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Des Mariages ir

§. IX. IL faut voir maintenant, en quoi confifte l'engagement du Mariage felon la Loi reguliers, com- Naturelle toute feule, & quel droit on aquiert de part & d'autre par cette forte de Con

me ceux des A

mazones.

(b) Voiez Justin.

rian. A

cop. Hift. Goth.

Jornand. de reb.

Getic. Cap. VIII.

Quæft. Acad. II.

vention.

Je fuppofe ici d'abord, que tous les Hommes font naturellement égaux, en forte qu'aucun d'eux n'a aucune autorité fur les autres, s'il ne l'a aquife en vertu de quelque acte, ou de leur part, ou de la fienne. Car, quoi que d'ordinaire les hommes furpaffent les femmes à l'égard de la force du Corps & de l'Esprit, cet avantage par lui-même ne donne point au féxe mafculin l'empire fur le féminin. Tout le droit que l'homme a fur la femine, vient donc ou du confentement de la femme même, ou du pouvoir qu'il a aquis fur elle par une Guerre jufte. Mais, comme le lien le plus naturel du Mariage eft l'inclination & l'affection mutuelle, le confentement fait proprement une Epouse, au lieu que la force n'est guéres propre qu'à faire une Efclave; & ceux qui ont voulu fe marier avec une femme (a) Voiez Deut. qu'ils avoient prife par droit de guerre, ont ordinairement adouci envers elle la rigueur de XXI, 10. & fuiv. l'autorité defpotique (a). Si l'on conçoit donc plufieurs perfonnes dans l'état de l'Egalité Lib. II. Cap. IV. & de la Liberté Naturelle, il peut arriver qu'une femme, auffi bien qu'un homme, Diod. Sic. Lib.II. fouhaitte d'avoir des enfans, qui foient fous fa puiffance. Pour cet effet, il faut qu'elle Fan: de exp. 1- falle avec quelque homme une Convention, par laquelle ils s'engagent à s'accorder rélex. Lib. VII. Pro- ciproquement l'ufage de leur corps. Si la Convention fe réduit uniquement à cela, & Lib.IV. Palaphat. que l'on ne parle point de demeurer perpétuellement ensemble; ni l'homme, ni la femLib.I.C.XXXIII. me, n'auront aucune autorité l'un fur l'autre, ni aucun autre droit que celui d'exiger l'un VIII. de l'autre l'ufage de leur corps pour la propagation de l'efpece: & les enfans, qui naitront, & Steph. Clerici feront fous la puiffance de la mère, fi elle a ftipulé que c'étoit pour elle qu'elle vouloit avoir (c) Voiez Quint. de la lignée, & non pas pour celui qu'elle rendroit pére. Cette forte de Mariage, qui est Curt. Lib. VI. C. aflez fimple & affez irrégulier, peut être appellé Mariage à la façon des Amazones, par V. Quelques-uns allufion à l'Hiftoire, vraie ou (b) fauffe, de ces femmes guerrières, qui ne fouffrant point meme motif le d'homme dans leur Pais, en alloient trouver de tems en tems chez leurs Voifins, & dont voiage de la Rei- une Reine, nommée Thaleftris (c), voulut avoir d'Alexandre le Grand un enfant, non ne de Saba pour voir Salomon. batard, mais réputé légitime. On raconte (d), que les principales Armées du Roiaume de (d) Eduard. Lo- Monomotapa font compofées de femmes, qui demeurent dans un coin du Pais que le Roi pez, de Regn. Congo, Lib. II. C. leur a donné en particulier, & qui en certains tems vont choifir tel homme qu'il leur plait, IX. Voiez auffi pour en avoir de la lignée, en forte que, s'il naît des filles, elles les gardent, & les drefDefcript. E- fent enfuite au mêtier de la guerre, mais elles laiffent les garçons aux péres. Je ne fai thiop. Cap. 133. pourtant fi l'on peut rapporter ici ce que l'on raconte (e) des Agiléens, chez qui les femmes étoient maitreffes abfolues de leurs Maris, & accordoient leurs faveurs à tout autre, quand (e) Mich. Glycas, bon leur fembloit, fans qu'ils en fuffent jaloux: elles cultivoient auffi la terre, batiffoient les (f) Voiez Thuan. maifons, & faifoient en un mot toutes les fonctions des hommes. Quoi qu'il en foit, fi ces Hift. Lib. XIII. fortes de Mariages fentent un peu la barbarie & la licence des bêtes; cela n'empêche pas, 1554. Lib. XX. qu'il ne puiffe y avoir, comme on en voit effectivement parmi les Nations les plus civiliad ann. 1558. & fées, des Mariages, qui ne donnent ni au Mari, ni à la Femme, aucune autorité l'un init. Marian. Hiß. fur l'autre, ou qui même foûmettent le Mari à l'empire fouverain de la Femme; comme Hifp. Lib. XXIV. quand une Princeffe, héritière d'un Roiaume, conserve elle feule, en se mariant, le PouC. V. Guicciard. Voir Souverain de l'État (f). Autrefois même, en Egypte, les Contracts de Mariage des (g) Diod. Sic.Lib. (g) Particuliers, auffi bien que celui du Roi & de la Reine, donnoient à la Femme l'autorité fur le Mari.

attribuent au

Franc. Alvarez,

lo, Cap. XIX.

Ann. Part. II.

ad ann. 1553. &

Lib. XXXVII. ab

Lib. VI. p. 178.

1. Cap. XXVII.

Loix du Mariage régulier.

§. X. MAIS, fans nous arrêter plus long-tems à ces Mariages irréguliers, parlons de ceux qui font plus conformes à la conftitution de la Nature Humaine. Le caractére de l'un & de l'autre féxe demande fans contredit, que l'engagement du Mariage régulier commence par l'homme, & qu'ainfi l'homme recherche la femme, & non pas la femme l'homme. Car quoi qu'en certains endroits ce foit un ufage affez commun, que les parens de la fille portent la proposition de Mariage au jeune homme, cela ne fe fait

qu'afin

qu'afin que le choix de ce jeune homme tombe fur cette fille, & qu'il vienne la demander. Čela pofé, il est clair, qu'un homme, qui fe marie, veut avoir des enfans qui foient à lui, & non pas des enfans fuppofez, ou bâtards. Ainfi, avant toutes chofes, la femme doit promettre à l'homme, qui l'époufe, de n'accorder l'ufage de fon corps à d'autre qu'à lui feul. Et fi, en (a) certains endroits, les Maris font affez lâches pour difpenfer leurs (a) Voiez AloyFemmes de ce devoir, c'eft contre toutes les maximes de la Raifon, & même contre les fus Cadamust. Navigat. Cap. fentimens ordinaires de tous les Hommes. LXXV. Ludov.

Cap. VII. Pietro

Scotic. Lib. IV.
Polydor. Virg.

thema, Part. II.

Venet. Lib. II.
Cap. XXXVIII.

(b)Voiez Ariftot.
Oecon. Lib. 1.

De plus, on voit encore manifeftement, que rien n'eft plus contraire à l'ordre de la So- Roman. Lib. V. ciété Humaine, qu'une vie vagabonde, où l'on n'a ni feu ni lieu (b). D'ailleurs, le meil- della Valle, Part. leur moien d'élever les enfans, c'eft que le Pére, & la Mére, uniffent leurs foins pour beg. Epift. III. III. Ep. VII. Busveiller à l'éducation de ces chers gages de leur amour, qui en ferrent les nœuds plus étroi- Buchanan. rer. tement (c). C'eft auffi un grand plaifir pour des gens mariez, bien affortis, que d'être Scot toûjours enfemble: & par là en même tems le Mari peut être plus affûré de la chafteté de Hin. Angl. Lib. fon Epoufe, que fi elle ne demeuroit pas avec lui. D'où il s'enfuit, que le Mariage régulis. C. XL. in fin. lier, le plus parfait, & le plus conforme au Droit Naturel, & à la conftitution de la Vie ibique Boxhorn. Civile, renferme, outre la promeffe de s'accorder l'un à l'autre l'ufage de fon corps, un Ludovic, di Barautre article, par lequel la Femme s'engage à être toûjours auprès de fon Mari, à vivre Cap.XI. M.Paul. avec lui dans une fociété très-étroite, & à ne faire avec lui qu'une même famille, pour Venet. élever plus commodément leurs enfans, & pour fe donner l'un à l'autre un fecours & un plaifir mutuel (d). Ce qui (1) renferme une promeffe tacite de fe conduire l'un envers l'autre d'une maniére conforme à la nature & au but d'une telle fociété (2). Cela fait voir clairement, pourquoi c'eft au Mari à régler le domicile, & non pas à la Femme. Car le Mari a reçû la Femme dans fa Famille, & non pas la Femme le Mari: par conféquent il en eft le chef & le directeur dans tout ce qui concerne les affaires du Mariage & de la Famille. Ce n'eft pas qu'en matiére même de ces fortes de chofes on ne doive avoir des égards pour une Femme, fur tout fi elle a apporté du bien; à moins qu'on n'ait de grandes raifons d'en ufer autrement. Il paroit auffi par là, que les Loix du Mariage ne permettent pas à une Femme de voiager fans le confentement de fon Mari, ni de faire lit à part, ni de lui refufer l'ufage de fon corps fans de bonnes raifons. C'est là enfin le fondement de la maxime ordinaire, que chacun paffe pour fils du Mari de fa Mére; à moins qu'il n'y aît de fortes preuves, qui détruifent cette préfomtion (3). Car une Femme aiant promis à fon Mari, de ne communiquer fes faveurs qu'à lui feul; il y a lieu de croire, qu'elle ne viole point la foi conjugale, tant que le contraire ne paroit pas clairement. D'autre côté, le Mari pouvant veiller à la conduite de fa Femme, on préfume (e) qu'il s'eft bien fervi de fon droit. Les Loix d'Angleterre étendent pourtant un (e) Voiez Hero

§. X. (1) J'ai ajoûté cette petite période, tirée de l'Abrégé de notre Auteur, de Offic. Hom. & Civ. Lib. II. Cap. II. §. 4.

(2),, Un bon mariage, dit Montagne, eft une douce ,, focieté de vie, pleine de conftance, de fiance, & ,, d'un nombre infini d'utiles & folides offices, & obli"gations mutuelles. Aucune femme, qui en favoure le » gouft,

optato quam junxit lumine tada,
Cat.

,, ne voudroit tenir lieu de maiftreffe à fon mari. Si
elle eft logée en fon affection, comme femme, elle y
,, eft bien plus honorablement & feurement logée.
» Quand il fera l'esmeu ailleurs, & l'empreffé, qu'on
,, lui demande pourtant lors, à qui il aimeroit mieux
arriver une honte, ou à fa femme, ou à fa maiftreffe,
de qui la desfortune l'affligeroit le plus, à qui il
defire plus de grandeur: ces demandes n'ont aucun
doubte en un mariage fain. Ce qu'il s'en voit fi peu
,, de bons, eft figne de fon prix & de fa valeur. A le
», bien façonner & à le bien prendre, il n'eft point de

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"

Cap. III. & Xe noph. Cyrop. Lib. vil. p. 116. Edir. H. Steph. (c) voiez Genef. XXIX, 32. Lyfias, Orat. I. Cap. 11. verf. 407. (d) Demofth, in in Oecon. Colu-

Senec. Herc. Oet.

Nearam; Xenoph.

mell. de Re Ruft.
Lib. XII. Præfat.

Martin. Hift. Sin.
Lib. III. Cap.
Declam. 249.

XXVIII. Quintil.

dote, Lib. I. pag. peu 3. Ed. H. Steph.

,, plus belle piece en nôtre focieté.... C'eft une con- Platon. Alcibiad. vention, à laquelle fe rapporte bien à point ce qu'on I. pag. 441. Ed.

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dit; homo homini ou Deus, ou lupus. Il faut la ren- Wech.

», contre de beaucoup de qualitez à le baftir.... Ceux

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qui entreprennent ce marché, pour s'y porter avec

,, hayne & melpris, font injuftement & incommode-
,, ment.... Le mariage a pour fa part l'utilité, la jufti-
,, ce, l'honneur, & la conftance, un plaifir plat, mais
,, plus univerfel. L'Amour fe fonde au feul plaifir; &
l'a de vrai plus chatouilleux, plus vif, & plus aigu &c.
Effais, Liv. III. Chap. V. pag. 630, 631, 632. Ed. de Pa-
ris, in fol. C'est ce que dit une Nourrice, dans l'Octavie
de Senéque, verf. 186. & feqq.

