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MÉRIMÉE.-LE BANDIT HOMME D'HONNEUR.

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(COLOMBA.)

"Il y a six mois," dit le bandit, "je me promenais du côté d'Orezza, quand vient à moi un manant qui de loin m'ôte son bonnet et me dit:-'Ah! monsieur le curé (ils m'appellent toujours ainsi), excusez-moi; donnez-moi du temps; je n'ai pu trouver que 55 francs, mais, vrai, c'est tout ce que j'ai pu amasser.' Moi, tout surpris: Qu'est-ce à dire, maroufle! 55 francs?' lui dis-je. 'Je veux dire 65,' me répondit-il; mais pour 100 que vous me demandez, c'est impossible. Comment, drôle ! je te demande 100 francs? Je ne te connais pas.' Alors il me remet une lettre, ou plutôt un chiffon tout sale, par lequel on l'invitait à déposer 100 francs dans un lieu qu'on indiquait, sous peine de voir sa maison brulée et ses vaches tuées par Giocanto Castriconi, c'est mon nom. Et l'on avait eu l'infamie de contrefaire ma signature. Ce qui me piqua le plus, c'est que la lettre était écrite en patois, pleine de fautes d'orthographe; moi, faire des fautes d'orthographe, moi, qui avais tous les prix à l'université! Je commence par donner à mon vilain un soufflet qui le fait tourner deux fois sur lui-même. 'Ah! tu me prends pour un voleur, coquin que tu es,' lui dis-je, et je lui donne un bon coup de pied où vous savez. Un peu soulage, je lui dis : Quand dois-tu porter cet argent au lieu désigné ?' 'Aujourd'hui même.' Bien! va le porter. C'était au pied d'un pin, et le lieu était parfaitement indiqué. Il porte l'argent, l'enterre au pied de l'arbre, et revient me trouver. Je m'étais embusqué aux environs. Je demeurai là avec mon homme six mortelles heures. Monsieur della Rebbia, je serais resté trois jours, s'il l'eut fallu. Au bout de six heures, parait un Bastiaccio,* un infâme usurier. Il se baisse pour prendre l'argent, je fais feu, et je l'avais si bien ajusté, que sa tête porta en tombant sur les écus qu'il déterrait. Maintenant, drôle !' dis-je au paysan, 'reprends ton argent, et ne t'avise plus de soupçonner d'une bassesse Giocanto Castriconi.' Le pauvre homme, tout tremblant, ramassa ses 65 francs sans prendre la peine de les essuyer; il me dit merci, je lui allonge un bon coup de pied d'adieu, et il court encore."

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* Les Corses montagnards détestent les habitants de Bastia, qu'ils ne regardent pas comme des compatriotes. Jamais ils ne disent Bastiese, mais Bastiaccio: on sait que la terminaison en accio se prend quelquefois dans un sens de mépris.

C. DICKENS.-THE BEGGING-LETTER WRITER.

(FROM "HOUSEHOLD WORDS.")

I ought to know something of the Begging-Letter Writer. He has besieged my door at all hours of the day and night; he has fought my servant; he has lain in ambush for me, going out and coming in; he has followed me out of town into the country; he has written to me from immense distances when I have been out of England. He has fallen sick; he has died, and been buried; he has come to life again, and again departed from this transitory scene; he has been his own son, his own mother, his own baby, his idiot brother, his uncle, his aunt, his aged grandfather. He has wanted a great coat, to go to India in; a pound, to set him up in life for ever; a pair of boots, to take him to the coasts of China; a hat, to get him into a permanent situation under Government. He has frequently been exactly seven-and-sixpence short of independence. He has had such openings at Liverpool-posts of great trust and confidence in merchants' houses, which nothing but seven-andsixpence was wanting to him to secure that I wonder he is not mayor of that flourishing town at the present moment.

The natural phenomena, of which he has been the victim, are of a most astounding nature. He has had two children, who have never grown up; who have never had anything to cover them at night; who have been continually driving him mad, by asking in vain for food; who have never come out of fever or measles (which, I suppose, has accounted for his fuming his letters with tobacco smoke as a disinfectant). As to his wife, what that suffering woman has undergone nobody knows. His devotion to her has been unceasing. He has never cared for himself; he could have perished—he would rather- -in short-but was it not his Christian duty as a man, a husband, and a father, to write begging-letters when he looked at her? (He has usually remarked that he would call in the evening for an answer to this question.)

he

He has been attached to every conceivable pursuit. He has been in the army, in the navy, in the church, in the law; connected with the press, the fine arts, public institutions, every description and grade of business. He has been brought up as a gentleman; has been at every college in Oxford and Cambridge; he can quote Latin in his letters, but generally mis-spells some minor English word; he can tell you what Shakspere says about begging better than you know it.

Sometimes, when he is sure that I have found him out, and that there is no chance of money, he writes to inform me that I have got rid of him at last; he has enlisted into the Company's service, and is off directly-but he wants a cheese. He is informed by the serjeant that it is essential to his prospects in the regiment that he

should take out a single Gloucester cheese, weighing from twelve to fifteen pounds. Eight or nine shillings would buy it. He does not ask for money, after what has passed; but if he calls at nine to-morrow morning, may he hope to find a cheese? and is there anything he can do to show his gratitude in Bengal ?

On a Sunday morning, he called with a letter (having first dusted himself all over), in which he gave me to understand that, being resolved to earn an honest livelihood, he had been travelling about the country with a cart of crockery. That he had been doing pretty well until the day before, when his horse had dropped down dead near Chatham, in Kent. That this had reduced him to the unpleasant necessity of getting into the shafts himself, and drawing the cart of crockery to London-a somewhat exhausting pull of thirty miles. That he did not venture to ask again for money, but that if I would have the goodness to leave him out a donkey, he would call for the animal before breakfast.

A little while afterwards he wrote me a few broken-hearted lines, informing me that the dear partner of his sorrow died in his arms last night at nine o'clock. I despatched a trusty messenger to comfort the bereaved mourner and his poor children; but the messenger went so soon that the play was not ready to be played out; my friend was not at home, and his wife was in a most delightful state of health.

Next day came to me a friend of mine, the governor of a large prison, who said: "I know all about him and his frauds. He lodged in the house of one of my warders at the very time when he first wrote to you; and then he was eating spring lamb at eighteen pence a pound, and early asparagus at I don't know how much a bundle! Apparent misery is always a part of his trade, and real misery very often is, in the intervals of spring lamb and early asparagus. It is naturally an incident of his dissipated and dishonest life."

DE BAZANCOURT.—CİNQ MOIS DEVANT SÉBASTOPOL.

LA MAISON DU PASTEUR.

Le Clocheton, qui est la demeure du major de tranchée, où j'ai reçu l'hospitalité, appartenait à un prêtre protestant; il y avait une serre, remplie de plantes de toute espèce; elle était arrangée avec ce soin qui dénote la présence d'une femme qui soigne les fleurs, parce qu'elle les aime;-les femmes et les fleurs se sont toujours bien entendues ensemble.

En effet, le prêtre avait une fille; on trouva la maison vide, et une chatte noire assise sur le seuil. Il y avait trop de recherche dans certaines parties de cette petite maison inachevée encore, pour ne

pas comprendre que les meubles avaient été cachés, sinon enlevés. Nos soldats cherchèrent et trouvèrent. On découvrit dans un silo des meubles et des vêtements de jeune fille, un chapeau rose, des papiers, quelques lithographies encadrées, dont plusieurs représentaient des sujets religieux. De tout cela il ne reste qu'une table sur laquelle j'écris, une armoire, que les soldats ont apportée au colonel Raoult, major de tranchée, une chaise, deux ou trois lithographies et la chatte noire qui dort en ce moment sur mes genoux, et mêle son ronflement psalmodique aux canons qui lancent de minute en minute leurs volées dans les airs. C'est le seul être vivant qui soit parmi nous pour attester le passé; c'est l'hôte de la maison, et non de ceux qui l'habitent, c'est l'ami fidèle de cette pauvre petite habitation qui tombe à moitié en ruine, et que trois boulets ont déjà traversée ;-il nous aime parce que nous y sommes; quittons-la, il ne nous connaîtra plus, et peut-être la verra-t-on un jour, notre chatte, sur les ruines du Clocheton, comme nous l'avons déjà vu sur le seuil. C'est pour nous une société qui nous occupe et nous amuse; son absence nous attristerait visiblement.

Pendant mon absence de ce cher Clocheton, que j'aime comme un être vivant, il s'y est passé une scène assez intéressante. On était à déjeuner. Il y avait même un ou deux invités (car on s'invite à Sébastopol, et ce jour-là on couvre la table de conserves, on tord le cou à une poule, et on boit une bouteille de bordeaux à titre de remboursement, à la santé de ceux qui vivent, et à la mémoire des amis qu'on ne reverra plus).

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On était donc en plein déjeuner, gais comme le sont toujours ceux dont à chaque heure la vie tient à un fil bien près de se briser, lorsque la porte s'ouvrit et un jeune homme entra. Il est blond, imberbe, sans uniforme ;-à peine s'il lève les yeux; sa physionomie a quelque chose de triste. Il salue en entrant. Pardon, messieurs," dit-il avec un accent étranger, "ne vous dérangez pas." Et il alla s'asseoir sur une malle dans un des coins de la pièce. "Vous demandez quelqu'un ?" "Ne vous dérangez pas," reprit une seconde fois le jeune homme, en jetant un regard sur la chambre, puis en baissant aussitôt les yeux. "Ah çà, que voulez-vous ? " dit un des officiers avec une certaine brusquerie que comportait très-bien la vue de cet étranger dont l'entrée, vous l'avouerez, était suffisamment singulière. "Plus tard-plus tard," fit la voix douce du jeune homme. "Plus tard, pas du tout; nous direzVous ce que vous demandez ?" "Pardon, messieurs, mais. c'est la maison que nous habitions avec mon père!" "Ah!" "Il fallait donc le dire." "Eh bien! vous devez la trouver un peu changée ?" "Oh! oui, bien changée. Elle était si gentille!" En parlant ainsi, sa voix avait une expression si triste que chacun en fut ému. "Allons, jeune homme," dit un des convives, venez boire un verre de vin avec nous, et ne pensez plus à tout cela." Il nous apprit que son père s'appelait Hildenhagen; qu'il était pasteur protestant à l'armée de Sébastopol. Lui,

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avait été fait prisonnier, et était interprète auprès des blessés russes à l'hôpital de Balaclava. "Si vous saviez,” disait-il, "combien cette petite maison était charmante." Mon père nous répetait: 'C'est là que je veux mourir.' Pauvre père! ce n'est pas ici qu'il mourra! Nous avions un beau jardin; des fleurs partout; ma sœur les soignait elle-même. Dans la serre, que de plantes! Je les vois encore grimpant le long des murs, et formant au-dessus de la tête un berceau de feuillage." Il est vrai que la serre ne se ressemble plus," dit un des officiers. "En fait de plantes, il y a des tonneaux d'eau-de-vie pour les travailleurs." Le jeune homme secouait tristement la tête. "Ah bah! chaque chose a son temps! Les fleurs repoussent! Buvez ce verre de vin de Bordeaux." Lui souriait et buvait en disant: "Messieurs, vous êtes bien bons." Et il racontait sa vie de tous les jours, alors qu'il habitait avec sa famille la petite maison du Clocheton. Il désignait la place de tous les meubles.

Si quelqu'un d'entre nous, plus soupçonneux que les autres, eût conservé quelque doute sur l'identité du jeune étranger, un petit incident que le hasard amena l'eût dissipé. Notre chienne entra. (Je dis notre chienne par droit de conquête.) Pauvre bête! elle vivait je ne sais où, et avait été exposée à bien des coups de fusil; elle conservait sur les reins la trace d'une balle qui l'avait effleurée. Sans cesse elle rôdait autour de la maison; mais au moindre mouvement que l'on faisait pour s'approcher, elle s'enfuyait épouvantée. Nous avions fini par lui faire comprendre que nous étions des amis, et que nous lui voulions du bien; aussi elle s'était apprivoisée, et, comme la chatte noire, était devenue notre hôte. Les soldats la connaissaient, et la nommaient la chienne du Clocheton.

Lorqu'elle entra, le jeune homme fit un mouvement de joie et luí tendit ses deux bras; il l'appella d'un nom qui nous était inconnu. La pauvre bête dressa les oreilles, regarda celui qui l'appelait ainsi, puis d'un bond, sautant sur ses genoux, le couvrit de caresses. C'était une scène empreinte d'une touchante simplicité ;-le jeune homme lui parlait comme si elle eût dû le comprendre. C'était tout le passé qu'il embrassait en embrassant sa tête fauve, marquée d'une étoile blanche. Il avait les larmes aux yeux. Il resta quelques instants encore; puis, nous désignant un portrait qui était pendu à un clou le long du mur:-"C'est le portrait de ma plus petite sœur," nous dit-il, " voulez-vous me permettre de l'emporter?" "Certainement," lui répondit-on, "tout ici est à vous; prenez ce que vous voudrez." Il décrocha le portrait et une petite gravure de la Cène, d'après Léonard de Vinci; puis, nous remerciant de son mieux, il alla retrouver le soldat anglais qui l'avait accompagné. On le vit s'éloigner dans la direction de Balaclava; mais, de dix en dix pas, il s'arrêtait pour regarder cette maison, que peut-être il ne devait plus revoir jamais.

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