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dit que c'est celui qui rit bien. Souhaitons que cela lui dure.

« L'émoustillante bonne humeur et l'ingénieuse fantaisie recouvrent une mise de savoir. » Trop d'adjectifs dans la réclame. Et le savoir est si bien recouvert qu'il ne paraît plus du tout. M. E. Nus nous montre bien qu'il est capable de lancer de gros pavés dans les questions de politique et d'éducation qui font le souci des hommes les plus sérieux et les mieux pourvus d'un savoir qui ne se recouvre de tant de voiles. Mais il ne nous a rien appris sur ces questions. Il ne nous a pas même persuadés qu'elles soient à dédaigner: ce qui semble son but,

Il ne suffit pas pour composer un livre amusant et piquant de s'escrimer contre les thèses en discussion. Pour le faire, il est nécessaire d'avoir soi-même une opinion fondée, qui se fasse jour à travers les sar

casmes.

Encore si M. Nus avait légèrement esquissé les scènes qu'il délaye, s'il avait consenti à resserrer la trame de ses récits, réuni en faisceau les traits et les mots spirituels clairsemés dans tout ce volume, il eût pu occuper agréablement l'esprit d'un lecteur désœuvré pendant une heure ou deux. Mais c'est un travail ingrat que de traverser péniblement une dizaine de pages pour rencontrer une phrase plaisante ou une idée bien venue.

Le prospectus évoque à propos de M. E. Nus les illustres humoristes et les railleurs profonds de Lucien à Rabelais, d'Érasme à Henri Estienne, de Voltaire à Henri Heine et à Paul-Louis Courier. J'en suis bien fâché, mais ni Lucien, ni Rabelais, ni Érasme, ni Henri Estienne, ni Voltaire, ni Henri Heine, ni Courier n'appelleront le souvenir de M. E. Nus et de son livre Nos bêtises.

P. Z.

Tout feu, tout flamme, par QUATRELLE. Paris,

Hetzel, éditeur. in-18. - Prix, 3 francs.

C'est flambant en effet ces esquisses. Quel joyeux entrain assaisonné de fine ironie! Ce n'est pas que tout soit également achevé; il est quelques passages longs, des détails insuffisamment intéressants; par exemple cette description des baraques foraines au 14 juillet, sous le titre : « Allez, la musique ». Pour quelques observations curieuses provoquant deux ou trois réflexions drôles, il s'y trouve bien des traits empreints de vulgarité. J'ai hâte d'ajouter que c'est le morceau le moins réussi, encore qu'il puisse plaire à ceux que n'a pas rendus difficiles le soin minutieux de l'auteur des Ancêtres du Photographe et du Locataire timoré.

Cette dernière fantaisie surtout est un petit bijou d'humour, d'esprit impromptu, et d'heureuses rencontres de mots.

Le locataire timoré est un pauvre diable qui perche au cinquième et, malgré le prix modique du loyer, doit trois termes au propriétaire. On l'expulse naturellement: comme il a donné à comprendre que son mobilier, un mobilier rudimentaire! est habité intérieurement par des carnivores nocturnes, on le lui laisse. Il

va donc l'installer dans une logette du septième étage. Mais il avait eu un trait de génie, ce locataire. Près de la porte de son ancien logement il avait accroché un tronc pour le propriétaire. Chaque visiteur était invité à y déposer son offrande. C'est ainsi que le loca. taire se trouve possesseur de 37 fr. 55 cent. Il faut se consoler de la misère; donc il croque ses 37 fr. 55. en un dîner au Grand Hôtel, il achève de les boire: sous forme de chartreuse en compagnie d'une jeune personne qui n'a jamais eu dè mère. Après quoi une série d'aventures, qui l'amènent au poste du Panthéon. Le malheureux a oublié sa nouvelle adresse. La façon dont il la retrouve est d'une originalilé bien amusante: il donne son propre signalement au commissaire, comme celui d'un camarade qui lui a volé ses meubles. La police recherche le fripön. Et le soir le commissaire raconte au locataire, étonné des additions et enjolivements, son histoire de la veille. Mais la conclusion est ce qu'il souhaite: son adresse est retrouvée.

J'ai presque regret de déflorer cette narration toute pleine de détails imprévus et de facétie discrète : elle vaut tout le volume. Une mention particulière cependant pour cet article piquant intitulé: Du Louvre au Bon Marché. C'est risqué, mais c'est sauvé. M. Quatrelle baisse à point les stores, et nous n'avons qu'à rire de la surprise réservée par sa femme à ce pauvre mari qui l'attend dans la voiture en lisant les journaux. Cependant, madame, soit disant occupée à choisir dans le bazar à la mode, n'a fait que le traverser pour remonter dans un autre coupé où l'attend un autre monsieur. Autrefois l'Église a servi pour le même manège.

Et puis, c'est écrit, c'est du français de Paris, du style alerte, sans contorsion. Ce livre a droit d'hospitalité chez les amateurs du style et de l'esprit. Et nous constatons avec joie son succès qui prouvera qu'un volume de nouvelles et d'articles de Paris plaît au public et se fait lire et acheter quand il en vaut la peine et l'argent.

P. Z.

Virginité, par CHARLES LEGRAND. Paris, Maurice Dreyfous, 1882, 1 vol. in-18 jésus. Prix: 3 fr. 5o.

Le roman de M. Charles Legrand est une œuvre consciencieusement et longuement étudiée. On sent partout une préoccupation du style aussi soutenue, aussi suivie que la préoccupation du sujet; au milieu de nos romanciers à la vapeur c'est un éloge sur lequel on doit appuyer, surtout lorsqu'il s'agit comme ici d'un jeune écrivain.

Son Histoire d'une comédienne est fort originale et on voit qu'il a caressé avec une passion de lettré et d'observateur la curieuse physionomie d'Alberte Engherard. Du reste tous ses personnages, à quelque plan qu'ils se trouvent, ont été étudiés comme la figure principale et ils se meuvent à leur place, dans leur sphère plus ou moins étroite, sans qu'il soit nécessaire de leur ajouter un trait: il ne leur manque ni une ombre ni une lumière. La figure du grand compositeur Franz Harlowitz se tient d'un bout à

l'autre du roman, avec ses défaillances et ses emportements, toutes ces nervosités vraies du musicien, dont le corps entier semble vibrer et frissonner à la moindre brise comme les cordes d'un violon. C'est bien là un homme faible, fragile, versatile, un génie tour à tour tourmenté par son cœur et par son cerveau, jamais content, jamais heureux et faisant souffrir machinalement, inconsciemment, tous ceux qui l'entourent. Quant à la comtesse Willemine de Auffermann, elle est également très exactement observée dans son rôle de maîtresse sensuelle qui arrive à se faire épouser par son amant le compositeur Harlowitz et brise ainsi les naissantes amours ébauchées entre Franz et Alberte. Nous devons citer aussi l'enfant de Franz et de Wilhemine, le petit Horace, qui sert de prétexte au mariage, un étrange enfant, nerveux, impressionnable, qui meurt dèsqu'il arrive à l'âge d'aimer, et Mme Engherard, la mère de la comédienne Alberte, dont le rôle de dévouée et de résignée ne manque pas de noblesse ni de grandeur triste.

En résumé le roman de M. Charles Legrand est une œuvre de réel mérite, que nous plaçons au-dessus de certaines œuvres plus tapageusement présentées, mais n'ayant ni ce sousi élevé de la forme, ni cette science du fond; nous croyons que tous ceux qui liront attentivement Virginité partageront notre manière de voir.

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Armand Silvestre, ce poète délicat et fin, cet amoureux de l'antiquité, ce lettré parfait, est en même temps le plus gouailleur, le plus gaulois et le plus hardiment rabelaisien de nos conteurs modernes. Malgré soi, en dépit des bourdonnantes rimes qui voltigent autour de nous comme l'écho fidèle du poète si remarquable, on est bien forcé d'admettre cette bizarre anthithèse confondue dans la même personne, en lisant des livres pareils à celui-ci : Gauloiseries contemporaines, pour faire rire. Certes, et de bon cœur! Il n'en est pas moins vrai que ce dédoublement d'un de nos poètes préférés a quelque chose de pénible et de regrettable. Après avoir admiré l'âme, il est dur de connaître le corps sous cette forme triviale, soulignée par les plus grasses plaisanteries: nous ne reculons pas assurément devant un propos de haulte graisse, gentiment conté et épanouissant nos lèvres en un rire copieux; mais quand les histoires succèdent aux histoires toujours sur le même sujet, toujours sur le même genre de facétie, l'intérêt diminue, le rire n'est plus naturel et il est à craindre que le livre ne se referme de lui-même avant que le lecteur arrive à la fin. En effet notre joyeux poète abuse un peu du genre auquel il semble s'être adonné, dès qu'il n'écrit plus en vers; nous doutons que l'on soit si fréquemment obligé de se boucher le nez pour ne pas trop odorer le parfum spécial de ses gauloiseries, sans arriver à se boucher

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Nous le dirons en toute sincérité, le 6o Margouillats n'est pas un livre qui nous plaise. Cette histoire d'un officier de spahis eût certainement beaucoup gagné à être traitée d'une manière plus serrée, avec un scrupule plus vif de la langue et une plus grande vivacité de tons. Ce qui manque c'est la couleur et le style, c'est la science du romancier et l'étude sévère, obstinée, du côté littéraire. En parlant du spahi, quoique la scène se passe en Algérie, dans la province d'Oran, et non plus au Sénégal, M. Marcel Frescaly abordait un sujet qui avait été traité de main de maître avant lui; bien qu'il s'agît alors d'un simple soldat et d'une négresse, au lieu d'un officier et d'une Parisienne, M. Pierre Loti l'emporte, sans que nulle comparaison soit possible, sur l'étude de M. Frescaly. Cependant cette étude est vraie, on le sent, à son manque même de mouvement, à son allure de notes entassées à la suite les unes des autres, sans grande cohésion, avec des décousus inexpérimentés. Vainement l'auteur travaille constamment à rattacher le fil, de manière à faire un volume compact et d'une seule coulée, toujours ce satané fil se casse entre ses doigts et ne se laisse renouer qu'à grand peine. Par-ci par-là un tableau offre quelque intérêt, comme la danse

des nègres, la fête originale du Bœuf au village de Sidi-Chaïb, ou la marche de la colonne française à travers le Chott vers les puits de Ras-el-Ain. Mais le récit des divertissements des officiers, des plaisanteries des soldats et de toute cette vie abrutissante entre la pipe et l'absinthe est absolument impossible à lire; il eût fallu toucher à tout cela d'une plume excessivement délicate et réservée et non s'appesantir au milieu des détails sans intérêt, sans art et répugnants. M. Marcel Frescaly nous semble être passé à côté du sujet et avoir trop traité son œuvre à la façon dont on nous paraissait tout traiter au 6 Margouillats.

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Sous ce titre assez étrange Adolphe Belot a réuni un certain nombre d'articles humoristiques et littéraires donnés par lui à un grand journal de Vienne. Tour à tour il parle des clous de théâtre, avec la science d'un auteur dramatique qui a profondément fouillé la question et peut en causer en maître, du commandant Baroche qui fut un de ses meilleurs amis et dont il raconte la mort héroïque au Bourget, de la Patti, de l'Académie française et de ses fauteuils, des duels et des duellistes fameux, des dîners en ville, du Caveau, de la Roulette, des cercles de

Paris, de tout et de tous avec un brio anecdotier fort amusant et fort instructif.

Mais pour relever ce volume, il y a mis quatre charmantes nouvelles, où l'on retrouve la plume exercée de celui qui, parmi tant d'œuvres, en a fait de très remarquables. Les deux brunes sont une de ces piquantes histoires parisiennes dont il a le secret et dans la narration desquelles il excelle. La touffe de lis est la très touchante aventure d'un malheureux jeune homme qui, sous la Restauration, après avoir acheté à une bouquetière un bouquet de violettes, emblème de ses opinions bonapartistes, et l'avoir caché dans sa poitrine, achète une touffe de lis pour sa mère, ardente royaliste. Insulté au sujet de ces dernières fleurs par des officiers en demi-solde, il riposte par un soufflet, se bat en duel, est blessé à mort et expire dans les bras des deux officiers, après avoir avoué qu'il est bonapartiste et que les lis sont destinés à sa mère. Après la lettre remet en scène sous une couleur plus moderne le Chandelier d'Alfred de Musset. Quant au Lit, il clôt gaiement la série de ces courtes nouvelles, et le nouveau volume d'Adolphe Belot.

Nita, par PAUL NOUN. Paris, Aug. Ghio, 1882, I vol. in-18 jésus. Prix: 3 francs.

