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de difperfer les Familles en divers endroits de la Terre, que de les raffembler, & d'en former de grandes Sociétez. Mais les plus fenfez aiant remarqué, que le moien de remédier aux incommoditez & aux périls, auxquels étoient expofées les Familles féparées, étoit d'en joindre plufieurs en un feul Corps; plufieurs Péres de Famille jugérent à propos non feulement de s'unir enfemble, par quelque Convention, & fous un même Gouvernement, mais encore de rapprocher leurs domiciles, & de fe raffembler en un même endroit, au lieu qu'auparavant ils demeuroient l'un d'un côté, l'autre de l'autre, dans les bois & dans campagnes. Et c'eft ainfi qu'il faut entendre ce que l'on a dit des prémiers Fondateurs des Etats, qu'ils firent ramaffer en un même lieu les Hommes auparavant difperfez par

les

les forêts. Si les befoins de la vie ont porté

tez Civiles?

IV. num. 20, 21. Ed. Cellar.

(b) Platon femble pancher vers ce fentiment,

11.p.598. & feqq. Edit. Wech.

(0) Voiez Genef

XIII, 2. XXIV,

35.

(d) Voiez Cornel.

§. VI. PLUSIEURS s'imaginent, que ce font les befoins de la vie, & le défir de la les Hommes à é- rendre plus commode & plus agréable, qui ont porté les Hommes à former des Sociétez tablir des Socié- Civiles. Il eft certain, qu'il n'y auroit guéres d'Animal plus miférable, que l'Homme (a), (a) Voiez Lac- fi chacun vivoit dans une entiére folitude, & deftitué de tout fecours d'autrui. Mais il zant. de opific. faut avouer auffi, que l'on n'a pensé aux délices de la vie qu'après l'établissement des SoDei, Cap. 1. ciétes Civiles. Les befoins même ne font pas, à mon avis, la feule (b) ou la principale caufe de la formation de ces fortes de Sociétez. Car dans le tems que les Hommes vivoient encore dispersez en Familles féparées, on avoit déja fuffisamment pourvû aux néceffitez de la vie, par l'invention de l'Agriculture, de la Vie Paftorale, de la culture de De Republ. Lib, la Vigne, de la maniere de fe vêtir, & d'autres femblables Arts (c). En effet, que falloit-il de plus, pour fubfifter, à un Pére de famille, qui avoit en abondance des Terres, du Bétail, & des Domestiques? Et s'il manquoit de quelcune de ces chofes, ne pouvoit-il pas s'en pourvoir par des échanges, ou par quelque autre forte de commerce? (d) Aujourd'hui même on voit que plufieurs Etats tirent des Pais Etrangers certaines marchandifes qui fervent aux plaifirs, ou même aux néceffitez de la vie, fans être néanmoins obligez pour cela de fe joindre en un feul Corps de Société Civile avec ceux qui leur fourniffent_ces marchandifes. Il y a au contraire des Peuples, qui, depuis plufieurs fiécles, vivent fous un Gouvernement Civil, dans une fimplicité peu différente pour l'éclat, ou pour l'abon(e) Voiez Valer. dance, de la vie que menoient les anciens Péres de famille (e). Ainfi le grand nombre de Flaccus, Lib. V. commoditez & les délices dont plufieurs Nations aujourd'hui regorgent, pour ainfi dire, ne doit pas tant fon origine à l'établissement du Gouvernement Civil, qu'à la conftitution des grandes Villes. Car le peuple des Villes n'aiant guéres ni Terres, ni Bétail, eft obligé, pour gagner la vie, de s'attacher à diverfes fortes de mêtiers. Outre que, parmi les gens de Ville, chacun tâche d'enchérir fur les autres en propreté, & en délicatelle; d'où naît enfuite le Luxe, qui, en bien des endroits, entretient, pour le moins, autant de Mêtiers, que les néceffitez même de la vie: Mêtiers, dont néanmoins la Société Civile pourroit fe paffer absolument (1).

Nepos, in Attic.
Cap. XIII.