"

Juvenilis ardor impetu primo furit:
Languefcit idem facilè, nec durat diu

In Venere turpi, ceu levis flamme vapes.
Amor perennis conjugis cafta manet.

(3) Voiez ci-deffus, Liv. IV. Chap. XI. §. 10. & Aul.
Gell. Lib. III. Cap. XVI. Plin. Hift, Nat. Lib. VII.
Cap. V.

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Angl. Part. J. Cap. XVI.

(f) Eduard.Cham- peu trop loin l'indulgence pour les Femmes, puis qu'en vertu de cette préfomtion (f) de berlain, Notit. leur fageffe, elles obligent un Mari à reconnoître pour fien un enfant, dont fa Femme a accouché pendant une abfence de plufieurs années, pourvû qu'il ne foit point forti de l'Ile. Mais ce n'eft pas fans quelque fondement, que l'opprobre de l'impudicité d'une Femme rejaillit d'ordinaire un peu fur fon Mari, parce que l'on fuppofe, que, par imprudence, ou par lâcheté, il n'a pas fû bien ufer de fon pouvoir: quoi que, felon d'autres, ce des() Voiez Der honneur du Mari vienne de ce que l'on regarde l'infidélité de fa Femme, comme une marque, qu'il n'a pas les qualitez néceflaires pour fe faire aimer, ou pour mériter que fa Femme lui foit fidele (g). Quoi qu'il en foit, lors qu'un Mari ne peut pas aifément remédier VIII. Demofth. à ce malheur, ou qu'il auroit beaucoup à craindre en fe vengeant, le plus fûr eft de suivre cette maxime:

cartes, Traité des Paffions, Art. CLXIX. Sueton. in Domitian.Cap.

Orat. in Near.

Tacit. Annal.

Lib. II. Cap.
LXXXV. Digeft.
Lib. XLVIII.Tit.

V. Ad Leg. Jul.
de adult. coërc.

(h) Charron, de la

(VI.) §.9.num.8.

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5. 6. & C'eft en ce cas-là feulement qu'on peut admettre la penfée d'un Auteur François (h), qui Leg.XXIX.princ. met au rang des folles opinions, dont tout le monde est abbreuvé, celle de tenir à grand inSageffe, Liv. I. jure & defeftimer, comme miferable, un homme, pour eftre cocu: car quelle plus grande Chap. XXXIX. folie en jugement, que d'eftimer moins une perfonne, pour le vice d'autrui, qu'il n'approuve Voiez Gratian. Pas (5) Au refte, comme une Femme n'eft point coupable d'adultére, lors qu'après bien Cauf. XXXII. des réfiftances elle (i) fuccombe à une force majeure; il n'y a point non plus de deshonQuat.V. Cap.II. neur à garder celles à qui un pareil malheur eft arrivé. On ne doit pourtant pas blâmer ce que fit le Roi David, lors qu'il ne voulut plus avoir de commerce avec fes Concubines, après qu'elles eurent été violées par son fils Abfalom (k).

&feqq.

(k) 11. Samuel,

XX, 3.

Quel eft le fon

dement de l'au

torité du Mari fur la Femme?

(a) Genef. 111,16. - Ephef. V, 22. &c.

§. XI. UNE autre chofe qu'il faut examiner ici, c'eft fi, par le Droit Naturel tout feul, les Conventions fondamentales du Mariage parfait donnent au Mari fur fa Femme une autorité proprement ainfi nommée? Il eft conftant, que l'Ecriture Sainte preferit formellement aux Femmes (a) d'être foûmiles à leurs Maris, comme à leurs Maîtres. Mais, cette Loi étant établie en forme de peine, elle pourroit bien n'être que de Droit Pofitif. Pour découvrir donc ce que le Droit Naturel établit là-deffus, il faut remarquer d'abord, que l'on ne dépend pas de l'empire de quelcun par cela feul que l'on eft obligé de fe conformer en certaines chofes à fa volonté car on peut être dans cette néceffité par l'effet d'une fimple Convention. En effet, il y a des Contracts, fur tout du nombre de ceux, où l'on donne, afin qu'un autre faffe quelque chofe pour nous, & de ceux où l'on fait, afin que l'autre Contractant faffe à son tour quelque chofe en nôtre faveur; à l'égard desquels, dès le commencement, il étoit entiérement libre de part & d'autre de s'engager, ou non: mais, auffi-tôt que le traité eft conclu, il faut néceffairement que l'un des Contractans fuive la volonté de l'autre dans l'affaire, dont ils font convenus, fans que l'autre au contraire foit tenu à fon tour de fe conformer à la volonté du premier. Ainli, quoi que, dans ce qui concerne particulièrement le Mariage, la Femme foit tenue de fe régler fur la volonté de fon Mari; il ne s'enfuit pas de cela feul, qu'elle dépende néceffairement de lui dans toutes. Les autres actions. De plus, le but du Mariage n'eft pas, comme celui de la formation des

