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ne s'y rend pas, mais encore fans fe mettre dans une grande colére. Un ancien Philofophe fait une defcription agréable de ces fortes de gens. (4) Si l'on vient vous dire, que, dans une compagnie, la converfation étant tombée fur cette question, Qui eft le plus grand Philofophe de nos jours? quelcun s'eft mis à dire auffi-tôt, en vous nommant: C'est lui, il n'y en a point d'autre qui puiffe le lui difputer; votre petite ame, qui auparavant n'étoit pas plus haute que de la longueur d'un doigt, s'élève alors de deux coudées. Mais s'il fe trouve qu'un autre de la compagnie aît dit là-deffus: Vous vous moquez: cet homme, dont vous nous parlez là, ne vaut pas la peine d'être écouté. Car que fait-il ? Les premiers élémens; & puis c'eft tout: à ces mots vous voilà comme frappé d'un coup de foudre; vons pâliffez vous tempêtez. Je lui montrerai bien qui je fuis, & qu'il n'y a point de plus grand Philofophe que moi: c'est par de femblables difcours que vous vous vengez d'un outrage fi fanglant. D'où il paroit évidemment, que les befoins mutuels, ou la vanité, font le principe de toutes les liaisons, où l'on entre volontairement; & que ceux qui lient enfemble quelque commerce, fe propofent d'en retirer chacun en particulier ou quelque avantage, ou quelque eftime & quelque gloire, ou enfin quelque plaifir. Hobbes prouve encore cela par les définitions même de la Volonté, du Bien, de l'Honneur, & de l'Utilité. Toutes les Sociétez Humaines fe contractent volontairement. Or là où il entre de la Volonté, il y a auffi toûjours quelque Bien, qui en est l'objet; & chacun ne fe porte qu'aux Biens, qu'il juge lui convenir à lui-même en particulier: car, quelque Bonne que foit une chofe de fa nature, fi elle n'a quelque rapport à lui, il ne s'empreffe guéres à la rechercher. Que le Roi de Perfe, par exemple, foit heureux & content, cela m'importe fort peu, & je ne regarde pas fon état comme un Bien pour moi. Or le Bien eft toûjours accompagné de quelque Plaifir: & ce Plaifir réfide dans l'Esprit feul, ou regarde auffi le Corps en quelque maniére. Tout Plaifir de l'Efprit feul confifte ou dans la Gloire, ou dans quelque chofe qui peut s'y réduire. Les Plaifirs du Corps s'appellent en général des avantages (d) ou des intérêts. Donc toute Société fe forme, ou pour l'Intérét, (d) Commoda, ou pour la Gloire; & par conféquent on y entre non en confidération de ceux, avec qui l'on fe joint, mais uniquement à caufe de foi-même. Or le défir de la Gloire ne fauroit produire aucune Société nombreuse, ni de longue durée. Car la Gloire, auffi bien que l'Honneur, dépendant d'une comparaison, qui fuppofe quelque diftinction ou quelque prééminence (e), elle ceffe d'être ce qu'elle eft, lors qu'elle devient commune, & ne con- (e) Voiez Liv. vient à perfonne, dès qu'elle convient à tous. D'ailleurs les Sociétez, où l'on entre, ne contribuent en rien à nous procurer un jufte fujet de Gloire: tout ce qui nous en revient, c'est que, quand on a des liaisons avec des gens d'une Vertu reconnue, on paffe ordinairement pour avoir autant de mérite qu'eux, ou du moins pour en approcher, & pour y afpirer. Du refte on n'eft eftimé qu'autant (f) qu'on a dequoi fe faire valoir par foi-même, indépendamment du fecours ou du commerce d'autrui. Pour ce qui regarde les avantages de la vie, il eft bien certain qu'on peut fe les procurer & les augmenter par une affiftance mutuelle. Cependant, comme les inftrumens que l'on aime le mieux font ceux qui apportant le plus de profit, coûtent d'ailleurs le moins de frais, de foins, & de peine à aquerir, ou à entretenir: de même il feroit beaucoup plus commode & plus agréable, de n'avoir befoin que d'un fimple commandement pour obliger les autres à nous rendre leurs fervices. Ainfi les Homines feroient fans contredit plus portez à rechercher la domination, que la Société; c'eft-à-dire qu'ils aimeroient mieux commander aux autres, fans dépendre eux-mêmes de perfonne, que de travailler à s'entre-fecourir; s'ils ne craignoient de s'attirer quelque mal en voulant tout faire d'autorité.

