Page images
PDF
EPUB

(a) Liv. VIII. Chap. IV.

& fuiv.

les feules auxquelles les Philofophes femblent avoir pensé jufqu'ici. Cela paroitra plus clairement, fi l'on fait réflexion, que l'effence de la Quantité en général ne confifte pas dans l'étendue de la substance des chofes, mais dans l'eftimation & la mesure dont elles font fufceptibles: je veux dire, que la premiére & principale raifon pourquoi l'on attribue quelque Quantité aux chofes, c'eft qu'on peut les mefurer ou les eftimer, & par conféquent les comparer les unes avec les autres, pour favoir fi elles font égales, ou inégales. Or les. chofes étant fufceptibles d'eftimation non feulement par rapport à leur fubftance Phyfique, mais encore à l'égard de quelque Rélation Morale; il s'enfuit qu'outre la Quantité Phyfi que, & la Quantité Mathématique, il y a encore une Quantité (1) Morale, felon laquelle on eftime & l'on mefure les chofes moralement. Ce n'eft pas que la Quantité Phyfique n'entre dans l'eftimation des chofes qui fe trouvent de même nature & de même bonté: car, tout le refte d'ailleurs égal, un gros diamant, par exemple, vaut davantage qu'un petit. Mais on n'a pas toûjours égard à cela dans l'eftimation des chofes de différente efpéce & de différente bonté. Ainfi un dogue ne vaut pas toûjours davantage qu'un petit chien, ni une groffe maffe de plomb plus qu'une moindre.

Nous traitons ailleurs de (a) l'eftimation Morale des Perfonnes, par rapport au rang qu'elles tiennent, & à la confidération où elles font dans le monde; & de celle des (b) Ac(b) Liv. I. Chap. VIII. & Liv. VIII. tions Morales, par rapport à la vertu qu'elles ont de produire quelque Imputation, ou en Chap. III. §. 18. bien, ou en mal. Il ne s'agit donc ici proprement de la Quantité Morale des Chofes & des Actions, qu'entant qu'elles font de quelque ufage dans la vie commune, & qu'on les compare ensemble pour les rendre propres à entrer dans le commerce. C'eft ce que l'on appelle Prix ou valeur. De forte que le Prix en général eft une certaine Quantité Morale ou une certaine valeur des Chofes, & des Actions, qui entrent en commerce, felon laquelle on les compare les unes avec les autres.

Combien il y a

§. III. ON peut divifer le Prix en Prix (1) propre ou intrinféque; & Prix virtuel ou émide fortes de Prix. nent. Le premier, c'eft celui que l'on conçoit dans les Chofes mêmes ou dans les Actions qui entrent en commerce, felon qu'elles font capables de fervir à nos befoins, ou à nos commoditez & à nos plaifirs. L'autre, c'est celui qui eft attaché à la Monnoie, & à tout ce qui tient lieu de Monnoie, entant qu'elle renferme virtuellement la valeur de toutes ces fortes de Chofes & d'Actions, & qu'elle fert de régle commune pour comparer & ajufter ensemble la variété infinie de degrez d'estimation dont elles font fufceptibles.

Quel eft le fon§. IV. POUR bien comprendre la nature du Prix propre on intrinfeque, il faut d'abord dement du Prix rechercher avec foin les fondemens de cette forte de Prix considéré en lui-même, & enfuite la raison pourquoi il hauffe ou il baiffe.

propre ou intrinJoque?

fa) Voiez Phadr.

Lib. III. Fabul.

XII. verf. 46.

(b) Lib. II. Cap. XU.S.14. num. 1.

Le fondement du Prix propre on intrinféque, confidéré en lui-même, c'eft (1) l'aptitude qu'ont les Chofes, ou les Actions, à fervir, foit médiatement, foit immédiatement, aux befoins, aux commoditez, ou aux plaifirs de la vie. D'où vient que, dans le langage ordinaire, les Chofes, qui ne font d'aucun ufage, font fouvent appellées des chofes de nul (a) prix; &, en parlant des Personnes, on donne le titre de Vaurien à ces poids inutiles de la terre, qui ne font bons que pour manger & pour boire.

Selon Grotius (b), la mesure la plus naturelle de la valeur de chaque chofe, c'est le be

5. II. (1) Voiez ci-deffus, Liv. I. Chap. I. §. 22.

5. III. (1) L'Auteur dit, Pretium vulgare. Mais fi j'avois traduit, Prix vulgaire, ou Prix commun, on auroit confondu cette forte de Prix avec celui, dont il traite au §. 9. Pretium commune, c'est-à-dire le Genre avec l'Efpéce. D'ailleurs les termes de propre & intrinféque expriment beaucoup mieux par eux-mêmes l'idée que l'Auteur attache ici au mot vulgare, comme chacun le fentira aisement.

§. IV. (1) C'eft bien là une des raifons générales; car te qui ne fert de rien, paffe ordinairement pour n'être d'aucune valeur.. Mais d'où vient donc, que l'Eau, par

foin

exemple, qui eft une chofe fi utile, n'eft point mife à prix ? Il faut donc ajoûter ici une autre raifon, je veux dire, que les chofes fufceptibles de Prix doivent être non feulement de quelque ufage, finon véritablement, du moins felon l'opinion & la paffion des gens; mais encore de telle nature, qu'elles ne fuffisent pas aux befoins de tout le monde. De forte que, plus une chofe eft utile, ou rare, en ce fens-là, & plus fon Prix propre & intrinféque hauffe, ou baisse. Titius, Obferv. in Pufendorf. CCCXXXI. & in Lauterbach. Obf. DIII. C'est par ce principe qu'il faut expliquer & rectifier tout ce que dit enfuite notre Auteur.

(2) sex

IX, 12.

foin qu'on en a. Si par là on entend, que le fondement du Prix confidéré en lui-même est uniquement le befoin, ou que la raison pourquoi on eftime & l'on apprécie une chofe, c'eft que l'on en a befoin; cela n'est pas vrai généralement. Car, felon le langage ordinaire, on n'a befoin (c) que de ce dont on ne peut fe paffer fans une grande incommodité: or (c) Voiez Matth. il y a bien des chofes qui ne fervent qu'à procurer un plaifir fuperflu, auxquelles néanmoins la fenfualité & le luxe des Hommes attachent fouvent un fort haut Prix. Que fi le fens de cette propofition eft, que le befoin qu'a l'Acheteur de la chofe qu'il marchande, en fait rehauffer le Prix; j'avoue que cela fe pratique ainfi pour l'ordinaire: mais on ne fauroit raifonnablement accorder, que ce foit là la régle naturelle du Prix, en forte que plus une perfonne a befoin d'une chofe, plus on puiffe légitimement la lui faire paier cher. Le palfage d'Ariftote, que Grotius allégue, n'eft pas bien appliqué. Car ce befoin (2), qui fert de régle & de mesure commune, n'eft pas l'unique fondement du Prix, mais feulement des Echanges, ou du commerce; puis que fi perfonne n'avoit befoin de rien, ou fi l'on n'avoit pas plus befoin des chofes qui appartiennent à autrui, que des fiennes propres, on garderoit celles-ci, & l'on en jouiroit, fans chercher à aquérir aucune des autres, comme ce (3) Philofophe s'en explique formellement.