(4) C'est ainsi que j'ai exprimé ces paroles que nôtre Auteur donne comme de l'Hippolite d'Euripide, mais que je n'ai pu trouver ni dans cette Piéce, ni dans ausune autre du même Poëre: Εν σεφαῖσι τάδ' ἐςὶ θνητῶν λανθάνειν τὰ μὴ καλά. J'ai emprunte, comme on voit les deux derniers vers de l'Amphitryon de Moliére, qui conviennent d'autant mieux ici, qu'ils regardent précifément le même fujet; au lieu que, fi l'on favoit l'endroit du paffage Grec, on verroit peut-être que c'eft une fenence fort generale, ou appliquée même à un tout autre fujet: car notre Auteur cite fouvent à la manière des Predicateurs. Il renvoioit encore ici à Plutarque, de ani

mi tranquill. pag. 467. E. F.

So

(5) Notre Auteur faifoit ici une remarque rare & curieufe; c'eft que le mot de Cornard n'eft pas nouveau, ni en ufage feulement dans nôtre Occident; car l'Empereur Andronic fit pendre des cornes de cerf aux portiques d'une place publique, non pas tant pour garder un monument de la belle chofe qu'il avoit faite, que pour reprocher aux femmes de la ville de Conftantinople, leurs galanteries & leurs debauches. Nicetas Acominat. de Imp. Andron. Lib. II. La belle chose que l'érudition!

Sociétez Civiles, de fe mettre en fûreté & de fe défendre les uns les autres, mais feulement de travailler à la propagation du Genre Humain. En effet, cette fociété eft composée d'un trop petit nombre de gens, pour qu'ils puiffent s'entre-fecourir par leurs forces unies enfemble: car de quel fecours peut être une femme? Il femble donc, que le Mariage puiffe confifter uniquement dans une fimple Convention, & dans une liaison d'amitié, où il n'entre rien de femblable à cette autorité fouveraine, fans laquelle on ne fauroit conce voir les Sociétez Civiles. J'avoue, qu'une Famille, fur tout lors qu'elle vit entiérement féparée de toute autre, & dans une entiére indépendance, a quelque rapport avec un petit Etat, de forte qu'une Femme, qui y entre, doit fe foûmettre à la direction de celui qui en eft le Chef: car ce feroit une chofe fort irrégulière, qu'il y eût deux Chefs dans une Famille, ou qu'un Membre de la Famille ne dépendit point du Chef. Mais il faut remarquer, que l'union des Familles, fur tout de celles qui renferment un grand nombre d'Efclaves ou de Domestiques, peut avoir deux fins; l'une, qui lui eft commune avec celledes Sociétez Civiles; l'autre toute particulière. La premiére confifte à fe procurer une fûreté & une défense mutuelle par les forces réunies de plufieurs perfonnes. A cet égard il faut fans contredit quelque autorité fouveraine: mais, comme une Femme ne peut guéres être d'aucun fecours pour repouffer les infultes d'autrui, il fuffit qu'elle aît avec fon Mari une simple liaison d'amitié, fondée fur l'engagement où elle eft entrée par la Convention du Mariage. Ainfi, quoi que le Patriarche Abraham régnât dans fa Famille, il (b) Voiez Genes femble avoir traité Sara fa Femme, comme une (b) Sœur. Le but particulier de l'union XVI,2, 5, 6. XXI, d'une Famille, ou la fin propre & directe du Mariage, ne demande pas non plus nécef- (c) 1. Pierre, III, fairement, que le Mari, ou la Femme, aît l'un fur l'autre une autorité proprement ainfi 6. (d) Cafar, de Bell. dite, qui renferme le droit de vie & de mort, ou le pouvoir d'ufer de quelque correction Gall. Lib. VI. C. un peu rude. Cependant, comme en vertu de la Convention du Mariage la condition du XIX. Voiez enMari eft plus avantageufe, que celle de la Femme; & que d'ailleurs le fexe mafculin eft gal. Lib. XIII. naturellement plus noble que le féminin: il réfulte de là une efpece d'Alliance inégale, par Cap. XXXII. & laquelle le Mari eft engagé à protéger fa Femme, & la Femme de fon côté doit du refpect XIX. Euripid. à fon Mari. D'où vient que Sara eft fort louée par les Ecrivains facrez, de (c) ce qu'elle Med. verf. 230. étoit foumise à Abraham, & qu'elle l'appelloit fon Seigneur. (1) Ce n'eft pas qu'il répugne Gell. Lib. X. C. au Droit Naturel, qu'une Femme dépende de l'empire proprement ainfi dit de fon Mari: xXIII. £lian. V. car une telle fujettion n'eft pas plus incompatible avec l'amitié conjugale, que l'amour des Hift. Lib. XII. Sujets pour leur Souverain, avec l'obéiffance qu'ils lui doivent. Rien n'empêche donc, Bern. Varen. def qu'un Mari ne ftipule dans le Contract de Mariage, qu'il aura fur fa Femme une autorité cript.Japon. Cap. abfolue; & il y a même eû des Nations entiéres, parmi lesquelles cela étoit ainfi établi par gb.Lib.IV.Cap. une Loi générale; comme, par exemple, chez les anciens Gaulois, où les Maris (d) avoient iv. Tit. III. droit de vie & de mort fur leurs Femmes, auffi bien que fur leurs Enfans.

