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Je terminerai en faisant une simple mention de quelques livres dont le sujet est par lui-même assez important, mais qui sont dénués d'intérêt pour les lecteurs français. The Reign of William Rufus and the accession of Henri I1, par Edward A. Freeman, est une œuvre de mérite due à un historien très intelligent et très sincère, mais qui est aussi impatient de contradiction qu'honnête dans ses convictions, et chez lequel il y a au moins autant de l'avocat que du juge. The Friendship of Mary Russell Mitford as recorded in Letters from her Literary Correspondents 2. Ce livre, édité par le rév. A.-G. Lestrange, nous fournit de nouveaux détails sur une femme auteur dont nous avons beaucoup entendu parler en Angleterre, et dont nous ne sommes jamais las d'entendre parler. Miss Mitford est une des plus agréables figures de la littérature anglaise, et le public qui lit a un appétit insatiable pour tout ce qui la concerne.

ont maintenant presque le monopole de ce genre de littérature. The Golden shaft (la Flèche d'or), par Charles Gibbon, est un roman très caractéristique et très piquant, sorti de la plume d'un habile écrivain. All sorts and conditions of Men (Hommes de toute sorte et de toute condition), le premier ouvrage écrit par M. Walter Besant depuis la mort de James Rice, avec la collaboration duquel toutes ses autres œuvres, si connues, ont été composées, ne montre aucune défaillance pour l'imagination, la vigueur et le style. Le fait que M. Besant était le plus fort de ces deux collaborateurs, espèce d'Erckmann-Chatrian anglais, avait toujours été soupçonné et semble désormais. hors de conteste.

A la fin de cette correspondance, il faut que je consacre une mention au professeur Palmer, dont la triste destinée a jeté comme un voile de mélancolie sur Londres et sur Cambridge. Le plus versé de nos érudits dans la connaissance de l'arabe, le professeur Palmer, accompagna nos troupes en Égypte, et, dans son rôle d'interprète, partagea le sort de deux officiers avec lesquels il s'était aventuré dans l'intérieur. Connu comme il l'était par les Arabes, qui lui donnaient le nom de cheikh Abdullah, il n'avait pas même l'idée qu'il pouvait courir un danger. Il n'en fut pas moins pris et massacré. Le professeur Palmer était un des fondateurs du Rabelais-Club. Qu'un homme aussi distingué ait péri de cette façon,

J'ai sur ma table le nombre ordinaire de livres de voyages. Un ou deux seulement ont assez d'intérêt pour s'élever au-dessus du niveau commun. The Mery oasis 3, par E. Donovan, est un récit frappant d'une de ces entreprises faites par la presse quotidienne et qui sont un des traits les plus singuliers de notre époque. A Winter in Tangier and Home through Spain, par Mrs Howard Vyse, présente une belle peinture de la vie dans les pays méridionaux. Il y a peu de romans importants qui aient vu le jour. MM. Chatto et Windus.c'est là un fait profondément regrettable. Sans

1. Oxford, Clarendon Press. 2 vol. 2. London, Hurst and Blackett.

3. London, Smith Elder and Co. 4. London, Hatchards.

avoir la moindre envie de plaisanter, je pose ici la fameuse question: «Que diable allait-il faire dans cette galère? »

JOSEPH KNIGHT.

HONGRIE

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Né à la première heure de l'année 1823, fils d'un boucher de Kis-Koeroes, Petofi disparut - immortel à l'âge de vingt-six ans dans la bataille de Segesvar, le 31 juillet 1849. Sa mort n'a pas été constatée, mais on ne l'a jamais revu. Sa jeunesse ne fut pas heureuse.

Au temps où il fréquentait le lycée de la ville de Selmec, il allait souvent au spectacle, malgré les sévères défenses des professeurs, après avoir vendu de petits objets dont il croyait pouvoir se passer, ce qui lui permettait de prendre une modeste place de galerie. A la fin du semestre, on lui délivra un témoignage qui était — mauvais et qui fut envoyé à son père avec une lettre du bourgeois chez qui Petcefi logeait, qui lui apprenait que son fils ne rentrait que très tard. La conséquence fut que le père déclara ne plus vouloir s'occuper de son fils.

Ayant quitté la ville de Selmec, le jeune Alexandre alla à pied à Pest, où il joua au théâtre des personnages muets. Son père étant venu à Pest pour le voir, le fils évita de le rencontrer. Après avoir passé quelque temps en province chez un de ses parents, qui le fit retourner à l'école, où il apprit à connaître les classiques romains, Petœfi alla à Sopron pour s'y faire enrôler; mais, son régiment ayant dû aller en Croatie, et lui étant tombé malade en route, il fut renvoyé sur le conseil d'un médecin militaire.

Il rentra au collège, mais il en fut bientôt exclu. Après avoir suivi quelque temps une troupe d'acteurs ambulants, il reprit de nouveau le chemin de l'école. Redevenu acteur pendant les vacances, il écrivit un grand nombre de poésies qu'il publia dans différentes feuilles et s'étant mis à traduire deux romans de l'allemand, il se fit enfin collaborateur d'un journal de Pest. C'est là que pour la dernière fois il voulut se faire acteur, mais il échoua complètement. Pour se dédommager de ce mécompte, il se mit à publier ses poésies et même un roman assez faible 1. Deux drames qu'il avait composés ne furent jamais représentés.

1848 approche, Petofi sera le Tyrtée de la révolution hongroise. Il se fait soldat, devient même major, quitte le service, retourne dans le camp du général Bem et disparaît dans la bataille de Segesvar, qui fut livrée contre les Russes.

Malgré diverses poésies épiques, Petofi (lisez Peteufi) est poète lyrique par excellence. Jean Arany (lisez Aragne), qui vient de mourir, et que je vous ai déjà souvent mentionné, est, lui, poète épique, bien qu'il ait aussi composé des poésies lyriques.

1. Petofi a traduit aussi diverses poésies françaises et anglaises et le Coriolanus de Shakespeare.

Petofi est subjectif, Arany est objectif. Petafi est passionné, il s'enthousiasme pour les grandes idées et exprime ses sentiments tels qu'il les éprouve, avec une force irrésistible. Arany garde toujours une noble harmonie; Petafi s'abandonne à son imagination et ne connaît pas d'obstacles. Arany est plus critique; Petofi est tantôt plaisant et naïf, tantôt satirique mordant et désespéré. Arany a un humour qui réchauffe le cœur et une ironie qui trahit la douleur; Petofi chante l'amour et le bonheur qu'il procure en s'abandonnant à des transports dithyrambiques. Arany n'a point publié de poésie amoureuse. Petæfi ne soigne pas la forme; Arany est même en cela passé maître.

Fr. Toldy, professeur de littérature, mort il y a quelques années, dit à propos de Petcefi1: « C'est le poète hongrois que l'étranger connaît le plus, mais pour la plupart seulement par de mauvaises traductions. Et cependant on l'aime pour la fraicheur native de sa veine lyrique, qui, si même elle blesse quelquefois le bon goût par sa sauvagerie, trahit toujours la noble source dont elle jaillit. »

Le meilleur traducteur de Petcefi, puisque nous avons touché cette question, est Ladislas Neugebauer, qui a traduit une centaine de ses poésies en allemand. Une brochure qui a paru il y a peu de temps a beaucoup contribué à faire connaître notre poète en Allemagne. L'auteur est M. le Dr Fr. Bubenik, qui publie dans son élégante brochure le récit d'uné conférence qu'il a tenue à Vienne. Il s'est acquis des droits à notre reconnaissance par son travail consciencieux et le succès dont il a été couronné.

Mentionnons encore la traduction allemande du beau poème le Héros Jean, par J. Schnitzer 4. En France, c'est Saint-René Taillandier quị l'a fait connaître; en Angleterre, John Bowring; en Amérique, William Loew (New-York, 1881); il a eu pour traducteurs, en Italie, Giuseppe Cassone (Noto, en Sicile, 1874, 1879, 1881) et M. Bolla (Trieste, 1880); en Bohême, MM. Tuma et Brabek; en Pologne, Mme Prussakowa, M. Dmochowski (1859) et M. Sabowsky. Il a été de même traduit partiellement en russe, en serbe, en finnois, en suédois, en danois et en flamand.

Petofi est original dans le meilleur sens du mot, et ses poésies portent avant tout le cachet de

1. Histoire de la littérature hongroise, 1877, t. V.—. La dernière édition hongroise des poésies de Petofi a paru depuis peu à Budapest. (Athenæum, 1882.) 2. 100 Lieder von Petœfi. Leipzig, 1879. Wiegand. Une deuxième édition va paraître.

