωθέντα, καὶ πει ἢ αὐτὸν ἐξετάζεις, ὡς ὁ τινὸς
* τεττάρων ὑπερίζων, ἀτελῆς εἰς ἡγεμονίαν, χωλὴν ἀνημε
μας κοινῶν πραγμάτων οδιμέλειαν. L'Auteur pouvoit
dre fimplement, que cette penfée, qui n'a d'autre fon-
dement que l'autorité de Philon, ne mérite pas d'être

Bien réfutée. 5. XII. (1) Nam neque quies gentium fine armis; neque arma fine ftipendiis; neque ftipendia fine tributis haberi, queunt. Tacit. Hift. Lib. IV. Cap. LXXIV.

(2) Unum effe Reipublica corpus " atque unius animg regendum. Alinius Gallus apud Tacit. Annal. Lib. I. Сар. ХІД

Bien Public, & que chacun fe trouvera difpofé à faire de lui-même tout ce qui eft nécef-
fairé
pour cette fin. Mais auffi-tôt qu'il s'élevera entr'eux quelque diffenfion, il faudra né-
ceffairement, ou avoir recours à des Arbitres, ou en venir à la Guerre.

ceux qui veulent

ties.

Cap.VIII.IX.

tout Michel

gauche..

§. XIII. Quoi que ce qui vient d'être établi foit très-évident; il y a néanmoins bien Réflexions fur des gens, qui foûtiennent, que l'on doit féparer les Parties de la Souveraineté, & qui pré- les penfees de tendent par là former je ne fai quels mélanges de Gouvernemens, lefquels étant bien af- feparer quelques fortis peuvent, à leur avis, rendre un Etat très-heureux. On allégue pour cet effet, mais unes de ces Paren vain, l'autorité d'Ariftote, qui (a) parle de toute autre chofe. Il n'y a non plus aucune (a) Politic. Lib. divifion des Parties de la Souveraineté, lors, par exemple, que le Sénat a le droit de ju- V. Cap.VIX ger & de condamner, pendant que le Prince, ou le Peuple, a celui d'abfoudre & de faire ques-uns de fes grace. Car, fi le Prince peut de plein droit, & de fa pure autorité, abfoudre tous ceux furerpretes, & que le Sénat a condamnez, celui-ci n'eft que comme un fimple Juge fubalterne, dont les Piccart, donnent Arrêts n'ont dé forcé, qu'autant que le Prince leur en communique. D'où il paroit, que, furieufement à dans un Etat, où il y a un Confeil qui juge en dernier reffort des Caufes criminelles, li le Prince a néanmoins le droit de faire grace, ce Confeil tient véritablement du Roi le pouvoir qu'il a de connoitre des affaires criminelles, & de prononcer conformément aux Loix; ce qui fe fait afin que la Juftice foit adminiftrée en forte qu'on ne donne rien ni à la faveur, ni à la haine, & pour ne pas expofer le Roi à la haine de fes Sujets mais le droit de vie & de mort eft toûjours originairement entre fes mains. Quelques uns fe forgent une espèce de divifion dans le Pouvoir Judiciaire, en fuppofant que le Roi aît droit de vie & de mort, fur les Etrangers feuls, & le Peuple fur les Citoiens. Mais fi le Peuple en cela ne fait la fonction que de Juge fubalterne, le Pouvoir du Roi n'en fouffre aucune diminution, Que fi ce droit eft originairement & indépendamment entre les mains du Peuple, le Prince ne fera Roi que de nom, & n'exercera que la Charge de Juge des Etrangers (b). L'exemple le plus à propos que l'on aît crû pouvoir imaginer ici, c'eft de don- dit des diverfes (b) Ce que l'on ner au Roi (c) le droit de faire la Guerre & la Paix, d'exiger des Impôts & des Subfides, fortes de Monde battre la Monnoie, & de diftribuer les récompenfes au Sénat, le droit de juger en pas être réfudernier reffort, le droit de vie & de mort, & celui de reformer les mœurs par des Loix: té. Voiez Arniau Peuple enfin l'adminiftration des Finances, & la création des Magiftrats. Mais les cho- fes, Rel. Polit. fes que nous avons dites ci-deffus, fuffifent pour faire voir ce que l'on doit penfer de cet seat. I. exemple.

noie, ne mérite

(c) Idem, §. 57.

timent de Gro

tius.