auxquelles on

§. V. Mais il faut remarquer, qu'il y a des Chófes très-utiles à la vie, auxquelles on Il y a bien des n'a pourtant attaché aucun Prix, foit parce qu'elles font & doivent être communes, foit chofes utiles, parce qu'elles n'entrent point dans le commerce; foit parce qu'elles paffent toûjours pour n'a attaché audes dépendances néceffaires de quelque autre chofe qui entre en commerce. Ainfi la ban- cun Prix. te région de l'Air, le Ciel, & les Corps Céleftes, comme auffi le vafte Océan, n'étant point fufceptibles de Propriété; on ne fauroit légitimement les mettre à prix, quoi qu'il en revienne une grande utilité à la vie humaine. Les Loix Romaines, en défendant de trafiquer des chofes facrées & deftinées à des ufages de (1) Religion, les exemtent de toute appréciation; quoi que plufieurs de ces chofes foient de telle nature, qu'il ne leur manque rien en elles-mêmes de ce qui eft néceffaire pour recevoir un certain Prix. Une Perfonne Libre n'eft non plus fufceptible d'aucun Prix: car il implique contradiction de dire qu'on eft Libre, & qu'on entre néanmoins en commerce, puis que dès-lors qu'on eft fujet à être vendu, on n'eft plus Libre. C'eft en partie pour cette raison que l'on appelle la Liberté, un bien ineftimable; & non pas feulement à caufe que les avantages en font fi grands, qu'ils paroiffent plus confidérables qu'aucun autre (a). Il y a auffi bien des chofes qui par elles- (a) Le paffage de mêmes font cenfées incapables d'être appréciées, entant qu'on ne peut les poffeder féparé- Philon qui étoit cité ici (De fpement, mais qui ne laiffent pas d'augmenter confidérablement le Prix de la chofe dont elles cialib. Legibus, font un acceffoire; comme d'autre côté leur défaut, ou leur mauvaise conftitution, le di- pag. 597. D. Edit. minue beaucoup. Ainfi un beau Soleil, un air pur, une vûe agréable, le vent, l'ombre, reftimation des Genev.) regarde & autres chofes femblables, confidérées féparément & en elles-mêmes ne font pas fufcepti- perfonnes, que l'on avoit vouces bles d'évaluation, parce qu'on n'en fauroit jouir fans la terre qu'elles accompagnent tou- à Dieu, & ques jours. Cependant il n'y a perfonne qui ne fache qu'elles entrent pour beaucoup dans l'efti- l'on vouloit ramation des Païs, des terres, & des autres héritages (b). Ainfi, en Hollande, on exige Levi. Chap. un impôt annuel de ceux qui ont des Moulins à vent; fous prétexte que le vent appartient XXVII. Ainfi au public. Et de là il paroît, pour le dire en paffant, de quelle manière il auroit fallu dé- cela ne fait rien cider la difpute qu'un ancien (c) Orateur s'avifa d'inventer & de raconter à fes Juges, pour (b) Voiez Plin. les rendre attentifs ; je veux parler de la plaifante conteftation au fujet de l'ombre d'un An, XII. Cap. I. au celui, à qui il appartenoit, prétendoit n'avoir point louée avec fa monture. Je dis fujet de l'ombre donc, que celui, qui avoit pris l'Ane à louage, ne pouvoit empêcher que le maître ne fe

que

[merged small][ocr errors][merged small]

cheter. Voiez

au fujet.

Hift. Nat. Lib.

du Plane.
(c) Démofthene.

A 2

(2) Par

[ocr errors]

(d) Voiez Actes,

VIII, 20.

donnance de

(f) Voiez Plin.

XVI. Cap. IV.
(g) Voiez Janus

Cap. XXIX. Les

févéres pour

couchât à l'ombre de fa bête. Mais, d'autre côté, dès le moment que celui-ci s'étoit emparé de l'ombre, l'autre pouvoit la lui ôter en faifant marcher l'Ane.