10, 11, 12.

core Tacit. An

German. Cap.

& feqq. Aul.

Cap. XXXVIII.

XIII. Lex Wifi

(e) Voiez Varen. Defcript. Japone

Cap.XV. Xenoph.

Politiis: Mela,

A l'égard du droit que le Mari a de difpofer des biens de fa Femme, cela dépend auffi, Cap. XII. Sotin. ou de leurs Conventions, ou des réglemens des Loix Civiles. Car s'il eft établi par auto- exped. Cyri, Lib. rité publique, que l'on affignera une dot aux Femmes; ou que les biens du Mari, & de Vil. Heraclid, de la Femme, feront communs; ou que le Mari aura le pouvoir, ou abfolument, ou avec Lib. II. Cap. 11. quelque reftriction, de difpofer des biens dotaux de fa Femme; il faut s'en tenir à ces Heredet. Lib. 1. conditions, ou à d'autres femblables, qui fe trouvent réglées par les Loix, auxquelles Lib. IV. Cap. I. on eft foûmis (e). Mais fi elles n'ont rien déterminé, ou fi l'on vit dans la Liberté Dig. Lib. XXIV. Naturelle; ceux qui fe marient peuvent faire là-deffus telle Convention que bon leur femble.

§. XII. POUR éclaircir cette matiére, il eft bon d'examiner ici les principes d'un (a) Auteur moderne. Il réfute d'abord ceux qui prétendent, que l'autorité du Mari fur la Fem

§. XL. (1) Inferior Matrona fuo fit, Prifce, Marito:

Non aliter fuerint fæmina, virque, Dares.

Martial, Lib. VIII. Ep. XII. v. 3, 4.

Alian. V. H.

Tit. I.

Certe autorité ne vient pas in

médiatement de me DIEU.

(a) 7. Frid. Horn.

Voicz le Panegyrique de Pline, Cap. LXXIII. num. 4. de Civitate, Lib.1.

& 7.

