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été contractées. Car le Corps n'eft point tenu de paier ce que chacun des Membres a emprunté en fon nom propre & particulier : tout ce qu'il y a, c'eft que, fi le Débiteur eft condamné à paier, on peut faire faifir, avec les autres biens, ceux même qui lui revien nent en qualité de Membre de ce Corps. Pour les Dettes contractées au nom du Corps, par quelcun de fes Directeurs, conformément aux Loix de la fondation, elles obligent tout le Corps confidéré comme tel, de forte que, fi la Communauté n'a point de biens propres, chacun y eft pour fa part: à moins que les Créanciers ne foient des gens qui ne dépendent pas du même Souverain; car en ce cas-là ils s'en prennent à chaque Membre, dont ils peuvent fe faifir, comme s'il s'étoit obligé folidairement: de même que, par droit de Repréfailles, le prémier Sujet d'un Etat étranger qui fe trouve dans le Païs, eft mis en prifon pour les dettes de tout autre de fes Concitoiens. Mais s'il y a des Dettes contractées contre les ftatuts de la fondation du Corps, elles ne tombent que fur ceux qui fe font expreflément obligez, & non pas fur les autres, hormis ce en quoi ils pourroient avoir profité quelque chofe de l'argent prêté. Lors que les biens de la Communauté ne fuffisent pas pour aquitter une telle dette, il faut que chacun de ceux, qui fe font obligez, paie fa part de ce furplus. Que fi quelcun des Membres a prêté en fon particulier au Corps confidéré comme tel, il ne peut s'en prendre qu'aux biens de la Communauté; & s'ils ne fuffifent (a) Voiez Hobbes, pas pour le fatisfaire, tant pis pour lui, c'est fa faute (a). Enfin, s'il furvient quelque déLeviath. Cap. mêlé entre quelcun des Membres, & tout le Corps, ce n'eft pas le Corps qui en doit décider, mais l'Etat, de qui il dépend: autrement, comme il n'y a point ici de Juge commun, le Corps feroit Juge en la propre Cause.

XXII.

Des Corps illégi

tieux.

§. XXIII. LES Corps illégitimes ne font pas feulement ceux, dont les Membres s'uniftimes, ou face fent pour commettre ouvertement quelque Crime, telles que font les bandes de Larrons, de Filoux, de Gueux, de Miquelets, de Corfaires, de Brigands &c. On doit encore entendre par là toutes fortes de liaisons, dans lesquelles les Citoiens entrent fans le confentement du Souverain, & d'une maniére oppofée au but des Sociétez Civiles. Ces engagemens s'appellent des Cabales, des Conjurations, des Factions &c. & l'on y entre pour diverfes raifons. Quelquefois des efprits revêches & féditieux tâchent par là de s'emparer du Gouvernement de l'Etat; ou du moins de faire tourner les affaires publiques d'une maniére qui s'accommode à leur goût & à leur avantage particulier. Quelques-uns veulent s'enrichir aux dépens du Public: d'autres cherchent par là dequoi fe promettre l'impunité de leurs crimes. Il faut même regarder comme des Cabales fufpectes & dangereuses, non feulement ces liaisons particulières dont on cache le fujet, mais encore celles qui fe couvrent d'un prétexte plaufible, comme de fe défendre foi-même, de réformer certains abus, de faire caller quelques Miniftres qui malverfent dans leur Emploi. Car on entreprend par là (*) Voiez Tacit fur les droits du Souverain, à qui il appartient de pourvoir à tout cela, & il eft à craindre Hiftor.Lib.I.Cap. que, quand de tels Factieux fe fentiront allez puiffans, ils ne tournent leurs forces contre commencement. l'Etat même (a). Ainfi bien des chofes, qui d'ailleurs font très-innocentes en elles-mêmes, (b) Voiez encore deviennent illicites, lors qu'elles fe font par voie de Cabale. Par exemple, il eft permis de 40. & Hobbes, de préfenter une Requête au Souverain, d'accufer quelcun &c. mais lors qu'on y va accomCive, Cap. XIII. pagné d'une grande troupe de gens, que l'on a ramaffée tout exprès, cela fent la fédition. viath. Cap.XXII. C'eft ainsi que, par les Loix de la Guerre, il eft défendu aux Soldats, fur peine de la vie, de venir demander leur paie avec un grand nombre de leurs camarades (b).