§. XIV. GROTIUS (a) admet auffi quelque divifion des Parties de la Souveraineté. Examen du fenIl remarque d'abord, & avec raifon, que ce partage ne peut point fe faire par une fimple time Convention, qui porte en général, que, fi le Roi gouverne bien, le Peuple lui obeira; (a) Lib. I. Cap.. mais que, s'il abule de fon Autorité, le Peuple fera en droit de le réprimer. En effet la . §. 9.&.17.Bonté, ou la Malice d'une Action, fur tout en matiére de Chofes Civiles, ou de l'appli cation des moiens propres à procurer le Bien Public, en quoi il y a fouvent beaucoup d'obfcurité, n'eft pas par elle-même capable de marquer diftinctement le partage de la Souveraineté. Au contraire il en réfulteroit infailliblement de grands défordres, pendant que le Roi d'un côté, & le Peuple de l'autre, voudroient chacun, en vertu de fon Pou voir, s'approprier la connoiflance d'une même affaire, l'un prétendant l'avoir bien gouvernée, & l'autre foûtenant que iron. Il faut donc, felon la différence des lieux, des perfonnes, & des affaires, régler fi bien les limites du Pouvoir du Roi, & de celui du Peuple,. que l'on voie aifément l'étendue de la Jurifdiction de chacun. Grotius a raifon encore de dire, qu'il ne se fait point de partage des droits de la Souveraineté par cela feul que le Roi s'engage envers le Peuple par quelques Promeffes, même en matière des chofes qui regardent le Gouvernement. Mais dans tout le refte il raifonne fur les faux principes du commun des Savans. Quelquefois, dit-il, on fait un partage éxprès de la Souveraineté :comme quand, du tems de l'Empereur Probas, le Sénat confirmoit les Loix des Princes;; connoilloit des Appellations; créoit les Proconfuls; donnoit des Affeffeurs aux Confuls.