Cap. I.

me vienne de la Nature. Et il a raison, fi par là on entend, que la Nature elle-même donne l'empire au Mari, indépendamment de toute Convention, & de la foûmiffion volontaire de la Femme: car cela eft contraire à l'égalité naturelle des Hommes; & de cela feul que l'on eft propre à commander, il ne s'enfuit pas qu'on en aît le droit actuellement. Čet Auteur prétend enfuite, qu'il ne fauroit y avoir aucune autorité, ni publique, ni particuliére, d'un Homme fur un autre Homme, fans un établissement divin très-exprès, & fans •une intervention toute particulière de DIEU. Mais il faut remarquer ici, que, quand on examine l'origine & le fondement de l'autorité ou de l'empire humain, on en cherche proprement la Cause Seconde, prochaine & immédiate; & qu'on fuppofe toûjours la Caufe Premiére & Univerfelle. Ainfi, quand même Dieu auroit formellement prefcrit aux Hommes d'établir quelque ordre parmi eux; il resteroit toûjours à voir, quelles Conventions les Hommes ont fait enfemble, pour exécuter ce commandement de Dieu. Car il eft rìdicule de s'imaginer, que Dieu foit l'auteur des Etres Moraux, de la même manière qu'il eft le Créateur du Ciel & de la Terre, & qu'il ait produit les premiers, comme les derniers, immédiatement & fans le miniftére d'aucune Créature. Il avoit ordonné la conftruction du Tabernacle des Juifs; & cependant ceux qui travaillérent à cet ouvrage, ne laiffent pas de pouvoir en être appellez la Caufe prochaine & immédiate. Encore donc que Dieu aît ordonné aux Femmes d'obéir à leurs Maris, cela n'empêche pas, que, pour établir actuellement l'autorité du Mari, il ne faille une Convention, par laquelle la Femme s'y foûmette, & qui rende immédiatement le Mari maître de fa Femme de même qu'il faut fans contredit aller à la chaffe, quoi que Dieu aît donné aux Hommes l'empire fur les Bêtes de la Terre. Mais, ajoûte-t-on, la Femme n'a pas l'autorité d'un Mari: donc elle ne peut pas la conférer à celui qui l'épouse. Beau raifonnement! comme fi les Conventions humaines n'avoient pas la vertu de produire une Qualité Morale, qui avant cela n'exiftoit pas formellement! Pour établir une autorité, il n'eft donc pas néceffaire, qu'elle paffe d'une perfonne, qui en étoit revêtue, à une autre à qui on la confére, de même que, pour transférer à quelcun une chofe matérielle, ou une Subftance Phyfique, il faut qu'elle exifte auparavant: mais il fuffit, que l'on fe dépouille en faveur d'un autre du droit naturel que l'on avoit de lui réfifter, & qu'on lui promette de fe foûmettre à fa volonté. On allégue encore ici la fentence, par laquelle Dieu condamna Eve, nôtre premiére Mére, à dépendre de l'empire de fon Mari, en punition de ce qu'elle l'avoit féduit. Mais il ne s'enfuit pas de là, que, depuis le péché, l'autorité d'un Mari fur fa Femme ne foit pas fondée fur leurs Conventions, comme fur une Caufe prochaine & immédiate. Car ce qui tient lieu de punition pour les Femmes dans la fujettion où elles font à l'égard de leurs Maris, c'eft qu'elles fubiffent le joug avec répugnance, étant perpétuellement agitées de la paffion de dominer: au lieu que la néceffité d'obeir n'auroit rien de dur ni de mortifiant pour elles, fi elles étoient difpofées à écouter leur Devoir; comme il paroit par l'exemple des Anges, qui n'en font pas moins heureux pour exécuter les ordres de Dieu avec une entiére foûmillion. Tout le confentement, ajoute-t-on, qu'il y a ici de la part de la Femme, fe réduit à accepter celui qui la demande en mariage; par où elle s'engage tacitement à fe foumettre à l'empire qu'un tel homme aura de droit fur elle en qualité de Mari, par un effet de l'établillement divin. Vaine fubtilité! comme fi l'on difoit, qu'un Voiageur ne bâtit pas la maifon, où il va loger, mais que la trouvant toute bâtie, il y entre de fon pur mouvement. Mais il faut bien prendre garde, que l'autorité d'un Homme fur un autre Homme, confidérée comme un Etre Moral, n'existe point fans quelque acte humain, & ne fauroit être conçue fans l'obéiflance. Car il n'y a point de Femme, qui foit obligée à obéir, avant que, par fon propre confentement, elle fe foit foumise à l'empire de fon Mari. Et, quoi que cette foûmiffion foit conforme à la volonté divine; cela n'empêche pourtant pas, que la Promeffe de la Femme ne foit la caufe prochaine & immédiate de l'autorité de fon Mari.

§. XIII.

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