Il y a auffi des Actions, qui devant être faites fans intérêt, ou étant défendues par quel que Loi Divine, ou Humaine, n'entrent point en commerce, & par conféquent ne fau roient être légitimement mifes à prix, ni exercées pour de l'argent. Tels font, par exem ple, ces actes religieux, qui, par l'inftitution divine, fe trouvent accompagnez de quelque (e) Voiez l'Or- effet furnaturel, comme, l'Abfolution d'un Prêtre, l'adminiftration des Sacremens, & auGratien, Cauf. 1. tres chofes femblables: car ceux qui prennent de l'argent pour les faire, fe rendent cou Quaft. I. II. III. pables de Simonie; & il y a de l'impiété & de l'irrévérence envers la Majefté divine à croiHift. Nat. Lib. re (d) qu'on en puiffe trafiquer. Il faut rapporter ici les Emplois Eccléfiaftiques, & les Bénéfices, que l'on doit conférer gratuitement à ceux qui font les plus capables de fe bien Nicius Erythraus, aquitter des fonctions qui y font attachées; & non pas les donner pour de l'argent à des Pinacotheca 11. perfonnes indignes (e), comme cela ne fe pratique que trop fouvent. J'en dis autant des Chinois font plus récompenfes & des marques honorables, par lesquelles on rend une espece de témoigna ge authentique, & l'on femble attribuer du mérite, de l'érudition, ou de la (f) valeur à des gens qui n'ont aucune de ces qualitez: car outre qu'on avilit & que l'on proftitue ces fortes de titres en les donnant à quiconque veut les acheter; il arrive fouvent par là que des perfonnes indignes font élevées à des Emplois publics, au grand dommage de l'Etat. Et il est certes bien honteux pour la République des Lettres qu'en plufieurs endroits on fe (h) Voicz Ovid. relâche fi fort, que de recevoir, pour de l'argent (g), un Ane Docteur, comme on parEleg. X. verf. 37. le. Enfin un Juge (h), qui vend la justice; une Belle, qui fe fait paier les faveurs; un PaVoiez Plu- fron, ou un Avocat, qui prend de l'argent de (i) fes Cliens, ou de fes Parties; un Affaftarch. in Romul. fill, ou un Empoisonneur, qui trafiquent de la vie d'autrui; un Ecrivain, qui, pour un P. 25. A. B. De bas intérêt, emploie fa plume & fon favoir à publier des menfonges qui nuifent à quelcun; un homme qui, par de faux témoignages ou de faux fermens, que l'on tire de fa bouche à force d'argent, fait gagner une méchante Caufe, ou en fait perdre une bonne : tous ces gens-là, & autres de même caractére, ajoûtent à la turpitude de l'action en elle-même, une avarice fordide & infame (2). ·

Pexamen & la feurs Docteurs. Voicz Neuhof

promotion de

gener. defcript. Sin. Cap. III.

Lib. I. Amor.

[ocr errors]

là vint enfuite la
Loi Cincienne.

Voiez auffi Se-
Tent. verf. 171.

nec. Hercul. fu

& feqq.
Qu'est-ce qui
augmente ou di-
minue le Prix
des chofes ?

tet. L.VIII. Præ

§. VI. IL y a diverfes raifons qui augmentent ou diminuent le Prix d'une feule & même chofe, & qui font préférer une chofe à l'autre, quoi que celle-ci paroiffe d'un égal ou même d'un plus grand ufage dans la vie. Car bien loin que le befoin qu'on a d'une chofe, ou l'excellence des ufages qu'on en tire, décide toûjours de fon Prix; on voit au contraire que les chofes dont nôtre vie ne fauroit abfolument fe paffer, font celles qui fe ven(2) Voiez Vi- dent à meilleur marché (a); la Providence divine les faifant croitre abondamment par tout. Truv. de Archi- Ce qui contribue donc le plus à augmenter le Prix des chofes, c'eft leur rareté; d'où vient fat. Plat. in Eu- que quelques-uns tiennent pour un des fecrets du Négoce, de faire en forte qu'il n'y aît thydem. pag.211. pas trop grande abondance de certaines marchandises (b): & c'est pour cette raison qu'en Sext. Empiric. plufieurs endroits des Indes, les Hollandois arrachent les arbres qui portent le girofle, Pyrrhon. Hypo- & la noix mufcade. Que fi les chofes viennent d'un Pais éloigné, cela donne un grand reThe Lib.1. P. 29 lief à leur rareté (c). Or la raifon pourquoi les chofes rares font mifes à un plus haut prix, (b) Voicz Strab. que les autres, c'eft que la vanité des Hommes leur fait eftimer fouverainement ce qu'ils pag. 55o. Edit. ne poffedent qu'avec un petit nombre de gens, & tenir au contraire pour très-vil ce que Genev. Cafaub. l'on voit chez tout le monde. Ainfi ils veulent, par exemple, avoir des Rofes (d) au mi(c) Voiez Ma- lien de l'Hyver, & ils n'aiment les chofes que hors de leur faison, & contre l'ordre de la