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VIII. Chap. IV.
S. II. Note 2.

(f)

Voicz l'hif real Seneque, Eput.

toire de Calvifus Sabinus, dans

XXVII.

panchant pour la

ceffairement,

ciétez Civiles.

& Chap. III. §. 16, & fuiv.

(b) Voiez K Origine Mundi, Cap. IX. 5. 8.

nelm. Digby, de

Seqq.

(c) Ubi fuprà.

&

De ce que §. III. Nous avons fait voir ailleurs (a), que, malgré toutes ces raifons de Hobbes, l'Homme a du l'Homme eft un Animal Sociable, c'eft-à-dire, deftiné par la Nature à vivre en Société Société, il ne avec fes femblables. Mais, fuppofé même que l'Homme fouhaitte naturellement la Sociés'enfuit pas ne té, il ne s'enfuit pas de là néceffairement, qu'il aît une inclination naturelle pour la Soqu'il foit porté à ciété Civile; & la conféquence n'eft pas plus jufte, que le feroit celle-ci: L'Homme fou former des So- haitte naturellement de s'occuper à quelque chofe; donc il a un panchant naturel pour l'étu(a) Liv.II. Chap. de des Sciences. En effet, ce défir naturel de la Société peut être fuffisamment fatisfait par 11. §. 7, & fuiv. le moien des Sociétez Primitives, dont nous avons parlé, & par les liaisons d'Amitié que l'on contracte avec fes égaux. L'Homme, difoit autrefois un Philofophe (1), eft plûtôt un Animal fait pour le Mariage, que pour la Société Civile: car, outre que la premiére de ces liaifons eft la plus ancienne; les Familles font fans contredit plus néceffaires, que les Etats; & la propagation de l'efpece eft une chofe commune à tous les Animaux (b). Voici Comment Hobbes (c) prouve ce que nous venons d'avancer. Les Sociétez Civiles, dit-il, ne font pas de fimples commerces fans engagement, mais des confédérations, qui fuppofent néceffairement quelque Convention. Les Enfans, & les Idiots ne fentent pas la force de ces engagemens; & ceux qui n'ont pas expérimenté les inconvéniens fâcheux, où l'on eft expofe hors des Sociétez Civiles, n'en conçoivent pas l'utilité. Les prémiers, incapables qu'ils font de comprendre ce que c'eft qu'une Société Civile, ne peuvent point proprement y entrer par un acte volontaire: les autres n'en connoillant pas les avantages, ne le foucient pas d'en devenir Membres, ou du moins y vivent de telle maniére, qu'ils ne font aucune réflexion aux beautez & à l'excellence de cet établiffement falutaire. Ainsi, tous les Hommes étant Enfans quand ils viennent au monde, ils naiffent tous par conféquent hors d'état d'être véritablement Membres d'une Société Civile; & la plupart même demeurent toute leur vie dans cette incapacité. En un mot, ce n'eft point la Nature, mais l'Education, qui rend l'Homme propre à la Société Civile. Cela n'empêche pourtant pas, à mon avis, que l'on ne puiflè appeller l'Homme un Animal (2) fait pour la Société Civile, ou naturellement propre à la Société Civile, dans le même fens qu'on dit, que le Cheval eft naturellement propre à aller au grand galop, & non pas l'Ane; le Perroquet, à babiller; une Terre à porter du froment; un Côteau, à produire des raifins ; l'Homme même, à parler, & à apprendre divers Arts & diverfes Sciences: car, quand on par(d) Vaiez Richard le de ce qui convient (d) ou ne convient pas naturellement à l'Homme, on fuppofe des Legib. Natur perfonnes en âge de difcrétion, & qui ne foient pas privées de l'ufage de la Raifon (3).

Cumberland, de

Cap. II. §. 2.

§. 111. (1 Ανθρωπο γδ τῇ φύσει συνδυαςικὸν μᾶλλον ἢ πολιτικόν· καὶ ὅσο πρότερον καὶ ἀναγκαιότερον οἰκία από λέως, καὶ τεκνοποιία κοινότερον ζώοις. Ariftot. Ethic. Nicom. Lib. VIII. Cap. XIV.

(2) C'eft ainfi qu'il a fallu expliquer les termes Grecs d' Arifore, Ζωον πολιτικών, οι φύσει πολιτικόν : car fi j'avois dit Animal Civil, ou Politique, cela auroit été fort équivoque en nôtre Langue.

(3) C'eft-à-dire, (comme le remarquoit nôtre Auteur) que le mot de naturellement n'emporte pas ici l'exiftence actuelle d'une qualité dans un fujet, qui s'en trouve revêtu par la Nature, indépendamment de toute opération antécédente ou du fujet même, ou de quelque autre Etie; mais feulement l'aptitude ou la difpofition à recevoir, moiennant la culture ou l'éducation, certaines perfections dont la Nature fe propofe de l'enrichir, ou qu'elle approuve du moins comme lai étant convenables, ou ne lui répugnant pas. D'ailleurs, il faut remarquer, qu'Ariftote fe fert quelquefois des mots de Zoo Tikov dans un fens general, pour dire fimplement un Animal Sociable, ou fait pour la Société; & non pas précifement un Animal qui ait une inclination natuselle pour la Société Civile, ou qui y foit propre naturellement. [J'ai ajoûté le mot de quelquefois. Je ne fai fi en cela j'ai fuivi exactement la penfee de l'Auteur: mais

§. IV. c'eft du moins ainfi qu'il a dû s'exprimer; car, dans le paffage qu'il a lui-même cité au commencement de ce paragraphe, on voit manifeftement, que Zaov OMITIKÒV eft un Animal fait pour la Société Civile, puis qu'il eft oppofé à Ζῶον συνδυαςικών, ou à un Animal fait pour la Société du Mariage. Quoi qu'il en foit, voici comment il prouve le fens, dont il parle.] Par exemple, Ariftote dit, Politicor. Lib. III. Cap. VIII. p. 345. A. B. Ed. Parif. que l'Homme étant naturellement un Animal Civil (Zãov @ONITIOV) quand même il n'auroit aucun befoin du Secours des autres, il ne laifferoit pas de fouhaitter de vivre avec eux. Or de ce que l'Homme fouhaitte de vivre avec les autres, il ne s'enfuit pas qu'il recherche la Société Civile car il peut fatisfaire ce défir par les Sociétez Primitives, que forme le Mariage, ou la Parenté, & par un commerce familier avec les autres qui n'ont point avec lui de liaifon fi étroite: toutes chofes que l'on conçoit aifement avoir lieu hors d'un Etat. En un autre endroit le Philofophe, pour faire voir que l'Homme eft un Animal Civil, (Zway wonerinev) fe fert de cette preuve, (Politic. Lib. I. Cap. II.) que la Faculté de parler lui auroit ete autrement donnée en vain. Or ce n'eft pas feulement dans la Société Civile que cette Faculte peut être d'ufage; & les Hommes ont fans contredit difcouru ensemble long-tems avant qu'il y eût

:

dans

§. IV. POUR rendre la chofe plus fenfible & plus évidente, il faut confidérer, quel L'Homme eft changement de condition il arrive à ceux qui entrent dans une Société Civile; quelles doi- fuit à bien des vent être les difpofitions d'un bon Citoien; & enfin quels obftacles on remarque dans la blent la Societé nature humaine, qui empêchent que les Hommes ne foient dans ces fentimens.

