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d'Halicarnaffe,

que les Sénateurs, ou le Roi, à qui, l'on confére l'Autorité Souveraine, font défignez, & ont accepté cet augufte Emploi; l'on donne & l'on reçoit la foi de part & d'autre, & l'on s'engage réciproquement à certaines chofes. Avant cela, les Citoiens n'étoient pas plus obligez d'obeir au Roi, ou aux Sénateurs élus, que ceux-ci de prendre soin du falut & du bien de l'Etat. D'où vient donc que dès-lors les derniers ne font pas moins étroitement obligez, que les prémiers, à une fidélité & des fonctions réciproques, fi ce n'eft en vertu de quelque Convention, par laquelle ils font entrez dans des engagemens refpectifs? Tout ce que nous venons de dire peut être éclairci par ce que (a) l'Hiftoire nous ap- (a) Voiez Dénys prend de la fondation de l'Etat du Peuple Romain, Car on y voit d'abord une multitude Lib. II. au com de gens, qui s'affemblent pour s'établir fur les bords du Tibre, & entre lefquels par con- mencement. féquent il devoit y avoir là-deffus du moins une Convention tacite. Enfuite, ils délibérent enfemble, quelle forme de Gouvernement ils établiront; & la Monarchie l'aiant emporté, ils déférent l'Autorité Souveraine à Romulus. Il arrive auffi fouvent, que, pendant un Interregne, qui ne laiffe fubfifter que la prémiére des Conventions, dont j'ai parlé, on délibére fous quelle forme de Gouvernement on doit vivre déformais: comme firent les Principaux Seigneurs de Perfe (b), après la mort de Cambyfe, & le meurtre du Mage, qui s'étoit fauffement dit fon Frére; ou (c) Brutus avec ceux qu'il avoit engagez à confpirer contre la vie de Tarquin le Superbe, dernier Roi des Romains.

Cette maniére de former un Etat, par le moien des deux Conventions, & de l'Ordonnance générale, dont j'ai parlé, eft, à mon avis, la plus naturelle, & celle qui (2) convient le mieux à toutes les différentes formes de Gouvernement. Il peut arriver néanmoins, qu'une Monarchie foit établie par une feule Convention; ce qui fe voit, lors que plufieurs, fans agir de concert, fe foûmettent chacun en fon particulier, foit en divers tems, ou tout à la fois, à l'empire d'une même perfonne: à peu près de la même maniére qu'on leve les Armées compofées d'étrangers, ou bien de gens du Pais, qui viennent s'enroller volontairement de toutes parts. Ceux encore, qui vont s'établir dans un Pais où le Gouvernement eft déja formé, n'ont befoin que d'une feule Convention, par laquelle le Souverain les reçoit pour Membres de l'Etat, à condition qu'ils lui obéiront. Il ne faut pas au refte s'imaginer, que tout ce que nous avons dit de la formation des Etats foit une pure fuppo fition, fous prétexte que la prémiére origine de la plupart des Etats nous eft inconnue, ou que du moins on n'eft pas bien affûré qu'ils fe foient formez précisément, de la manière que je le représente. Il eft certain que toute (3) Société Civile a eû un commencement.

