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fonnes naturellement diftinctes. Car ici il faut certainement une Convention, par laquelle les Souverains s'engagent à bien gouverner l'Etat, & à fe faire une Loi inviolable de procurer le falut & l'avantage du Peuple; pendant que les Sujets, de leur côté, lui pro mettent une obeillance fidele. D'où il paroit, quel jugement on doit faire de ces paroles (c) Ubi fuprà,§.9. de Hobbes (c) Comme les Citoiens, dit-il, ont traité les uns avec les autres, & non pas avec le Peuple; s'ils font obligez d'obéir aux Sénateurs, ou au Roi, qu'ils ont choifi, ce n'eft que parce qu'ils devoient aquiefcer à tout ce que feroit le Peuple, qui a transféré le Pouvoir de l'Etat aux Sénateurs, ou au Roi. Mais de ce que chacun étoit tenu de fe foûmettre à l'Ordonnance de l'Aflemblée du Peuple, il ne s'enfuit pas, qu'il n'y aît point de Convention entre le Peuple, qui confére l'Autorité Souveraine, & les Sénateurs, ou le Roi, qui en font revêtus. La preuve, qui fuit, n'eft pas plus forte. Le Sénat, (dit-on,) ou le Roi, quoi qu'élú par le Peuple, n'a pu entrer dans aucun engagement envers lui; puis qu'auffi-tôt que ce Sénat, ou ce Roi, eft établi, le Peuple confidéré comme une Personne ne fubfifte plus, ni par confequent les Obligations, dont il étoit l'objet fous cette idée. Hobbes fuppofe ici, que tous les engagemens, où l'on étoit envers une perfonne, finiflent du mo ment qu'elle n'existe plus. Mais ce principe n'eft vrai, que quand il s'agit de la mort naturelle de la perfonne, ou de l'anéantiffement d'une qualité, fur laquelle l'Obligation étoit uniquement fondée. Or il n'y a rien de tel ici: car lors qu'un Peuple libre fe choisit un Roi, le Peuple ne périt point après cela d'une mort naturelle; & l'engagement, où entre le Roi, n'eft pas non plus fondée fur la rélation de Peuple, confidéré comme une affemblée de gens libres, mais feulement fur la qualité de Peuple envisagé comme devant former déformais un Corps de Citoiens foûmis à un Gouvernement Monarchique. Il en eft ici comme d'un Galant, qui, après avoir confommé le Mariage avec la Fille, qu'il recherchoit, fe feroit moquer de lui, s'il prétendoit n'avoir plus d'engagement avec elle, fous prétexte qu'elle n'eft plus Vierge, comme quand il l'a épousée. Car l'engagement, où il eft entré, n'étoit pas fondé fur la virginité de la fille; mais il lui a donné la foi, comme à une perfonne qui devoit devenir fa Femme. De plus, lors que le Roi a été couronné, le Pouvoir Souverain n'eft plus à la vérité entre les mains de l'Aflemblée générale compofée de tout le Peuple mais le Peuple ne devient pas pour cela une Multitude de gens, qui n'ont plus de liaison ensemble; il demeure toûjours un feul Corps, lié par la Convention originale de la Société, & par la dépendance d'un feul & même Chef. Ainfi Hobbes impofe ici aux ignorans, à la faveur de l'ambiguité du mot de Peuple, qui, dans les Etats Démocratiques, comprend l'Affemblée générale de tous les Citoiens, laquelle à divers égards, gouverne & eft gouvernée en même tems: au lieu que, dans les Etats Ariftocratiques, & dans les Monarchies, il fignifie feulement le Corps des Citoiens (d), qui font Sujets. Or oferoit-on nier, que les engagemens du Roi, ou du Confeil Souverain, envers le Peuple confidéré en ce dernier fens, fubfiftent dans toute leur force, quoi qu'ils aient été contractez dans le tems que ce Peuple étoit encore libre, mais en vûe de la sujettion, où il devoit entrer? Enfin, Hobbes (1) lui-même dit ailleurs expreflément, que DIEU étoit devenu le Roi du Peuple d'Ifraël, en vertu d'une Convention que les Juifs avoient faite avec lui. Pourquoi donc ne pas vouloir reconnoitre de Convention entre un Monarque mortel, & fes Sujets ? Il venoit de dire auffi un peu auparavant, que lors qu'on fe foûmet à l'empire d'un Vainqueur, on eft tenu de lui obéir comme un véritable Sujet; parce qu'un Contract fait légitimement ne fauroit être violé fans injuftice.