Véritable raifon

§. VII. POUR moi, il me femble, que la véritable & la principale raifon, pourquoi de l'etablie les anciens Péres de famille renonçoient à l'indépendance de l'Etat Naturel, pour établir des Sociétez Civiles, c'eft qu'ils (1) vouloient fe mettre à couvert des maux que l'on a à

ment des Sociétez Civiles.

§. VI. (1) Voiez la Differtation de nôtre Auteur, De Statu Hominum Naturali, §. 6.

§. VII. (1) C'est le fentiment de Mr. de la Bruyere (dans fes Caractéres, au Chap. du Souverain & de la République, p. 319.),, De l'injustice, (dit-il) des prémiers

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hommes, comme de fon unique fource, eft venue la » guerre; ainfi que la neceflite où ils fe font trouvez de fe donner des Maîtres, qui fixaffent leurs droits & leurs pretenfions: fi content du fien on eût pû s'abstenir du bien de fes voisins, on avoit pour toûjours la paix & la liberté. Mr. Bayle, (dans fes Nouvelles Lettres à l'occafion de la Critique générale du Calvinif me de Maimbourg, Lett. XVII. 6. 2.) y joint d'autres raiTons plus prochaines. Ses paroles méritent d'être rap

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crain

portées.,, Il ne faut point croire, dit-il, que les hom

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mes aient eû beaucoup d'égard dans les commence,, mens des Sociétez au bien ou au mal à venir. Ils ,, n'ont fongé qu'à remédier aux maux dont ils avoient ,, déja fait l'expérience, ou qu'ils regardoient comme prochains..... Je ne faurois me perfuader, que les Sociétez fe foient formées, parce que les hommes ont prévû en confultant les idées de la Raifon, qu'u,,ne vie folitaire ne feroit honneur ni à leur efpece, ni à leur Createur, ni à l'Univers en général. Lê PLAI ,, SIR PRESENT, & L'ESPERANCE PROCHAI„NE DE VIVRE EN SÛRETE, ou bien LA FOR„, CE ont produit les premiéres Républiques ; fans qu'on », aît cû en vue les Loix, le Commerce, les Arts, les Scien

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craindre les uns des autres. Car, comme, après le Créateur Tout-puiffant & Tout-bon,