LXXXIV. au

Actes, XXIX, 39,

S. 12, 13. & Le

in fine.

Citoiens,qui ont

Public

Des fonctions §. XXIV. CEUX, à qui le Souverain confie quelque partie du Gouvernement, qu'ils particulieres des exercent en fon nom & par fon autorité, font auffi engagez envers lui d'une façon plus quelque Emploi étroite & plus particuliére, que les fimples Citoiens. On appelle ces gens-là des Miniftres ou Officiers Publics, ou des Magiftrats; & il ne faut pas les confondre avec les Miniftres on Officiers particuliers du Prince, qui le fervent, comme ils feroient un fimple Particulier, dans les affaires qu'il a, comme toute autre perfonne. Pour ceux qu'il emploie à fon fervice précisément entant que Souverain, les uns ont en main une partie du Gouverne

ment,

ment, en vertu dequoi ils repréfentent fa perfonne d'une certaine maniére, & ce font ceux que l'on appelle proprement Miniftres Publics: les autres font fimplement chargez de l'expédition & de l'exécution des affaires publiques. Il faut mettre au prémier rang les Tuteurs du Prince & les Adminiftrateurs du Roiaume pendant la Minorité d'un Roi, ou lors qu'il vient à être fait prifonnier, ou à perdre fon bon-fens: les Gouverneurs des Provinces, des Villes, des Diftricts: les Commandans d'Armée, tant par mer que par terre: les Intendans des Finances: les Préfidens des Cours de Juftice: les Examinateurs des doctrines: les Ambaffadeurs ou Envoiez auprès des Puiffances étrangères; & autres femblables Miniftres. L'autre claffe renferme les Confeillers, qui ne font que propofer leurs avis an Souverain; les Secrétaires; les Receveurs des deniers publics, & ceux qui recueillent les revenus du Domaine de l'Etat ; les Soldats; les Officiers fubalternes; ceux qui prêtent leur bras à l'exé cution de la Fuftice; & autres Emplois femblables, dont il eft aifé de connoitre la variété & la fubordination, dans chaque Etat (a).

(a)Voiez Hobbes, Leviath. Cap. XXIII. & Bodin. de Republ. Lib.. III. Cap. VIL

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Les Conven

tions, qui for ment l'Etat,pro

§. I. IOIONS maintenant quelle eft l'origine prochaine & immédiate de la Souveraineté, qui fe trouve dans tous les Etats, & qui en eft comme l'ame. Je fuppofe ici d'abord, que cette Autorité Souveraine ne fauroit avoir fon effet, fi ce- duifent aufi la lui, qui en eft revêtu, n'a, d'un côté, des forces aflez grandes pour le mettre en état de Souveraineté. contraindre fes Sujets, par la vûe de quelque mal, à faire ce qu'il leur commande; &, de l'autre, un bon titre, en vertu duquel il aît droit de leur prefcrire ce qu'ils doivent faire ou ne pas faire. La prémiére de ces chofes réfulte immédiatement, auffi bien que l'autre, des Conventions, qui forment la Société Civile. En effet, on eft censé avoir en main les forces de plufieurs autres, lors que ceux-ci font tenus de ne faire ufage de leurs propres forces que de la manière qu'on le jugera à propos, en forte qu'ils ne peuvent pas légitimement nous résister, ou refufer de nous obéir: car c'eft la feule maniére de transférer à autrui fes propres forces. Or les Sujets, en foûmettant leurs volontez à celle du Souverain, s'engagent par là à ne pas lui réfifter (1), ou à lui obéir, toutes les fois qu'il voudra emploier leurs forces & leurs facultez à l'avancement du Bien Public; & par conféquent ils le rendent aflez fort pour contraindre chacun d'eux à lui obéir. Cette même Convention lui donne auffi un titre bien légitime & bien authentique, puis qu'elle fonde fon Autorité fur la foûmiflion & le confentement volontaire des Sujets, & non pas fur aucune violence.. Voilà donc l'origine prochaine & immédiate du Pouvoir Souverain, entant qu'il marque une Qualité Morale. Car comme on transfére fon bien à autrui, par des Conventions & des Contracts: on peut de même, par une foûmiffion volontaire, fe dépouiller en faveur de quelcun, qui accepte la rénonciation, du droit que l'on avoit de difpofer pleinement de fa liberté & de fes forces naturelles. Ainfi un homme, qui s'engage à être mon Esclave, me confére véritablement fur lui l'Autorité de Maître; & c'eft une crafle ignoranceque d'objecter là-deffus, comme font quelques-uns, cette maxime commune, & vraie en un autre fens, que l'on ne fauroit donner ce que l'on n'a pas.