(a) Il le prend

lui-même en ce

fens, Cap. XIII.

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Définition de
PEtat.

(a) Voiez Stat.
Achill. Lib. I.

verf. 437, 438,

§. XIII. IL FAUT donc, quoi qu'en dife Hobbes, fuppofer ici néceffairement les ConVentions, dont j'ai parlé. Du moment que ces Conventions font conclues & arrêtées, la Multitude ainfi unie forme l'Etat, que l'on conçoit (a) comme une feule Perfonne, douée

§. XII. (1) L'Auteur cite ici, & dans fa Differt. de Interregnis, §.7. Leviath. concluf. Je ne fai quel endroit il défigne par là: car je ne trouve rien de tel, ni dans PAppendix de ce Livre, ni dans le dernier Chapitre du

d'En

Corps de l'Ouvrage. Mais voiez, au fujet du Regne de Dieu fur les Ifraelites, les Chapp. XXXV. & XL. & touchant la Convention entre le Vainqueur, & les Vaincus, le Chap. XX. de ce Livre de Hobbes..

§. XIIL

Lib. I. Tit. VIII.

§. 1. Lib. II. Tit.

d'Entendement & de Volonté, & qui produit des actions particulières, diftinctes de celles de chaque Citoien; qui a auffi fes droits & fes biens particuliers, auxquels ni chaque Citoien, ni plufieurs, ni même tous enfemble, ne fauroient rien prétendre, mais feulement le Souverain; de même qu'un fimple Citoien ne peut pas s'attribuer ou s'ingérer de faire les actions propres à cette Perfonne Morale, laquelle eft pour cette raison diftinguée de tous les Particuliers par un nom propre & affecté (b). Voici donc, à mon avis, la dé- (b) Voiez Digeft. finition la plus exacte que l'on peut donner de l'Etat: (1) c'est une Perfonne Morale com- De divif. rer. & pofee, dont la volonté formée par l'union des volontez de plufieurs en vertu de leurs Conven. qualit. Leg. VI. tions, eft regardée comme la volonté de tous, afin qu'elle puiffe fe fervir des forces & des fa- IV. De in jus cultez de chaque Particulier, pour procurer la paix & la fureté commune. Hobbes (c) repré- cando, Leg. X. fente ingénieusement ce Corps fous l'emblême d'un Homme artificiel, dont le Souverain Quod cujufcunq. eft l'Ame: les Magiftrats, & les Officiers, les Membres : les Récompenfes & les Peines, univerfit. nom. qui portent les Membres à faire leur Devoir, les Nerfs: les Richesses de chaque Particu- & Lib. XLVIII. lier, la force le Salut du Peuple, l'objet des foins & des occupations du Souverain: les Tit. XVIII. De Confeillers, qui l'inftruifent de ce qu'il doit favoir, la Mémoire: l'Equité & les Loix, la neg. Raifon: la Concorde, la Santé: les Séditions, les Maladies: les Guerres Civiles, la Mort: enfin, les Conventions, qui uniffent les parties de ce Corps Politique, ont, felon le mê me Auteur, quelque rapport avec ces mots, que DIEU prononça au commencement de la Création du Monde: Faifons l'Homme, ou, que l'Homme foit fait (2).

4.Lib.III. Tit.IV.

&c. Leg.VII.§.1.

quaftion. I.
§. 7. & Senec, de
Cap. XIX. XX.

Benefic. Lib. VI.
(c) Dans la Pré-
face du Lévia-

than.

chique, la volon

tat.

§. XIV. La volonté de l'Etat réfide, comme nous l'avons déja dit, ou dans une feule Dans un Gouver perfonne, ou dans une Affemblée, felon les différentes formes de Gouvernement. Lors nement Monarque le Pouvoir Souverain est entre les mains d'une feule perfonne, l'Etat eft censé vouloir te du Roi eft la tout ce que cette perfonne-là, que l'on (1) fuppofe dans fon bon-fens, a fait ou réfolu, en volonté de l'Ematiére des (2) chofes qui fe rapportent à la fin des Sociétez Civiles, mais non pas dans tout le refte. Lors, par exemple, que le Roi fait la Guerre, ou la Paix, ou qu'il s'engage par des Alliances & des Traitez Publics, on attribue tout cela à l'Etat; mais non pas fi le Roi mange ou boit, s'il fe marie, s'il commet des crimes &c. Ainfi l'on peut fort bien diftinguer dans un Monarque deux fortes de volontez, favoir, la volonté publique, qui repréfente la volonté de l'Etat ; & la volonté particuliére (3), par laquelle le Roi fait,