Mais tout le monde ne fait-il pas, que les Empereurs, qui vouloient paffer pour bons Princes, confervoient quelque ombre de l'ancienne République Romaine, & laiffoient au Sénat la direction des affaires de peu de conféquence, pendant qu'ils gardoient pour eux avec beaucoup de foin le Pouvoir Souverain, & toutes les forces de l'Empire, qui dépendoient fur tout de la faveur des Soldats? Une autre maniére de partager la Souveraineté, c'est, felon Grotius, lors qu'un Peuple encore libre preferit au Roi, qu'il veut fe choisir, certaines chofes en forme d'Ordonnance perpétuelle. Mais je ne vois pas ce que c'eft que cette Ordonnance perpétuelle, qui fubfifté dans un tems où l'on n'a plus le pouvoir de commander. Car toute Ordonnance fuppofe un Pouvoir Coactif, en vertu duquel on a droit de punir ceux qui la violeront. Or ou le Peuple conferve ce Pouvoir, lors qu'il établit le Roi, ou il ne le retient plus. S'il le conferve, le Roi n'eft tel que de nom, & le Peuple dans le fond demeure Souverain. S'il ne le conferve plus, l'Ordonnance eft vaine & de nul effet. Il falloit donc dire, que le Peuple étant encore libre peut ftipuler du Roi, qu'il fera tenu de fuivre certaines Régles de Gouvernement; en quoi il n'y a point de partage de la Souveraineté, comme nous le ferons voir ailleurs. Enfin, dit Grotius, on infére quelquefois une claufe, qui donne à entendre, que le Roi peut être contraint, ou méme puni. Mais en ce cas-là le Peuple conferve abfolument la Souveraineté, & fous le beau nom de Roi on établit feulement un Magiftrat principal, à qui l'on peut faire rendre compte de fa conduite en toutes chofes. En effet il n'y a qu'un Supérieur, confidéré comme tel, qui inflige des peines. Et la Contrainte eft ou Morale, qui fe fait en vertu de quelque Autorité; ou Physique, qui fe fait par la force, & par voie de Guerre. Or on n'a point d'Autorité fur un égal, entant que tel. Lors donc que Grotius conclud, que le Peuple eft du moins égal au Roi, parce qu'il peut le contraindre en certains cas; il faut qu'il reconnoiffe auffi nécellairement, qu'aucun des deux n'a autorité fur l'autre. La Contrainte par la voie des armes n'a lieu non plus qu'entre égaux; & cela paroit par l'exemple même, que Grotius allégue, d'un Créancier qui a droit naturellement de contraindre fon Débiteur à le paier. Ce n'est pas certainement en vertu d'aucune Autorité que le Créancier a un tel droit: autrement il s'enfuivroit, que du moment qu'on doit quelque chofe à un Homme, on commence à être fous fa puiffance. Mais le Créancier peut fans contredit contraindre fon Débiteur à le fatisfaire, ou par la voie de la Juftice, qui n'a point de lieu entre le Roi, & le Peuple; ou, s'ils vivent dans la Liberté Naturelle, par la force des armes. Si donc on prétend que le Peuple peut contraindre le Roi de cette derniére façon, il faut dire auffi, qu'ils demeurent l'un & l'autre dans l'état de la Liberté Naturelle, & par conféquent, qu'il n'y a point entr'eux de Société Civile. Enfin, j'accorde à Grotius, qu'en matière de Gouvernement Civil il y a par tout quelque inconvénient; & qu'ainfi les inconvéniens, qui peuvent réfulter du partage des droits de la Souveraineté, ne fuffifent pas pour le faire regarder comme impoffible; puis qu'on doit régler l'étendue des droits non fur ce que telle ou telle perfonne regarde comme le plus expédient, mais fur la volonté de celui, d'où ils émanent. Je veux feulement qu'on m'accorde à mon tour, que fi quelque Peuple trouve bon de faire un tel partage, il forme par là un Corps d'Etat fort irrégulier, & fujet à de

facheufes maladies.

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Les circonftan- §. I.

ces accidentel

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CHAPITRE V.

Des diverfes formes de Gouvernement.

OMME le Corps de l'Etat et le fujet commun de la Souveraineté; elle a auffi un fujet propre, où elle réfide originairement & immédiatement, & qui eft, ou une point la formedu feule perfonne, ou une Affemblée compofée ou d'un petit nombre de gens, ou de tous

les ne changent

Gouvernement.

les

les Citoiens en général. De là naiffent les différentes formes de Gouvernement, dont il nous faut maintenant traiter un peu en détail.