C. Ed. Wechel.&

thef. p.

Geogr. L. XVII.

mertin. Panegy

ric. Julian. Cap.

[blocks in formation]

XI. num. 3. Edit. (2) Par le Droit Romain, comme le remarquoit nôtre Auteur, les Philofophes, & les Jurifconfultes ne pouvoient demander aucun falaire, ni aucuns gages. An & Philofophi Profefforum numero fint? & non putem quia hos primum profiteri eos oportet, mercenariam operam fpernere. Proinde ne furis quidem Civilis Profefforibus jus dicent: eft quidem res fanctiffima Civilis Sapientia: fed qua pretio nummario non fit aftimanda, nec dehoneftanda. Digeft. Lib. L.

Na

Tit. XIII. De extraordinariis cognitionibus &c. Leg. 1. §. 4, 5. Voiez là-deffus Grotius dans fes Fiorum fparfiones &c. & à l'egard des Orateurs & des Avocats, Quintil. Inftit. Orat. Lib. XII. Cap. VII. Ajoutons, que le Droit Romain n'accorde aux Poetes ni immunitez, ni priviléges, ni gages, comme il en donne aux Profeffeurs des autres Sciences. Mr. Le Clerc en a recherché les raifons, dans le 1. Tome du Parrhafianá, pag. 51, & fuiv,

S. VI.

Nepos,in Miltiad.

cer. de Invent.

(f) Voiez No

(g) Voiez Plin.

(h) Idem, Lib.

XII, 17, 19. XIII, 15.

XXXII, 2.