§. XIII. (1) Cette définition eft un peu embrouillée, &, comme le remarque Mr. Titius (Obf. DLVII.) elle confond le Souverain avec l'Etat. La vérité eft, que l'Etat eft un Corps, dont le Souverain est le Chef; & les Sujets, les Membres. Nôtre Auteur a fuivi en cet endroit trop aveuglément la definition de Hobbes, (de Cive, Cap. V. §. 9.) Il critiquoit au refte celle d'un ancien Orateur Grec, qui definit ainfi l'Etat : Thy đón φασὶν εἶναι πλῆθος ἀνθρώπων ἐν ταυτῷ κατοικέντων, ὑπὸ νόμο διασκέμμον : Une multitude de gens qui demeurent dans le même Pais, & qui font gouvernez par des Loix. Dion Chryfoftom. in Borgfthenic. five Orat. XXXVI. pag. 443. Edit. Parif. Morell. Cette idée, difoit-il, eft uniquement fondée fur les principes des Gouvernemens de la Gréce; & nous l'examinerons peut-être ailleurs. [Mais on n'a qu'à lire cette Harangue, pour voir que la définition peut convenir à tout Gouvernement Civil.] La définition, ajoûtoit-il, qu'Apulée (de Philofophia) donne de la République de Platon, comme de l'Etat le plus parfait, n'eft guéres meilleure. Il pouvoit rapporter celle de Ciceron, qui eft beaucoup plus raifonnable, & que St. Auguftin nous a confervée; elle étoit dans le III. Livre de Republica, & Gronovius la cite dans fes Notes fur Grotius, Lib. I. Cap. I. §. 14. Multitudo juris confenfu, & utilitatis communione fociata. Une multitude de gens », unis ensemble par des Loix communes, auxquelles ils fe foûmettent d'un commun accord, & par une communauté d'intérêts.

دو

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(2) De là il paroit, pour le dire en paffant, (ajoûtoit ici nôtre Auteur) qu'Ifocrate n'a pas raifon de dire, que

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com

la forme du Gouvernement eft l'Ame de l'Etat : "Or
πᾶσα πολιτεία ψυχὴ πόλεως έσι. Panathen. pag. 450. 8
Areopagit. pag. 245. Car la forme du Gouvernement
eft plûtôt, par rapport à l'Etat, ce qu'eft, dans le Corps
Humain, la ftructure & la difpofition de tous les Mem-
bres. Mais il me femble qu'Ifocrate ne parle point là de
la forme du Gouvernement, & que Morsia fignifie icr
feulement le Gouvernement Civil en général, qui, com-
me nôtre Auteur le reconnoit lui-même dans le Chap.
fuivant, §. r. eft l'Ame de l'Etat.

§. XIV. (1) Il faut encore fuppofer 1, Qu'il agiffe avec
connoiffance, & non pas par erreur, ni par quelque
mouvement indélibéré, qui lui ôte l'ufage de la Raifon
pour ce moment-là. 2. Qu'il ne viole pas les Loix fon-
damentales de l'Etat. Titius, obf. DLIX.

(2) C'eft ainfi que, dans Euripide, la Déeffe Miner-
ve dit, qu'Adrafie, en qualité de Roi d'Argos, prêtera.
ferment pour tout fon Païs, que jamais les Argiens ne
méneront d'armée contre Athenes, & que fi quelque
autre vient l'attaquer, ils la défendront.
Τόνδε ομνύναι χρεων

*Αδραςον το κύριο τύραννος ων,
Πάσης ὑπὲς γῆς Δαναΐδων ὁρκομοτεί.
Ο δ' όρκο σαι· μή ποτ' Αργείος χθόνα
Εἰς τήν δ ̓ ἐποίσειν πολέμιον παντευχίαν,
Αλλων τ ̓ ἰόντων ἐμποδὼν θήσειν δόρυ.
Supplicib. verf. 1188, & feqq.

(3) Dans l'Original ya, la volonté particuliére de
PEtat (Civitatis) Je ne comprens pas comment ce der-
nier mot s'eft fourré ici, où il eft fi mal placé. Je Pai
Dd 3
donc.

XII. §. 8.

comme toute autre perfonne, les actions qui n'ont aucun rapport aux affaires publi

ques.

Et ici on demande, fi, lors que le Souverain abuse de fon Pouvoir, les Actions Mauvaifes, qu'il commet, doivent être imputées à l'Etat? Comme ceux, qui foûmettent leur volonté à celle d'un Prince, font cenfez le faire en fuppofant qu'il ne veuille rien d'injuste, ou de contraire au bien de l'Etat; il femble d'abord, qu'il faille prendre abfolument la négative dans cette queftion. Mais, à mon avis, ces fortes de chofes étant faites par le Souverain confidéré comme tel, ne laiflent pas d'être en elles-mêmes des actes publics; comme. par exemple, fi un Roi, ou un Sénat, fait de mauvaises Loix, s'il adminiftre mal la Juftice, s'il établit des Magiftrats incapables de leur emploi, s'il entreprend quelque Guerre injufte &c. Lors qu'un Cocher laiffe verfer fon carroffe, c'eft fans contredit l'action du Cocher, mais d'un Cocher négligent, ou mal habile. Autre chofe eft, quand il s'agit de l'imputation des actions d'autrui devant le Tribunal divin: car, à cet égard, aucun Sujet n'eft refponfable des Mauvaises Actions de fon Souverain, à moins qu'il n'y aît contribué quelque chofe par un confentement positif & efficace. Hors ce cas-là, les Particuliers ne font point coupables d'un crime commis par l'Etat; ni même ceux, qui étant Membres du Confeil Souverain, ont été d'avis contraire, la pluralité des voix l'aiant emporté fur leur fentiment. Que fi les Citoiens innocens fouffrent quelquefois de ces Crimes Publics, où ils n'ont aucune part, c'est un malheur qu'il faut mettre au rang de la stérilité, de la féchereffe, des pluies exceffives, & des autres accidens auxquels on eft fujet en ce monde, ou par un effet des caufes naturelles, ou par une fuite de la conftitution des affaires humaines. Mais les Loix fondamentales de l'Etat, une bonne éducation, & fur tout les motifs de la Religion, ont beaucoup d'efficace, pour prévenir cet inconvenient.

Il eft certain au contraire, que tout ce que chaque Citoien, ou plufieurs, ou même tous enfemble, veulent ou font fans l'autorité ou contre les ordres du Roi, en matière de toutes fortes d'affaires, ne doit point être regardé comme la volonté ou l'action de l'Etat; & qu'il y a même autant de volontez ou d'actions diftinctes, que l'on compte de Particuliers, qui veulent ou qui agiffent. Il faut dire la même chofe de ce que fait un Particulier, ou feul, ou joint avec plufieurs autres, fans l'autorité de l'Affemblée, qui a en main le Pouvoir Sou(a) De Cive, Cap. verain. De là vient que Hobbes (a) met au rang des opinions féditieules, & qui tendent à la ruine de l'Etat, fur tout du Gouvernement Monarchique, le peu de foin que l'on a de bien diftinguer entre un Peuple, & une Multitude. Le Peuple, ou l'Etat, eft un Corps, qui a une feule volonté, & à qui on ne peut attribuer qu'une feule action: ce qui ne convient pas à une Multitude de Sujets, par oppofition à la perfonne, ou à l'Affemblée, qui eft revêtue du Pouvoir Souverain. Mais pour ce qu'ajoûte le même Auteur, que dans tout Etat c'est le Peuple qui régne; il y a là un jeu de mots, & une vaine fubtilité. Car le Peuple fe prend, ou en général pour tout le Corps de l'Etat, ou pour l'affemblage de tous les Sujets en particulier. Dans le prémier fens, la propofition eft ridicule, puis qu'elle fe réduit à ceci L'Etat régne dans tout Etat: dans l'autre, elle eft fauffe; car il n'eft pas vrai, que, dans tous les Etats, les Citoiens régnent, par oppofition au Roi. A l'égard des paroles fuivantes: Dans les Monarchies, c'est le Peuple qui commande, car il veut par la volonté d'une feule perfonne; il vaudroit mieux dire, pour s'exprimer plus nettement, que, dans un Etat Monarchique, le Peuple eft cenfé vouloir ce que veut le Roi. On ne fauroit donner d'autre fens raisonnable à ce paradoxe: le Roi eft le Peuple. Le refte de ce paragraphe de Hobbes, eft affez judicieux: Le Vulgaire, dit-il, parle toûjours d'un grand nombre de gens comme du Peuple, c'est à dire de l'Etat on dit, par exemple, que l'Etat s'eft révolte contre le Roi, (ce qui eft impoffible;) & que le Peuple vent ou ne veut pas, ce que veulent ou ne veulent pas des Sujets mutins & mécontens en cachette, pour animer, fous

donc chaffé hardiment, pour ne pas faire dire à mon
Auteur une abfurdité, à laquelle affurément il n'a ja-

ce

mais penfé. L'endroit au refte n'étoit pas dans la pré-
miére Editions
§. XV.