(2) C'est bien là (dit Mr. Buddé, dans fa Philofophie Pratique, II. Part. Cap. IV. Se&t. XIII. §. 4.) ce que la Philofophie nous enseigne touchant l'origine des États :" mais, fi l'on confulte l'Histoire, à peine trouvera-t-on un seul exemple de quelque Etat, qui ait été formé par de telles Conventions expreffes. En effet, (comme le reinarque Mr. Titius, Obferv. DLV.) la prémiére Convention, & l'Ordonnance générale au fujet de la forme du Gouvernement, n'ont pas eu lieu dans l'établissement de toutes les Sociétez Civiles, ni même des prémiéres que l'on aît vû au monde, lefquelles, comme je l'ai dit ci-deffus (Nor. 1. fur le §. 7.) doivent apparemment leur origine à l'adreffe de quelque efprit ambitieux, foûtenue de la force. En ce cas-là, les Citoiens ne faifoient point de Convention entr'eux; ils traitoient feulement, chacun pour foi, avec celui au Gouvernement duquel ils fe foumettoient: &, à plus forte raison, les nouveaux venus qui fe joignoicat enfuite à une telle Société, lors qu'il y avoit deja un Souverain reconnu, n'avoient-ils pas befoin de traiter avec d'autre que lui, comme nôtre Aureur lui-même l'avoue. Pour ceux, qui, dans la fuite, fe joignirent plufieurs enfemble à deffein de renoncer à l'indépendance de l'Etat Naturel, & de former une nouvelle Société Civile, il faut avouer, qu'ils devoient s'engager les uns envers les autres à unir enfem ble pour toujours leurs forces, en vûe de leur conferva

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tion & de leur fûreté mutuelle. Mais, outre que cette
Convention étoit plûtot tacite, qu'expreffe; elle ne fe
faifoit que pour un tems, & en vue de la feconde, par
rapport à laquelle elle étoit ce que font les échafauda-
ges à l'égard du bâtiment, à la conftruction duquel ils
fervent. Ainfi on peut dire, que ce qui conftitue pro-
prement l'Etat, c'eft la Convention réciproque entre
le Souverain, & les Sujets : Convention qui eft le fon-
dement de tout Gouvernement legitime, quoi que fou-
vent elle ne foit que tacite.

(3) Il ne faut pas s'étonner, (dit très-bien Mr. Locke,
dans fon Second Traité fur le Gouvernement Civil, Chap.
VIII. §. 7. & fuiv.) fi l'Hiftoire ne nous apprend que peu
de chofe des hommes qui ont vêcu enfemble dans l'in-
dépendance de l'Etat Naturel. L'établiffement des So-
ciétez Civiles eft toûjours antérieur aux Regitres; & les
Lettres ne font guéres cultivées dans un Païs, avant
qu'une longue continuation du Gouvernement ait pour-
vu, par d'autres Arts plus néceffaires, à la fûreté, aux
befoins & aux commoditez de la vie. Ainfi l'on com-
mence à rechercher l'origine d'un Etat, & l'Hiftoire de
fes Fondateurs, lors que le tems en a prefque effacé,
ou du moins obfcurci extrémement la mémoire. Car il
y a ceci de commun entre les Sociétcz, & chaque per-
fonne en particulier, qu'elles font d'ordinaire les unes.
& les autres fort ignorantes dans leur naiffance, & dans

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(b) Voiez Hérey
dore, Lib.III. pag.

121. & feqq.
(c) Dion. Hali

carn. Lib. IV.

Pourquoi Hobbes n'admet ici qu'u

vention?

(a) L'Auteur dit, fuperioribus luf

fris. Il écrivoit

ceci en 1672.

Il faut auffi néceflairement reconnoitre, qu'avant que chaque Etat fût formé, ceux, dont il a été d'abord compofé, n'avoient pas encore les uns avec les autres les engagemens où ils font entrez depuis, & ne dépendoient pas encore de ceux qui font devenus leurs Souverains. Or cette union & cette foûmiffion ne pouvant être conçues fans fuppofer les Conventions, dont j'ai parlé, il faut néceffairement, qu'elles foient intervenues, du moins tacitement, dans la formation des Etats. Et rien n'empêche que l'on ne puifle quelquefois découvrir, par la voie du raifonnement, l'origine d'une chofe, dont on n'a aucun monument hiftorique.

§. IX. IL ne fera pas inutile d'examiner ici avec un peu de foin le fentiment de Hobbes, ne feule Con qui ne reconnoit, dans la formation des Etats, qu'une feule Convention, favoir celle de chacun des Sujets avec tous les autres; & qui, dans tous fes Ouvrages, ne ceffe d'inculquer, qu'il n'y a aucune Convention entre un Monarque, ou les Chefs d'un Gouvernement Ariftocratique, & leurs Sujets. Si l'on confidére le but que cet Auteur s'eft proposé en compofant fes Livres de Politique, & qui paroit affez dans fon Léviathan, on verra bien tôt, pourquoi il établit ce principe. Il en vouloit principalement à ces efprits féditieux, qui ont tâché, dans ce (a) Siècle, de brider l'Autorité des Rois, & de la foûmettre au caprice de leurs Sujets, ou plûtôt de la détruire entiérement. Ces gens-là, pour colorer leur rebellion, difoient, qu'y aiant une Promeffe réciproque entre les Sujets, & le Roi, du moment que celui-ci viole fes engagemens, les autres font déchargez de l'obéiffance qu'ils lui devoient. Pour leur ôter ce prétexte, & pour empêcher que des Sujets brouillons & turbulens ne fillent pafler pour une infraction de la foi donnée toutes les actions du Roi, qui ne feroient pas à leur fantaifie; Hobbes fe mit dans l'efprit de foûtenir, qu'il n'y avoit point de Convention entre le Roi, & fes Sujets. Comme il vouloit d'ailleurs donner aux Rois, véritablement tels, un Pouvoir abfolu & fans bornes; il falloit néceffairement qu'il les dégageât du lien de toute Convention entr'eux, & leurs Sujets; qui eft la chofe la plus capable de limiter leur Pouvoir. Mais quoi qu'il foit extrémement de l'intérêt du Genre Humain, de maintenir inviolablement l'Autorité des Rois, & de la défendre contre les attentats des efprits mutins; il ne faut pas pour cela nier des véritez évidentes, & refufer d'admettre une Convention là où il y a manifeftement une Promelle réciproque de faire des chofes, auxquelles on n'étoit pas obligé auparavant. Lors que je me foûmets de mon bon gré à la domination d'un Prince, je lui promets une fidele obéiffance, à condition qu'il me protégera. Le Prince, d'autre part, me promet une puiflante protection, à la charge que je lui obeirai. Avant cette Promeffe, ni je n'étois obligé moi de lui obéir, ni lui n'étoit tenu de me protéger, du moins en vertu d'une Obligation Parfaite. Pourquoi ôter donc du nombre des Conventions, un engagement réciproque, com

leur Enfance; & que, quand elles apprennent quelque
chofe, ce n'eft que par le moien des monumens que
d'autres ont confervez. Cependant ceux qui nous reftent
de l'Hiftoire des Etats, à la réferve de celui de la Na-
tion Judaïque, dans l'établiffement duquel DIEU eft
intervenu immediatement, nous font voir des exemples
inconteftables, ou du moins des traces manifeftes de
Sociétez Civiles qui ont été formées par l'union d'une
multitude de gens libres, & indépendans les uns des
autres? Qui oferoit nier, que Rome & Venife aient com-
mencé de cette maniere? Dans la plus grande partie de
l'Amérique, au rapport de Jofeph Acofta, on ne trouve
point de Gouvernement Civil. Il y a grande apparence,
dit-il, que les Peuples du Perou n'ont eu pendant long-
tems ni Rois, ni Communautez, & qu'ils vivoient & al-
loient en troupes, comme font encore aujourd'hui les habi-
tans de la Floride, les Cheriquanas, ceux du Brefil, &
plufieurs autres Nations, qui n'ont point de Rois fixes, mais
choififfent à leur fantaisie des Chefs pour les commander, fe
lon que la paix ou la guerre les y oblige. Lib. I. Cap. XXV,