3. Alexander Petofi. 1882. Vienne. Hartleben. 4. Held Janos. Budapest. Imprimerie Hungaria.

la vérité. Son langage est tout à fait populaire. Il n'y a pas de poète que le peuple connaisse autant que lui. Il est plein de cœur, d'idéalisme, d'ardeur, et se caractérise très bien quand il dit : Pour l'amour, je donnerais facilement ma pauvre vie; mais, pour la liberté, je donnerais bien l'amour!

« Sa fantaisie, dit le professeur Beœthy, en parlant de Petcefi, n'est pas proportionnée à son jugement, qui est moindre, ni son ardeur indomptable à son sentiment artistique, qui a moins de sûreté. »>

Ce n'est pas là ce qu'on pourrait dire de Jean Arany (lisez Aragne), qui, dans tous les genres de poésies, du genre épique ou lyrique, de l'épopée à l'anecdote, de l'ode au chant populaire, n'a créé que des chefs-d'œuvre.

Sa vie, d'ailleurs, a été plus tranquille que celle de son ami Petofi. Fils d'un paysan de petite noblesse, il voulait, lui aussi, après avoir achevé ses études, se faire peintre, sculpteur ou acteur ! Acteur, il le fut en effet, mais pour peu de temps seulement, et, rentré désillusionné à la maison, il s'y mit à enseigner les langues hongroise et latine pour être ensuite, en 1849, vice-notaire de la ville de Szalonta. Ayant appris l'allemand, il voulut savoir le français. Il lut Télémaque, Florian, Molière et même Crébillon. Puis, venant à l'anglais, il lut Shakespeare dans sa langue originale et en traduisit Jean II et Richard II. Il s'était mis à l'étude des ouvrages littéraires les plus célèbres, aussi bien en hongrois que dans d'autres langues, après avoir fait la connaissance de Paul Tæræk, maintenant surintendant à Budapest, un de ces hommes aussi estimables par les qualités du cœur que par la noblesse des sentiments, - qui mit à la disposition d'Arany sa riche bibliothèque.

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Arany remporta en 1845, avec sa Constitution perdue, le prix que la société Kisfaludy avait proposé pour une épopée comique; en 1846, il obtint un autre prix pour son poème populaire, Toldi. En 1847, il entreprit la troisième partie de Toldi,

qui devait être une trilogie, et écrivit son poème : le Siège de Murany. En 1849, il devint employé au ministère hongrois à Debrecen, et, en 1851, professeur des langues hongroise et latine au gymnase de Nagy-Koeroes. Nommé directeur de la Société Kisfaludy à Pesth, il vint s'y établir en 1860, et c'est là qu'il mourut le 22 octobre 1882, directeur de l'Académie des sciences, dont il était en même temps secrétaire général honoraire.

Composition, langage, forme, caractères, narration, tout est beau, rien n'est à reprendre dans Arany. Ses traductions rivalisent par la valeur littéraire avec les ouvrages qu'il a traduits. Outre les deux pièces que nous venons de mentionner, il a encore traduit le Philoctète de Sophocle, le Hamlet et le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, et tout le théâtre d'Aristophane.

Son œuvre la plus populaire est la trilogie du héros Toldi (terminée en 1879), dans laquelle il se conforme au principe qu'il avait formulé en ces termes : « La tâche du poète populaire n'est pas de prendre le ton rude du peuple, mais bien plutôt de l'initier à la compréhension des plus grandes beautés politiques en écrivant dans une forme qu'il puisse goûter. » Cette tàche, Arany l'a entièrement remplie.

La Mort de Buda (Buda-Bléda, Blædelin) est une épopée qui aurait dû être aussi la première partie d'une trilogie.

L'édition définitive de ses œuvres, poésies, poèmes, essais critiques et traductions, va paraître à Budapest, en huit volumes, chez M. Rath, qui publiera de même sa correspondance avec Petofi.

Peut-être aurons-nous encore, quand cette publication aura été terminée, l'occasion de revenir sur Arany, à l'égard duquel nous nous bornons aujourd'hui à cette courte esquisse, mais nous ne quitterons pas le grand poète sans prévenir à l'étranger le public qu'Arany, de l'avis unanime des critiques hongrois, «< a été notre plus grand poète! >>

EUGÈNE SCHWIEDLAND

COMPTES RENDUS ANALYTIQUES

DES PUBLICATIONS NOUVELLES

JURISPRUDENCE

Précis de droit civil contenant dans une première partie l'exposé des principes et dans une deuxième les questions de détail et les controverses, par G. BAUDRY-LACANTINERIE, professeur de droit civil à la Faculté de droit de Bordeaux. Paris, Larose et Forcel, Hbraires-éditeurs, rue Soufflot, 22. (Les deux premiers volumes ont paru, le troisième et dernier est sous presse.)