Du moment que l'on entre dans une Société Civile, on perd fa Liberté Naturelle, & l'on fe foûmet à une Autorité Souveraine, ou à un Gouvernement, qui renferme entr'autres chofes le droit de vie & de mort fur les Sujets, & qui les oblige fouvent à faire bien des chofes, pour lesquelles ils avoient d'ailleurs de la répugnance, ou à n'en pas faire d'autres, qu'ils fouhaittoient paffionnément. La plupart même des Actions d'un Citoien doivent être rapportées à l'avantage de l'Etat, qui paroit fouvent ne pas s'accorder avec celui des Particuliers. Or l'Homme naturellement aime fort l'indépendance: il voudroit tout faire à fa fantaisie, & ne fe propofer jamais que fon propre intérêt. Pour furmonter des inclinations auffi douces & auffi fortes que celles-là, il doit avoir eû de bien puiffantes raifons, & il ne falloit pas moins qu'une espece de néceffité. Ce qui a donc porté les Hommes à former des Sociétez Civiles, ce n'eft pas un panchant naturel, mais le défir d'éviter de plus grands maux.

Civile.

Un (a) Animal véritablement propre à la Société Civile, ou un bon Citoien, c'est, à (a) Zãov worete, mon avis, un homme qui obéit promtement & de bon cœur aux ordres de fon Souve- ir. rain; qui travaille de toutes les forces à l'avancement du Bien Public, & le préfére fans balancer à fon intérêt particulier; qui même ne regarde rien comme avantageux pour lui, s'il ne l'eft (1) auffi pour le Public; qui enfin fe montre commode & obligeant envers fes Concitoiens: tout de même que, comme le difoit autrefois un Philofophe (2), fi les mains on les pieds avoient de la Raifon, & qu'ils compriffent l'ordre naturel des chofes, ils ne formeroient aucun mouvement ni aucun défir, qui ne fe rapportât an bien de tout le Corps.

Mais perfonne n'ignore le peu de difpofition que la plupart des Hommes ont naturellement à ces fentimens désintéreffez. On en voit peu qui rempliffent tous les Devoirs d'un bon Citoien. Il y en a beaucoup, à la vérité, qui font en quelque maniére retenus par la crainte des Peines: mais plufieurs demeurent toute leur vie mauvais Citoiens, Animaux infociables, Membres vicieux d'un Etat. Il n'eft point même d'Animal naturellement plus fier & plus indomtable que l'Homme, ni enclin à plus de Vices capables de troubler la Société. La plupart des Bêtes ne fe battent que pour la mangeaille, qui eft ce à quoi se bornent tous leurs défirs: & lors qu'elles ont leur foû, elles ne vont guéres chercher querelle. Quelques-unes font dangereufes dans le tems du rut; mais cela n'arrive qu'en une certaine faifon de l'année. Et, pour fi grande que foit leur fureur, elles ne s'acharnent que rarement contre celles de même espece.

(3) L'Ours a-t-il dans les bois la guerre avec les Ours?
Le Vautour dans les airs fond-il fur les Vautours?

Et

dans le monde aucun Gouvernement Civil. Voici encore un autre paffage, où l'on trouve le même fens. Le Bien parfait à tous égards eft fuffifant par lui-même. quand je dis fuffifant par lui-même, j'entens qu'il le fuit non feulement pour une seule perfonne qui vit toute feule & bors du commerce des autres, mais encore pour fon Pére & fa Mére, pour les Enfans, pour sa Femme, & en général pour fes Amis & fes Concitoiens; puis que l'Homme eft naturellement propre à la Société, ou fait pour la Société, úsu contin. Ethic. Nicom. Lib. I. Cap. V.

§. IV. (1) Cela fe doit entendre dans un fens négatif, & non pas toujours dans un fens pofitif. Je veux dire, que, pour peu qu'une chofe foit contraire au bien de P'Etat, un Citoien doit s'en abftenir, quelque intérêt particulier qu'il pût y trouver. Mais cela n'empêche pas, qu'il n'y ait des chofes avantageufes à un Citoien, qui ne font ni bien ni mal à l'Etat: &, en ce cas-là,

pourquoi ne pourroit-il pas fonger à fon avantage parti-
culier? C'eft ainfi qu'il faut entendre ce paffage de Ci-
ceron, de Offic. Lib. III. Cap. XXVII. Poteft autem, quod
INUTILE Reipublica fit, id cuiquam Civi utile effe?
Un bon Citoien peut-il trouver avantageux pour lui-
même ce qui eft nuifible à l'Etat ?

دو

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(2) Τίς ἦν ἐπαγίελία πολίτε; Μηδὲν ἔχειν ἰδίᾳ συμεί ρον, πεὶ μηδενὸς βελεύεθς ὡς ὑπόλυτον· ἀλλ ̓ ὥσπερ ἄν εἰ χεὶς ἢ ὁ τὸς λόγισμον εἶχον, καὶ παρεκολέθων τη φυσσα κα κατασκευῇ, ἐδέποτ ̓ ἂν ἄλλως ὥρμησαν, ἢ ὠρίχθησαν, xaveveynites on to oxov. Arrian. Epictet. Lib. II. Cap. X. p. 193.

(3) Je me fuis fervi de ces vers de Mr. Defpreaux, Sat. VIII. qui ont été imitez de Juvenal, Satyr. XV. verf. 159. & feqq. pallage que notre Auteur avoit déja cité ci-deffus, Liv, II. Chap. I. §. 4. Not. I.

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4

L'Animal le plus fier qu'enfante la Nature,
Dans un autre Animal refpette fa figurè,

De fa rage avec lui modére les accès,

Vit fans bruit, fans débats, fans noise, sans procès.

Au lieu qu'il y a fouvent, parmi les Hommes, des divifions & des querelles, produit es non feulement à l'occasion du manger & du boire, ou des aiguillons de l'Amour, auxquels ils font fenfibles en tout tems, mais encore par un effet de plufieurs Vices inconnus aux Bêtes, & fouvent oppofez les uns aux autres. Il faut mettre au prémier rang un défir infatiable de richelles, ou de biens fuperflus (4), & enfuite l'Ambition, le plus cruel de tous les tyrans: deux Paffions, qui étant, comme il femble, particulières à l'Homme, font auffi très-fortes & très-vives; au lieu que les Bêtes ne reçoivent aucune impreffion que des chofes qui font capables de nuire à leur Corps. Ajoutez à cela un vif & long reffentiment des injures, accompagné d'une ardeur de Vengeance, qui paroit plus rare & plus foible dans les Bêtes. Et ce qu'il y a de plus fâcheux, l'Homme fe plait à exercer fa fureur contre les femblables, en forte que la plupart des maux, auxquels la vie humaine est sujette, viennent de l'Homme même. D'où l'on pourroit conjecturer avec affez de vraisemblance, que la raison pourquoi la Providence Divine fait croitre l'Homme beaucoup plus lentement que les Bêtes, c'eft afin qu'à force de tems la férocité naturelle de l'Elprit Humain puiffe être adoucie en quelque maniére, & que les différentes humeurs ne foient pas entiérement incompatibles. En effet, fi prefque en naiffant l'Homme avoit toutes les forces qu'il aquiert peu à peu avec l'âge, il feroit plus intraitable qu'aucune for(b) Voiez Pro- te de Bête (b). Ajoûtez à cela, que toutes les Bêtes d'une même efpece ont à peu près les mêmes panchans & les mêmes défirs; au lieu que, parmi les Hommes, autant de têtes, autant d'inclinations différentes: & la plupart même font fi fort entêtez de ce qui les flatte agréablement, qu'ils regardent avec un fouverain mépris tout autre attachement, comme fort au deffous du leur (c); ce qui feul eft capable de mettre le défordre dans une Société. Bien loin donc que l'Homme foit naturellement un Animal propre à la Société Civile, c'est-à-dire, capable en naiffant de faire les fonctions de bon Citoien (5); tous les foins d'une longue & pénible éducation peuvent à peine le difpofer un peu à cela: pour ne pas étaler ici tout ce que l'on dit ordinairement des vices de la Populace, qui fait la plus grande partie du Genre Humain (d); de forte qu'une des fonctions les plus confidérables de la Prudence (e) Civile confifte à bien connoitre la malice & les fripponneries des Hommes, pour prendre là-deffus fes précautions.

verb. XIII, 24. XXIII, 13, 14. 1, & fuiv.