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fciences, l'aggrandiffement des Etats, & toutes les autres chofes qui font la beauté de l'Hiftoire. On ne prévoioit pas ces fuites au commencement, & quand même on les eût prévûes par les lumiéres d'un efprit Ideftitué de paffions, on ne s'en feroit pas remue.. ,,Nous fommes trop froids, lors qu'il n'y a que la Raifon qui nous pouffe, & le fort des Sociétez humaines eût été remis en de fort mauvaises mains, fi les hom,, mes n'euffent été follicitez à vivre enfemble, que par ,, cette feule confidération, qu'il n'eft pas raisonnable » qu'une Créature propre à la Société, vive dans la folitu" de. De la maniére que nous fommes faits, il faut » qu'on nous porte aux chofes par la voie du fentiment. On ne fauroit qu'approuver, à mon avis, ces judicieufes reflexions: & qu'il faille attribuer en partie à la force l'origine des Etats & des Empires, c'est ce que l'on peut conclurre avec affez d'apparence de la maniére dont l'Hiftoire Sainte parle de Nimrod, le plus ancien Roi, & le premier Conquérant, dont nous ayions connoiffance. Ce Nimrod, dit Moife, COMMENÇA A ETRE PUISSANT SUR LA TERRE, & il fut un vaillant chaffeur devant le Créateur; de là vient que l'on dit, comme Nimrod vaillant chaffeur devant le Créateur. Il commença de regner fur Babel, Erech Acchad, Chalne, dans le Pais de Schinhar. Genef. X, 8. & fuiv. Peut-être qu'avant cela il n'y avoit point de Famille qui ne vécût dans une entiére indépendance, en forte que les Membres, dont elle étoit compofée, relevoient uniquement de leur Chef, ou du Père de Famille. Mais lors que Nimrod fe fût érigé en Souverain, fur des gens qui ne furent pas affez forts ou affez courageux pour lui refifter, ou bien qui aimérent mieux fe foumettre à fon empire, que de s'expofer à de plus fâcheux inconvéniens, en allant s'établir dans quelque lieu défert; alors il fe forma une espéce de Roiaume. Ainfi nôtre Auteur fe tient dans des idées trop vagues & trop imparfaites, de prétendre, que la crainte feule des infultes d'autrui ait donné la naiffance à toutes les Sociétez Civiles. Les fujets même de cette crainte, comme le remarque Mr. Titius (Obferv. DXLVII. num. 3, 4.) n'étoient pas fi grands, en ce tems-là, qu'elle dût porter neceffairement les Hommes à former des Gouvernemens Politiques. Car pourquoi eft-ce qu'ils n'auroient pas pû alors fe procurer fuffifamment du repos & de la fûreté, en fe joignant plufieurs enfemble par des Traitez & des Confederations, pour fe défendre les uns les autres contre ceux qui viendroient les attaquer, & les troubler dans la jouiffance des fruits de leur industrie? Ces Conventions étant fondées fur l'utilité mutuelle des Contractans, chacun auroit été porté à les obferver par fon propre intérêt; felon ce que nôtre Auteur dit luimême plus bas, §. 9. Cela eft fi vrai, que long-tems même après la multiplication du Genre Humain il y a eu des Nations qui ont fubfifté, pendant plufieurs fiécles, fans Loix, fans Magiftrats, fans aucune forme de Gouvernement. Voiez la feconde Note de Gronovius fur Grotius, Lib. I. Cap. I. §. 1. On en trouve encore aujourd'hui plufieurs exemples, parmi les Peuples de PAfrique, & de l'Amérique. Voiez la Continuation des Penfees diverfes de Mr. Bayle, Artic. CXVIII. D'ailleurs, . ceux qui rapportent l'origine & l'établiffement de tous les Etats à un principe general & uniforme, que les uns croient être la crainte, les autres les befoins de la vie, les autres quelque autre motif; (Voiez Lactant. Inft. divin. Lib. VI. Cap. X. num. 13, &feqq. Edit. Cellar. & Tacit. Annal. Lib. III. Cap. XXVI.) femblent fuppofer, que, dans les premiers fiècles, plufieurs Peres de famille s'affemblerent pour voir de quelle maniere ils pourroient pourvoir le plus avantageufement à leur fûreté, ou à leurs befoins ; & qu'après une mûre delibération ils conclurent qu'il falloit former entr'eux une Societé

Том. Ц.

il

Civile. Or cela ne s'accorde guéres ni avec l'Hiftoire, ni avec l'expérience commune, qui font voir que tous les établiffemens humains ont de petits commencemens; qu'ils font d'abord très-informes; & qu'ils ne parvieunent à quelque degré de perfection que peu à peu & par la longueur du tems. Quand même on trouveroit, dans les monumens de l'Antiquité, quelques traces d'une telle Affemblée, il feroit bien difficile de s'imaginer, que ces Peres de famille fe fuffent d'abord formez l'idée d'une Société Civile, & qu'ils en euffent prévû & balancé exactement les avantages & les inconvéniens. C'eft une chofe qui demande une longue experience, & il n'y a nulle apparence que le plan d'un fi bel édifice aît eté conçu & exécuté tout d'un coup, puis qu'aujourd'hui qu'il eft formé depuis tant de fiécles, le commun des gens n'en comprend pas l'ufage, là ftructure, & les beautez; connoiffance que les perfonnes même, qui ont quelque éducation, n'aquierent qu'à force de meditation & d'expérience. Nôtre Auteur reconnoit lui-même, (dans fon Introduct, à l'Hiftoire de 'Europe, Chap. I. §. 3.) que les prémiers Etats étoient fort petits & fort imparfaits, & que les différentes parties de la Souverainete ne furent inventées que peu à peu, les unes après les autres. Il me femble, que l'on ne fait pas ici affez de reflexion à la fimplicité des tems, auxquels les Sociétez Civiles ont commencé, & que l'on a trop devant les yeux la fituation où les choles font aujourd'hui. Le monde n'étant pas alors fort peuplé; & la fenfualité, ou le luxe n'aiant pas encore multiplie à l'infini les befoins, ou plûtôt les défirs des Hommes; chacun trouvoit aifément dequoi fe contenter, & il n'y avoit qu'une malice effrénée, qui pût le porter à envahir les biens de fon voifin. D'ailleurs, quoi que l'ignorance & la groffiereté ne foit pas fans contredit la Mére de la Vertu & du bon Ordre, & que les gens de l'Age d'or ne fuffent pas fans doute meil leurs que ceux des fiécles fuivans, ainfi que l'a fait voir Mr. Le Clerc, fur la Théogonie d'Héfiode, vers 211. comme ils n'étoient pas fort rufez, & que l'on n'avoit pas encore inventé les régles & les ftratagêmes de l'Art Militaire, ni ces inftrumens pernicieux qui fuppléent à la force du corps, & qui rendent la malice plus entreprenante; il n'étoit pas difficile de fe mettre à couvert des infultes d'autrui, fur tout en fe joignant plufieurs ensemble par une ligue défenfive. Difons donc, qu'à mesure que le Genre Humain fe multiplioit, on forma peu à peu, & pour diverfes raifons, des Socié tez Civiles, plus ou moins informes felon les tems, & felon l'habileté des Fondateurs. Mr. Titius (ubi fuprà, num. 6.) soupçonne, avec affez d'apparence, que ce fut l'adreffe de quelque efprit ambitieux, foûtenue de la force, qui en fit voir le premier modele; & ce que j'ai remarqué au fujet de Nimrod femble propre à favorifer cette penfée. Un tel Corps Politique étant une fois formé, plufieurs s'y joignirent enfuite par divers motifs. D'autres en formérent de nouveaux à cet exemple. Lors qu'il y en eût plufieurs, ceux qui jufques la avoient vécu dans l'independance naturelle, craignant d'etre infultez & opprimez par ces Etats naiffans, refolurent aufli à en compofer de pareils, & à fe choisir un Chef. D'abord ces petits Roitelets n'étoient prefque que pour juger les différens, ou pour commander les armées. Cela paroit par l'Hiftoire des Juges, & des premiers Rois du Peuple d'Ifrael, & par ce qu'Hérodote rapporte de Dejocès, Roi des Médes, Lib. I. pag. 26, 27. Ed. H. Steph. Voiez aufli Hefiod. Theogon. vett. 85. & feqq. & Oper. & Dier. verf. 38, 39. De la vient que, dans un feul & même Peuple il y avoit quelquefois plufieurs Rois, comme Mr. Le Clerc n'a pas manqué de le remarquer, & de le prouver par le temoignage d'Homere, qui parle de pluieurs Rois des Pheaciens, Odyfl. Lib. VIIL verf. 49,

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(a) Ciceron le il n'y a rien dont les Hommes puiffent recevoir plus de bien que de leurs semblables (a), prouve au long, il n'y a rien auffi, qui puiffe caufer plus de mal à l'Homme, que l'Homme même. L'inCap. V,&feqq. duftrie humaine a trouvé quelque remede particulier contre les diverfes fortes de maux,

De Offic. Lib. II.

auxquels nous fommes fujets. La Médecine, par exemple, fert à guérir, ou à foulager les malades. Les Maifons, le Feu, les Habits, nous défendent des injures de l'Air. La Terre cultivée par nos foins & nos travaux, nous fournit en abondance dequoi appaiser la faim. Les Armes, les Embufcades, ou quelque autre forte de ftratagême, nous inettent à couvert de la fureur des Bêtes fauvages, & nous donnent moien de les domter. Mais, pour fe garantir des maux que les Hommes prennent plaifir à fe faire mutuellement, par un effet de leur malice naturelle; il a fallu chercher le fouverain préfervatif dans les Hommes même, par l'établiffement des Sociétez Civiles, & du Pouvoir Souverain (2). D'où il eft arrivé, par une fuite naturelle, que l'on a eû occafion d'éprouver plus abondamment les biens que les Hommes font capables de fe faire les uns aux autres (3), comme, d'être mieux élevé, & d'inventer ou de perfectionner divers Arts, qui ont augmenté les douceurs & les commoditez de la vie.

Ce que nous venons de pofer, s'accorde fort bien avec les principes de ceux qui rapportent à la Crainte l'origine des Sociétez Civiles. Car on n'entend pas par le mot de Crainte, cette Paffion incommode qui confifte dans le trouble d'un esprit effraié & décon'certé, mais toute précaution raifonnable contre les maux avenir, en un mot cette forte de Défiance, qui, comme on le dit en commun Proverbe, eft la Mére (4) de la Sûreté. Et par là il eft aife de réfuter une Objection, que propofent quelques-uns: Tant s'en faut, difent-ils, que la Crainte aît produit les Sociétez Civiles, qu'au contraire, fi les Hommes euffent appréhendé quelque chofe de la part les uns des autres, ils n'auroient pas ofe feulemen fe regarder, & fuiant l'un d'un côté, l'autre de l'autre, ils feroient demeurez perpétuellement feparez. Beau raifonnement! Comme fi le mot de craindre emportoit toûjours une fraieur qui oblige à prendre la fuite! & comme s'il ne fignifioit pas encore foupçonner fimplement, fe défier, fe tenir fur fes gardes. Il eft même effentiel à la Crainte de prendre fi bien fes mefures, que l'on fe mette en état de n'avoir déformais aucun fujet apparent d'appréhenfion. Quand on va fe coucher, on ferme bien la porte de fa chambre, crainte des voleurs: après quoi on n'a plus de peur. Lors qu'on fe met en chemin pour un voiage, on prend des armes, parce que l'on appréhende les Brigands: mais du moment qu'on eft (b) Voiez Hob- une fois bien armé, on fe moque d'eux (b). Dans la plus profonde paix, les Souverains

bes, de Cive, Cap.

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& 41. Il cite auffi un beau passage de Dénys d'Halicar-
naffe, d'où il paroit, que l'abus que les Rois firent de
deur Pouvoir, obligea à établir des Gouvernemens A-
riftocratiques ou Democratiques. Je me contente de tra-
duire ce paffage.,, Au commencement, (dit l'Hiftorien)
,, toutes les Villes Gréques étoient gouvernées par des
,, Rois, avec cette difference
> que ces Rois n'exer-

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çoient pas une domination abfolue ou defpotique, , comme ceux des Nations Barbares, mais regnoient felon les Loix & les Coûtumes du Païs; en forte que », celui-la pafloit pour le meilleur Roi, qui étoit le plus ,, jufte & le plus religieux obfervateur des Loix, & qui ,, ne s'éloignoir jamais des Coûtumes du Païs. Homére le donne a entendre, lors qu'il appelle les Rois, des » gens qui renden: la fuftice (Δικαστικοί, Θεμιςοπόλοι). Ces Roiaumes fubfifterent pendant long-tems, étant adminiftrez fous certaines conditions, ou Loix fondamentales, comme parmi les Lacédémoniens. Mais ,, quelque Rofs aiant commencé d'abufer de leur pou», voir, & de gonverner l'Etat à leur fantaisie, plûtót », que felon les Loix; la plupart des Grecs fe laflerent de les fouffrir, & abolirent certe forme de Gouvernement. Amiq. Roman. Lib. V. p. 356. Edit. Lipf. J'ajoûte ce paffage d'Ifocrate, où cet Orateur voulant louer les Athéniens, dit qu'il remontera jusqu'au tems, ‘ör'

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دو

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ἐκ ἦν ἔτε δημοκρατίας, ἔτ ̓ ὀλιγαρχίας ὄνομα που λεγί μέμον· ἀλλὰ μοναρχίαι καὶ τὰ γίνη ἢ βαρβάρων, καὶ τὰς πόλεις τὰς Ελληνίδας ἁπάσας διώκεν. Panathenaic, p. 443, 444. Ed. Parif. min. Voiez auffi les Interprêtes fur le commencement de l'Hiftoire Universelle de Justin; & ce que l'on dira ci-deffous, Chap. V. §. 4. de ce Livre. Mr. Locke a dit auffi quelque chofe fur l'origine des Sociétez Civiles, dans fon Second Traité du Gouvernement Civil, Chap. VIH. IX.