Dirigé par le désir et soutenu par l'espérance de rendre l'étude du droit plus accessible à la jeunesse des écoles, M. G. Baudry-Lacantinerie s'est imposé la rude tâche de publier, en trois volumes seulement, un commentaire très approfondi du Code civil.

Cupidæ legum juventuti. C'est la dédicace que le savant professeur de la Faculté de droit de Bordeaux a modestement jugé utile de mettre presqu'à la fin de sa préface. D'ailleurs, il suffit de lire la dernière phrase de cette même préface, pour être pénétré du vif attachement que M. Baudry-Lacantinerie éprouve à l'égard des étudiants. Comme récompense de ses vaillants et laborieux efforts, il ne demande que la réussite d'avoir aplani à la jeunesse les voies d'une science qui ne doit en très grande partie d'étre réputée aride et difficile qu'à la manière dont elle est présentée.

Pour une œuvre semblable de tels voeux ne peuvent que se réaliser et au delà. L'auteur se fàcherat-il si nous affirmons au professeur que son travail est fait pour franchir les limites de l'enseignement scolaire?... qu'un ouvrage aussi net, aussi concis, aussi plein est assez bon pour servir à autre chose qu'à la préparation d'examens de droit ?

Il n'est guère possible d'écrire un commentaire qui contienne dans des limites aussi resserrées une explication du Code civil plus claire, plus complète, même au point de vue historique.

Supérieur à l'étude que l'on est obligé de faire soi-même sur les livres, en ce qu'il frappe davantage l'esprit en tenant la pensée plus attentive, l'enseignement oral, grâce à la flexibilité de la parole, procure en outre l'immense avantage de proportionner les problèmes juridiques à l'inexpérience des auditeurs. Or puisque, au dire de l'auteur, ce précis de droit civil est spécialement destiné aux étudiants obligés

de préparer seuls leurs examens de licence ou de doctorat, M. G. Baudry Lacantinerie s'est efforcé (certes, il a réussi) de communiquer à son travail la plupart des avantages de l'enseignement oral. « Dans «< ce but, écrit le distingué professeur, j'ai adopté << une méthode nouvelle, ou qui du moins n'a pas en« core été pratiquée par les jurisconsultes français. « J'ai divisé mon ouvrage, au point de vue des ma«tières, en deux parties, qui, quoique mêlées en« semble, se distinguent aisément l'une de l'autre par « un signe matériel, une différence typographique. «La première partie renferme l'exposition des règles < générales et l'explication des textes; elle est im«< primée en gros caractères. La seconde partie, plus « spécialement consacrée aux données historiques, << aux controverses, aux questions de détail, est im<< primée en caractères plus fins. Elle contient un << certain nombre de numéros, d'alinéas marqués « d'un astérisque : Ces passages sont consacrés à l'exa« men des questions les plus difficiles... Ainsi, grâce << à cette disposition, le Précis de droit civil présente « en quelque sorte trois ouvrages réunis en un seul, << trois ouvrages parfaitement distincts et qu'on peut « lire séparément, suivant le degré de ses connais«sances acquises ou qu'on veut acquérir. >>

Il est à regretter qu'aux développements théoriques, qui révèlent une intelligence parfaite du Code civil de la part de M. Baudry-Lacantinerie, ne se trouve pas jointe l'indication précise des éléments de jurisprudence que ce dernier a eu le soin d'analyser pour donner la solution des controverses les plus vivement débattues. Car, nous ne saurions trop le répéter, et par sa science et par son explication de toutes les lois civiles, jusqu'aux plus récentes, cet ouvrage, dont le titre est trop modeste, s'adresse aussi bien au PALAIS qu'à l'ÉCOLE.

Quoi qu'il en soit de cette critique, parcourant la veille encore quelques pages de ce précis, nous nous sentions l'esprit satisfait par la fermeté et la sobriété du style de l'écrivain, par sa méthode claire, insinuante pour ainsi dire, et, comme autrefois à l'école, il nous semblait entendre encore la parole nette, limpide en même temps que douce de l'éloquent professeur.

L. B.

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Ecole menaisienne. Lamennais, par l'abbé RICARD, prélat de la maison de Sa Sainteté. 2° édition refondue et complétée. Paris. E. Plon et Cie, éditeurs, 10, rue Garancière, 1883.