car en Europe le

N. Lib. XXXIII.

Nature. Leur goût eft même quelquefois fi bizarre & fi dépravé, que de faire grand cas (c) Voiez Cornel. d'une chofe précisément parce que l'ufage en eft défendu; la prohibition irritant leurs dé- Cap. VI. num. 2. firs déréglez, & leur vaine curiofité. En un mot, généralement parlant, les Homines Ed. Cellar. & Cine regardent guéres comme un bien que ce en quoi le poffeffeur trouve quelque avantage, Lib. II. Cap. que les autres n'ont pas, ou en confidération dequoi il peut s'élever par deffus les autres. XXXIX. D'où vient que (e) les plus grands honneurs font tels principalement parce que peu de gens bres,x1,28. Marc, y parviennent. C'eft à la vérité un effet de la corruption & de la malignité de l'Efprit Hu- IX, 38, 39. main, que de juger de la folidité d'un bien par le nombre de ceux qui le poffedent. Car Hift.Na.Lib. IX, la poffeffion d'un bien n'eft pas au fond plus ou moins confidérable, felon que les autres Cap. XXXV. Une bonne fanté n'eft pas XXXVII. procm. font privez de ce bien, ou en jouiffent également avec nous. moins eftimmable, parce que les autres fe portent bien, ni plus précieufe, parce qu'ils font 1X, 17. in fin. & malades. La connoiffance de la Vérité ne perd rien de fon prix pour être commune à un 34. X,29. 111,14grand nombre de gens; & la Sageffe ne devient pas en elle-même plus eftimable, parce xxxvi, 4. qu'il y a bien des fots & des foux. De forte que faire grand cas & tirer vanité d'un bien dem, Lib. que l'on poffède, à caufe que les autres n'ont pas le même bonheur, c'eft véritablement (k)Dans l'Orients fe réjouir du mal d'autrui comme au contraire il y a une noire envie à eftimer moins un prix de l'Ambre bien, parce que la poffeffion nous en eft commune avec les autres (f). Mais ici, comme eft modique. en plufieurs autres chofes, l'inclination générale des Hommes ne s'accorde pas avec la droi- (1) Voiez Plin. H. te Raifon. Ainfi, quoi qu'en difent quelques-uns, qui prétendent que fi l'on a attaché un Proam. Senec. de prix exceffif à plufieurs chofes dont la vie humaine peut très-aifément le paffer, c'eft afin Benefic. Lib. VIL que l'on eût dequoi emploier de grandes richefles, qui autrement feroient inutiles; la vé- (m) Plin. H. No rité eft, que cela dépend de la vanité, du luxe, & de la fenfualité des Hommes, qui leur Lib. VI. Cap. fait acheter fi cher les Perles (g), par exemple, les Pierres (h) précieuses, le (i) Coral (n) Voiez Juven. (k) l'Ambre, le Crystal (1), la Porcelaine, la (m) Soie, & autres raretez, dont (1) le Sat. XI, 16. 2. prix dépend de la curiofité qu'on a pour elles, de forte que, comme la curiosité eft fans bor- Cap.IX. num.19. nes, leur valeur n'en a point auffi. La folie des Homines va même jufqu'à trouver belle Ed. Cellar. Senec, úne chose, seulement (n) parce qu'elle coûte beaucoup. Ainfi c'eft avec raifon qu'un Au Cap. XI. Voiez, teur François (o) met au rang des fottes opinions du Vulgaire : Eftimer & recommander au fujet du prix Les chofes a caufe de leur nouvelleté, ou rareté, ou eftrangeté, ou difficulté, quatre engeo- Nicius Erytrhaus, leurs, qui ont grand credit aux efprits populaires : & fouvent telles chofes font vaines, & Pinacotech. III. non à estimer, fi la bonté & utilité n'y font jointes; dont justement fut mesprise du Prince, XXIV. & fur la celuy qui fe glorifioit de fçavoir de loin jetter & paffer les grains de mil par le trou d'une valeur de l'Aiéguille. ... La régle des fages, dit ailleurs (p) le même Auteur, eft de ne fe laiffer coif- chez les anciens fer & emporter à tout cela, mais de mesurer, juger, & eftimer les chofes premiérement par Aliléens, & Ca leur vraie, naturelle, & effentielle valeur, qui eft fouvent interne & fecrette, puis par l'uti- fandriens Agar lité le refte n'eft que pipperie (q).

[ocr errors]

Cap. IX.

XVII.

Curt. Lib. VIII.

Confol. ad Helv.

des Tulipes, Jan.

Cap. XVII. & C.

rain & du Fer

tharcid. Mari Rubro, C. XLIX.

Sageffe, Liv. I.

(9) Charron, de la Chap. XXXIX. num, 11. Ed. de VI. Ed. de Bour

Paris ; & Chap.

A l'égard des chofes qui font d'un ufage ordinaire & continuel, foit pour la nourriture & le vêtement, foit pour notre défenfe; ce qui en augmente le plus le prix, c'eft leur rareté, jointe à la néceffité, comme il arrive dans une cherté de vivres (r), dans un (s) frége, dans une longue navigation, où l'on achète à quelque prix que ce foit tout ce qui eft capable d'appaifer la faim & la foif, ou de fervir à la confervation de nôtre vie. Pour les Ouvrages de l'Arr, outre la rareté, on confidére ici la délicatefle (t) & la beau- x. num. 2. té du travail. Quelques uns tirent encore un grand luftre de la réputation de l'Ouvrier. (9) Voiez Plu D'autres font fort eftimez à cause du mérite de leur ancien poflefleur; d'où vient qu'un Major. p. 346. E. homme (u) acheta autrefois trois mille drachmes la lampe de terre du Philofophe Epictete, Ed. Wech. &

deaux.
(p) Lib.II. Chap

tarch. in Caron.