Ecclefiaftiq.XXX,

(c) Voiez Euripid. Phani.verf.

502. & Segg.

(d) Voiez Du Pielis Mornai, de Rel. Chrét. Chap.

la Vérité de la

XVI.

(c) Voiez Ba

con. de augment.

Scient. Lib. VIII.
Cap. II.

De tout ce que nous avons dit, il paroit en quel fens on peut véritablement appeller l'Homme un Animal propre à la Société Civile; c'est-à-dire, non pas comme fi tous les

(4) L'Auteur alléguoit ici ce paffage de Sallufte, in Catilin. dans la defcription des mœurs des Romains: Igitur primò pecunia, dein imperii cupido crevit ea quafi materies omnium malorum fuêre. Namque Avaritia fidem, probitatem, ceterafque artes bonas fubvertit ; pro his superbiam, crudelitatem, Deos neglegere, omnia venalia habere, edocuit: Ambitio multos mortales falfos fieri fubegit; aliud claufum in pectore, aliud in lingua promtum habe. res amicitias, inimicitiafque non ex re, fed ex commodo aftimares magifque vultum, quàm ingenium, bonum habere. C'eft-à-dire, felon la verfion de Caffagne: "

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Оп

vit premiérement s'élever le defir des richeffes, enfuite celui des dignitez, & de l'un & de l'autre tous les maux prirent leur naiffance. L'Avarice bannit la foi, la probité, & toutes les autres Vertus; elle introduifit l'orgueil, la cruauté, le mépris des Dieux, ,, & la vénalité de toutes chofes. L'Ambition infpira la perfidie à beaucoup de perfonnes, & leur enfeigna à couvrir leurs fentimens par des paroles diffimulees,

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Hom

à ne mesurer les amitiez ni les inimitiez que fur le ,, pied du profit qu'ils en pouvoient retirer, & à prendre » plus de foin de compofer leur vifage, que de régler les fentimens de leur cœur. Voiez encore Hobbes, dans fon Léviathan, Cap. XI. que nôtre Auteur citoit plus bas.

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(5) Platon dit, qu'avec un bon naturel, & une bonne education, l'Homme devient ordinairement le plus excellent & le plus doux de tous les Animaux : mais que, fans l'Education, il feroit le plus fauvage. "Arθρωπο, ως φαυρό, ημερον ὅμως με παιδείας με εξα θῆς τυχὸν καὶ φύσεως εὐτυχές, θειότατον ημερότατόν τε ζώον γίγνες φιλεῖ· μὴ ἱκανῶς ἢ ἢ μὴ καλῶς τραφέν, α Zeltrator orioa pusi yn. De Legib. Lib. VI. pag. 864. E. Ed. Wech. Voiez auffi Ariftot. Polit. Lib. I. Cap. II. in fin. & Ethic. Nicomach. Lib. II. Cap. I. in fin. & Lib. VII. Cap. VII. in fin. & Polyb. Lib. XVII. Cap. XIII. Senec. Epift. CIII. Plutarch, in Ciceron. p. 884. D. Ed. Wech. Lactant, de Ira Déi, Cap. XII. num. 4. Edit. Cellar.

Hommes en général & chacun en particulier étoient naturellement capables de foûtenir le perfonnage de bons Citoiens: mais entant que du moins une partie des Hommes peuvent y être formez par l'éducation; & parce que, depuis la multiplication du Genre Humain, les Sociétez Civiles font abfolument néceflaires pour fa confervation: de forte que, cela pofé, la Nature, qui n'oublie rien de tout ce qui tend à nôtre confervation, ne peut que porter les Hommes à former de telles Sociétez. Il eft certain même, que le principal fruit de la Société Civile consiste à faire en forte que les Hommes s'accoutument à vivre en bons Citoiens.

turelle de cho

Cap. IV. §. 6.