ce prétexte, les Citoiens contre l'Etat, c'est à dire, la Multitude contre le Peuple, ou les Sujets contre le Souverain.

formes de Gou

(a) Voiez, dana

l'Hiftoire du Con

cile de Trente de Fra Paolo ce que

l'on dit,pour faire voir, que l'E

glife Gallicane de fouferire aux Décrets du Conquels elle avoit protefté.

n'eft point tenue

cile, contre lef

S.XV. LORS que le Pouvoir Souverain eft mis entre les mains d'une Affemblée com- Dans les autres pofée de plufieurs perfonnes, dont chacune conferve la volonté particuliére; il faut régler vernement, les avant toutes chofes, combien de voix réunies en un même fentiment repréfenteront la vo- affaires fe decilonté de toute l'Affemblée, & par conféquent de l'Etat. En effet, comme perfonne n'eft dent régulièrement à la pluratenu de fuivre les fentimens d'autrui, plûtôt que les fiens propres, à moins qu'il n'ait lui- lité des voix. même foûmis fa volonté à celle de quelcun: de même, quoi que l'on foit entré en fociété avec d'autres, pour adminiftrer en commun certaines affaires, fi pourtant on s'eft expreffément refervé le droit de ne tenir compte d'aucune délibération, fans y avoir donné fon confentement particulier, on ne fera obligé à rien, quelque grand nombre de voix qui ait prévalu fur nôtre avis. De là vient que l'on voit des Compagnies, où l'oppofition d'un feul des Membres fuffit pour rendre inutile l'accord unanime de tous les autres. (a) Ce n'eft pas que, fi quelque Membre d'un Corps ne veut point entendre de raifon, & refufe, par pure opiniâtreté, de fe rendre au fentiment de tous les autres, quelque bien fondé qu'il foit, on ne puiffe, en ce cas-là, le chaffer comme un perturbateur de la Société, & le punir même quelquefois d'une maniére pofitive. Car, quoi qu'il n'aît pas promis d'aquiefcer à l'opinion du plus grand nombre, il ne laiffe pas d'être obligé, en vertu d'une Loi générale du Droit Naturel, d'avoir de la complaifance pour les autres, & de fe conformer à ce qui eft avantageux au Tout, dont il fait partie. Il faut avouer pourtant, que, dans ces fortes d'Affemblées, fur tout fi elles font compofées d'un grand nombre de gens, les affaires ne fe font qu'avec beaucoup de peine; & fouvent mêine il n'y a pas moien de rien conclurre, à caufe de la différence des fentimens, & de l'opiniâtreté infurmontable de certains efprits bizarres. D'ordinaire même, lors que l'on entre dans un Corps, ou dans une Affemblée, fans rien ftipuler là-deflus, on eft cenfé s'engager à fuivre & à ratifier ce qui aura été trouvé bon par le plus grand nombre; perfonne ne pouvant raisonnablement prétendre que tous les autres fe rangent à fon opinion, ou que pour un feul, qui n'eft pas de leur avis, ils ceffent de preffer, ce qui leur paroit néceffaire, ou utile à la caufe commune. Si l'on ne s'accommodoit pas de cette pratique, il falloit l'avoir déclaré formellement, avant que d'entrer dans le Corps. Après cela il n'eft plus tems, & tout ce que l'on gagne, c'eft de pafler pour un Membre également préfomtueux & incommode, qui' veut faire prévaloir fon fentiment particulier fur celui de tous les autres (1). Que fi l'on ne peut abfolument digérer une telle mortification, permis à chacun de fe démettre de fon Emploi, & de quitter la place qu'il occupoit dans ce Corps. Ainfi régulièrement, dans toutes les Affemblées, ce qui a pafflé à la pluralité des voix eft regardé comme l'avis de chacun des Membres; non que cela foit néceffaire en vertu du Droit Naturel, mais parce qu'il n'y a prefque point d'autre expédient pour terminer les affaires, & pour prendre quelques mefures (2); quoi que par là il arrive quelquefois, que le fentiment le plus hon