me

Les Parthéniens, dont parle Justin, (Lib. III. Cap. IV.) qui, fous la conduite de Phalante fortirent de Lacede mone, & allérent s'établir en Italie, à Tarente, n'étoient-ils pas auffi des gens libres & indépendans les uns des autres, qui établirent un Gouvernement, & s'y foûmirent de leur pure volonte? Mais quand même l'Hiftoire ne nous fourniroit là-deffus aucun exemple précis, cela n'empêcheroit pas que l'on ne pût fuppofer, comme une chofe inconteftable, qu'il a été un tems que les Hommes vivoient enfemble dans l'Etat de Nature; & l'on ne feroit pas mieux fondé à révoquer en doute le commencement des Sociétez Civiles, qu'à foupçonner, que les gens, dont étoient compofées les Armées de Salmanaffar, ou de Xerxès, n'avoient jamais été enfans, fous prétexte que les Hiftoriens ne nous parlent d'eux que comme d'hommes faits & en âge de porter les armes. Voiez le Difcours fur le Gouverne ment, par Algernon Sidney, Chap. III. Se&t. XXV. & XXXIII. p. 282. & fuiv, de la Traduction Françoife.

me celui-là? En vain prétendroit-on, qu'une telle Convention eft fuperflue, fous prétexte que ceux, qui fe donnent eux-mêmes un Roi, font convenus auparavant d'élever telle ou telle perfonne fur le Thrône. Car comme l'élection toute feule ne confére aucun Pouvoir au Roi défigné, avant qu'il aît accepté la Couronne qu'on lui offre de même la nature de la chofe fait affez voir, que ceux qui, de leur propre mouvement, fe foûmettent à l'empire de quelcun, entendent qu'il ufe de ce pouvoir d'une maniére convenable à la fin pour laquelle ils le lui conférent; & que lui, de fon côté, ne le reçoit qu'à cette condition, qu'il n'en abufera pas, contre l'intention de ceux qui l'en revêtent. Ainfi ceux qui établiffent fur eux un Souverain, lui promettent tout ce que demande la nature de la fujettion, où ils entrent; & ils ftipulent de lui en même tems tous les foins néceffaires pour le but que l'on fe propofe dans l'établissement des Gouvernemens Civils. Qu'appelle-t-on Convention, fi ce n'en eft pas là une ?

craint, ne fout

fuffifante.

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§. X. MAIS en fuppofant une Convention entre le Roi, & les Sujets, les inconvéniens, Les inconvé que Hobbes femble avoir eû devant les yeux, n'en réfultent point par une fuite néceffaire. niens, qu' A la vérité toutes les Conventions ont ceci de commun, qu'elles impofent la néceffité de pas une raifon faire certaines chofes, auxquelles on n'étoit point tenu. Mais il y a une grande différence, entre les Conventions, dans lesquelles l'un des Contractans fe foûmet au pouvoir de l'autre, & celles qui ne donnent à aucun d'eux la moindre Autorité fur l'autre. C'est par une Convention fans contredit qu'un Maître aquiert quelque droit fur fon Efclave, du moins fur celui qui vend de lui-même fa Liberté; un Pére adoptif, fur celui qui fe donne à lui pour fon Fils; un Capitaine, fur les Soldats, qui fe viennent enroller fous lui de leur bon gré. Cela n'empêche pas néanmoins, que le Maître, le Pére adoptif, & le Capitaine, n'aient un droit légitime de commander; & que l'Efclave, le Fils adoptif, & les Soldats, ne foient indifpenfablement tenus d'obéir: en forte que ceux-ci ne peuvent pas fecouer le joug par cela feul que les ordres, qu'on leur donne, ne font pas de leur goût (a). Dans toute (a) Voiez Xiphi autre forte de Convention, on s'engage réciproquement à certaines chofes déterminées, lin, in vita Ñeque l'on doit exécuter de part & d'autre par un principe de confcience : & lors que l'un des Contractans refufe de tenir la parole, le feul parti qui refte à l'autre, c'est ou de se faire justice à foi-même par la voie des armes, ou d'implorer le bras d'un Maître commun. Mais en matiére des Conventions, où l'un des Contractans fe foûmet à la direction de l'autre, le dernier a le pouvoir de prefcrire non feulement au prémier ce qu'il doit faire, mais encore de l'y contraindre, s'il réfifte, fans que celui-ci aît le même droit à fon tour. Ainfi on ne fauroit accufer un Souverain d'avoir violé fes engagemens, à moins qu'il n'aît entiérement abandonné le foin de l'Etat, ou exercé des actes d'hoftilité contre fes Sujets, ou péché manifeftement, & à mauvais deffein, contre les régles du Gouvernement, de l'obfervation defquelles les Sujets avoient fait dépendre leur obéiffance, comme d'une condition, qui venant à manquer, ils prétendoient en être difpenfez. Or il eft facile à un Souverain d'éviter tout cela, pour peu qu'il veuille faire réflexion, que les mortels les plus élevez en dignité ne font pas exemts des Loix de la condition humaine; & que jamais (1) Prince n'a été trompé, qu'après avoir lui-même trompé les autres. Enfin, il faut qu'un Prince foit ou bien méchant, ou bien fot, s'il ne peut faire en forte, par fa Justice, & par fa Prudence, que la plus grande ou la plus forte partie du Peuple aît intérêt (2) à la confervation de fon autorité. Or, quand il a une fois trouvé ce fecret, fon thrône eft affez affermi, & il ne court pas rifque de s'en voir jetter en bas. Que s'il ne peut venir à bout de mettre dans fes intérêts la plus confidérable partie de fes Sujets, il doit fe mêler de toute autre chofe, que du Gouvernement de l'Etat, à quoi il fait voir qu'il n'eft nullement propre.