(2) Sextus Empiricus, comme le remarquoît ici nôtre Auteur, dit, que les anciens Perfes avoient accoûtumé, lors que le Roi étoit mort, de paffer cinq jours dans 'Anarchie, afin que cela les engageat à être plus fideles à fon Succeffeur, par l'expérience qu'ils auroient faite euxmêmes des malheurs de l'Anarchie, & combien de meMTtres, de & s'il y a quelque chofe de pis encore, rapines, elle entraine néceffairement après foi. Adverfus Mathematic. Lib. II. pag. 70. D. Ed. Genev. On peut rapporter encore ici une partie des chofes que dit Herodote, Lib. I. fur les raifons qui obligerent les Médes à choisir Déjocès pour leur Roi.

(3) Le refte de cette période eft tiré de l'Abrégé de Offic. Hom. & Civ. Lib. II. Cap. V. §. 7. (4) Η γδ εὐλάβεια σώζει πάντα. Ariftoph, in Avib. p. 532. Ed. min. Lugd. Bat.

mettent des Garnifons fur leurs frontières, fortifient leurs Villes, entretiennent des Arcenaux, & des Magazins; ce qui feroit inutile, s'ils n'avoient quelque crainte de leurs voifins: mais lors qu'ils ont bien pris toutes leurs furetez, ils n'appréhendent plus rien. Ainfi la Crainte eft ingénieuse à inventer des expédiens pour fe chaffer elle-même; & c'eft ce qui a lieu dans l'établiffement des Sociétez Civiles, dont l'ufage & la néceffité le trouve bien exprimée dans ce Proverbe commun: S'il n'y avoit point de Justice, on fe mangeroit les uns les autres. Car on a fuffifamment prouvé (c) ailleurs, que les Hommes n'ont (c) Liv. II. Chap. que trop fujet de fe craindre réciproquement, & de fe précautionner contre les infultes les 11. 5. 6. Voicz uns des autres.

Grotius, Lib. I.
Cap. IV. §. 4.

(d) Ubi fuprà.

& fuiv.

erit. Idyll.

VII.

E

On (d) objecte ici, que dans le commencement du monde les Péres de famille ont vécu num. z. pendam plufieurs fiécles dans une entiére égalité, & fans la moindre crainte d'une invasion chimérique: & que l'Ambition ne fe gliffa que tard parmi les Hommes, & après l'établissement des Sociétez Civiles, qui donnérent nailfance aux Honneurs & aux Dignitez. Mais a-t-on oublié, que ce fut l'Ambition qui porta un des Enfans du prémier Homme à commettre le premier fratricide? car pourquoi Cain (e) tua-t-il Abel, fi ce n'eft à caufe de la (e) Genef. IV, 4 jaloufie qu'il conçût de voir, que DIEU faifoit plus de cas de fon Frére, que de lui: De plus, nous ne regardons pas l'Ambition comme le feul fujet de fe craindre les uns les autres: nous y joignons encore la malice ou la malignité des Hommes, & la concurrence où ils le trouvent à rechercher une même chofe; deux railons, dont la prémiére produifit, dans ces prémiers fiécles d'une fimplicité très-groffiére, la férocité & la barbarie des Géans, & l'autre fait naitre encore aujourd'hui des divifions & des querelles entre (f) les (f) Genef. XIII. perfonnes, qui ont enfemble les liaifons les plus étroites. L'Ambition même eft une mala- XXVI, 15, 20,21. die plus générale, qu'on ne penfe. Il eft vrai que les Princes y font le plus fenfibles, & qu'elle agit en eux avec plus de force, & d'une maniére plus pernicieufe au Genre Humain. Mais les autres Hommes n'en font pas entiérement exemts, & il n'eft pas jufqu'aux Bergers (g) & aux Païfans, qu'elle ne tourmente, autant que leur condition les en rend (g) Voiez Theo fufceptibles. Il falloit, ajoûte-t-on, être & bien méchant, & bien fat, pour infulter les VIII. Virgil. &. autres ou par des paroles injurienfes, ou à main armée; puis que l'attaque pouvoit fe bien clog. 111, 25. défendre, & tuer l'aggreffeur, comme il l'avoit mérité. Outre qu'il n'y avoit point de bu feqq. & Eclog. tin à efpérer parmi des gens pauvres, comme l'étoient ceux de ce tems-là, on dont tout le bien confiftout en fruits de la Terre, que l'on pouvoit recueillir par tout avec pen on point de peine, & fans courir aucun rifque! Mais je repons, que la vue d'un gain médiocre fuffic pour porter les Méchans à commettre quelque crime. Et après tout, il eft conftant, qu'en ces prémiers fiécles, auffi bien qu'aujourd'hui, les Larcins & les Brigandages étoient af fez fréquens parmi les Peuples, qui tiroient tous leurs revenus de l'Agriculture, & du Bétail. D'ailleurs, ce n'eft pas feulement pour être en fûreté contre les voleurs que l'on a formé des Sociétez Civiles, mais encore pour le mettre à couvert de toute autre forte d'injures, que les Hommes peuvent fe faire les uns aux autres. Quelque jufte fujet, dit-on en fuite, qu'un Homme eût eû alors de fe défier d'un autre, une crainte incertaine ne l'auroit pas autorife à le prévenir. J'en conviens: car le droit de chacun contre tous & fur toutes chofes, qui eft, felon Hobbes, une fuite de l'Etat Naturel, ne doit point être étendu au delà de ce que la droite Raifon permet. C'eft-à-dire, que, dans la Liberté Naturelle, chacun peut légitimement emploier tous les moiens qu'il juge néceffaires pour fa propre confervation, en fuivant les luiniéres d'une Raifon éclairée, & les mettre en ufage contre tous ceux de la part de qui la même Raifon lui fait voir qu'il a quelque chofe à craindre. forte que, fi l'on porte fes précautions ar delà des bornes que la droite Raifon preferit, on péche fans contredit contre la Loi Naturelle. Lors, par exemple, que, dans une crainte incertaine, on tue quelcun, dont on pouvoit commodément prévenir les infultes par d'autres voies, & fans fe porter à une telle extrémité, on ne doit pas fe flatter d'avoir fait une action que la Nature permette. Et ceux qui fe fervent du principe, dont il s'agit,

Bb 2

De

pour

Les impreffions de la Loi Naturelle ne fuffi

foient pas pour entretenir la

paix parmi le Genre Humain.