Strab.Geograph, com- Lib. II. p. 87. E

(s) Voiez Plin. Hift. Nat. Lib. VIII. Cap. LVII. dit. Geneu. Cafaub. (1) Voiez Quintil. Declam. XIL pag. 176, Ed. Lugd. Bat. (t) L. Mummius n'avoit nul gout pour cela. Voiez Vellei. Paterculus, Lib,I. Cap. XIII. (u) Lucien, dans le Traité contre un ignorant &c. P.386. Tom. II, Ed. Amftel. Voiez ce que dit Garcilaffo de la Vega, Hift. des Yucas, Liv. III. Ch. XX, de l'estime qu'on avoit dans le Perou pour tout ce qui venoit de la ville de Cufco,

S. VI. (1) Etenim qui modus eft in his rebus cupiditatis, idem eft aftimationis. Difficile eft enim finem facere pretio, nifi

libidini feceris. Cicer. in Verr. Lib. IV. Cap. VII. J'ai fuivi
la verfion de Mr. Mancroix,
A 3
(2) Respon

(x)Voiez Xenoph.

Memorab. Socrat. pag. 435. in fin.

Ed. H. Steph. &

Cicer. in Bruto,
Cap. LXXIII.

(y)Voiez Ariftot.
Politic. Lib. I.

Cap. VII. & XI.

& Lib. VIII. Cap.

II.

Du Prix que don

ne à certaines chofes la paffion particulière d'une perfonne. (a) Pretium affectionis.

nius, Declam.

Y

comme s'il eût acheté avec elle fon favoir. On a égard auffi à la difficulté de l'Ouvra ge(x) & au nombre des Ouvriers; car moins on trouve de ceux-ci, & plus l'Ouvrage fe paie. Enfin, ce qui augmente le prix du travail & de toutes les Actions qui entrent en commerce, c'eft la peine ou la difficulté qu'il y a de les faire; l'habileté & l'adrefle qu'il faut pour réüffir; leur utilité; leur néceffité; le petit nombre, le caractére ou la dignité des perfonnes qui s'en mêlent, comme auffi la liberté où elles font de s'en difpenfer, fi elles veulent, l'eftime qu'on fait dans le monde (y) d'un Art ou d'une Profeffion; & autres chofes femblables. Mais il faut remarquer ici, avec un ancien Philofophe, (2) qu'il y a des chofes, qui en elles-mêmes valent beaucoup plus qu'on ne les paie. On achete, par exemple, d'un Médecin, la vie & la fanté; d'un Profeffeur, la connoiffance des Arts Libéraux, & des Sciences qui fervent à former l'Esprit & le Cœur: toutes chofes inestimables en elles-mêmes. Ainfi l'on ne paie point à ces gens-là la valeur de ce que l'on reçoit d'eux, mais la peine qu'ils prennent en nous le communiquant, le fervice qu'ils nous rendent, le tems qu'ils emploient à travailler pour nous, pendant quoi ils ne fauroient vaquer à leurs propres affaires. En un mot le falaire qu'on leur donne n'eft pas pour les récompenfer felon que le mérite la chofe, mais feulement pour leur témoigner quelque reconnoiffance du foin qu'ils ont bien voulu prendre en notre faveur.