5. X. (1) Neque enim unquam deceptus eft Princeps, nifi qui prins ipfe decepit. Plin. Panegyr. Cap. LXVI. in fine.

(2) C'est à quoi il faut travailler principalement : car, comme on le remarqua autrefois dans le Senat Romain, il n'y a point d'Homme, ni de Peuple, qui veuille de

TOM. II.

§. XI.

meurer dans une condition, dont il n'eft pas fatisfait,
qu'auffi long-tems qu'une force fupérieure le retient.
An credi poffe ullum Populum, aut hominem denique, in
ea conditione, cujus eum peniteat, diutiùs quam neceffe
fit, manfurum? T. Live, Lib. VIII. Cap. xxi.

Dd

L'opinion de
Hobbes eft égale-

dée.

V. §. 7.

ap

§. XI. EXAMINONS maintenant un peu en détail les raisons fur lesquelles Hobbes ment dangereu- puie fon fentiment. Je trouve d'abord, qu'il fonde mal à propos l'Obligation des Sujets fe, & mal fon- envers leurs Souverains, fur une Convention (a) par laquelle chacun s'engage avec tous les (a) De Cive, Cap. autres à ne pas résister à la volonté de la perfonne, ou de l'Affemblée, à laquelle ils fe foumettront. J'avoue, que ceux qui conviennent enfemble de conférer à quelcun l'Autorité Souveraine, s'engagent par là tacitement les uns envers les autres à foumettre tous leur volonté à la volonté de celui qu'ils choififfent, en forte que, dans les affaires qui concernent le Gouvernement de l'Etat, la volonté du Chef repréfente la volonté de tous les Membres. Quelquefois même le Peuple confirme,par une Convention formelle & accompagnée du Serment, l'élection qu'il fait d'un Souverain, auffi bien que les conditions fous lefquelles il le revêt de l'Autorité fuprême. Mais il ne s'enfuit point de là, que la délibération prife d'un commun accord, de confier le Gouvernement de l'Etat à telle ou telle personne; & l'inveftiture, pour ainfi dire, du Pouvoir Souverain, par laquelle le Prince & les Sujets fe donnent la foi réciproquement; ne foient deux actes très-diftincts. Rien n'empêche non plus, que les Sujets ne s'engagent entr'eux à être fideles au Roi, qu'ils ont choifi: de même qu'en matière d'autres chofes il y a des Conventions, par lefquelles chacun des Contractans s'oblige, & pour foi, & pour tous les autres. Mais cela n'eft ni néceffaire, ni fort en ufage. Lors qu'un Etranger eft reçû dans un Etat, il promet d'obéir au Prince: & il n'y a point de Païs, que je fache, où l'on exige de ces nouveaux Sujets, qu'ils s'engagent auffi envers les naturels à être fideles au Souverain, qui eft déformais leur Maître commun. Enfin, il eft fort dangereux, à mon avis, de fonder uniquement l'Obligation des Sujets envers leur Prince, fur une Convention comme celle-ci, que Hobbes conçoit entre les Concitoiens: Je transfére mon droit au Prince en vôtre faveur, à condition que, de vôtre côté, vous lui transfériez auffi vôtre droit en ma faveur. Car, de cette maniére, chaque Citoien femble faire dépendre la force de fon engagement de l'exécution de ceux de tout autre; &, par conféquent, dès qu'un feul n'obéiroit pas au Souverain, tous les autres en feroient entiérement difpenfez. Cette raifon feule fuffiroit pour faire voir, qu'il faut néceffairement que chaque Citoien s'engage au Souverain pour foi en particulier, & fans aucun égard à l'obéiffance des autres, afin que fi quelcun d'eux prend le frein aux dents, ou refufe d'obéir, le Souverain puiffe fe fervir des forces de tous les autres, pour le mettre à la raifon.