§. V. UN Auteur Moderne prétend, que la Société Civile eft un ouvrage de la Natu- Si les Sociétez re, produit par une enchainûre naturelle de chofes; & voici comment il établit fon Syftê- Civiles fe font me. Le premier Homme, dit-il, & la prémiére Femme, defquels defcend tout le Genre enchainure naHumain (a), furent d'abord unis par l'Amour Conjugal; & la tendreffe paternelle pro- fest duifit enfuite entr'eux, & leurs Enfans, une autre liaison très-étroite. De là fortirent les (a) 7. Frid. Horn. Familles, qui devenant fort nombreuses, & fe multipliant tous les jours de plus en plus, De Cvr. Lib. I.. envoiérent de tems en tems des Colonies en divers endroits, jufques à ce qu'il fe trouva en un même endroit affez de gens pour former un Corps d'Etat. Tout cela, felon nôtre Auteur, fut uniquement l'effet de l'inclination naturelle, que les Hommes ont pour la Société, laquelle inclination fe fortifia par les liens du fang entre les Parens qui demeuroient ensemble. Car c'eft, à fon avis, une pure chimére que de s'imaginer, que les Hommes aient jamais vêcu, comme les Bêtes fauvages, difperfez çà & là dans les bois & dans les déferts, fans avoir aucune retraite fixe.

Mais prétendre, par ce détail de caufes & de fuites naturelles, exclurre entiérement, comme fait le même Auteur, les motifs qui ont porté les Hommes à former des Sociétez Civiles, & les Conventions Humaines qui font intervenues dans cet établiffement; c'est penfer auffi peu jufte que le feroit une perfonne qui raifonneroit ainfi: Une graine femée produit un Arbre: De l'Arbre on fait des poutres & des planches: Des poutres & des planches travaillées & bien ajustées ensemble, il fe forme un Navire; Donc un Navire eft fait par une fuite naturelle de chofes, fans avoir aucune cause particulière ou immédiate,& fans que le travail des Ouvriers & des Artifans y entre pour rien. Je conviens, que, fi quel cun vouloit foûtenir, qu'une grande multitude de gens, qui fe trouvoient au commencement du monde en un même endroit, fe difperfa dans les forêts & dans les déferts, & fe raffembla enfuite pour compofer des Etats; ce Syftême devroit être regardé comme une Fable. Mais il n'eft pas moins faux, ni moins ridicule, de dire, que d'un feul homme & d'une feule femme, comme Adam & Eve, ou, fi l'on veut, des quatre familles qui reftérent après le Déluge, on aît vû fortir tout à coup des Sociétez Civiles, fans aucune raifon particuliére qui obligeât les Hommes à faire un tel établiffement, & fans qu'il y intervint aucune Convention. Car, quoi que les Enfans demeuraffent dans la Famille & fous la difcipline paternelle, jufques à ce qu'ils fuffent venus en âge d'hommes faits; comme, dans ces premiers fiécles, l'Agriculture, & la Vie Paftorale, étoient prefque les feuls mêtiers, d'où l'on tiroit dequoi fubfifter, rien n'obligeoit les Péres à garder auprès d'eux leurs Enfans, auffi tôt qu'ils les avoient mariez. Et il paroit par l'Hiftoire Sainte, que les Enfans, fur tout ceux qui étoient fréres de Pére, s'en alloient, lors qu'ils fe trouvoient en état de faire eux-mêmes les fonctions de Péres de famille, chercher l'un d'un côté, l'autre de l'autre, quelque endroit pour s'établir: à quoi ils avoient d'autant moins de peine à fe réfoudre, qu'ils trouvoient par tout des terres inhabitées, & que les Climats éloignez étoient quelquefois plus agréables, que ceux où ils étoient nez (b). Il eft vrai, que les (b) Voiez Genef.. Fréres ont de la tendreffe les uns pour les autres; mais cela n'empêche pas qu'ils n'aiment Homer. Ody mieux vivre dans une entiére égalité, que de dépendre l'un de l'autre; & leur amitié en Lib.IX. verf. 113. eft même plus grande & plus durable, lors qu'ils ont leurs affaires à part. Ainfi la mul- des anciens hatiplication du Genre Humain, dans fes commencemens, étoit plus capable par elle-même birans de la Si

XIII, 5, 6, 9. &.

&feqq. au fujet

cile. de

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