Une histoire d'amour qui se passe en pleines montagnes et en pleines forêts du Morvan entre un jeune habitué de Paris d'une trentaine d'années et une jeune veuve anglaise, tel est le sujet du livre de M. Paul Noun. - Commencée joyeusement, avec insouciance, l'aventure qui a réuni les deux jeunes gens aux roches de Burmont, sur un escarpement pittoresque et dangereux, se termine au même endroit, d'une manière tragique et terrible, par le suicide de la belle amoureuse, qui a été délaissée après s'être livrée dans un moment de folle passion. Le livre de M. Paul Noun est une œuvre de jeunesse, ardente, exaltée, mais qui manque de pondération et de science littéraire. On sent que l'auteur, enlevé par son sujet, par des besoins de description, par des passages connus et aimés, s'est facilement laissé emballer, en oubliant peu à peu les soins de l'écriture, le style, sans lequel un livre ne peut exister et ne peut durer. Certes son roman a un certain caractère de fraîcheur et de juvénilité qui le fera lire d'un bout à l'autre sans fatigue; mais il lui manque la puissance qui grave les œuvres dans la mémoire et les dessine en vivants tableaux dans le cerveau; il lui manque l'originalité qui attire et force même l'indifférence. Nous attendons l'auteur de Nita à des œuvres plus mûries et plus largement étudiées.

La marchande de tabac, par ÉLIE BERTHET. Paris, Dentu, 1883, 1 vol. in-18 jésus. - Prix: 3 francs.

Il est impossible de retrouver sur un livre ce nom autrefois si connu et si populaire d'Élie Berthet, sans se rappeler les œuvres anciennes du facile romancier, celles que nous ne voyons pas figurer dans

la liste de ses œuvres sur le présent volume et qui pourtant ont fait son nom et sa réputation. C'est ainsi que nous y cherchons inutilement les Catacombes de Paris, la Bastide rouge, les Chauffeurs, la Roche tremblante. La Marchande de tabac n'ajoutera rien ni en bien ni en mal à la renommée d'Élie Berthet. On ne peut en dire qu'une seule chose: c'est une œuvre éminemment morale, écrite dans une forme terne un peu languissante, mais con. servant çà et là quelques étincelles qui suffisent à réveiller l'intérêt et à faire lire le roman jusqu'au bout. Il y a comme un voile à jamais tendu entre ce genre de littérature et celui que nous comprenons, celui que nous aimons aujourd'hui, dans lequel on exige en premier lieu une conscience énorme du style, un soin de la forme dont se préoccupaient moins les contemporains de l'auteur de la Marchande de tabac.

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M. Ch. Deslys, un romancier de la vieille roche, tout comme M. Élie Berthet, vient d'ajouter à la longue série de ses œuvres un nouveau livre, à la fois dramatique et ému qui trouvera chez les lecteurs habituels de M. Deslys le même accueil sympathique. Nous ne déflorerons pas par un résumé indiscret le sujet de ce nouveau roman; qu'il suffise de savoir que l'intérêt y est fort habilement suspendu, que l'émotion va croissant et que neuf gravures sur bois, tirées hors texte, prouvent le grand soin apporté par l'éditeur à tout ce qui peut aider au charme du livre.

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Des quatre pièces que renferme le volume, une seule, les Noces noires, a vu le feu de la rampe. Représentée, voici bientôt trois ans, sur le théâtre Cluny, elle y obtint un succès d'estime, dû à quelques vers bien frappés. Quant au sujet, il est des moins dramatiques; pour mieux dire, l'action est nulle. On y assiste d'un bout à l'autre aux divagations d'un vrai maniaque, affolé d'une drôlesse avec laquelle il vit maritalement et dont le bonnet saute par-dessus tous les moulins. Ne s'avise-t-il pas de l'épouser au bout de sept années de cohabitation et d'infidélité! Aussi trompé après qu'avant son union,

il tourne à l'Othello et finit, un peu tard, par tuer la volage et se poignarder lui-même à côté d'elle.

Ce drame n'ayant que deux actes, on peut sans trop d'effort, ni d'ennui, l'entendre tout entier; mais que dire des autres! On n'y voit figurer que des personnages dont le seul caractère est de n'en pas avoir. Espèces de pierrots empaillés qui n'ont jamais senti couler sous leurs jambes la vie réelle, ils oscillent constamment de la folie à l'ivresse, perdus entre ciel et terre, dans les vapeurs d'un monde fantastique, splééniques et rageurs, et surtout bavards à vous assourdir de leurs monotones tirades. L'hercule mis en scène dans la pièce de ce nom ne se distingue en rien des vulgaires bateleurs que l'on voit dans les carrefours, couverts d'un maillot et soulevant, à biceps tendus, des poids énormes, afin d'extirper quelques sous aux passants répandus en cercle autour d'eux. L'auteur n'en a pas moins fait de ce pitre l'amant d'une princesse de Reggio, appelée Corine et mariée au vieux duc de Modène. Après avoir laissé bannir l'hercule de sa cour, elle quitte tout pour le suivre, s'offrir de nouveau à ses baisers, partager son lit et sa misère :

Fais de moi ta servante et rouvre-moi l'alcôve. Mais je veux ton amour poignant, terrible et fauve. Malgré de si brûlants appels, le baladin refuse, préférant, aux charmes de sa maîtresse, les gros sous que lui jette la canaille.

Une autre pièce, le Fou, met en scène certain peintre halluciné, du nom de Rolland de Champcêt. Dernier rejeton d'une famille dont tous les membres ont perdu la raison, il semble un moment rassuré contre le sort qui l'attend, grâce à un pieux mensonge de sa mère. Elle lui persuade qu'il est enfant adultère, par conséquent soustrait à la fatalité de sa race; puis elle meurt de honte et de désespoir à la suite d'un tel aveu. Bientôt retombé dans son délire, Roland propose, à sa femme enceinte, un mutuel suicide. Sur son refus, il l'étouffe et se tue ensuite lui-même.

Tous ces dénouements, vous le voyez, se ressemblent d'une façon déplorable. Au lieu de nous faire assister à une action qui suive son développement logique, M. Montégut tourne et retourne en tous sens la même situation, jusqu'à ce qu'il l'ait desséchée, flétrie, épuisée. Il y aurait peut-être dans Lady Tempest un peu plus de variété, quelques accents de poésie réelle, si l'imitation de Shakspeare n'y était flagrante et la fantaisie trop prodiguées. On serait tenté vraiment d'appliquer à l'auteur, à propos de tous ces longs rêves mal débrouillés qu'il prend pour des drames, le conte par lequel il a terminé Lady Tempest:

Un jour, l'hiver dernier, un jeune homme, un des nôtres
Rencontra dans la foule une femme; il l'aima,
Et sur tous deux, un soir, sa porte se ferma.
La maîtresse et l'amant oublièrent le monde.

Il noyait ses mains dans sa chevelure blonde

Et couvrait de baisers ce corps pâle et charmant.
Le temps va vite ainsi. Şoudain du firmament

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Brochure à double face où l'on a réuni tout ce qui a dernièrement été publié d'essentiel à propos de cette question des comédiens, pour laquelle s'est passionné, durant quelques jours, le peuple à tête frivole d'un côté l'article du Figaro, premier brandon de tant de discordes, suivi de l'entrefilet apaisant de M. Vitu et de la lettre de M. Mirbeau au directeur du journal; de l'autre côté, la réponse spirituelle, quoique prétentieuse, de l'acteur Coquelin, déjà insé rée dans le Temps. Peut-être un jour, dans trois ou quatre siècles, quelque fureteur curieux de menus faits, déterrant l'opuscule au fond d'une bibliothèque, bâtira là-dessus l'épopée d'une lutte homérique. Grâce à Dieu, il n'y a eu, cette fois-ci encore, de versé que des gouttes d'encre.

POÉSIES

P.

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M. Boniface est probablement un fort honnête homme, point méchant du tout, joyeux viveur même et bon compagnon les jours où l'on s'amuse. Le seul défaut qui dépare de si aimables qualités, c'est que M. Boniface achève d'user la défroque et les vieilles chaussettes d'Alfred de Musset. Cent autres avant lui s'étaient efforcés d'emprunter au chantre de Rolla ses airs d'impertinence et ses lignes de prose rimée; aucun n'y avait encore aussi bien réussi. Quant à la verve ardente, aux cris déchirants du fier oiseau blessé, il reste entendu que le secret en est mort avec

lui. Nous n'en aurons que le reflet, ou, pour parler plus exactement, le pastiche dans ces chansons soidisant parisiennes. Écoutez plutôt les aveux de M. Bo

niface :

Je suis, sauf mon respect, un ivrogne authentique.
Je passe du cognac au kummel caressant;

Je bois plus que ne ment un homme politique,
Et je veux que le diable emporte ma boutique

Si je n'ai pas toujours plus soif qu'en commençant.

De même j'ai volé de la blonde à la brune;
Et tout ce fol essaim, que jadis j'ai séduit,
Ne fait pas de mon cœur une rêveuse dune
Où dansent des Willis sous les yeux de la lune.
Mon cœur est l'escalier d'un restaurant de nuit.

Ne voilà-t-il pas un beau muguet! Si l'on prenait au pied de la lettre de telles confidences, on aurait de celui qui les écrit une assez pauvre idée. Il faut ici faire la part du genre et de la pose, genre démodé, il est vrai, pose un tantinet ridicule, mais il y a, paraîtil, des gens qui prennent plaisir à cette mascarade. Quand vous lisez de si plates fadaises, ne vous semble-t-il pas voir un monsieur, vêtu de Phabit à paillettes des marquis d'autrefois, qui se pavanerait sur le boulevard, tout glorieux de son costume et de ses effets de cuisse? Eût-on la meilleure envie de prendre au sérieux M. Boniface, un sourire de pitié vient malgré soi aux lèvres quand on l'entend roucouler à sa maîtresse des madrigaux tels que celui-ci :

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« On ne lit plus des vers à l'époque où nous sommes, »>
Dites-vous d'un accent plein de conviction.
Vous êtes, mon ami, le plus naïf des hommes;
Et votre candeur fait mon admiration.

Pour qu'on lise des vers, il faut que l'on en fasse,
C'est facile à comprendre et vous le comprenez;
Or qui donc aujourd'hui, cher monsieur Boniface,

A fait deux fois cent vers qui ne soient pas mort-nés?
Chacun connaît, pardieu! Musset et Lamartine :
Hugo nous éblouit encor, dernier flambeau :

On se lasse pourtant d'une chanson divine

Quand on la sait par cœur. — Il faudrait du nouveau. Oui, mais où donc en prendre?

Oui, le premier venu qui sait tenir sa plume

Et plaquer ses doigts noirs sur le blanc du papier, Peut, si c'est son plaisir, fabriquer un volume, Quitte à le retrouver un jour chez l'épicier

Oui, tous lisent tout haut les vers qu'ils fabriquèrent,
Ce qui me fait songer à ce temps redouté
Où, pour comble de maux, les animaux parlèrent,
Ainsi qu'a dit Virgile avec simplicité.

La boutade est spirituelle et je n'ai garde, vous le pensez bien, de la réfuter, bien que les arguments ne me fassent pas défaut. Je suis fâché seulement d'entendre quelqu'un qui manie les vers avec cette aisance faire si bon marché de son talent et rendre les armes avant même d'avoir combattu. Mauvaise disposition pour la victoire que d'aborder le champ de bataille avec la persuasion arrêtée que l'on sera défait; mieux vaut un excès d'illusion, plus de confiance en ses forces.

Au reste, ce n'est là qu'un éclair de découragement et qui n'empêche pas M. Montégut de nous brasser des vers à foison sur toutes sortes de sujets. Il va d'ailleurs nous expliquer lui-même amplement d'où lui viennent l'espérance et l'inspiration. Pour bien apprécier ce qu'on va lire et comprendre l'ironie qui y circule sous la pompe du langage, il faut se rappeler que le morceau est extrait de la Bohème sentimentale et a pour titre Un peu de guitare; un grain de scepticisme se mêle donc, pour le corriger, à l'enthousiasme poétique :

Je m'étais endormi dans un orgueilleux rêve,
J'avais cru que, tout seul, l'artiste est assez grand
Pour tirer de lui-même une œuvre qui s'élève,
Qu'il suffit de vouloir pour que l'œuvre s'achève,
Et que tout ce qu'on dit c'est en soi qu'on le prend.

J'ai vécu seul et triste et les voix se sont tues.
Un matin, triste et seul, je n'ai pas su rêver,
J'ai vu qu'un feu sacré manquait à mes statues,
Et, foulant sous mes pieds mes œuvres abattues,
J'ai crié dans la nuit : « Comment les achever? »

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