Page images
PDF
EPUB

de commis et des généraux de cour, pour mettre la couronne d'Espagne sur la tête de son petit-fils, lorsqu'en échange de ses prétentions, et sans tirer l'épée, il pouvait donner la Belgique à la France; vous avez là une fin de règne qui ne ressemble guère à ses commencements, parce que les commencements viennent d'un tout autre génie, de ce génie qui inspira Henri IV, Richelieu, Mazarin, dicta l'édit de Nantes, le traité de Munster et celui des Pyrénées, le Cid, Polyeucte et Cinna, le Discours sur la Méthode et les Provinciales, Don Juan et le Misanthrope, et les sermons les plus pathétiques de Bossuet. C'est ce génie-là que nous rappelons et glorifions partout dans cet ouvrage, parce qu'à nos yeux c'est le génie même de la France à l'époque de sa véritable grandeur.

C. DAGOBERT.-MÉMOIRES.*

HOT JOINTS. SCOTCH MELODIES.

SOO-TANG-TONG.

[1837] C'était la première fois que j'étais invité chez des gens de la classe moyenne, et que j'assistais à un de ces repas plantureux qui caractérisent si bien l'hospitalité anglaise. Disons d'abord, qu'en général, le service de la table se fait en Angleterre beaucoup mieux qu'en France: chez le pauvre comme chez le riche, on fait usage de plateaux pour apporter ou emporter les ustensiles de la table et de cloches en étain ou en métal argenté sous lesquelles les plats conservent leur chaleur et leur fumet dans le trajet de la cuisine à la salle à manger; des assiettes chaudes sont distribuées durant le repas, et l'on n'est pas, comme chez nous, exposé à l'inconvénient de manger froid ce qui n'est bon que chaud, ou de voir les sauces se figer et se coaguler avant qu'on ait avalé deux bouchées. Les Anglais mangent proprement, ne touchent aux os qu'à l'aide du couteau et de la fourchette, et n'ont pas besoin de s'essuyer souvent la bouche; mais enfin lorsque cela est nécessaire, ils se servent-de la nappe, ou de leur mouchoir de poche, l'usage des serviettes n'étant adopté que dans la haute classe.

La vue seule de ces immenses pièces de résistance (joints) dont la table était chargée suffit pour couper l'appétit d'un Parisien, accoutumé aux petits plats délicats de la cuisine française. Et d'ailleurs, comme ces gros morceaux sont distribués en petites tranches minces, l'avantage qui doit résulter de leur dimension est entierement neutralisé. Mon ami Norris, qui m'avait présenté dans la maison, observant que je ne mangeais que du bout des lèvres, commença contre moi un feu roulant de plaisanteries: "Voilà

Vingt ans en Angleterre, ou Mémoires de C. Dagobert. An English edition in preparation at Bentley's, publisher in ordinary to Her Majesty.

bien de vos Parisiens, dont le palais gâté par des viandes douteuses, accommodées à des sauces mirobolantes, ne peut pas apprécier une bonne et saine nourriture!"

[ocr errors]

La conversation étant montée sur ce ton, je m'y prêtai de bonne grâce, et me plus à exciter sa verve. Ma foi," répondis-je, " votre cuisine est si simple que les animaux pourraient la faire, s'ils étaient en état d'allumer du feu. Mais cette simplicité prend, comme beaucoup d'autres choses, sa source dans l'horreur qu'inspire tout ce qui est français." "Comment?" dit la maitresse de la maison. "Oui, madame, c'est un esprit d'animosité et de contradiction qui porte les Anglais à faire en tout le contraire de ce que nous faisons. Ah!' dit John Bull, 'le Français ouvre ses fenêtres perpendiculairement ! eh bien, nous ouvrirons les nôtres horizontalement.' Nous mangeons avec des fourchettes à quatre dents; les vôtres n'en ont que deux. Si nous dégustons des huîtres, on nous les sert dans la coquille creuse; ici on vous les présente sur la coquille plate. Lorsque nous faisons une salade, elle se compose de divers ingrédients, chicorée, laitue, céleri, cresson, estragon, betterave, cresson alénois, capucines, échalottes hachées, fines herbes, œufs durs, anchois, blancs de volaille, le tout relevé d'une sauce où il entre du sel, du poivre, de la moutarde, de l'huile et du vinaigre d'Orléans. Vous autres, vous mangez une laitue telle que la Providence vous la donne, comme la mangent les lapins.” Tenez," dit Norris, en me passant un saladier, "voici qui vous confond."-Je vois bien de la salade hachée et nageant dans des flots de vinaigre de bois, mais s'est un luxe peu commun."

66

66

"Mais," me dit un de nos convives, professeur d'élocution, " vous ne pouvez pas nier que nous n'ayons adopté intégralement des milliers de mots français." Non, sans doute, mais leur similarité n'est très-souvent qu'apparente, et leur sens primitif a été bistourné de manière à rendre ces mots plus difficiles à comprendre que ceux qui sont purement saxons. C'est toujours par contradiction."