Vivement sollicité par ses auditeurs, M. l'abbé Ricard s'est décidé, il y a quelques mois, à mettre en volume les leçons qu'il venait de professer sur l'École menaisienne à son cours de théologie, dans les villes d'Aix et de Marseille. A peine la première édition de ce livre avait-elle paru qu'elle fut aussitôt épuisée. La presse de toutes nuances mit un empressement inaccoutumé à s'occuper de cette œuvre.

Succès oblige. Nous avons aujourd'hui une seconde et nouvelle édition refondue et corrigée. Pour donner sous son jour véritable et avec plus de ressemblance la physionomie de ce prêtre qui passa la seconde moitié de sa vie à maudire ce qu'il avait adoré pendant l'autre moitié, l'historien de Lamennais a su utiliser les éléments d'information que plusieurs anciens disciples de la Chesnaie ont eu à cœur de lui procurer.

En écrivant la vie du renégat breton, l'auteur a eu pour but d'étudier en détail la doctrine de cet esprit immodéré « moins à cause de sa valeur propre qu'à cause de l'influence qu'elle a exercée sur le mouvement religieux de notre époque». C'est ainsi que le biographe a été amené à faire l'historique de ce qui, dans les annales du monde, est toujours un fait grave, cáractéristique: l'établissement d'une école.

Mais comment se rendre compte exactement de l'influence d'une école si l'on ignore l'esprit et les tendances de son fondateur? Comment aussi comprendre la vie d'un homme celèbre, si l'on ne se fait pas une idée précise du temps où il a vécu? « Ce « serait une folle entreprise, dit M. l'abbé Ricard, « que de détacher, dans un vaste tableau d'histoire,

« une figure, si importante soit-elle, en la découpant «<et l'isolant du reste de l'action. Sans horizon, sans « paysage, sans compagnon et sans arrière-plan, la << figure devient banale, presque inintelligible. » D`ail- ̧ leurs, M. l'abbé Ricard a tellement bien compris cette vérité de l'ordre historique que dès les premières pages de son livre, où se trouve dépeint le tableau saisissant de l'état de l'Église sous Napoléon Ier et sous la Restauration, il dresse dans son cadre parfait, fait mouvoir dans son milieu l'originale physionomie de Lamennais. Cette introduction est la meilleure partie de l'ouvrage de M. l'abbé Ricard.

Quelle que soit sa manière d'apprécier ce prêtre sans printemps, suivant sa propre expression, l'auteur n'a pas failli à la tâche qu'il avait assumée. Il a dévoilé la vérité sans passion comme sans faiblesse. Nulle part, dans le cours de son récit, il ne saurait être surpris en flagrant délit de prêtre historien prononçant un réquisitoire contre un prêtre apostat. Bien plus, le professeur de théologie a des tendresses pleines de mélancolie à l'égard du chef de l'école menaisienne; tout ce qui pourrait amoindrir la gloire du maître de la Chesnaie, vite, il essaye de l'anéantir, sinon de l'atténuer. Ne semble-t-il pas de prime abord que ce soit là, de la part de l'abbé Ricard, une habile inanœuvre d'historien élevant très haut, le plus haut possible, son héros pour mieux le tomber ensuite? II n'en est rien; à ses yeux, Lamennais est un homme de génie tout au plus..... dévoyé. Un génie! c'est trop dire. Il eût fallu à Lamennais à la fois la grandeur et la mesure; rarement il eut la grandeur et presque jamais la mesure. On a bientôt tari la source des éloges, quand on accorde à ses écrits, remplis d'emphase et de declamation, qu'ils ont parfois la pointe de Sénèque et la rondeur de Cicéron.

Le livre impartial de M. l'abbé Ricard est le dernier mot sur la vie et la doctrine de Lamennais. L. B.

QUESTIONS POLITIQUES ET SOCIALES

L'instruction civique à l'école, par M. PAUL BERT, député, membre de l'Institut. Un vol. in-12, 6° édition. Paris 1882 (Picard-Bernheim et Cie).

Voici un petit volume qui a fait grand bruit, encore qu'en principe il constitue une publication ex

cellente. Dans un pays de suffrage universel, tout citoyen ne devrait-il pas connaître, au moins superficiellement, les principaux rouages de la machine gouvernementale: Vulgariser, en cette matière, c'est tuer dans l'œuf les Communes futures, c'est prévenir des attentats aussi insensés que ceux de Montceau

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