pour autorifer les rapines & les brigandages commis contre des gens, qui ne font pas leurs
ennemis déclarez, tirent une conféquence également fauffe & pernicieufe. En effet, les
rapines & les brigandages font de leur nature un moien, que la droite Raifon ne fera ja-
mais regarder comme néceffaire à la confervation de l'Homme, & dont l'ufage au con-
traire a uniquement pour principe l'Avarice & la Cruauté: car ce n'est pas affurément par-
ce qu'un Voleur craint quelque chofe des Paffans, qu'il fe jette fur eux, & qu'il les dé-
trouffe. Pour ce que l'on objecte encore, que quand même il y auroit de la haine & de la
défiance entre les Hommes, on ne pourroit pas dire que cela eut lieu à cause des Sociétez
Civiles; c'eft une raison bien impertinente. Car y a-t-il quelcun d'affez extravagant pour
foûtenir, que fi les Hommes fe haillent & fe défient les uns des autres, c'eft afin que ce-
la les engage à établir des Sociétez Civiles? Nous difons feulement, qu'ils les ont établies,
parce qu'ils fe défioient les uns des autres. Et fi chacun avoit un feul ennemi, quand mê.
me il ne voudroit aucun mal à tous les autres, ou qu'il feroit de plus porté de bonne vo-
lonté & plein d'amitié pour eux; cela fuffiroit pour remplir tout le Genre Humain d'ini-
mitiez & de querelles. C'est en vain auffi que l'on s'opiniâtre à foûtenir, que la Société
d'habitation, & la multiplication du Genre Humain, ont produit les Sociétez Civiles. La
derniére de ces chofes a fourni fans doute la matière des États: l'autre peut avoir été l'oc-
cafion de leur établissement, y aiant grande apparence que c'étoit fur tout avec les Voifins
que l'on fe joignoit pour compofer quelque efpece de Société Civile. Mais ni l'une ni l'au-
tre ne renferment pas les motifs qui ont obligé les Hommes à former de telles Sociétez.
§. VIII. D'AILLEURS, il ne faut pas s'imaginer, que les impreffions de la Loi Na-
turelle, qui défend toutes fortes d'injures, & d'injustices, aient été affez fortes, pour fai-
re que tous les Hommes puffent vivre dans l'indépendance de l'Etat Naturel, fans avoir
rien à craindre les uns des autres. Il fe trouve, je l'avoue, des gens qui ont à cœur, fur
toutes chofes, l'Honnêteté, l'Innocence, la Foi, la Probité, en forte qu'ils ne voudroient
pas fe laiffer aller à rien qui fût capable d'y donner la moindre atteinte, quand même ils
feroient fûrs de le faire impunément. Il y en a auffi (1) plufieurs, qui, fans un motif de
Vertu, répriment en quelque forte leurs Paffions, & s'abftiennent d'infulter les autres,
par la crainte du mal qui pourroit leur en revenir à eux-mêmes. Si tout le monde étoit de
l'un ou de l'autre de ces deux caractéres, on n'auroit pas eû grand befoin de Société Ci-
vile. Mais ne voit-on pas une infinité de gens, qui foulent aux pieds les Devoirs les plus
facrez, toutes les fois qu'ils croient trouver du profit à les violer, & qu'ils se sentent af
fez de force ou d'adreffe pour nuire impunément, & pour le moquer de ceux à qui ils
font du mal. Ne pas fe défier de tels fcélérats, ce feroit fe trahir loi-même, & s'expofer
de gaieté de cœur à être le jouet de leur malice. En un mot, comme le dit un Hiftorien
Latin, (2) l'Innocence ne trouve pas toujours fon appui en elle-même.

Mais s'il eft du Bon-Sens de fe donner de garde des Méchans, & de prendre de bonne heure fes précautions contre leurs infultes; il ne faut pas pour cela tomber dans une autre extrémité, comme fait Hobbes, en établiffant cette maxime trop dure fans contredit: (a) De Cive, Cap. (a) Que, dans l'Etat Naturel, le feul moien de fe promettre quelque füreté, & de ne rien craindre de la part d'autrui, c'eft d'être en état de pouvoir, par fa force & par fon adref Se, prévenir fon prochain, on en l'attaquant ouvertement, ou en ufant d'artifice & lui dreffant des embûches. J'avoue, qu'il y a un grand nombre de gens, qui ne font pas fcrupule de violer les Loix de propos délibéré, toutes les fois qu'ils y trouvent plus d'avantage,

V. S. I..

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5. VII. (1) J'ai pris ici la penfée de mon Auteur, tel le qu'il l'exprime lui-même dans fon Abrégé de Offic, Hom. & Civ. Lib. II. Cap. V. §. 8. mais j'ai laiffé le paffage d'Ariftote, qu'il citoit, parce qu'il s'agit là de toute autre chofe. Le Philofophe parle de cette forte d'Avares, qui refufent de prendre ce qu'on leur veut donner, parce qu'ils craignent d'être obligez de donaer à leur tour. Ainfi ils ne veulent ui recevoir, ni don

qu'à

nes. Οἱ δ' αὖ, διὰ φόβον ἀπέχωνται ἢ ἀλλοτρίων, ὡς ἐ ῥᾴδιον ἢ αὐτὸν καὶ τὰ ἑτέρων λαμβάνειν, τὰ ἢ αὐτό ἐτί ρας μὴν ἀρέσκει ἦν αὐτοῖς, τὸ μήτε λαμβάνειν, μήτε δι dával. Ethic. Nicom. Lib. IV. Cap. III. pag. 46. C. Ed. Parif. Quel rapport a cela avec le fujet, dont il s'agit?

(2) Sed quoniam parum tuta per fe ipfa Probitas eft &C... Adherbal apud Salluft. in Bell. Jugurti..

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