§. VII. IL arrive encore fouvent qu'une perfonne eftime beaucoup certaines chofes par quelque raifon particuliére, qui les lui fait aimer & prifer plus que ne feroit tout autre; & c'eft ce que l'on appelle Prix (a) d'inclination (b): comme, par exemple, fi l'on eft accoûtumé (1) à une chofe, ce qui a lieu fur tout par rapport aux Animaux que l'on avoit apprivoifez & drellez à fa fantaifié; ou fi elle nous a fervi à éviter un grand péril; ou fi el(b) Voiez Liba- le eft un monument de quelque événement remarquable; ou fi on l'a faite foi-même. Il y XLI. pag. 870.D. a aussi bien des chofes, qui nous font chéres (c) à cause de la considération que l'on a pour Ed. Parif. Morell. celui de qui elles viennent, ou parce qu'il nous les a données comme un gage de fon a-& Leo Africanus, mour; en forte qu'on ne voudroit pas échanger une pareille chofe contre plufieurs autres, (c) Voiez Carull, dont chacune feroit d'ailleurs d'égale bonté & d'égale valeur en elle-même, Plufieurs en11, 12, 13. & O- Core font grand cas d'une chofe, parce qu'ils la voient eftimée des Grands, à qui ils veuvid. Epift. He- lent plairre. Ainfi lors qu'un Prince aime une certaine forte de viande, ou d'ajustement, roid. XVII, 71, cela en augmente fouvent le prix. Enfin la vaine Gloire, la (d) Cruauté, & autres fembla(d) Les anciens bles Vices, augmentent quelquefois le prix des Chofes ou des Actions, par rapport à cerGaulois, par ex- taines perfonnes.

Lib. III.

Carm. XII. verf.

92.

emple,mettoient

à haut prix la tê

nemis. Voiez

V. Cap. XXIX.

Les Marchands fe prévalent (e) ordinairement de la paffion d'un Acheteur, pour lui te de leurs En- faire paier bien cher les marchandifes dont ils voient qu'il a grande envie. Il y a des SaDied. Sicul. Lib. Vans qui prétendent que cela eft illicite, à moins qu'il ne s'y trouve quelque autre raison, pag. 30. Ed. qui autorife à augmenter le prix de la marchandife: & les Loix Romaines veulent même, Rhodom. & Stra- que, dans la réparation d'un dommage caufé fans mauvais deffein, on n'aît (2) point d'ébon, Geograph. gard à l'attachement qu'avoit celui, qui a été lézé, pour la chofe qu'on lui a perdue, ou in fin. Edit. Ge- détériorée. Mais lors que le Vendeur trouve lui-même beaucoup de plaifir dans la poffeffion de la chofe dont il fe défait, il peut légitimement la faire paier cher par cette raifon, pourvû qu'il le déclare fans façon à l'Acheteur. Car rien n'empêche qu'on ne mette à prix la complaifance que l'on a de fe réfoudre à fe paffer, en faveur d'autrui, d'une chofe que l'on aimoit beaucoup.

Lib. IV. pag.13
136.
nev. Cafaub.
(e)Voiez Diodor.

Sicul. Lib. V. C.
XXVI. pag. 304

D. Ed. Rhodom.

& Cap. XVII.

(2) Refpondetur, quadam pluris effe, quàm emuntur. Emis à Medico rem inaftimabilem, vitam ac valetudinem bonam: à bonarum Artium Præceptore ftudia liberalia, & animi cultum. Itaque his non rei pretium, fed opera folvitur, quod deferviunt, quòd à rebus fuis avocati nobis vacant. Mercedem non meriti, fed occupationis fua ferunt. Senec. de Benefic. Lib. VI. Cap. XV. Voiez Quintil. Inftit. Orat. Lib. XII. Cap. VII. vers la fin.

§. VII. (1) J'ai un peu racommodé cet endroit, conformément à ce que l'Auteur dit dans fon Abrégé, de Of fic. Hom. & Civ. Lib. I. Cap. XIV. §. 4. J'ai aufli été obli

§. VIII. gé de faire un peu plus bas une tranfpofition; ce paragraphe, & plufieurs autres de ce Chapitre, étant dans un étrange defordre, qu'il ne falloit pas laiffer dans ma Tra

duction.

[merged small][ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »