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Tu sais d'où le rayon vint éclairer mon âme, Toi qui m'as révélé le grand secret des dieux... Tu m'as donné l'amour et j'ai donné la flamme; Et mes pâles héros, sous ton souffle de femme, Prirent l'expression et levèrent les yeux...

Ainsi, c'est donc à toi qu'appartiendra ce livre.
Qu'il soit bon ou mauvais, je n'en veux rien savoir:
Car je n'ai nul besoin de la gloire pour vivre....

Parlons bas, c'est le soir!

Le finale pourrait être plus vif, mieux enlevé. En général, M. Montégut part avec assez d'entrain; puis je ne sais quelle lassitude alanguit tout à coup sa démarche et amène des chutes moins heureuses. De deux choses l'une ou il n'a aucune foi en lui ou ses ardeurs viriles ont été dépensées ailleurs, aux plaisirs énervants qu'il ose chanter dans le sonnet que voici :

Après ces nuits qui rendent lâche
Et donnent des pâleurs de mort,
Après avoir rempli sa tâche

De bête en rut ou d'amant fort.

Brisé comme à coups de cravache, Quand vient le matin, on s'endort, Sommeil de plomb, morne relâche, Sommeil de brute à bout d'efforts.

Puis au réveil, dégoût suprême, Penser que l'on a dit : « Je t'aime! » A cette fille! Comme on fuit!

Mais le reste de la journée, On garde l'odeur obstinée De cette épouse d'une nuit.

Quoique nous n'affichions au Livre aucune pruderie et que nous ayons, comme on dit, la manche large, il nous est impossible de ne pas protester ici, au nom même de l'art, de la dignité humaine. Quel attrait si excitant trouvez-vous donc à cette recherche incessante de l'inconnu? Suivre une femme dans la rue, offrir ou accepter un rendez-vous dans l'espoir d'obtenir d'elle une volupté non encore ressentie et rejeter le fruit à peine mordu pour courir après d'autres, pensant qu'ils seront plus savoureux parce qu'ils sont différents, est-ce donc là le bonheur suprême, le noble emploi de la vie et des forces données à l'homme par la jeunesse? Il nous en coûterait trop d'insister sur un sujet aussi scabreux. Nous n'en voulons retenir qu'une leçon pour l'artiste qui s'oublie à de telles habitudes; son ardeur s'y épuise et ses œuvres dénoncent bientôt, par leur faiblesse et leur incohérence, les lieux où il s'attarde si souvent.

A. P.

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l'oreille est encore assourdie du chant monotone et criard des ennuyeuses cigales. Le charme est le même si, du milieu d'une école d'imitateurs usés, sort tout à coup la voix d'un poète original et neuf. Aussi bien avons-nous hâte d'applaudir aux fraîches impressions que rapporte M. Theuriet de sa Lorraine, cette contrée aux vastes sillons, aux plaines ondulées, si féconde en hommes vaillants et en paysages plantureux. On respire avec lui un air salubre, l'âpre et rustique verdeur forestière. On revient aux saines émotions des amours légitimes et aux douceurs consolantes du foyer conjugal. Ce nouveau que réclame à chaque âge la poésie et après lequel soupirait tout à l'heure Maurice Montégut, le voilà enfin; pas n'est besoin d'aller le poursuivre à travers les sentines et la boue. Toute génération qui essaime aborde la vie avec son printemps de jeunesse en fleur, ses espérances, ses illusions. Malheur à qui gaspille à tous les vents ce trésor de joie et de force; honneur à qui en garde précieusement les germes en soi. C'est un viatique salutaire, seul capable de réconforter dans la lutte, d'alimenter nos facultés naturelles et d'en régler le meilleur usage.

M. Theuriet a le sens intime de la poésie digne de ce nom et de son véritable rôle en ce monde. Il l'a définie en quelques vers très simples, qu'il applique à Brizeux, mais dont l'éloge lui revient à lui-même encore mieux :

C'est cette poésie aux discrets horizons
Chantant les coeurs naïfs et les pauvres maisons.

Elle aime les enfants, les souffrants, les timides, Les pleurs dissimulés au fond des yeux humides, Les dévoûments obscurs, les labeurs dédaignés, Les cœurs souvent meurtris et toujours résignés; Et dans ses vers émus consolant toute peine, Célébrant toute joie, elle est vraiment humaine.

Cette humilité volontaire n'interdit pas au poète de plus mâles accents ni la contemplation des spectacles grandioses que lui offre la nature. Écoutez-le se recueillant un soir d'automne en présence des étoiles qui lui rappellent les plaisirs et les peines des années déjà ensevelies :

Viens voir sur la colline, à l'heure où le jour fuit,
Les constellations éclore dans la nuit.
La campagne s'endort silencieuse. Ecoute!...
Les rumeurs des pesants chariots sur la route
Vont s'éloignant toujours. A peine, par moment,
Du fond de quelque ferme un sonore aboiement
Réveille les grands bois absorbés par leur rêve.
Les vagues des épis qu'un vent tiède soulève
Frissonnent, et l'on sent monter dans l'air obscur
La savoureuse odeur que répand le blé mûr.

Et là, devant ces témoins muets de son passé, il va l'évoquer d'un cœur attendri par la reconnaissance, égrenant les émotions qu'il éprouva tour à tour en des nuits pareilles, enfant ou jeune homme :

Enfant, je vous voyais de mon lit d'écolier
Poindre en un coin du ciel couleur d'aigue-marine,

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On perd tout, en un jour, jusqu'au morceau de terre
Où dorment les aïeux, où chantent les petits!...
Il faut abandonner le lieu qui vous vit naître,
Voir les meilleurs soldats tomber de toutes parts...
Heureux quand, pour l'honneur, ne surgit pas un traître
Qui livre à l'ennemi jusques aux étendards!
Plutôt la mort, mon fils, car la vie est fanée;
On traîne dans son cœur un remords éternel,
Et c'est en rougissant que l'on vient, chaque année,
Près des petits enfants, chanter: Noël! Noël!

Et qu'on en est réduit, quand leur voix douce et claire
Demande leur pays, à montrer, l'œil baissé,

Un pauvre sapin mort dans un monceau de terre,
En répondant Voilà ce qu'on nous a laissé!

Le petit Franz, avec un air de brusquerie,
Leva sur moi son œil tout chargé de courroux,
Puis il dit à mi-voix : « Ah! c'est là la Patrie!...

« Je grandirai, mon père. . et nous irons chez nous ! »>

La Berceuse, Au revoir, deux poésies encore dont nous voudrions transcrire quelques vers au moins. La mère chante : « Do, l'enfant dormira tantôt, »

tandis que les obus arrivent en sifflant dans Strasbourg assiégé; le père s'est battu toute la nuit; au matin, il revient à la maison: la mère avec l'enfant sont morts, tués par les obus de l'Allemand. Au revoir, l'Alsace et la Lorraine restent pays français; aux villages de là-bas, aux collines boisées, aux moulins sur les rivières, aux toits que les cigognes habitent, crions: Au revoir! La France saura bien reprendre l'Alsace et la Lorraine.

Il faut que le recueil des Poésies du vaincu devienne notre livre de chevet.

Pétrarque l'Afrique.

F. G.

Poème épique, traduit pour la première fois par VICTOR DEVELAY. 5 vol. in-32. Paris, 1882, librairie des bibliophiles.

Il y a déjà plusieurs mois que cette excellente traduction de l'Afrique, dont le vrai nom serait Scipion l'Africain, a paru. Ce n'est pas une actualité qui vieillira en quelques jours comme un roman banal; on recherchera dans quelques années cet ouvrage, tiré à petit nombre; l'Afrique de Pétrarque n'est pas populaire; elle l'a été durant plusieurs siècles. Quand on dit populaire, on n'emploie pas le mot propre, il faudrait dire célèbre. Les érudits de la Renaissance, en Italie, en faisaient presque autant de cas que de Virgile, puis l'Afrique est tombée dans un oubli profond, comme la plupart des livres écrits en latin et qui ne sont point classiques. Au moyen âge, le latin était la langue mondaine; on lisait l'Afrique. Pétrarque l'estimait son chef-d'œuvre; c'est le seul écrit de longue haleine qu'il ait laissé. S'il a conservé de la gloire, ce n'est pas comme auteur de l'Afrique; s'il· n'avait écrit que ce poème, il serait inconnu; il n'aimait pas les poésies en langue vulgaire, il les considérait comme un délassement à ses travaux sérieux; il leur doit pourtant le plus clair de sa renommée moderne; ce n'est pas que l'Afrique ne soit un poème d'une grande valeur. La poésie latine de Pétrarque a une facture antique; l'auteur écrivait et parlait la langue latine comme un ancien, de plus, il avait du génie et il a déployé à composer son Afrique les plus longs efforts... C'est dans sa retraite de Vaucluse, dit M. Develay, qu'il nommait son Hélicon transalpin, que Pétrarque entreprit d'écrire le poème de l'Afrique. Il conçut ce projet le vendredi saint de l'an 1339, dans une de ses promenades solitaires sur les montagnes. Il entreprit son œuvre comme on entreprenait un voyage autour du monde, alors que cela devait durer quatre ou cinq ans et qu'il était douteux qu'on menât l'affaire à bien. Les premiers livres terminés, le bruit se répandit qu'une nouvelle Énéide allait paraître. Ce fut un évènement qu'on célébra d'avance, comme au XVIIe siècle la Pucelle, de Chapelain; l'Afrique eut le même sort. Ce poëme s'ouvre avec l'entrée en scène de Publius Cornélius Scipion, durant la seconde guerre punique, et finit avec la bataille de Zama. Il y a neuf livres. Homère, qui hantait d'ordinaire l'imagination de Pétrarque, lui était apparu dans un songe et lui avait promis, en faveur de l'Afrique, le destin de l'Iliade. La prophétie se trouve fausse; sans doute l'Afrique peut être considérée comme l'œuvre d'un

des esprits les plus nobles, d'une des âmes les plus sensibles, d'une des imaginations les plus fécondes qu'ait enfantées l'humanité. Mais elle est écrite dans une langue morte, destinée être lue par des érudits, c'est-à-dire par des gens tout à fait étrangers à la poésie; elle ne descendra point dans l'esprit des foules. L'Afrique n'aura donc pas de lecteurs dans l'avenir, les jours de la langue latine sont comptés; M. Develay, en la traduisant, la remettra un moment au jour. L'heure est favorable : l'Italie émancipée recueille les débris de son passé; elle a fêté récemment le centenaire de Pétrarque, comme celui de Dante, de Machiavel et de plusieurs autres illustrations de la péninsule. On a réédité Pétrarque de toute part. Le texte original de l'Afrique fait partie d'un volume in-4" intitulé: Padova a Guanasco Petrarca, il 18 luglio 1874. Padova, della premiata, tipographia del Seminario, 1874.

C'était l'occasion de traduire l'Afrique; il nous semble pourtant que M. Develay exagère l'effet littéraire que l'Afrique va produire dans le monde. Il cite Lamartine : « Dante a été oublié pendant trois siècles, et puis, tout à coup, l'Europe s'est aperçue qu'elle avait une grande épopée originale enfouie dans les traditions littéraires de la Toscane. Milton a dormi plus d'un siècle dans son tombeau sans qu'on eût déroulé dans le manuscrit du Paradis perdu le legs immortel qu'il avait fait à l'Angleterre. Boileau a fait croire durant cent cinquante ans à la France que Pétrarque, le plus accompli des poètes de sentiment, égal en expression à Virgile, n'était qu'un faiseur de sonnets et un rimeur de jeux de mots; puis l'heure du grand et divin Pétrarque est revenue, et ce sera l'heure éternelle, et on le nommera à jamais le Platon mélodieux des poètes (Recueillements poétiques). » N'en déplaise à Lamartine et à M. Develay, Pétrarque restera ce qu'il est, le poète des rimes et des sonnetti. Ce n'est pas qu'il ne soit peut-être plus grand dans ses œuvres latines, et en particulier dans l'Afrique; mais il a écrit, nous le répétons, dans une langue morte, qui était morte au moment où il l'employait. Il a fait une œuvre d'archéologue; ses œuvres latines resteront enterrées dans quelques bibliothèques. De temps à autre, un curieux jettera un coup d'œil dessus et les admirera; il ne communiquera son admiration à personne. Le père des humanistes ne vivra, sauf son nom qui est consacré, qu'à titre de poète en langue italienne.

Il avait le pressentiment de ce qui est arrivé : « Pour toi, dit-il à son poème de l'Afrique, comme je le désire et l'espère, tu vivras longtemps après moi. Des siècles meilleurs viendront; ce sommeil léthargique ne durera pas toujours; les ténèbres se dissiperont et nos neveux pourront revenir à la pure et antique lumière. » Oui, ils reviendront à ce que Pétrarque nomme la pure et antique lumière, mais ils ne la chercheront pas dans l'Africa, œuvre archéologique; ils iront à Virgile, Horace, Homère. De plus, ils laisseront là les langues classiques et cultiveront la pure et antique lumière dans leur idiome national.

L. D.

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Qui n'a lu, au moins par hasard, les spirituelles causeries de M. de Cherville? L'Illustration, le Temps, publient ses articles sur la vie à la campagne. Et l'on y retrouvera toujours ce charme particulier qui appartient à ceux qui parlent de ce qu'ils aiment. M. de Cherville aime tout de bon la nature; comme le petit sorcier du conte, il entend pousser l'herbe, il jouit de l'harmonie mystérieuse de la sève qui parcourt en les faisant vibrer les fibres des arbrisseaux ou des chênes et des pins. Quant aux bêtes, il les fréquente, et il revient de leur fréquentation plus spirituel et plus indulgent: ce qu'on n'obtient pas toujours dans le commerce des hommes.

Son livre d'aujourd'hui, c'est de l'histoire naturelle anecdotique. L'anecdote y est contée allègrement, en jolis mots, sans prétention. En lisant, il semble, tant c'est coulant et récréant, entendre dans un salon un de ces causeurs d'autrefois qui, ignorants ou dédaigneux du cant anglais et de la froideur de notre étiquette mécanique, donnaient à l'esprit français cette allure et cette bonne grâce qui ont plus fait encore que nos armes pour étendre et affermir l'influence de notre race.

Et ce n'est pas un vain passe-temps que la lecture de ce livre. Que vous soyez ou non chasseur, vous y apprendrez mille curieuses particularités sur les animaux, leurs mœurs, leur origine, leur instinct. Quelle aimable philosophie on recueille dans ces pages si simples!

Ou si vous êtes chasseur, oh! alors, ce sera de la joie, de l'enthousiasme. Car M. de Cherville, chasseur presque dès le berceau, vous en dira de ces histoires de chasse qui ont le mérite rare de n'être pas invraisemblables; et bien plus il vous indiquera des moyens, des diagnostics, des trucs, pour guetter, surprendre et prendre le gibier.

C'est même un cas original. M. de Cherville aime les bêtes, mais il préfère les chasseurs. Il n'est pas jusqu'à la tourterelle, la gémissante tourterelle, qu'il n'examine au point de vue culinaire. Et s'il plaide pour la vie de l'oiseau, c'est par cette circonstance atténuante que, jeune, elle n'est qu'un rôti passable. Vieile, elle est coriace et vous laisse le regret de ne l'avoir pas laissée à ses amours errantes. Et toute la grâce qu'il lui accorde, c'est de la ranger parmi ceux qu'on ne chasse pas et qu'on tue seulement par occasion.

Mais pour racheter à nos yeux cet endurcissement égoïste de chasseur passionné, M. de Cherville déploie les ressources d'un style coloré et d'une variété de paysages exquis. Voyez le début même de ce chapitre sur les Tourterelles. L'écrivain nous communique la sensation de ces dessous de bois, de ces bords de marais, de ces brumeuses matinées, que connaît si bien l'homme de campagne et l'homme de chasse.

Et puis la note gaie ne manque pas d'une bonne gaieté discrète et sans apprêt. La fin du chapitre sur le Rossignol de muraille, et le mot du paysan wallon me peuvent servir d'exemple. Et si vous voulez un peu d'émotion, poursuivez la lecture, vous serez tout surpris de vous attendrir doucement, comme au chapitre de la chèvre, quand M. de Cherville nous conte l'histoire de cette pauvre folle qui, la nuit, amène sa chèvre, au cimetière, la trait et verse le lait sur la tombe de son nourrisson défunt.

C'est un délicat régal que ce livre. Grand est notre regret de n'en pouvoir citer quelques fragments, tel que le Premier lapin, ou les Corbeaux, que M. de Cherville nous montre doués d'un sens que bien des hommes négligent : le sens social et la défense mutuelle.

P.

Essai sur la vie et les œuvres de Lucien, par MAURICE CROISET. Paris, Hachette, 1882, in-8°. Prix 7 fr. 5o.,

Il est fort docte cet essai, plein de raisonnements justes, de déductions ingénieuses. N'est-il pas même un peu trop sérieux? Quand il s'agit d'attraper des papillons ou des libellules, on ne se munit pas d'énormes pincettes, pas plus qu'on ne charge jusqu'à la gueule des canons à mitraille pour abattre un colibri. J'aurais désiré que l'érudit professeur de la faculté de Montpellier, dont j'estime le savoir, eût mis une certaine coquetterie à le déguiser sous des airs moins solennels, à rire de temps à autre avec son auteur favori. Il constate quelque part des lacunes dans l'instruction de Lucien, son ignorance des sciences physiques et mathématiques, ses aperçus légers et superficiels en philosophie et en histoire. Oui, sans doute, le charmant railleur ne fit qu'effleurer les systèmes, crainte de s'y enfoncer jusqu'au cou. Son esprit vif et rapide, courant sur les idées et sur les faits, n'emportait en se jouant que les particularités piquantes, de quoi animer ses folles inventions. Oh! tant mieux. Il n'en sera que plus alerte à son métier de critique, pas grec, sans rien d'allemand, ni de pédantesque, Moins frivole, il n'eût peut-être pas saisi si finement les ficelles et ridicules des puffistes de son temps; plus crédule, il n'eût pas osé se moquer avec tant de gaieté des abstracteurs de quintescence, des assembleurs de nuages, des mystagogues et des hiérophantes. Il y a plaisir à voir cet ignorant si malin décocher mille flèches qui volent en sifflant, se planter dans les vieilles idoles et prouver au vulgaire superstitieux que ce n'est là que du bois mort.

