Page images
PDF
EPUB

l'année 1883. Il en sera de même du chapitre V de la première partie, tout entier consacré aux Juifs russes. La plume agile de l'auteur de la Russie et les Russes touche à tous les sujets sans les épuiser, ce qui est la seule façon de ne pas produire l'ennui. Ce magnifique ouvrage est illustré de plus de 240 gravures, dont 67 dessins de F. de Haenen et 115 de Pranischnihoff. Que dire de cette illustration, spirituelle et exacte comme le texte? Je ne vois que des eloges à faire. Une petite critique pourtant, mais si legere qu'il faut n'en avoir pas d'autres à faire pour la formuler. Pourquoi l'illustrateur, à la page 106 du volume, ayant à représenter une chasse aux outardes, nous donne-t-il, au lieu d'outardes barbues, oiseaux bien connus, des espèces de grues ou de cigognes au bec démesurément long, aux ailes pointues. Il eût suffi, pour éviter cette faute, de faire une promenade dans les galeries du Museum. L'outarde ne ressemble en aucune façon aux oiseaux que nous donne M. F.de Haenen. C'est une tache légère, comme on voit, et qui ne doit pas nous empêcher de constater que MM. Plon, Nourrit et Cie ont bien fait les choses, et que la Russie et les Russes est un des plus beaux volumes qui se puissent donner en etrennes.

Librairie Georges Masson. S'il nous fallait avouer notre secrete préférence, peut-être nous n'hesiterions pas à placer en tête des deux ou trois plus beaux volumes de cette année le magnifiqne ouvrage que vient de mettre en vente la librairie Masson. Les Mammiferes, de Carl Vogt, sont assurément P'un des ouvrages les plus remarquables de la science moderne. Ce livre, conçu d'après un plan absolument nouveau et exécuté avec une précision et une sûreté vraiment extraordinaires, donne au public des aperçus tout à fait inconnus. Apres avoir décrit avec un grand charme de style l'animal dont il s'occupe, l'auteur fait suivre son article d'un travail sur la distribution géographique et la descendance de chaque espèce : travail entièrement nouveau et d'un intérêt indeniable. Désireux seulement de donner des renseignements precis, Carl Vogt rejette impitoyablement tous les récits des voyageurs ou des chasseurs dont le témoignage peut paraître suspect. Aussi n'en coûte-il pas à l'auteur de faire des aveux comme celui-ci (il s'agit du gorille) : « Malgré la grande abondance de matériaux recueillis dans ces dernières années, il est assez difficile de dire quelque chose de positif sur la vie, les mœurs et la repartition géographique de ces singes remarquables dont l'organisation approche le plus de celle de l'homme. Les chasseurs nègres brodent, dans leurs récits, plus encore que ne le font leurs confrères de la race blanche. Des observateurs sérieux n'ont vu que de jeunes individus vivant en captivité; aucun des anthropomorphes apportes en Europe n'a atteint au delà de l'age de huit ans; un seul blanc s'est vante d'avoir rencontré et tue un gorille, sans qu'on puisse attacher trop de croyance à son dire. » Cela est clair et suffit à montrer que l'auteur a tenu à ne mettre en œuvre que des matériaux absolument irreprocha bles Les singes, qui servent de thème à la premiere partie

du volume sont étudiés avec une conscience et une sûrete de main incomparables. Il faut lire ces descriptions vivantes du gorille, du chimpanze, de l'orange Ju macaque, du cynocephale negre, du magot, du babouin, du mandril. Si de ces habitants hideux de l'ancien monde nous passons aux singes du nouveau nonde, nous trouvons des spécimens non moins horribles de ces quasi hommes : le satan, un nom qui promet; le miriki, le makari, le sassnasson, le saimiri, le douroucouli, l'ouistiti, ce petit vieillard laid mais adore des dames. Un chapitre qui ne le cede pas en interêt à celui des singes est l'etude que Carl Vogt a consacree à ces especes de monstres, moitie oiseaux, moitié mammifères, mais mammifères en realité : les chauves-souris, l'oreillard, la barbastelle, le murin, la noctule, la pipistrelle, le rhinopome à petite feuille, le vampire, le grand fer-a-cheval ont tour à tour leur description exacte, judicieuse et savante. Puis viennent les hérissons, les loups, les chacals, le dingo, les renards, les hyenes. La grande tribu des felins y trouve aussi sa place, depuis le lion jusqu'au chat domestique, du tigre au chat gante, de la panthere au serval, du jaguar et du cougar à l'eyra et aux lynx. Avons-nous besoin de mentionner les civettes, la genette, le musang, le mampalon, l'ichneumon Rat-de-Pharaon, l'ichneumon Mungoz. Qu'il nous suffise de dire que tous les mammiferes sont là etudies avec un soin et une science irreprochables. