Page images
PDF
EPUB

mieux, à un précieux. Il fait trop bien le vers pour que la critique se dispense de lui signaler ses défauts. Je suppose aussi que M. Raoul Russel est un jeune homme, encore un défaut joli, dont il est facile de se corriger, et dont le poète se débarrassera en même temps que des autres.

Ceci dit, j'arrive aux critiques; elles sont nombreuses. M. Russel a dédié son livre à François Coppée, dont il vante la voix douce et pleine de tendresse; ce faisant, l'auteur a agi sagement; ce volume appartient, en effet, à Coppée, et cela en toute propriété. C'est Coppée qui a fait naître ces vers, je dirai presque que c'est lui qui les a faits : ils sont encombrés d'hémistiches sortis de la plume de l'auteur des Humbles. Et le procédé du jeune maître se montre là tout à découvert.

On sait quels charmants effets a produits Coppée par l'emploi habile de ce mot très, si commode et si abandonné. M. R. Russel se sert aussi du mot très; mais, comme les élèves, il abuse de ce dont il convient d'user seulement. S'il parle d'un boudoir, il le peindra rempli de reflets très confus, la clarté chez lui sera très pâle, l'extase sera très ancienne, et ainsi de suite.

Le mot cher (ou chère) est aujourd'hui fort à la mode: M. Russel le place dans chacune de ses pièces de vers.

François Coppée a rimé d'adorables dizains; M. Russel écrit tout son volume en dizains.

Tels sont les gros reproches que j'ai à faire à l'auteur de ces vers gracieux et jeunes. Sa personnalité ne me paraît pas encore assez dégagée pour qu'on le puisse apprécier et juger comme il convient. Mais il a l'instrument bien en main, il ne s'agit plus pour lui que de se mettre en garde contre l'imitation, ce grand échec des commençants. Il a, croyons-nous, ce qu'il faut pour réussir, la tendresse, l'émotion et cet amour du préciosisme contre lequel tonnent les faiseurs de romans ad usum Cerberi, vulgo concierge, mais sans lequel un vrai poète ne saurait exister. Que M. R. Russel laisse de côté une certaine affectation, qui ne saurait donner de charme à ses vers, qu'il se défie de certaines expressions fort au goût du jour, il est vrai, mais qui jouent à leur auteur d'assez méchants tours, témoins ces vers :

J'ai baissé l'abat-jour, et les mourantes teintes
Du foyer s'éteignant augmentent la langueur
De l'appartement tiède. O silence harangueur!

Je n'aime pas beaucoup ce silence harangueur; nous avions le silence éloquent, ce qui était déjà gentil, harangueur me semble osé; mais j'aime d'autant moins cet accoutrement que cela fournit à M. Russel l'occasion involontaire sans doute de faire un vers faux. Il est, en effet, impossible d'élider l'e muet de silence devant l'h aspiré de harangueur. Il reste donc un vers de treize pieds. Ce sont là de petites querelles, assurément; mais nous croyons que le poète fera bien d'y réfléchir... et de nous donner prochainement un nouveau volume, plus original et plus châtie.

H. M.

Les Heures paisibles, par M. PAUL COLLIN. In-18. Paris, Hachette, éditeur. 1883. - Prix : 3 fr.

Mises en musique par des compositeurs de ta lent, par Massenet, par Ch. Lefebvre, par Salvayre, les poésies de M. Paul Collin ne manquent pas d'un certain agrément. Dans les mots assemblés réside une harmonie facile, et l'on n'est pas troublé dans l'audition de la mélodie par la forme des pensées ni par l'éclat des images. A la lecture, les œuvres poétiques de M. Collin ont tort. S'il ne faut pas adopter à la lettre l'aphorisme « Ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante », on peut tout au moins faire son profit de celui-ci : « Ce qui se chante ne doit pas être lu ». On s'aperçoit trop bien alors du vide absolu de ces banalités rythmées; les petits oiseaux, les soleils, les nuits, les amours, ce mêli-mêlo d'un sentiment alité, puéril, ces rimes, toujours prévues, tyrannisent trop durement le goût; et dans tout cela il y a trop peu d'invention, trop peu d'inattendu pour que l'ennui ne s'étende pas rapidement et lourdement sur tout l'esprit du lecteur imprudent.

PZ.

Poèmes dramatiques, par M. L. DE RONCHAUD. In-18 jésus. Paris, Alph. Lemerre, éditeur.— Prix: 3 fr.

Le livre de M. de Ronchaud renferme trois essais dramatiques imprégnés d'antiquité; les délicats, on pourrait presque dire les roués de littérature, savoureront seuls peut-être le miel attique que le poète est allé butiner dans les fleurs des souvenirs clas siques.

Diogène vendu est la mise en scène d'une quasi fable insérée par Diogène de Laërte dans sa Vie de Diogène le Cynique. Le philosophe est représenté esclave de Xiniade de Corinthe, et, conformément à l'opinion exprimée maintes fois par les philosophes, il est convaincu qu'en qualité de philosophe c'est à lui non d'obéir, mais de commander. Pour un peu il dirait, devançant Tartuffe parlant de la maison de celui qui l'acheta :

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]
[ocr errors]
[blocks in formation]

Les Lesbiennes sont un drame lyrique dont Sappho est le principal personnage. Sappho, âme de feu, nature énigmatique dont le nom, pour la postérité, est à deux faces, Sappho dont l'idée attire aussitôt l'image des tourterelles, et aussi celle d'une femme jouant de la lyre pour accompagner des odes de génie.

M. de Ronchaud n'a garde de verser dans la tradition scabreuse. L'héroïne qu'il anime de ses vers ne brûle que d'un feu légitime entre Alcée et Pittacus. Bien plus, Sappho devient tout de bon une héroïne au sens exact; et à la façon d'Émilie elle conspire, elle est l'âme d'une conspiration, et elle ne craint pas de dire en face à Pittacus, philosophe qui aurait le droit d'être roi, qu'elle n'a point foi dans la mission qu'il s'est donnée ni dans les droits qu'il invoque. Pourtant elle s'oppose à l'assassinat du tyran idéologue. Dans les chœurs, chantés par les Lesbiennes de l'école de Sappho, plus d'une strophe se recommande par son mouvement musical.

La troisième partie est une idylle intitulée : Allons à Athènes. L'époque est celle de la conquête romaine et la scène est transportée en Sicile. Il y passe comme une réminiscence embaumée de Théocrite et de Vir gile.

Ces aimables esquisses sont des œuvres de jeunesse; aussi leurs défauts même ne sont-ils pas sans grâce, sauf pourtant un certain nombre d'inversions excessives et vraiment bien inutiles. Au demeurant, la lecture en est facile et l'impression agréable. La préface elle-même mérite attention: elle aide beaucoup, par sa clarté et les recherches qu'elle révèle, à suivre les intentions de l'auteur.

PZ.

La Chanson du pauvre homme, par GUY-VALVOR. In-18. Paris, Oriol. — Prix : 2 fr.

Ce même volume emprunte son titre à la pièce qui le commence. Et cette pièce est une déclamation peu lyrique sur la misère et les désagréments des misérables. Aucune idée suave, aucune idée même renouvelée; de la brutalité tenant lieu de force. Et pour juger de l'allure, sachez que chaque couplet de huit vers est suivi d'un refrain, toujours le même, qui n'en compte pas moins de neuf. Et cela recommence une douzaine de fois.

Ailleurs l'auteur se livre à des recherches de descriptions sensualistes d'une audace sans mesure. Les Vierges folles, c'est un ragoût qui sent l'épice; il y a de la part de M. Guy-Valvor plus d'ardeur à la

peinture de faits et d'attitudes indécentes que d'indignation vraie et de satire vengeresse. On n'en peut guère citer il faut pourtant un exemple. Ce sont les Vierges folles qui parlent de leurs clients.

Leur désir monte et heurte aux pointes de nos seins
Ondulants sous la guimpe ou qui renflent la soie;
Et leur rêve, évoquant les voluptés, se noie
Dans les plis onctueux qui tortillent nos reins.

D'autres sujets sont plus chastes; dans ceux-là il semble que la plume de l'auteur, moins excitée, sommeille et se traîne.

M. Guy-Valvor me paraît avoir voulu donner un échantillon varié de son savoir-faire. J'ai plaisir à reconnaître que nombre de vers sont vigoureusoment sortis, qu'il est beaucoup d'heureuses rencontres de mots et d'images. Après tout, à tout péché misericorde. Attendons la suite; M. Guy-Valvor la promet. Nous verrons bien s'il chante les psaumes de l'impénitence. Un titre, ça je le trouve, je le pose et je

[blocks in formation]

La préface biographique qui garde le seuil de cet ouvrage nous défend d'être sévère. L'œuvre est posthume; l'auteur, enlevé très jeune, à trente-et-un ans à peine, par une mort douloureuse, n'a pas eu le temps ni le repos nécessaires : il n'a pu corriger ses ébauches; son esprit sans doute était encore enveloppé d'un peu de brume, son verbe est demeuré incertain; mais, à cause de cela peut-être, on retrouve parfois de la grâce à son balbutiement. Par contre, son cœur s'était de bonne heure épanoui, je m'en fie au biographe; - généreux et sans orgueil, il attirait les sympathies. Et c'est,- si je comprends le passage de la préface, à ces amitiés de ses concitoyens, fiers du talent du jeune homme, que M. Auguste Buchot doit le double honneur d'être représenté sur un médaillon en marbre et d'être imprimé à Dijon et édité chez Lemerre.

--

Ces Petits poèmes des champs ne possèdent pas, à vrai dire, une véritable senteur champêtre. Ils sont écrits sans prétention; mais bien des jeunes gens se précipitent dans l'erreur, qui, croyant n'éviter que la prétention, manquent du même coup l'élégance et l'harmonie et se dépouillent de toute valeur de style. La plupart de ces morceaux, parbleu! sont d'une honnêteté louable! mais que cette honnêteté est voisine de la médiocrité maussade! Combien peu de variété dans les images, de nouveauté dans les sujets.

Une des mieux réussies est la poésie intitulée les Gelées tardives. Encore n'est-elle pas exempte de longueurs; M. Buchot s'est inspiré du ton dont Victor Hugo raconte les amours d'un papillon, ton spirituel chez le maître, quoique maniéré, mais d'une manière charmante. M. Buchot eût bien dû suivre le maître

jusque dans les détails de structure des vers. Il ne se fût pas risqué à clore sa pièce par ce vers antimélodieux :

Comme un lâche assassin à l'aspect d'un gendarme.

Il faut signaler aussi le sonnet Poupée pauvre, où l'expression est plus d'une fois heureuse. D'autres morceaux, qu'il serait trop long de citer un à un, plairont sans doute à ceux qui parcourront ce livre; cependant la main amie qui a disposé le volume en aurait pu écarter, sans perte, quelques menues piécettes anodines, auxquelles l'auteur lui-même ne devait attacher aucun prix, comme des acrostiches, de pauvres billets rimés, etc.

En résumé, si ce n'est pas un livre qui reflète la flamboyante éclosion d'un génie prématurément éteint, il est néanmoins une bonne marque de l'intelligence aimable d'un honnête jeune homme.

MÉLANGES

PZ.

Le culte de Castor et Pollux en Italie, par MAURICE ALBERT, ancien élève de l'École normale supérieure, ancien membre de l'École française de Rome. -1 vol. in-8° de la Bibliothèque des écoles françaises d'Athènes et de Rome, publiée sous les auspices du ministère de l'instruction publique; fascicule trente et unième. Paris, Ernest Thorin, 1883.

<< S'il est un sujet important et difficile à traiter, écrivait, en 1841, M. Félix Lajard, un sujet dont on puisse dire avec assurance qu'il touche par tous les points aux croyances religieuses de tous les peuples de l'antiquité, c'est la question de l'origine des dioscures et des diverses modifications que subit leur légende primitive. » L'étude que M. Lajard avait promise et qu'il n'a pas donnée, M. Maurice Albert l'a faite et d'une façon définitive: il a tout dit.

Les poètes ont chanté les Tyndarides, ils ont conté à l'envi nombre de légendes les récits fabuleux abondent; mais les historiens sont muets: peu ou point de textes touchant le culte rendu aux deux héros Castor et Pollux. Ce qu'on a dit de leur apparition pendant la bataille du lac Régille permet de comprendre le rôle de protecteurs qu'on a continué de leur attribuer; mais comment expliquer qu'on ait pu les tenir pour des divinités funéraires, pour des dieux de la bonne foi et des transactions commerciales? A défaut des textes, il y a les monuments: temples, piédestaux, vases italo-grecs, pièces de monnaies; les édifices en ruines ont été étudiés par M. Albert, et les collections, dans les musées, ont toutes été passées en revue. Long et pénible a été le

travail auquel s'est livré le savant archéologue; il a été fructueux. On connaît, rappelle l'auteur, le système de tolérance et d'assimilation adopté par l'empire romain à l'égard des cultes étrangers. Au moyen du symbolisme et des interprétations allégoriques mis en faveur par les Grecs, on chercha à rallier aux polythéismes hellénique et romain, qui se confondaient de plus en plus, les autres religions, même barbares. Les dieux romains furent honorés par les vaincus et les divinités étrangères entrèrent successivement à Rome. « Ainsi s'expliquent les attributions nouvelles que prennent insensiblement les dioscures, à mesure qu'on avance dans l'histoire romaine... Certes, on eût bien étonné les vainqueurs du lac Régille en leur disant qu'un jour Castor et Pollux seraient considérés comme des divinités funéraires; bien plus, qu'ils deviendraient des symboles poétiques de résurrection et d'immortalité. » Les premiers chrétiens n'hésitaient pas, en effet, à ensevelir leurs morts dans des sarcophages sur les parois desquels Castor et Pollux étaient représentés; les deux héros avaient cessé d'être des dieux païens.

Pas un des fascicules de la Bibliothèque des écoles françaises d'Athènes et de Rome qui ne soit un ouvrage de haute science; et celui-ci, comme tous les autres, honore l'érudition française.

F. G.

Études et souvenirs. Croquis artistiques et littéraires, par JAMES CONDAMIN, docteur ès lettres. 1 vol. in-12. Paris, Ernest Leroux, 1883. - Prix : 6 francs.

Ces élégants Croquis, recueil d'articles publiés autrefois dans une revue intitulée Lettres chrétiennes; sont, pour la plupart, consacrés à des études de mœurs et de littératures étrangères. En voici les titres: Essai sur les pensées d'une reine. Étude sur Henri Wadsworth Longfellow. Lessing, Gathe et Schiller, d'après un livre récent. - Le patriotisme littéraire en Russie, à propos du centenaire de Joukovsky. Le pavillon croate à l'Exposition austrohongroise de Trieste. La musique des Tsiganes. Paul de Saint-Victor. Les courses de taureaux. La ballade de Goethe: Il était un roi dans Thulė... Les grottes d'Adelsberg. M. James Condamin ne s'est, on le voit, occupé que d'un seul écrivain français Paul de Saint-Victor. Nous ne saurions l'en blàmer. En fait de littérature comme de politique, on se désintéresse par trop, en France, de ce qui se passe chez les autres peuples, et notre indifférence en ces matières pourrait bien un jour nous être fatale. Peutêtre est-il encore temps d'y prendre garde, mais il faut nous hater, si nous voulons entretenir chez nous l'esprit d'émulation et maintenir haut et ferme le drapeau du Progrès.

Aux esprits distingués comme l'auteur des Croquis artistiques et littéraires de contribuer à secouer notre dangereuse apathie; de signaler à notre admiration des livres tels que ces Pensées si délicatement féminines, si profondément philosophiques de la reine Élisabeth de Roumanie; de nous donner la traduc

tion en vers français et le commentaire de poésies célèbres comme l'Excelsior de Longfellow, ce « poète des belles âmes »; d'esquisser des portraits illustres comme celui de Joukovsky, l'auteur du Barde au camp des Russes et de la Vie pour le tsar; en un mot, de nous rendre familiers les chefs-d'oeuvre de l'art étranger. Persuadons-nous bien, en effet, que si la France a produit de grands hommes et de grandes œuvres, elle n'en a pourtant pas le monopole.

P. C.

Oliver Madox-Brown. A biographical Sketch, 18551874, BY JOHN H. INGRAM. 1 vol. in-8° accompagné de deux portraits et de deux photographies d'après des compositions de l'artiste. London, Elliot Stock, éditeur, 1883.

Il est bien rare que la mort d'un jeune homme de dix-neuf ans puisse être considérée comme un deuil littéraire, autrement que par les personnes de son intimité. C'est pourtant le phénomène qui s'est produit, il y a sept ans, en Angleterre, quand furent publiés les Reliquiæ d'Oliver Madox-Brown 1. L'étonnement fut grand et les regrets d'autant s'en accrurent, quand on apprit que l'auteur du roman qui, sous le titre de Gabriel Denver, avait obtenu peu de temps auparavant un succès si vif, était presque un enfant. Il venait de mourir. L'oeuvre terriblement tragique avait cependant été singulièrement affadie, sur les avis d'un ami maladroit et sur le désir du premier éditeur. Réimprimé, dans l'édition posthume de ses œuvres, sous son titre primitif bien plus pittoresque, le Cygne noir (The black swan), et avec son dénouement original, ce roman témoignait d'une imagination étrangement puissante que venaient confirmer d'autres œuvres malheureusement inachevées : The Dwale Bluth Hebditch's Legacy (le Legs d'Hebditch), ainsi que d'autres fragments et quelques poésies. Les beautés du style, les marques de force, les accents pittoresques s'y rencontraient à toute page, dans les descriptions de paysage, dans les manifestations du destin, dans les traits de passion. A la lecture, la parenté de ce jeune et vigoureux esprit avec Nathaniel Hawthorne, avec Émilie Brontë s'impose manifeste, sans diminuer en rien son originalité propre.

Fils d'un peintre illustre, il eût été bien extraordinaire qu'un enfant doué si exceptionnellement restât étranger à la pratique de l'art. En effet, c'est par le dessin, par l'aquarelle que se révèle tout d'abord

1. The Dwale Bluth, Hebditch's Legacy, and other literary remains of Oliver Madox-Brown, author of « Gabriel Denver ». Edited by William M. Rossetti and F. Hueffer, with a Memoir and two Portraits. 2 vol. in-8°, London, Tinsley, 1876.

2. Ce titre, emprunté au dialecte danois du Devonshire, ne peut se traduire que par des équivalents. Il signifie à la fois Fleur de tristesse et la Fleur qui rend fou, sorte de titre allégorique motivé par le rôle funeste que jouent dans le cours du roman des baies d'Atropa belladonna ou de Solanum dulcamara.

l'aurore de son génie. Dès l'âge de quatorze ans, il voyait une de ses aquarelles, le Centaure Chiron, reçue à Dudley Gallery; en 1870, il en faisait recevoir une autre à la Royal Academy. L'année suivante, à l'Exposition internationale, il montrait une œuvre plus importante, la scène i du Ier acte de la Tempête : Prospero jeté par les affidés de l'usurpateur Antonio dans une barque désemparée. La figure de Prospero est d'une énergie saisissante et celle de Miranda enfant, à demi nue, d'une grâce charmante et adorablement naïve. Le pauvre Nolly avait également concouru avec son père à une édition illustrée de Byron. Sa dernière œuvre peinte, inspirée d'une des pages les plus dramatiques du beau roman de Georges Eliot, Silas Marner, exposée en 1872 à la Société des Artistes français, dans Bond Street, représente la scène où le vieux Silas, une lanterne en main et tenant dans un bras la petite Eppie, retrouve le corps de la femme de Godfrey Cass couché sur un tas de neige dans la nuit. La puissance de l'invention pittoresque, du sentiment poétique en même temps que du sens de la réalité est ici vraiment remarquable. L'auteur avait seize ans. C'est alors qu'il fut pris par la passion des lettres, plus impérieuses encore, et coup sur coup écrivit les romans que nous avons énumérés plus haut. La hâte de produire chez un si jeune homme n'était point commune. Il semble qu'il eût le pressentiment de sa mort prochaine. Le volume de M. John H. Ingram complète heureusement la publication posthume et donne en grande partie satisfaction à la sympathique curiosité qui s'attache à de telles intelligences si brutalement fauchées dans leur fleur.

[blocks in formation]

Ces volumes, publiés sous la direction de M. Martin, pour servir à l'éducation morale et civique de la jeunesse, ont chacun leur valeur.

Le premier n'est qu'un recueil de morceaux choisis; mais le choix des pages de prose ou des pièces de vers proposées à la réflexion, sinon à l'admiration de nos enfants, est heureusement fait. Les morceaux, empruntés pour la plupart à des auteurs contemporains, sont rangés comme sous trois grands chapitres : la famille, la nature, la société. Il en est pour dire les angoisses de la mère, les joies de l'enfant, le travail à l'école et le bonheur de se retrouver le soir,

entre frères et sœurs, autour de la table; il en est pour célébrer le lever du soleil, les saisons, la culture qui féconde la terre généreuse; il en est pour vanter les divers métiers, pour faire aimer le devoir et désirer de se vouer à la patrie. L'enfant, à tourner les feuillets du volume, traverse vraiment la vie : le titre du livre est justifié.