Un Français, en étudiant Lucien, doit fatalement songer à Voltaire; entre les deux le parallèle s'impose, et M. Croiset ne l'a pas esquivé. Après avoir reconnu chez l'un et chez l'autre une vivacité satirique heureusement unie à une grâce enjouée, il accorde à Lucien plus d'imagination, plus d'observation extérieure, plus d'instinct pittoresque. En revanche, Voltaire, préoccupé davantage des opinions qui lui tiennent au cœur et qu'il veut faire triompher, jette à la volée ses mots spirituels, ses traits plaisants, avec une insouciance qui donne à sa manière un attrait exquis. Écrivain aussi parfait que le sophiste grec, on le sent partout supérieur au souci de bien dire, seul tourment de son rival. Et voilà comment nous pouvons continuer à admirer Lucien sans être ingrats à l'égard de celui qui, chez nous, le remplace.

A. P.

Les Satires de Juvénal, traduites en vers français, par JULES LACROIX. Paris, Hachette, 1882, in-12. Prix : 3 fr. 50.

Couronné par l'Académie française en 1847 et honoré, à cette occasion, par Villemain des éloges

les plus flatteurs, l'ouvrage de M. Jules Lacroix ne se trouvait plus depuis des années en librairie. On fait donc bien d'en publier une nouvelle édition. L'auteur, si applaudi aux Français chaque fois qu'on y représente son magnifique moulage de l'Edipe roi, n'a pu achever, à cause de sa vue affaiblie, les recherches érudites dont il voulait accompagner cette traduction de Juvénal. C'est son frère aîné, notre éminent collaborateur, Paul Lacroix, qui en a surveillé l'impression. Telle qu'elle est, nous ne doutons pas de son succès. Malgré ses exagérations, ses violences, ses cris d'école, le satirique latin jouit encore d'une certaine popularité. Il faut avouer aussi que l'humanité n'applaudit volontiers qu'aux écrivains qui l'encensent ou à ceux qui la fouaillent; elle est froide envers ses peintres véridiques.

Néanmoins, en lisant Juvenal, on est souvent tenté de se demander ce qui a pu soulever dans son àme tant d'amertume et de colère. Pourquoi d'une époque si paisible, si heureuse, n'a-t-il laissé que des tableaux repoussants? Énigme difficile à dé-.

brouiller.

P.

BEAUX-ARTS

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vic Lalanne qui pourraient être tentés de suivre l'excellent exemple qu'il vient de leur donner.

Les dehors du manuscrit ne payaient pas de mine, paraît-il. « C'était un in-quarto couvert d'une reliure de veau brun en très mauvais état. Le titre inscrit au dos Emblemata Fortuna, annonçait un de ces ennuyeux livres allégoriques à la mode au XVIe siècle et dont le plus célèbre est celui d'Alciat ». Sur la première page on lisait (en latin) : le Livre de Fortune, contenant cent emblèmes et cent symboles, avec ses divisions, quatrains, distiques, et un grand nombre d'arguments et d'explications variées, etc. Et d'une autre écriture, au-dessous : De la main de Jehan Cousin. M. Ludovic Lalanne a découvert que l'auteur de toute cette latinerie, dont il nous fait grâce, était un sieur Imbert d'Anlezy, seigneur de Dunflun, en Nivernois. Ce qui seul nous intéresse, c'est que à chacun de ces emblèmes et de ces symboles placés en regard l'un de l'autre est consacré un dessin occupant une page entière; le premier représentant une composition allégorique, le second formé d'ornements ou de motifs décoratifs servant de cadre à une citation ou une sentence latine. Ces dessins exécutés à la plume, sauf six à la sanguine, sont tracés d'une main libre, facile, très sûre d'elle-même, devenue un peu cursive par suite d'une longue pratique du dessin en vue de la gravure sur bois aux tailles larges, sommaires et claires. Les formes sont longues, élégantes, les têtes et les extrémités petites, les nus modelés en

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