§. II. MAIS, quoi que la Souveraineté réfulte immédiatement des Conventions hu- Cela fe fait avec maines, cela n'empêche pas, que, pour la rendre plus facrée & plus inviolable, il ne faille l'approbation &

par la volonte de

Un DIEU.

5. 1. (1) Monentes, ne utique experiri vellet imperium, cujus vis omnis in consensu obedientium effet. Tit. Livius, Lib. IL Cap. LIX..

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un principe plus relevé, & que l'Autorité des Princes ne foit de Droit Divin, auffi bien que de Droit Humain. En effet, depuis la multiplication des Hommes, la droite Raifon aiant fait voir fans contredit, que l'établiffèment des Sociétez Civiles étoit abfolument néceflaire pour l'ordre, la tranquillité, & la confervation du Genre Humain, DIEU, entant qu'auteur de la Loi Naturelle, doit auffi être regardé comme auteur des Sociétez Civiles, & par conféquent du Pouvoir Souverain, fans lequel elles ne fauroient être conçues. En effet il faut rapporter à Dieu, non feulement les établiffemens faits immédiatement par fon ordre, & fans l'intervention d'aucun acte humain; mais encore ceux que les Hommes ont inventez eux-mêmes par les lumiéres de la droite Raifon, felon que les circonftances des tems & des lieux le demandoient, pour s'aquitter des Obligations, qui leur étoient (a) Voiez. 1. Ti- impofées par quelque Loi Divine (a). Puis donc que, fans le Gouvernement Civil, on n'auroit pas pu commodément pratiquer les Devoirs de la Loi Naturelle, depuis que le Genre Humain fe fùt confidérablement multiplié; il eft clair, que Dieu, qui a preferit cette Loi aux Hommes, leur a par cela feul ordonné de former des Sociétez Civiles. Auffi voions-nous, que, dans l'Ecriture Sainte, il approuve formellement l'Autorité des Souverains, & la fait regarder comme venant de lui, ordonnant fous des peines très-rigoureuses d'avoir pour eux un profond refpect, & de fe foumettre, fans répugnance, à leur volonté. Mais il n'eft pas bien für, que Dieu ait expreflément commandé d'établir telle ou telle Société Civile en particulier. Car pour ce qui eft du fixième des (b) Préceptes donnez aux enfans de Noé, fuppofé qu'on puiffe le vérifier, il ne marque point de tems ni de lieu précis, & rien n'empêche qu'on ne l'explique en ce fens, qu'il faudra administrer la Justice, lors qu'il y aura des Tribunaux établis.

moth. II, 2.

(b) De Judiciis,

Voiez Selden. de
J. N.& Gent. fec.

Hebr. Lib. VII.
Cap. IV. & feqq.

& Mr. Le Clerc
fur Deut. I, 17.

(c) Boecler. in Gror. Lib.I. Cap.

III. §. 6.

Ce

que nous venons de dire fur l'origine de la Souveraineté, n'eft pas fort différent des penfées d'un (c) Commentateur célébre de Grotius: Il faut, dit-il, fonder l'établissement du Pouvoir Souverain non feulement sur un acte humain, mais encore fur un commandement divin, & fur la Loi Naturelle, on fur un acte humain, par lequel on fe propose d'obéir au Droit Naturel. En effet, celui qui ordonne l'établissement d'une Société, preferit en même tems l'ordre néceffaire pour l'entretenir: or l'ame d'une Société, c'est qu'il y ait quelcun qui commande avec autorité; & l'Etat eft la plus parfaite de toutes les Sociétez. Voilà qui eft bien, pourvû qu'on ajoûte, que Dieu a déclaré ici fa volonté uniquement par les lumiéres de la Raifon, qui ont fait comprendre aux Hommes, que, fans l'établillement des Sociétez Civiles, l'ordre & la paix, qui font le but du Droit Naturel, ne pourroient pas fe maintenir dans le monde; fur tout depuis que le Genre Humain fe fût confidérablement multiplié. Et c'est ce qui diftingue les Sociétez Civiles d'avec les autres établiffemens humains, qui ont bien été inventez par les lumiéres de la droite Raifon, mais non pas en forte qu'elle les fit regarder comme abfolument néceffaires pour l'ordre de la Société, & pour la confervation du Genre Humain. Il eft vrai, que, dans le cinquiéme Commandement du Décalogue (1), Dieu ordonne d'obéir aux Puillances: mais cela n'exclut pas plus les caufes prochaines & immédiates du Pouvoir Souverain, que la défenfe de dérober, contenue dans le huitiéme Commandement, n'exclut les Conventions humaines, qui ont intro