L'Histoire de la Révolution avait paru il y a déjà quelque temps; nous croyons bien en avoir parlé. L'auteur y a joint une Histoire de l'Empire, et le livre se trouve ainsi compter deux fois autant de pages que les autres volumes de la collection. La politique impériale n'est pas jugée avec trop de sévérité. Napoleon Ier avait le mépris de l'homme : conquérant, il faisait bon marché de la vie humaine; homme d'État, il était tout éloigné de soupçonner que le devoir de celui-là qui est à la tête du gouvernement est de

s'appliquer à développer le sentiment de dignité. L'histoire est écrite dans un bon esprit, l'esprit democratique, et elle est écrite avec modération tout en même temps.

Le troisième volume est un chapitre d'économie politique. Au commencement des âges, les travailleurs sont des esclaves, et, à notre époque, pour peu qu'ils acquièrent quelques vertus, ils seront, grâce à l'association, libres absolument. L'obligation de travailler n'est pas le signe d'une déchéance, d'une damnation; s'y soumettre, c'est s'ennoblir. Le résumé historique est peut-être un peu trop succinct, mais il n'était pas donné sans doute à l'auteur de pouvoir traiter, avec plus de développement, des conditions du travail à travers les siècles.

La Bibliothèque de la Jeunesse française compte trois bons volumes de plus.

F. G.

BEAUX-ARTS

Bibliothèque de l'Enseignement des BeauxArts, publiée sous le patronage de l'Administration des Beaux-Arts, couronnée par l'Académie française; Paris, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 7, rue Saint-Benoît. - Prix de chaque volume: 3 francs; avec cartonnage artistique : 4 francs.

Dans sa séance du 15 novembre 1883, l'Académie française a, sur le rapport de son secrétaire perpétuel, M. Camille Doucet, décerné une médaille d'or d'une valeur de 1,000 francs à la Bibliothèque de l'Enseignement des Beaux-Arts. C'est la première fois qu'une récompense de ce genre est attribuée à une collection d'ouvrages. M. Camille Doucet a cru devoir exposer ainsi les motifs de cette distinction exceptionnelle :

« Cette médaille, dont la valeur morale dépasse de beaucoup la valeur matérielle, est décernée à une collection de livres qui tous, isolément, seraient dignes d'une récompense.

« Publiée sous le patronage du gouvernement et sous la direction immédiate de M. Jules Comte, inspecteur général des écoles d'art décoratif, la Bibliothèque de l'Enseignement des Beaux-Arts se proposait de combler une grande lacune, en offrant à la eunesse studieuse des livres pratiques, des ouvrages elémentaires où chacun pût facilement apprendre l'histoire et la théorie de l'art. Dans une série de petits volumes peu coûteux, elle promettait de mettre sous nos yeux le tableau des procédés qu'emploient les diverses formes de l'art, en nous faisant connaître les phases successives de leur développement à toutes les époques de l'antiquité et des temps modernes.

Elle a tenu parole, grâce à un éditeur hardi et géné reux, dont le zèle n'a été dépassé que par son désintéressement; huit volumes ont déjà paru, qui tous: a Gravure, par notre éminent confrère M. le vicomte Delaborde, secrétaire perpétuel de l'Académie des Beaux-Arts; l'Archéologie grecque, par M. Max. Collignon, professeur à la Faculté des lettres de Bordeaux; la Tapisserie, par M. Eugène Müntz; la Peinture anglaise, par M. Ernest Chesneau; la Mosaique, par M. Gerspach; tous enfin, dans leurs genres, sont des œuvres accomplies.

«Goethe a dit quelque part que, si l'on découvrait le Jupiter d'Olympie ou la Minerve du Parthenon l'humanité deviendrait meileure. La Bibliothèque de l'Enseignement des Beaux-Arts ne va pas jusqu'à nous promettre ces merveilles; mais il en est beaucoup qu'elle nous fera presque découvrir, en nous les faisant mieux comprendre.

« Estimant que tout ce qui élève l'esprit est utile aux mœurs, l'Académie a voulu, elle aussi, encou rager cette louable entreprise. Une médaille spéciale pouvait seule atteindre ce but. C'est au jeune et intelligent directeur, M. Jules Comte, qu'elle sera remise; mais l'honneur en rejaillira sur tous ceux qui, ayant pris part au travail, ont droit, comme lui, au partage de la récompense. »>

Ce jugement, ces éloges, venant d'une personnalité aussi autorisée, nous dispensent d'insister sur le mérite de la publication dont il s'agit, et nous nous bornerons à passer brièvement en revue chacun des ouvrages dont elle se compose, en y comprenant les deux volumes dont elle s'est enrichie depuis sa présentation aux suffrages de la docte assemblée.

« PreviousContinue »