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§. VIII. VOILA en général ce qui augmente ordinairement le Prix des chofes; & par Du Prix réglé conféquent les circonftances contraires le diminuent. Mais pour déterminer le Prix de telle par les Loix. ou telle chofe en particulier, & pour le taxer fur un pied raisonnable, on se régle fur d'autres confidérations.

Il faut remarquer d'abord, que, dans la Liberté Naturelle, il eft permis à chacun de mettre tel Prix qu'il veut à ce qui lui appartient; chacun, dans cet état-là, aiant plein pouvoir de difpofer abfolument de fon bien & de fes actions. En effet fi quelcun vouloit apprécier le bien d'un autre, il dépendroit toûjours de celui-ci d'aquiefcer, ou non, à l'eftiination du premier, & ainfi il feroit toûjours au fond le véritable eftimateur de fon bien. Suppofé même qu'il le mit à un prix exceffif, perfonne ne fauroit s'en plaindre: car qu'importe aux autres que l'on fe forge une trop haute idée de fes propres richefles? Si le prix leur paroit exorbitant, ils n'ont qu'à laiffer nôtre marchandife: ou, s'ils veulent l'avoir, il faut qu'ils en donnent ce que nous en demandons. D'autre côté, lors que l'on a envie de débiter fes marchandises, on doit fe contenter de ce qu'en veut donner un Acheteur dédaigneux, à qui on va les offrir. On n'a donc fujet de fe plaindre que quand un au tre, par pure inhumanité, ou par haine & par envie, nous refufe, dans nôtre befoin, de nous vendre des chofes dont il a abondance, ou ne veut nous les vendre qu'à des conditions très-onéreufes. D'où il s'enfuit, que, dans l'Etat Naturel, le Prix de chaque chofe dépend uniquement des Conventions des Contractans, & que, pourvû qu'on ne fe prévaille pas inhumainement de l'indigence d'autrui, on peut, fans violer les Loix. du Commerce (a), profiter des occafions qui fe préfentent de faire quelque gain confi- (a) Voiez Genef. dérable.

XLI, 49. &
XLVII, 13. &

! naturel.

Mais, dans les Sociétez Civiles, le Prix des chofes fe régle de deux maniéres, ou par, fuiv. l'ordonnance des Supérieurs, c'eft-à-dire, par la Loi; ou par l'eftimation commune des Particuliers, accompagnée d'un confentement mutuel des Contractans. La premiére forte de Prix s'appelle Prix Légitime; & l'autre, Prix ordinaire, ou (b) Prix courant. A l'é- (b)Quelques-uns gard du Prix Légitime, on préfume ordinairement qu'il eft conforme aux maximes de la l'appellent Prix Juftice & de l'Equité; à moins que le contraire ne paroiffe évidemment: car une craffe ignorance; & plus fouvent encore l'envie de favorifer les Acheteurs ou les Vendeurs, au préjudice les uns des autres, foit parce que l'on a été gagné par argent, ou pour quelque autre raifon; enfin le défir d'attirer à foi-même le profit, peuvent caufer ici une grande difproportion entre le Prix réglé par les Loix, & la jufte valeur des denrées ou des marchandifes. Ce Prix Légitime confifte prefque dans un point indivisible, en forte que, fi l'on va tant foit peu en deçà, on commet une injuftice. Lors qu'on a taxé le Prix en faveur des Acheteurs, comme cela fe fait le plus fouvent pour cette raison; le Vendeur ne fauroit légitimement rien exiger au delà. Mais l'Acheteur peut, du confentement du Vendeur, paier quelque chofe de moins; bien entendu que ce qu'il lui donne ne demeure pas au deffous du plus bas degré de la valeur naturelle ou intrinféque de la marchandife. Et rien n'empêche que le Vendeur ne rabatte quelque chofe du Prix réglé par les Loix, pourvû que par là il ne faffe point de tort aux autres Marchands. Que fi le Prix a été taxé en faveur des Vendeurs, l'Acheteur ne fauroit légitimement obliger le Vendeur à fe contenter de moins; quoi que celui-ci puiffe, s'il veut, en rabattre quelque chofse, chacun aiant la liberté de renoncer à fes avantages. Mais, en ce cas-là, il eft permis au Vendeur de prendre davantage que le Prix réglé, pourvû que ce furplus ne pafle pas le plus haut degre de la valeur naturelle des marchandifes. Au refte, il eft plus ordinaire de taxer le falaire en faveur de ceux qui travaillent pour autrui, que non pas le prix des marchandifes en faveur de ceux qui les vendent (1).

S..VIII. (1), II y a, ajoûtoir ici nôtre. Auteur, des maniéres adroites & indirectes d'empêcher que les chofes ne fe vendent trop cher, fans les taxer formellement. Par exemple, dans les Etats de l'ancienne Gréce, il étoit

§. IX.

défendu aux Vendeurs de poiffon de s'affeoir au marche,
afin que las de demeurer debour, ils vendiffent bien-tôt
leurs poifions à un prix raisonnable, & n'en apportaflent
que de bien frais,
§. IX..

Da Prix ordinai

rant.

§. 14. num. 1.

citée ci-deffus, S. 7. Note 2. & Ariftot. Ethic.

§. IX. POUR le Prix ordinaire, qui n'eft point réglé par les Loix, il a quelque étenre, ou Prix con- due, en forte que l'on peut exiger, & donner quelque chofe de plus, ou de moins (a). (a) Voiez Grotius, C'eft de cette forte de Prix qu'il faut entendre les paroles fuivantes d'un ancien PhilofoL.b.11. Cap. XII. phe: (1) Qu'importe, dit-il, combien vaut une chofe en elle-même, lors que le Vendeur & Acheteur font convenus du prix? La valeur de chaque chofe change an fond felon le tems. (b) Voiez la Loi Eftimez votre marchandife tant qu'il vous plairra: elle ne vaudra, au bout du compte, que ce que vous en pourrez trouver. Le (b) prix des chofes, felon les Jurifconfultes Romains, ne fe régle ni fur la paffion qu'un Particulier peut avoir pour elles, ni fur l'utilité qu'il en retire, mais fur l'eftimation commune, c'est-à-dire, fur le pied que tout le monde les achèteroit. Au refte, on diftingue trois degrez du Prix ordinaire: le plus bas, ou le Prix (c) honnête; le médiocre ou modique; le plus haut, ou le Prix rigoureux. Tant qu'on ne paffe pas ces bornes, on peut acheter & vendre plus cher ou à ineilleur marché. Mais de marquer précisément le point où fe termine chaque degré, c'eft ce que l'on ne fauroit faire d'une manière qui ferve de régle générale. Le plus court eft de dire, que le jufte prix de chaque chofe eft de chaque chofe eft ce qu'en donnent ordinairement ceux qui s'entendent en marchandises & en négoce (2).

Nicom. Lib. IX.

Cap. I. in fine.

(c) Gradus infimus, feu pius.

Pour quelles raifons le Prix ordi

ubi fuprà, num.2.

§. X. DANS la détermination de ce Prix courant, on met en ligne de compte 1. (a) les naire augmente dépenses que font les Marchands, & la peine qu'ils prennent pour leur négoce. C'eft-là la ou diminue? principale raifon, pourquoi on peut vendre une chofe plus qu'elle ne coûte. Et par dépen Voiez Grotius, fes il faut entendre ici celles qui fe font ordinairement; car on n'a point d'égard aux extraordinaires. Ainfi l'on fe moqueroit d'un Marchand, qui prétendroit vendre plus cher fes marchandifes, fous prétexte qu'en les allant chercher ailleurs il fe feroit caffé la jambe, ou qu'il auroit eû une groffe maladie; ou à caufe qu'il en auroit perdu une partie par un naufrage, ou par un vol, à moins que de tels accidens n'euffent fait devenir rares ces fortes de marchandises. Il feroit encore plus ridicule de prétendre, que les Acheteurs le dédommageaflent des dépenfes fuperflues, ou de celles qu'il a faites pour ne pas entendre fon mêtier, ou faute de foin & de vigilance. Mais rien n'eft plus jufte que de fe faire paier honnêtement le tems qu'on emploie, & la peine ou les foins que l'on fe donne pour tranf porter, garder, & débiter fes marchandifes, comme auffi les gages des Commis, Facteurs, ou garçons de boutique, que l'on eft obligé de tenir. 3. Ce feroit même une grande inhumanité, & une chofe très-propre à décourager l'induftrie humaine, que de réduire tout le gain, qui peut légitimement revenir du négoce, & de tout autre commerce, ou de toute profeffion en général, à ce qui fuffit pour fournir aux néceffitez abfolues d'une vie dure & laborieufe. Il faut encore confidérer ici 4. la difficulté, la longueur, & le danger des chemins, ou de la navigation; comme auffi la différence de la valeur des monnoies & des marchandises felon la diverfité des lieux. 5. Ceux qui vendent en détail peuvent auffi mettre un plus haut prix à leurs marchandifes, que les Marchands en gros. Car, outre que la vente en détail eft plus pénible, & plus incommode; on gagne bien davantage à recevoir tout à la fois une groffe fomme d'argent, qu'à en tirer peu à peu de petites. 6. On fait encore, que le Prix courant change fouvent, & baiffe ou hauffe tout d'un coup, felon (b) Voiez Tacit. que quelque raifon particuliére (b) augmente, ou diminue, le nombre des Acheteurs, & Annal. Lib. VI. la quantité d'argent, ou de marchandifes. 7. On met auffi (1) une chofe à plus haut prix, Cra. Hift. Ecclef. lors qu'on ne la vend que pour faire plaifir à une perfonne, qui nous en prie, & à qui on ne l'auroit pas vendue fans cela. Au contraire le Prix diminue, lors que la marchandise cherche marchand, comme on parle, c'est-à-dire, lors que le Vendeur va 'offrir ses mar

Cap.XVII. & So

Lib. III. Cap. XVII. au commencement.

f. IX. (1) Quid intereft, quanti fint, cùm de pretio inter ementem & vendentem convenerit? Pretium cujufque rei pro tempore eft. Cùm bene ifta laudaveris : tanti funt, quanto pluris vanire non poffunt. Senec. De Benefic. Lib. VI. Cap. XV.

(2) C'eft pour cela, ajoûtoit ici l'Auteur, que le mot Latin Pretium vient, felon Varron (de Ling. Latin. Liv.

chan

IV.) de celui de peritus ; quòd, dit-il, hi folùm possunt facere rectè id. Mais Saumaife fe moque, avec raison, de cette Etymologie, dans fon Traite de Ufuris.

§. X. (1) J'ai ajoûté cette petite période, tirée de l'Abregé de Offic. Hom. & Civ. Lib. I. Cap. XIV. §. 6. On voit allez, qu'elle ne devoit pas être omife.

(2) C'est

chandifes aux Acheteurs, & les folliciter à en prendre; fur tout s'il s'adreffe à des gens, qui tiennent pour maxime, avec un Ancien (2), que rien de fuperflu n'eft à bon marché, quand il ne coûteroit qu'un fou. La raifon en eft, dit-on, qu'en ce cas-là il y a difette d'Acheteurs. Ajoutez à cela, que la chofe, qu'on veut vendre alors, eft fouvent peu néceffaire à l'Acheteur, qui ne l'auroit point achetée fans cette occafion qui se présente de l'avoir à grand marché. Souvent même, en pareil cas, on n'achete pas tant pour s'accommoder foi-même, que pour faire plaifir au Vendeur, qui fouhaitte de fe défaire de fa marchandise. De là vient auffi que, dans les Encans, on achete fouvent à meilleur marché que les chofes ne valent d'ailleurs; parce que c'eft la Loi de ces fortes de Ventes, qu'on adjuge la marchandise au plus offrant & dernier enchériffeur: quoi que ceux qui furdisent les uns aux autres, à force de s'échauffer & de fe piquer au jeu, faffent quelquefois monter l'enchère de ce qui fe crie au delà de la valeur ordinaire; le grand nombre d'Acheteurs augmentant alors le Prix. Enfin, on peut faire entrer dans le Prix ordinaire des marchandifes le dommage que reçoit le Vendeur, ou le gain qu'il perd en les vendant; fur tout lors que l'Acheteur vient de lui-même s'offrir. Car il faudroit être bien fot pour aliéner fon bien, fans ftipuler du moins que l'on ne perdra rien à ce marché. Et ici l'on a fur tout égard au délai ou à l'avance du paiement. Car le tems du paiement eft une partie du Prix: & il vaut mieux (c) fans doute vendre comptant, qu'à crédit, puis qu'on auroit pû faire un nouveau profit en trafiquant de fon argent (3).

(c) voiez Martil, Lib. VI. Eque rapporte Pobe, (in Excerpt. Peirefc.) au fujet de Scipion le Jeu

pigr. XXX. & ce

ne.

Le Prix propre ou repas pour commerce de

intrinfeque ne

§. XI. DEPUIS que la plupart des Peuples eurent renoncé à l'ancienne fimplicité des premiers fiécles, on remarqua bien-tôt que le Prix propre & intrinfeque, tant celui que nous avons appellé Légitime, que celui qu'on nomme Prix ordinaire, ne fuffifoit pas pour le toutes les affaires qu'on pouvoit avoir enfemble, & pour la facilité du commerce, qui de- la venoit tous les jours plus étendu & plus floriffant. Car il n'y avoit pas moien de trafiquer que par des échanges; &, quand un homme travailloit pour un autre, il falloit que celuici ou lui rendit la pareille, ou lui donnât quelque chofe de fes biens. Or, comme la curiofité & les paffions des Hommes multiplient fi fort leurs befoins, que non contens de ce qui fe trouve dans chaque Païs, ils recherchent avec empreflement les raretez, les commoditez, & les délices des autres climats; il étoit difficile, que chacun eût des marchandifes que les autres vouluflent prendre en troc pour celles qu'il fouhaittoit; ou qui fuffent d'égale valeur. D'ailleurs, dans les Etats civilifez, où il y a divers ordres de Citoiens, & diverfes profeffions, bien des gens ne trouveroient pas dequoi fubfifter, ou du moins qu'avec beaucoup de peine, fi l'on ne pouvoit fe pourvoir de ce dont on a besoin, qu'en donnant chofe pour (1) chofe, ou travail pour travail. En effet, En effet, on voit par expérience,

(2) C'eft Caton l'Ancien. "Oxas † under sŭavov sivas 7 περιττών, ἀλλ' ὅ τις ε δεῖται, κἂν ἀτσαρίε πιπρήσκης Taι, wonλs voμís. Plutarque, en fa Vie, pag. 338. in fin. Ed. Wechel.

que

provifions, en aiant foin de bien refermer le panier &
de le laiffer dans le champ, où on l'avoit trouvé. (Idem,
Apophthegm. Lacon. pag. 238. E. Edit. Wechel.) Nôtre
Auteur alléguoit encore ici, comme une raifon extraor-
dinaire & fort inhumaine d'augmenter le Prix des cho-
fes, ce que rapporte Justin (Lib. XI. Cap. IV. num. 8.
qu'Alexandre le Grand aiant fait vendre à l'encan les
Thébains qu'il tenoit prifonniers, leurs ennemis encherif-
foient à l'envi les uns des autres, non pour le profit qu'ils.
en pouvoient tirer, mais à proportion de la haine qu'ils
avoient pour eux.

(3) Dans tout ce paragraphe, l'Auteur n'a traité que des circonftances extérieures qui contribuent à augmenter, ou à diminuer le Prix des chofes. Mais il faut toùjours fuppofer, que les qualitez propres & internes des chofes mêmes varient extrémement leur valeur; parce que ces qualitez ou ces circonftances intrinféques augmentent ou diminuent l'utilité que l'on en retire. C'est à quoi fe rapporte l'exemple particulier, que l'Auteur alleguoit, & que je renvoie à cette Note, pour le mieux placer, & pour ne pas confondre des idées différentes. Themistocle voulant vendre une terre, dit au crieur, de n'oublier pas d'avertir, qu'elle avoit un bon voifin. Plutarch. in Apophthegm. pag. 185. D. Voiez auffi Sadus, Rofar. Perfic. Cap. IV. Cette circonftance devoit fur tout, ai weys Thν džíav inasov indse didorras, Thy

être fort confiderable à Lacédémone, où il étoit permis de fe fervir des Efclaves, des Chiens, & des Chevaux de fon voilin, comme des fiens propres, lors que le maître n'en avoit pas befoin; & de prendre même de fes

TOM. II.

§. XI. (1) Cela paroitra par cet exemple, dont Aristo-
re fe fert. Ἐπεὶ ἢ ὁ οἰκοδόμο πλείονος ἄξιον ποιεῖ τὸ
αὐτὸ ἔργον ἢ ὁ σκυτεὺς καὶ ἦν ἔργον ἀντικαταλλάττες
καὶ τῷ σκυτεῖ πρὸς + οἰκοδόμον, ἀνθ ̓ ὑποδημάτων δ' εκ
ἦν οἰκίαν λαβεῖν· ἐνταῦθα ἤδη ἐνόμισαν ταῦτα πάντα ενη
τὰ, καί τι ἀργύριον προσαγορεύσαντες νόμισμα, τότῳ

άλλαξιν ποιεῖς παρ' ἀλλήλων, καὶ τέτῳ τὴν πολιτικών
xoraviar ouvex. Magn. Moral. Lib. I. Cap. XXXIV.
L'ouvrage d'un Maffon valant davantage, que celui
d'un Cordonnier, il n'auroit pas été jufte, que, pour
» des

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B

vie.

Busbequii Epift.

mœurs des Col

(a) Voiez Anger. que les Peuples, qui ignorent l'ufage de la Monnoie, ménent une vie fort fimple & fort III. au fujet des groffiére, fans fe mettre en peine des douceurs & des commoditez de la vie (a). §. XII. LA plupart des Nations ont donc jugé à propos d'attacher, par une Convention générale, à une certaine chofe un Prix éminent, par lequel on mefurat le Prix propre & intrinfeque de toutes les autres, & qui renfermât éminemment la valeur de chacune; en forte qu'à la faveur de cette chofe on pût fe pourvoir de tout ce qui feroit à vendre, & faire commodément toutes fortes de commerces & de Contracts (1).

ches; & ce que dit (Dill. XXXVI. pag. 344. Edit. mais qui ne peut

Lugd. ann. 1630.)

avoir lieu que dans le païs des idées.

Du Prix émi

nent, ou de la

Monnoie.

↑ La Monnoie eft

ordinairement

Métal.

III. vers la fin ;)

des Métaux. Voiez pourtant Lib. XXXIV. C. XIV. & Lucien, dans le Charon,

من

XIII. † POUR cet effet, on n'a point trouvé de meilleur expédient que de fe fervir des Métaux les plus eftimez, & les moins communs; tels que font (a) l'Or, l'Argent, & le Cuivre. Car, comme un Créancier prudent ne reçoit pour caution que des gens riches & d'une probité reconnue: de même perfonne n'auroit voulu donner pour une chofe, qui fe trouve par tout, par exemple, pour une poignée de terre ou de fable, un bien qu'il avoit aquis par fon induftrie, ou par un grand travail. Il faloit donc que la Monnoie fût faite d'une matiére propre à être gardée, & qui, à caufe de la rareté, pût égaler & ajufter les Prix, fice de quelque de plufieurs autres chofes. Ajoutez à cela, que la fubftance des Métaux étant fort compacte (a) Voiez les rai- & fort folide, ils peuvent être divifez en petites parties, fans s'ufer néanmoins que très-diffons quae ficilement: deux qualitez fort effentielles à une chofe qui doit tenir lieu de mefure comPline, (Hift. Nat. Lib. XXXIII. C. mune dans le commerce. Cependant, comme ce n'eft pas par une vertu Physique, mais pourquoi Por par un pur effet de l'inftitution & des Conventions humaines, que l'argent a cet ufage; on eft le premier peut, dans un cas de néceffité, ou même de propos délibéré, fe fervir de quelque autre matiere, de (b) Cuir, par exemple, de Papier, ou d'autres chofes femblables, qui portent une certaine empreinte particulière. C'eft ainfi que Timothée (c), Général des Athéniens, voiant que l'argent manquoit dans fon camp, perfuada aux Marchands de prendre de fes p. 350. Ed. Amft. Soldats fon cachet en place de Monnoie: après quoi, dès qu'il eût recouvré de l'argent, il où le Fer eft mis rendit à tous ceux, qui lui portérent ces cachets, la valeur des denrées & des marchandi(b) Parmi les an- fes, pour lesquelles ils avoient été donnez. Les habitans des Roiaumes de (d) Congo & de ciens Lacedemo- Tombut en Afrique, comme auffi la plupart des Peuples de l'Amérique Septentrionale, fe nec. de Benefic. fervent pour Monnoie d'une forte de petites coquilles de mer: les Apalachites, Peuple de V.Cap.XIV. la Floride (e), de certains grains blancs & noirs: les habitans de la Province de Caniclu (f), (c) Polyan. Stra- & du Roiaume des Abyffins (g), de petits morceaux de fel. Il faut avouer pourtant que ces fortes de chofes ne font bonnes que pour le commerce en détail (h). Remarquons enfur quoi voiez la core en paffant, qu'en certains Païs (i) on eftime davantage, ou du moins autant (k) le Note de Pancrace Fer, & le Cuivre, que l'Or, & l'Argent, foit à caufe de l'abondance de ces deux derniers (d) Voiez Leon Métaux, foit à caufe de leur peu d'ufage; au lieu que des premiers on fait les inftrumens Africain, Def les plus néceffaires à la vie, & les plus commodes pour une infinité d'ouvrages. En effet, VII. Cela a lieu fans l'ufage de la Monnoie, le Genre Humain fe pafferoit plus aifément de l'Or, & de l'Argent, que du Fer.

au deffus.

niens. Voiez Se

in fine.
tegem. Lib. III.
Cap. X. num. 1.

Maasvick

cript. Afric. Lib.

auffi dans le Roiaume de

Siam, pour la

Au

petite monnoie: car la groffe eft d'argent pur. Voiez 7. Schouten, Defcript. Regn. Siam. (e) Voiez Rochefort, Defcript. des Antill. Part. II. C. VIII. §. 8. (f) Voiez M. Paul. Venet. Itiner. Lib. II. C. XXXVIII. (g) Franc. Alvarez, C. XLVI. (h) Voiez Polydor. Virg. Lib. II. Cap. XX. & Alex. Neapolit. Lib. IV. Cap. XV. Budaus, ad Dig. Leg. I. de contrah. empt. (i) Dans le Congo. Voiez auffi Herod. in Thalia, au fujet des Ethiopiens; & Garcilaffe de la Vega, Hift. des Yucas, Liv. I. Chap. XI. & Liv. V. Chap. VII. (k) Diod. Sis. Lib. III. Cap. XLV. Strabo, Geogr. Lib. XVI.

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ceffitatem temporum, ac rerum, utilibus inutilia permutabat, quando plerunque evenit, ut, quod alteri fupereft, alteri defit. Sed quia non femper, nec facilè concurrebat, ut, cùm tu haberes, quod ego defiderarem, invicem haberem, quod tu accipere velles, electa materia eft, cujus publica ac perpetua aftimatio difficultatibus permutationum, aqualitate quantitatis fubveniret: eaque materia forma publica percuffa, ufum dominiunque non tam ex fubftantia prabet, quam ex quantitate: nec ultra merx utrumque, fed alterum pretium vocatur. Digeft. Lib. XVIII. Tit. 1. De contrahenda emptione &c. Leg. 1. Voiez Ariftot. Ethic. Nicomach. Lib. V. Cap. VIII. & Lib. IX. Cap. I. & Politic. Lib. I. Cap. VI. IX. & Rhetoric. Lib. II. Cap. XVI.

§. XIII.

Au refte on prenoit autrefois au poids les piéces de Métal qui avoient cours (1). Et de. là vient qu'encore aujourd'hui, parmi plufieurs Nations, les termes de la Monnoie font tirez de ceux des Poids. Mais cela aiant été trouvé trop incommode, on établit enfuite par tout, que les Souverains de chaque Pais feroient battre des efpéces d'une certaine groffeur, & marquées au coin de l'Etat, en forte que cette marque en régleroit la valeur (2).

tend le pouvoir

la valeur des ef

ne peut refufer

Voiez Arrian.

(c) Voiez Polyb.

§. XIV. MAIS quoi que la valeur des efpéces, auffi bien que celle de l'Or & de l'Ar- Jufques où s'égent maffifs, depende de l'inftitution & des Conventions humaines; les Souverains n'ont qu'ont les Soupas un pouvoir fi abfolu de régler cette valeur, qu'ils ne doivent avoir égard à certaines verains de régler choses. Par exemple, chez toutes les Nations, dont nous avons connoissance, il est éta- peces. bli que la Monnoie d'Or doit valoir davantage que celle d'Argent; & celle d'Argent plus que celle de Cuivre; & qu'il doit y avoir une certaine (a) proportion entre l'Or & l'Ar- (a) Voicz Platon, in Hipparche, fub gent. De plus, la Monnoie aiant été inftituée pour faciliter le commerce non feulement fin. pag. 14. C. entre les Citoiens (b) d'un même Etat, mais encore avec les Etrangers: fi un Souverain Edit. Wech. & hauffe trop la valeur de fes efpèces, il les rend inutiles pour le commerce de fes Sujets avec Legar. Cap. V. & Polyb. Excerpt. les Etrangers. Que s'il fait emploier du méchant alloi, en forte que la valeur intrinféque Bodin. de Republ. Lib. VI. Cap. III. des efpéces foit moindre que celle des Monnoies étrangères; les Etrangers ne voudront pas p. 1071. & feqq. non plus trafiquer avec les Sujets, qu'en troquant marchandise pour marchandife: ce qui (b) Dont aucun ne fuffit pas pour l'entretien du commerce; à moins qu'il ne forte du Pais autant ou plus la Monnoie de de marchandises que les Etrangers ne leur en envoient; & que les Etrangers, des mar- fon Souverain. chandifes de qui ils ont befoin, n'aient à leur tour befoin des leurs (c). D'ailleurs, com- Differt. Epictet. me, après les Immeubles, le principal fonds des biens d'une perfonne confifte en argent; Lib. III. Cap.111. il eft clair que ce fonds feroit confidérablement diminué, fi dans les espèces, du moins dans L. vi. Po les plus groffes, il y avoit tant de bas alloi, que leur couleur fit fentir du premier coup XLVII. in fin. d'euil leur peu de valeur intrinféque (1). Leucon, ancien Roi du Bofphore Cimmérien, aiant befoin d'argent (d), ordonna à tous les Sujets de porter leur argent à la Monnoie, pour VI. Cap.x. num. (d) Polyan. Lib. le marquer à un nouveau coin. Cela fait, il augmenta du double la valeur des espèces, & 1. ubi vid. Paxgagna ainfi la moitié des fommes qu'il avoit reçues. La néceffité de l'Etat peut excufer rar. Maafvie. Paction de ce Prince; bien entendu qu'il aît rétabli enfuite les chofes fur l'ancien pied, dès din. de Republ. que fes affaires le lui permirent. Mais on ne fauroit donner aucune couleur à ce que les Lib. VI. Cap.III. Hiftoriens (e) rapportent de Nicéphore Phocas, Empereur d'Orient, qui aiant fait frapper fanus, Syntag. & Gregor. Tholoune Monnoie plus legére que celle qui avoit cours, paioit de ce nouvel argent ceux à Jur. Univ. Lib. qui il devoit quelque chofe, mais ne recevoit lui-même dans fes coffres que des an- (c) Zonar. &c. ciennes efpéces. Quelques Légiflateurs ont néanmoins introduit des Monnoies de peu de valeur, en vue de bannir l'Avarice, le Luxe, & autres Vices femblables. C'est ainsi que Hifp. Lib. XV. Lycurgue décria (f) toutes les monnoies d'or & d'argent, & ordonna qu'on ne fe ferviroit Cap. IX. que de monnoie de fer, qu'il fit d'un fi grand poids & d'un fi petit prix, qu'il falloit une fa vie, pag. 46 charrette à deux bœufs pour porter une fomme de trente (g) mines, & une chambre entiére es. Edit. Wechel. pour la ferrer. Cette nouvelle monnore, ajoûte Plutarque, ne fut pas plûtôt répandue, qu'el- tion de Mr. Dale chaffa de Lacédémone toutes les injuftices & tous les crimes. Qui eft-ce qui auroit voulu cier. voler, ravir, on recevoir pour prix de fon injustice, une chose qu'on ne pouvoit cacher, dont (3) De 300.Ecus;