(b) Ibid. Cap.VI. S. 13.

Hobbes dit encore, avec auffi peu de fondement, (b) que l'Obligation où l'on eft d'obéir au Souverain ne vient pas immédiatement de la Convention, par laquelle les Ciroiens ont transféré tout leur droit à l'Etat; mais feulement de ce que, fans l'obéiffance, le droit de la Souveraineté feroit inutile, & qu'ainfi il n'y auroit point d'Etat. Mais à quoi bon tant de détours, lors que l'on peut prendre un chemin droit & facile? La raifon, qui femble avoir. jetté Hobbes dans cette penfée, eft vaine & de nulle force. Il fuppofe tacitement, que l'on ne fauroit légitimement refufer de faire ce à quoi l'on s'eft engagé par une Convention. Or, dit-il, il y a des chofes, à l'égard defquelles les Sujets peuvent légitimement refufer d'obéir au Souverain, quoi que le Souverain ne falle qu'ufer de fon droit en les leur ordonnant; comme, par exemple, s'il commande à un Sujet de fe donner la mort, ou de le tuer lui-même, ou de fervir de Bourreau à fon propre Pére. Donc, conclut Hobbes, il faut néceffairement fonder l'Obligation des Sujets envers leur Prince fur un autre principe, que fur une Convention entre lui & eux. Mais je foûtiens, que le Pouvoir légitime d'un Roi, &le Devoir des Sujets, fe répondent exactement l'un à l'autre, & qu'ainfi le Roi ne commande rien légitimement, en quoi les Sujets puiffent légitimement refuser d'obeir. Car le Roi ne peut ordonner légitimement que ce qui eft ou paroit du moins conforme au but de la Société Civile. Si donc malicieusement, ou par une imprudence infenfée, il commande quelchose de contraire à cette fin, il le fait fans aucun droit. De dire maintenant, fi les Sujets peuvent refufer d'obéir, toutes les fois qu'il leur donne des ordres de cette nature, c'est

que

une

une autre queftion, que nous examinerons ailleurs. Les exemples, que Hobbes allegue, ne font rien au fujet. S'il fe trouvoit que le Roi pat légitimement (1) ordonner de pareilles chofes, c'est-à-dire, qu'il y eût lieu de croire qu'en les faifant le Sujet rendroit fervice à l'Etat; en ce cas-là, il feroit mal de defobeir. Mais lors qu'un Souverain fait mourir un de fes Sujets, pour n'avoir pas voulu exécuter des ordres injuftes ou déraisonnables; il faudroit avoir perdu l'efprit, pour foûtenir, que ce fupplice aît été infligé légitimement. Pour ce que Hobbes (c) dit ailleurs, que les Citoiens transférent leur droit au Roi en forme de Donation; (c) Ibid. Cap. VI. cela ne s'accorde pas même avec fes propres principes. En effet, dans toute Donation, il S. 20. in fin. n'y a que le Donateur qui transfére fon droit à l'autre Partie. Au lieu que, quand on confére au Roi l'Autorité Souveraine, il fe fait un transport mutuel de droits, ou une Promefle réciproque. Les Citoiens promettent d'obéir au Roi; & le Roi, à fon tour, s'engage à prendre foin de l'Etat: fans que, de part ni d'autre, on fût obligé auparavant de faire ce que l'on promet: car avant que Louis, par exemple, fût élû Roi, ceux qui depuis font devenus fes Sujets, pouvoient lui défobéir innocemment, comme d'autre côté Louis pou- (d) Voiez Luc, voit leur refufer ses foins & fa protection, qu'il n'étoit pas tenu de leur accorder (d).