S.XV. (1) Il ne faut pas, ajoutoit nôtre Auteur, imiter ces Chefs de l'Armée Romaine, dont parle un ancien Historien:,, La diverfité des avis (dit-il) étoit caufe ", que tout ce qui fe propofoit, demeuroit fans exécu» tion. Ceux dont on n'avoit pas fuivi le fentiment, fe », comportoient lâchement dans l'occafion, & fe ré» jouiffoient du mauvais fuccès, l'attribuant au mépris qu'on avoit fait de leurs confeils. Agathias, Lib. IV. Cap. V.

(2) Sed hoc pluribus vifum eft : numerantur enim fententia, non ponderantur : nec aliud in publico confilio poteft fieri, in quo nihil eft tam inaquale, quàm aqualitas ipfa. Nam quum fit impar prudentia, par omnium jus eft. Plin. Lib. II. Epift. XII. num. 5. Quod major pars Curia effecit, pro eo habetur, ac fi omnes egerint. Digeft. Lib. L. Tit. I. Ad municipalem, & de incolis, Leg. XIX. Voiez auffi Grotius, Lib. II. Cap. V. §. 17. & la Continuation des

nête,

Pensées diverfes de Mr. Bayle, pag. 14. Gronovius, dans
une Note fur l'endroit de Grotius, que je viens de cirer,
met ces restrictions à la maxime dont il s'agit. Il faut
1. Que la déliberation aît été faite par de véritables fuf
frages, c'est-à-dire, qu'il n'y aît point eû de complor,
& qu'avant que de venir à l'Affemblée, la plupart ne
fe foient pas donnez le mot, pour faire prévaloir un cer-
tam fentiment. 2. Que le plus grand nombre de l'Af
femblée ne foit pas des gens fufpects, qui, felon les
Loix, & les Coûtumes reçues, ne doivent point opi
ner dans l'affaire, dont il s'agit, pour ne pas être Juges
en leur propre Caufe. 3. Que la délibération n'ait rien
de contraire aux Loix Divines, ni au Bon-Sens. 4. Qu'el-
le ne détruife point les Loix Fondamentales de l'Etat,
& qu'elle ne tende pas à changer fans néceffité la for-
me du Gouvernement. 5. Enfin, qu'elle ne donne
point d'atteinte aux droits des Particuliers, aux Privi
Léges

nête, & le plus avantageux à l'Etat, eft rejetté. Comme les affaires humaines font fouvent fort diverfifiées & fort embrouillées; & que, dans ces fortes d'Aflemblées établies pour en décider, il n'eft pas poffible de trouver quelque voie qui foit fans aucun inconvénient, il faut prendre le parti, où il y en a le moins, & qui eft d'ordinaire le plus avanta(b) Voiez Bodin. geux (b). C'eft donc en vain qu'on objecte, qu'il repugne à la nature, que l'avis des moins de Repub.Lib.III. Cap. IV. P. 456. fages prévaille fur celui des plus fages, parce que ceux-ci fe trouvent en plus petit nombre; & que les prémiers même puiffent obliger les (3) autres à faire, contre leur propre fentiment, quelque chofe de mal concerté. J'avoue, qu'en matiére de véritez spéculatives il faut pefer les voix, & non pas les compter; & que fouvent même l'approbation de la multitude (4) eft regardée avec raifon comme une marque d'erreur. Mais on ne fauroit appliquer cette maxime à la décision des affaires, qui font entre les mains d'une Aflemblée, dont les Membres ont tous un droit égal. En effet, qui décidera quelle des deux opinions eft la plus conforme aux régles de la Prudence? Ce ne feront pas les Parties mêmes: car aucune ne voudra recevoir l'autre pour Juge en fa propre Caufe. Et y a-t-il quelcun qui ne fe croie pas plus éclairé, & plus habile que les autres? Ne voit-on pas même bien des gens, qui rejettent un fentiment, quelque bien fondé qu'il foit, par cette feule raifon, qu'ils n'en font pas les auteurs? Il n'y a guéres moien non plus de s'en remettre au jugement d'un tiers: car on peut aifément contefter fur l'habileté, ou fur l'intégrité de l'Arbitre; & alors voilà une nouvelle difpute, pour la décifion de laquelle il faudroit un autre Arbitre, & aiufi de fuite. D'ailleurs, les affaires font fouvent de telle nature, qu'elles ne peuvent pas commodément être portées hors de l'Aflemblée. Enfin il ne feroit pas stoûjours à propos que le Préfident de l'Affemblée, par exemple, eût le droit de prononcer en faveur de l'un des fentimens, qui partagent les voix. Car de cette manière il pourroit donner la préférence au fentiment qui a le moins de voix, & les rejetter même tous deux, comme n'érant bons ni l'un, ni l'autre, ainfi que font les Princes abfolus dans leur Confeil de forte que par là ce Préfident deviendroit feul Souverain. Il falloit donc chercher quelque expédient, qui ne fut fujet à aucune difficulté, & qui ne donnât point d'atteinte à l'égalité des Membres de l'Affemblée; or il n'y a rien de plus commode pour cet effet, (c) Voiez Plin. que de compter les voix (c). Et lors qu'on accorde à quelcun voix délibérative dans une Panegyric. Cap Affemblée, on préfume, qu'il a affez de capacité, pour juger des affaires qui s'y agitent: il s'agit pourtant ce qui a lieu du moins par rapport aux Affemblées, où l'on ne reçoit perfonne qu'avec quelque choix.