Je remarquerai d'abord, que, dans l'administration actuelle du Gouvernement, on s'éloigne fouvent de la maniére propre & naturelle qui convient à la conftitution de l'Etat, comme, par exemple, lors que, dans une Démocratie, le Peuple charge de certaines affaires quelque peu de perfonnes, ou même une feule; mais cela n'empêche pas, à mon avis, que la forme du Gouvernement ne demeure toûjours la même, dans le fens que nous venons de dire. De plus, comme il y a grande différence entre exercer un Pouvoir propre, & agir par un Pouvoir étranger & précaire, dont on peut être dépouillé toutes les fois qu'il plairra à celui de qui on le tient: c'eft jouer fur les mots, que de foûtenir, comme font quelques-uns, que c'est au fond une véritable Oligarchie, lors qu'un Roi fuit aveuglément les fuggeftions de quelque peu de perfonnes, qui abufent de fa facilité; & une Monarchie, lors que le Peuple fe laiffe mener par un Démagogue, ou lors que, dans un Confeil Souverain, il y a quelque Sénateur qui, par fa fagesse, par fon éloquence, ou par fa puiffance & fon crédit, gouverne les autres, & donne le branle à toutes les délibérations. On ne fauroit non plus raifonnablement prétendre, que la forme du Gouvernement foit changée, lors que l'adminiftration des affaires publiques paffe à d'autres personnes, ou que l'on augmente on diminue le nombre des Miniftres de la Société : de même qu'il n'y a point d'Interrégne, lors qu'un Miniftre vient à être chaffé de la Cour par le Succeffeur du Prince, fous lequel il avoit eû le maniment des affaires. Pour la capacité & les inclinations de celui ou de ceux qui ont en main l'Autorité Civile ou indépendamment & par eux-mêmes, ou en vertu des ordres d'un Supérieur, de qui ils la tiennent; cela cause bien quelque changement dans l'adminiftration des affaires, & dans l'exercice du Pouvoir, dont on ufe bien ou mal felon que l'on a de bonnes ou de mauvaises qualitez, mais non pas dans la forme même du Gouvernement. Ainfi, comme, pour devenir malade, ou contrefait, on n'eft pas dès-lors un autre Homme, que quand on fe portoit bien, ou qu'on avoit tous les membres dans leur fituation & leur forme naturelle de même les vices des Souverains, ou des Sujets, ou l'établissement de quelques mauvaises Loix, ne produisent pas une nouvelle forme de Gouvernement.

guliers, & des

'diftincts.

§. II. UNE autre chofe qu'il faut remarquer ici d'entrée, c'eft que la plupart des Au- Il y a des Gouteurs qui ont écrit fur des matiéres de Politique, uniquement occupez à expliquer la for- vernemens Irréme des Gouvernemens Réguliers, ou ne difent rien du tout des Irréguliers, ou en traitent Corps compofez de fort fuperficiellement. De là vient, que quand ils ont à parler de quelque Corps Politique, plufieurs Etats dont le Gouvernement ne fauroit être rapporté à l'une de ces trois formes, que l'on appelle fimples, ils ne trouvent point d'autre nom pour le défigner, que celui de Gouvernement Mixte. Mais, outre que l'on fe figure mal à propos un tel mélange dans certains Etats qu'on allégue pour exemple; vouloir tout réduire aux Gouvernemens Réguliers, c'eft reffembler à une perfonne, qui aiant appris les Régles de l'Architecture, fuppoferoit bonnement, que tous les Hommes les ont fuivies en bâtiffant leurs maisons.

Il y a auffi des Corps Politiques, que les ignorans prennent pour un feul Etat, quoi qu'ils foient véritablement compofez de plufieurs Etats parfaits & c'eft ce qu'il faut en core bien diftinguer dans l'explication des diverfes formes de Gouvernement.

Etat Ré

voir de differen

§. III. UN Etat Régulier, c'est, à mon avis, celui dont tous les Citoiens en général, & Ce que c'eft chacun en particulier, font gouvernez comme par une feule ame, c'est-à-dire, dans lequel le quintaPouvoir Souverain, fans être divisé en aucune maniére, s'exerce par une feule volonté dans bien il peut atoutes les parties & dans toutes les affaires de l'Etat. Il n'y a que trois diverfes formes de res formes de Gouvernement Régulier, felon les trois différentes conftitutions du fujet propre de la Sou- Gouvernement ? veraineté. Car, ou la Souveraineté réfide dans l'Affemblée générale de tous les Citoiens, en forte que chacun y a droit de fuffrage, & c'eft ce que l'on appelle Démocratie: ou elle eft entre les mains d'une Affemblée compofée de quelques Citoiens choifis, & alors

TOM. II.

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