§. II. (1) L'Auteur difoit ici le quatrième Commandement mais il a voulu fans doute parler du cinquième; Honorez vos Péres, & vos Méres. De plus, il accorde trop libéralement, qu'il s'agifle là des Souverains. Je fai bien que les Théologiens & les Predicateurs, à force de conféquences, ou plûtót de machines, renferment tous les Superieurs fous le titre des Péres & des Méres. Mais un bon Interprête ne tirera jamais de là rien de femblable: &, fans examiner le principe genéral des explications trop étendues que l'on donne ordinairement aux Commandemens du Décalogue, (fur quoi on peut voir ce qu'a dit Mr. Le Clerc, dans fa Note fur le 1. verfet du Chap. XX. de l'Exode, & ce que dit nôtre Auteur, après

Grotius, Liv. VIII. Chap. I. §. 4. à la fin ;) il ne faut que faire tant foit peu de réflexion à la raifon que le Légiflateur ajoûte, pour porter les Ifraelites à l'obfervation du Précepte, dont il s'agit: Afin, dit-il, qu'ils prolongent vos jours fur la Terre, que le Créateur vitre Dieu vous aura donné. Cela fait allufion manifeftement à l'efficace que l'on attribuoit aux prieres des Péres & des Méres en faveur de leurs Enfans obéiflans. Voiez Mr. Le Clerc fur ce Commandement, & fur Genef. XXVII, 33. La chofe fera encore plus évidente, fi l'explication ingénieufe de Mr. Des Maizeaux (dans les Nouvelles de la République des Lettres, Novembre 1700, p. 500. & fuir.) cft bien fondée,

§. 111.

introduit la Propriété des biens. Lors auffi que l'on donne aux Souverains le titre de Lien-
tenans de Dieu fur la Terre, cela veut dire feulement, que, par le moien du Pouvoir,
qu'ils ont en main, ils entretiennent dans le monde le bon ordre & la paix, beaucoup
mieux que n'auroient fait les impreffions de la Loi Naturelle toutes feules, & le refpect
des Hommes pour fon auteur. En ce fens-là les paroles fuivantes du même Commentateur
ne fouffrent point de difficulté: Afin donc, dit-il, que l'Etat fût véritablement un Etat,
& qu'il produisit l'effet, auquel il eft deftiné; Dieu a établi, par la Loi Naturelle, l'ordre
de commander & d'obéir, dans lequel il doit y avoir, en vertu de la volonté même de Dien,
& des lumiéres naturelles de la Raifon, un Pouvoir Souverain & indépendant, qui ne re-
leve que de Dieu, comme c'est celui qui approche le plus de fa Majefté, & qui le représen-
te ici bas. Mais il dépend uniquement des Hommes de conférer ce Pouvoir Souverain à une
feule perfonne, ou à plufieurs, & de régler, les uns d'une façon, les autres de l'autre, la
forme du Gouvernement. Pour ce qui regarde l'opinion de Grotius (d) touchant l'origine de (d) Lib. I. Cap.
la Souveraineté, elle peut être expliquée en un bon fens : Les Hommes, dit-il, ont été IV. S. 7. num. 3.
portez à former des Sociétez Civiles, non par aucun ordre de Dieu, (c'eft-à-dire, par aucun
commandement exprès, car en effet on n'en trouve point de tel) mais de leur propre mou-
vement (ce qui n'exclut pourtant pas les lumières de la droite Raison, & la volonté de
Dieu) par l'expérience qu'ils avoient faite de l'impuiffance où étoient les Familles féparées
(depuis la multiplication du Genre Humain) de fe bien mettre à couvert des infultes & de
la violence d'autrui. C'eft-là, continue-t-il, l'origine du Pouvoir Civil, que St. Pierre ap-
pelle à cause de cela (e) un établissement humain quoi qu'il foit auffi qualifié ailleurs (f) (c) Epit. I. Chap.
un établissemene divin, parce que Dieu l'a approuvé comme une chofe falutaire aux Hommes. (f) Rom. XIII, 1.
A l'égard de ces derniéres paroles, elles femblent fignifier, que Dieu s'eft contenté d'ap-
prouver le Gouvernement Civil, lors qu'il a été une fois établi dans le monde, de la mê-