XII, 13, 14.

quelques autres

(a) Cap.VII. §. 7,

§. XII. HOBBES allégue encore d'autres raifons (a), mais qui ne font pas plus fortes. Refutation de La Démocratie, dit-il n'eft pas établie par une Convention de chaque Citoien avec le Peuple, raifons de cet mais par une Convention réciproque de chacun avec tous les autres. Le prémier paroit de ce Auteur. que, dans toute Convention, les Contractans doivent exister avant que la Convention fe faf- & seqq. fe: or, avant l'établissement de l'Etat, le Peuple n'exiftoit pas, puis que ce n'étoit pas encore une Perfonne (Morale) mais feulement un affemblage de perfonnes diftinctes: donc il ne pouvoit point y avoir alors de Convention entre le Peuple, & les Citoiens. Depuis même que l'Etat est formé, fi un Citoien traitoit avec le Peuple, ce feroit fans aucun effet. Car la volonté du Peuple renferme la volonté du Citoien, envers qui l'on fuppofe qu'il s'engageroit: ainfi il peut fe dégager, quand il lui plairra; & par confequent il est déja actuellement libre de cette Obligation. Mais ce raifonnement roule fur une énumération imparfaite. Avant la fondation de l'Etat, la Multitude des gens, dont il eft compofé, n'étoit pas un Peuple, c'eft-à-dire, une République Démocratique : ainfi on ne pouvoit pas alors traiter avec le Peuple, confidéré comme tel. Depuis la formation de l'Etat, on ne fauroit non plus faire validement avec le Peuple une Convention par laquelle quelque peu de Citoiens traitent en leur particulier avec le Peuple, au fujet du Gouvernement de la République : car par cela feul que l'on s'eft foûmis à une forme de Gouvernement Démocratique, on s'eft engagé à obéir aux Ordonnances faites par la plus grande partie des Citoiens; engagement auquel on contreviendroit par une Convention avec un petit nombre de Particuliers. Mais dans l'établissement même de la République, il pouvoit y avoir, & il y a eu effectivement, entre le Peuple, & chaque Citoien, une Convention, telle que je l'ai décrite. La conféquence de Hobbes eft auffi mal fondée, que le feroit celle-ci: Un Mari n'a pu faire de Convention avec fa Femme, ni avant qu'ils fuffent mariez, puis qu'elle n'étoit pas encore fa Femme; ni depuis leur Mariage, puis qu'elle dépend alors de fon Mari, à la volonté de qui elle a foumis la fienne (b). Comme fi la Convention n'avoit pas pû fe faire dans le tems (b) Voiez un que la fille étoit promife au Mari, ou lors qu'il l'a époufée! D'ailleurs, quand même la femblable SoConvention, dont il s'agit, ne fe remarqueroit pas bien diftinctement, ou paroitroit inu- un autre fujet, tile dans un Etat Démocratique; il ne s'enfuivroit point de là, qu'on dût l'exclurre des au- dans un raifontres formes de Gouvernement, où les Souverains, & les Sujets font fans contredit des per- re, rapporté &

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fonnes

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phifme, mais fur

nement d'Epicu

réfuté par Lactance, Inft. divin. Lib. III. C.XVII. num. 30. Ed. Cel

Lar.

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