§. XIII. (1) Voiez Pline, Hift. Nat. Lib. XXXIII. Cap. III.

(2) Juvenal exprime la Monnoie par cette périphrafe: Concifum argentum in titulos, faciesque minutas. Satyr. XIV, 291. Notre Auteur citoit ici en paffant, comme il dit, un endroit de Lampridius, Cap. XXXIX. au fujet de la reformation que fit l'Empereur Alexandre Severe, des Monnoies qu' Heliogabale avoit fait frapper.

$. XIV. (1) Pour eviter les fraudes des faux Monnoieurs, il faut auffi non feulement n'emploier que de bon alloi, mais encore faire travailler curieufement tou te la Monnoie, en forte que le travail, joint à la valeur

Not. Voiez Bo

XXXVI. Cap. II.
Voiez encore
Mariana, Hist,

(f) Plutarque, en

J'ai fuivi la ver

à dix Ecus la mila ne.

intrinféque de chaque piece, vaille plus que ce pour-
quoi elle feroit emploiee dans l'ufage. C'eft la réflexion
judicieufe de Mr. Bernard, que l'on peut voir dans les
Nouvelles de la Republ. des Lettres, Mars 1704. pag. 345,
346. Mais lors qu'il s'eft gliffe de la fauffe Monnoie
dans le commerce, les Particuliers n'en doivent pas
fouffrir, & il faut que l'Etat la leur prenne fur le pied
qu'ils l'ont reçue. Le Sénat de Venife en donna un bel
exemple, que nôtre Auteur rapportoit à la fin de ce pa-
ragraphe, apres André Morofini, Hift. Venet. Lib.
XIV. pag. 641. Il citoit auffi là, Plin. Hift. Nat. Lib. VI.
Cap. XXII. & Selin, Cap. LXVI.

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