"Vous nous prouverez bientôt," dit le professeur, "qu'en Angleterre 2 et 2 ne font pas 4."

"Je ne m'arrête qu'aux petites choses, et cite à tort et à travers pour le plaisir de faire remarquer les différences. Peut-être découvrirai-je plus tard qu'ici 2 et 2 font 8. Tout ce que je sais c'est que vous faites l'addition à rebrousse poil, en commençant au bas de la colonne. Chez nous la première moitié du 8 est s, ici c'est la seconde qu'on fait de bas en haut. Pour rayer le papier nous employons des règles carrées, et vous des rondes. Nous remontons une montre de gauche à droite; ici, c'est dans le sens inverse. Nous avons des cadrans en émail; les vôtres sont en or, et on ne peut y voir l'heure. Cet établissement tout à la fois si utile et si nuisible aux pauvres gens, et connu chez nous sous l'appellation tendre et familière de MA TANTE, se nomme en Angleterre MON ONCLE. Nos dames se troussent adroitement per derrière ou sur le côté; les Anglaises prennent leurs robes à pleines mains et se retroussent

par-devant comme si elles allaient recuellir des noix ou des pommes dans leur giron; quelques-unes même poussent la modestie jusqu'à ne pas relever leurs robes; en cela elles satisfont à la morale, et abrègent le travail des balayeurs."

Nous finîmes le diner très-gaiment, tout en passant en revue les points principaux sur lesquels nous différons. Nous fimes aussi bon marché de l'ignorance de mes compatriotes, qui, en général, ne connaissent les pays étrangers que par les livres ou des traditions ridicules. Pour le paysan français et pour beaucoup de citadins, l'Anglais n'existe que sous deux types, un grand homme sec au nez arqué ou aux larges machoires, ou bien un gros jouflu roulant sa panse dans une brouette. Quant aux Anglaises, elles sont toutes rousses ou d'un blond fade, portent des lunettes, de longues boucles qui descendent à leur ceinture, &c. On voit que ce sont là les caricatures de 1815; jugez après cela de la valeur des autres appréciations! Les Français qui voyagent, et même les auteurs en renom, commettent aussi d'étonnantes bévues. Dumas envoie un jeune couple se réfugier en Angleterre, et prendre un cottage dans Piccadilly, pour y vivre loin de tous les regards. Un autre nous parle d'un shérif qui va vendre sa femme au marché. Les deux Expositions ont fait justice de beaucoup de préjugés et de sottises, mais il en reste à détruire dans les deux pays: et s'il y a bien des Anglais qui croient que nous vivons principalement de grenouilles et d'escargots, il y a encore plus de Français qui ne jugent des Anglais que par nos comédies et nos romans, qui se figurent bonnement, qu'en fait de fruits, l'Angleterre ne produit que des pommes cuites, et que les habitants se nourrissent de viande presque crue, ce qui justifie leur gout prononcé pour les boissons fortes.

"Monsieur," me dit notre hôte, "après avoir vécu quelque temps en Angleterre, vous êtes retourné en France; et maintenant que vous voilà de nouveau parmi nous, vous pourriez, ce me semble, nous dire franchement quel est le pays qui l'emporte sur l'autre au point de vue des mœurs."

"C'est le vôtre, sans contredit. L'Angleterre est le pays du décorum; chez nous tout est un peu débraillé. Ici, chacun est à sa place, tandis qu'en France la plupart des existences semblent déplacées."

Le dessert se prolongea au milieu de discussions et de jugements plus ou moins justes, et surtout à l'aide de plusieurs espèces de vins auxquels on fit honneur; mais enfin on annonça le thé, et nous nous rendîmes au salon. Un grand piano, déjà ouvert, me fit soupçonner que quelques-unes de ces demoiselles se feraient entendre.

Un piano est ici un meuble dont l'artiste est la clé, ni plus ni moins. Quand on a eu son quantum de nourriture, de vin, de lieuxcommuns, de plaisanteries et de tasses d'eau chaude, il faut en Angleterre, dans toute maison bien organisée, qu'on ait aussi son quantum de musique. On s'est accoutumé au bruit de la musique

comme à celui d'une pendule qui sonne à heure fixe, ou joue un certain nombre d'airs. Pendant qu'elle sonne, on n'écoute pas, mais si elle ne sonnait pas, on s'en étonnerait; on se demanderait pourquoi, en effet, elle ne sonne pas. C'est le même sentiment qui fait que, dès que la musique commence, tout le monde se met à causer en pleine sécurité; mais s'il s'écoule trop de temps entre les divers morceaux, chacun sent qu'il lui manque quelque chose; tous les yeux se dirigent vers le piano, et l'on s'enquiert pourquoi le bruit a cessé on trouve qu'il est en harmonie avec tous les autres bourdonnements qui résonnent dans le salon, et il faut qu'il soit entendu, autrement l'ensemble cacophonique en souffrirait.

Cependant, un monsieur, dont la femme avait déjà chanté une demi-douzaine de mélodies écossaises, parvint à attirer l'attention générale sur le charme des paroles et la beauté de l'exécution; l'on fit cercle autour du piano, et nous eûmes une autre demi-douzaine de ces mélodies; puis, à l'instigation du mari, nous fûmes obligés d'en avaler encore une autre demi-douzaine! Je ne sais pas jusqu'où l'amour conjugal eût pu pousser ce forcené, lorsqu'un rire homérique couvrit la voix de la chanteuse de ballades. On en vint aux éclaircissements, et je découvris, à ma grande confusion, que ce mauvais plaisant de Norris avait trouvé moyen de me compromettre par un mot de son cru. Tandis qu'il parlait de moi au maître de la maison, celui-ci l'interrompit et lui dit, en hôte qui désire plaire à ses convives: "J'espère que votre ami s'amuse chez nous.' Ah, certes!" répondit Norris, avec son aplomb imperturbable! et Dagobert me l'a dit en très-bon anglais : "Hot joints, and eighteen Scotch melodies!

[ocr errors]
[ocr errors]

Je me disculpai de mon mieux, et j'eus le plaisir de voir que ceux mêmes qui me soupçonnaient d'avoir lâché la plaisanterie, ne m'en gardaient pas rancune.

Je devais m'embarquer la nuit à Southampton, et je ne voulus pas assister au souper, ou plutôt au médianoche, autre repas qui promettait d'être tout aussi abondant que le dîner, car j'en vis les apprêts en sortant, et dans lequel, en dépit de tout ce qu'on avait déjà englouti dans la journée, chacun se proposait de reprendre bravement du poil de la bête. J'arrivai juste à temps à la station de Hampton Court, et pris place dans un wagon de seconde classe, où je n'aperçus d'abord qu'une femme, en apparence assez distinguée. Elle charmait les loisirs de la route en grignotant des biscuits et des croquignoles. Deux individus, placés dans l'autre compartiment du wagon, et qui, de temps en temps, donnaient de rudes atteintes à une bouteille de Cognac, avisèrent cette femme dans son coin, et l'un d'eux, armé de la bouteille, sauta par dessus les banquettes et vint l'engager à se rafraîchir. Elle s'excusa modestement de boire à même de la bouteille; mais, tirant de sa poche un étui en cuir, elle en sortit un verre à pied d'assez belle dimension, qu'elle remplit et posa sur la banquette, après s'en être administré une bonne gorgée. Porter un gobelet en voyage, est, sans contredit,

une mesure de précaution qui permet de goûter à la bouteille commune sans craindre d'attraper des cloches. Je suppose que ma compagne de voyage avait été privée depuis longtemps du plaisir de boire un verre de consolation, car elle finit le sien avec fortitude, et, faisant claquer ses lèvres d'un air d'approbation, dit en remerciant ces messieurs: "Ce n'est pas tous les jours qu'on trouve quelque chose d'aussi fortifiant!"

Cette petite scène m'avait si bien amusé que j'oubliai de changer de wagon à Farnborough, et je ne m'aperçus de ma sottise que sur la route de Guildford. Que faire ? Je m'avisai d'un moyen. Dès que nous atteignîmes la station, je sautai hors du wagon, et m'approchant d'un des employés, je présentai mon billet en disant: "Voici mon billet, mon tické pour Soo-tang-tong!" L'homme me regarde, et ne parait pas comprendre ; je joue la colère et crie à tue-tête: "Mon tické, Soo-tang-tony!" Il m'explique que j'aurais dû changer de voiture; je fais la sourde oreille, et ne cesse de répéter: "Mon tické, Soo-tang-tong!" Enfin le directeur du convoi dit à l'employé, que probablement mon ignorance de la langue m'avait empêché de comprendre que j'aurais dû changer de voiture à Farnborough, et que ce qu'il y a de mieux à faire c'est de m'y renvoyer par le premier train. Ces braves gens tâchaient de me faire entendre tout cela par signes, mais je ne me calmais pas, et même après qu'on m'eut placé dans le train qui me ramenait à Farnborough, je passais encore le bras à travers la fenêtre, en montrant mon billet, et criais de plus belle: "Mon tické, Soo-tang-tong! Soo-tang-tong!

THE TIMES.

It has been a question among scholars whether Cicero would have been understood had he addressed his orations to a provincial municipium 60 miles out of Rome. The question is, except for philological purposes, curious rather than useful; but, at the same time, it is suggestive. The best educated and most highly cultivated inhabitants of any country are so far advanced above the masses, that they seem to be not only not of the same nation, but hardly of the same kind. We doubt not, with all deference to Bentley, that an Athenian cobbler spoke very bad Attic, and a provincial eques very bad Latin; that there was as wide a difference between the mob of either community and the contemporary great men who have made the names of those communities immortal, as between Squire Western and Sir W. Windham, or between a BasBreton landholder and Montesquieu.

It is, indeed, far from flattering either to national or individual self-love to observe the wide interval, which separates the ordinary

P

« PreviousContinue »