LXII. in fine; où

d'autre chofe.

Limitation de cette maxime.

S.XVI. IL FAUT pourtant remarquer, à l'égard de cette pluralité de fuffrages, qu'en certaines Affemblées, le fentiment, qui paffe en délibération, doit l'emporter fur l'autre d'un certain nombre de voix, & non pas feulement d'une, ou de deux. C'eft ainfi que, (a) Cap. VI. De par le (a) Droit Canonique, celui qui eft élû Pape, doit avoir (1) les deux tiers des voix electione, & eletti des Cardinaux (2). Mais lors qu'il n'y a point de pareil réglement là-deffus, une feule voix

poteftate.

léges, aux anciennes Coûtumes, établies pour le bien
du public, &c.

(3) Singulos enim, integrå re, dissentire fas effe; per-
altà, quod pluribus placuiffet, cunctis tuendum. Plin. Lib.
VI. Ep. XIII. num. 4. Voiez auffi Tite Live, Lib. XXXII.
Cap. XX. Polyb. Lib. V. Cap. XLIX. in fin.

(4) Cùm de beata vita agitur, non eft quod mihi illud difceffionum more refpondeas: Hac pars major effe videtur: ideo enim pejor eft. Non tam bene cum rebus humanis agitur ut meliora pluribus placeant: argumentum peffimi turba eft. Senec. de Vita Beata, Cap. II. Voiez aussi Plutarque, (in Apophthegm. pag. 188. A. & de liber, educ. pag. 6. A. Ed. Wech. Plat. in Conviv. pag. 1188. C. Ed. Wech. Quintil. Instit. Orat. Lib. X. Cap. VII. Val. Maxim, Lib. III. Cap. VII. §. 1. Dio Chryfoft. de Ilio non capto, five Orat. XI. pag. 190. D. Ed. Parif. Morell.

§. XVI. (1) On ajoûte au même endroit, que ce réglement ne tire point à conféquence pour les autres E

de

glifes, où l'avis de la plus grande & de la plus faine partie doit prévaloir. Mais, difoit plus bas notie Auteur, c'eft qu'on fuppofe qu'il y a un Superieur, favoir le Pape, qui peut decider, quelle partie eft la plus faine, lors qu'il y a quelque conteftation. On ne fauroit donc avoir égard à la plus faine partie, à moins qu'elle ne fe trouve auffi la plus grande, tant que l'on ne reconnoit point de Supérieur, à qui l'on puiffe appeller, pour vuider le différent. Voiez Gratian. Can. XXXVI. Diftinct. LXIII.

(2) L'Auteur ajoûtoit ici, que la même chofe avoit lieu dans l'élection & dans les délibérations des anciens Decurions, ou Confeillers des Villes Municipales & des Colonies Romaines. Mais il se trompe bien fort en cela, & il ne faut, pour le prouver, que jetter tant foit peu les yeux fur les Loix mêmes qu'il cite: car elles difent clairement, qu'il faut que les deux tiers des Membres du Confeil fe trouvent dans l'Affemblée; & non

pas

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