II. verf. 13.

6, 7, 8. Coloff. 111,

me maniére qu'il a bien voulu (g) approuver la condition d'Esclave, qui eft fans contredit (g) Ephef. VI, s,
un établiffement humain. Mais il faut ajoûter, qu'avant qu'il y eût aucune Société Civile, 22.1. Tim. V1, 14
les Hommes pouvoient comprendre, en faifant réflexion fur l'état du Genre Humain de- Tite, II, 9.
puis fa multiplication, que Dieu vouloit qu'ils formaffent de telles Sociétez, fans lefquel-
les il n'y auroit pas eû moien de vivre en paix & en fûreté; de forte qu'en fuivant ainfi les
lumiéres de leur Raifon, conformes au but de la Loi Naturelle, ils accompliffoient effecti-
vement la volonté de Dieu.

diatement de

nius, de Civit.

§. III. CELA fuffit, à mon avis, pour regarder comme facrée l'origine du Gouverne- si la Souveraine ment Civil, & pour engager les Sujets à avoir du refpect & de la foumiffion pour leurs te vient immeSouverains. Il ne fera pourtant pas inutile d'examiner ici les raifons d'un Auteur (a) Mo- Dieu ? derne, qui prétend, qu'il faut encore quelque chofe de plus. Il pofe d'abord pour princi- (a) 7. Frid. Horpe, qu'il y a de la différence entre la caufe de l'Etat, & la caufe du Gouvernement Civil Lib. 11. Cap. I. ou de la Souveraineté. Il avoue, que les Etats font formez par des Conventions: mais il foûtient néanmoins, que c'eft DIEU qui confére immédiatement aux Princes le Pouvoir Souverain, fans que les Hommes y contribuent en aucune maniére. Selon lui, les Peuples libres, qui fe choififlent d'eux-mêmes un Roi, ne le revêtent pas pour cela de l'Autorité Souveraine: ils ne font que défigner celui à qui le Ciel doit la conférer; de même que, dans plufieurs Villes Municipales, l'élection des Magistrats appartient au Confeil, quoi qu'ils reçoivent leur Pouvoir uniquement du Souverain.

Cette penfée a un air de dévotion qui éblouit bien des gens; mais, pour peu qu'on l'examine, on trouvera, qu'elle renverfe toutes les Conventions des Souverains avec leurs Sujets, & toutes les Loix fondamentales de l'Etat. Et d'abord, on ne fauroit voir fans une juste indignation, que cet Auteur ôte entiérement la (b) Majesté Souveraine aux Républi- (b) Majeftas. ques, & qu'il ne l'accorde qu'aux Rois. J'avoue, que,dans ces derniers fiécles, l'ufage a affecté aux Rois d'une façon particulière le titre de Majefté: mais on ne laifle pas pour cela de (1) s'en

§. III. (1) Ceci n'a lieu qu'en Latin,

TOM. II.

Ff

fervir

(2) Je

LOR

INSTITU

UNIVERSITY

17 DEC 1955

OF CYFORD

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Examen des raifons dont un Au

teur Moderne fe fert, pour prou

fervir pour défigner le rang & l'autorité des Souverains dans quelque forte de Gouvernement que ce foit. La définition qu'il donne lui-même de la Majefté Souveraine, quoi que d'ailleurs un peu trop vague, convient à un Sénat, ou à une Affemblée du Peuple, affi bien qu'à la Monarchie. C'eft, dit-il, un Pouvoir Souverain fur l'Etat en tout & par tɔut. J'avoue, que les Rois ont quelque prééminence fur les Souverains d'an Gouvernement Ariftocratique, ou Démocratique, en ce que chaque Membre d'un Sénat, ou d'une Af femblée du Peuple, dépend du Corps entier; au lieu que les Rois ne reconnoiffent point de Supérieur ici bas. Mais cela n'empêche pas, que l'Autorité des Souverains, par rapport à leurs Sujets, ne foit la même & n'ait une égale force dans toute forte de forme de Gouvernement. Nôtre Auteur regarde Dieu comme l'unique caufe de cette Majesté, qu'il répand (ce font fes termes) immédiatement fur les Rois, du moment qu'ils ont été élus par le Peuple. Je fuis fort trompé, s'il n'a conçu la Majefté Souveraine comme une Qualité Phyfique abfurdité, dans laquelle tombent manifeftement ceux qui qualifient la Souveraineté une Créature de Dien fi excellente qu'il n'y en a point d'autre dans un même ordre de Causes, ou d'un ordre fupérieur, ni même aucun des principes nez avec elle, qui aît contribué quoi que ce foit à l'établiffement de cette forte de Gouvernement. Idées bien groffiéres, qui découvrent un grand fond d'ignorance en ce qui regarde la nature des Chofes Morales! Les Rois, ajoute-t-on, qui font tirez de l'obfcurité d'une baffe naiffance, pour monter fur le Thrône, brillent tout à coup d'un éclat extraordinaire, qui ne peut venir que du Ciel. Mais ce n'eft-là qu'une miférable déclamation, capable feulement de frapper des ignorans, qui ne favent pas diftinguer le clinquant d'avec l'or, les fauffes penfées d'avec les folides. Ce que l'on dit enfuite, que Dieu a un foin particulier des Rois, ne prouve rien non plus. La Providence divine a donné d'auffi grandes marques de fa protection en faveur d'autres perfonnes d'un rang moins élevé, fur tout de celles qui devoient être fort utiles au Genre Humain. Et l'on a vu au contraire bien des Rois empoifonnez, ou morts de quelque autre maniére tragique, par la confpiration de leurs propres Sujets. Pour ce qui eft de quelques Princes (2), qui, par un effet de leur tempérament, ont produit des actions héroïques, que l'on regarde comme tenant du miracle, on fera bien de confulter là-deffus les Médecins. En vain étale-t-on auffi les châtimens du Ciel déploiez fur les Rois infolens, ou fur les Sujets rebelles: en vain entaffe-t-on un grand nombre de paflages de l'Ecriture Sainte, qui prouvent même, que Dieu eft auteur du Gouvernement Ariftocratique, auffi bien que de la Monarchie en vain allégue-t-on plufieurs prédictions au fujet des actions de quelques Rois, puis que l'on en trouve auffi à l'égard des Républiques. Enfin ce que l'Ecriture nous apprend de (3) l'établiffement des Rois parmi les Juifs, ne tire point à conféquence pour l'origine de la Monarchie en général; puis que long-tems auparavant il y avoit déja plufieurs Roiaumes dans le monde. C'eft-la feulement un exemple particulier des diverfes maniéres dont l'Autorité Souveraine a été conférée à telle ou telle perfonne, felon la diyerfité des Peuples.

§. IV. EXAMINONS maintenant les raifons, dont le même Auteur fe fert, pour fai re voir, que toutes les causes humaines ne fauroient en aucune façon produire la Majefté Souveraine, qui eft la chofe du monde la plus angufte. L'argument, dont il fait fon fort,

ver, que la Sou- c'elt que ni chaque Particulier parmi un grand nombre de gens libres & indépendans, ni la

veraineté ne fau

Toit venir que de Multitude entiére, n'aiant en aucune maniére la Majefté Souveraine, ils ne fauroient la Dieu immedia- conférer au Roi. Mais il peut arriver, & on le voit en effet tous les jours, qu'une (a) Qua

tement.

(a) Voiez Digeft. Lib. XLI. Tit. I. De adquirendo rerum dominio, Leg. XLVI.

(2) Je me fouviens ici de ces paroles de Montagne, Effais, Liv. II. Chap. XII. p. 343. Ed. de Paris, in fol. Les ames des Empereurs & des Savetiers font jettées à mefme moule. Confiderant l'importance des actions des Princes, & leur poids, nous nous perfuadons qu'elles foient produites par quelques causes auffi poifantes & importantes. Nous nous trompons: ils font menez & ramenez en leurs mauvemens par les mefmes refforts, que nous sommes aux

lité

noftres. La mefme raison qui nous fait tanfer avec un voifin, dreffe entre les Princes une guerre: la mesme raison qui nous fait fouetter un Laquais, tombant en un Rei, lui fait ruiner une Province. Ils veulent auffi legerement que nous, mais ils peuvent plus. Pareils appetits agitent un ciron & un elephant.

(3) Voiez le Difcours fur le Gouvernement, par Algernon Sidney, Chap. II. Sect. IX. §. IV.

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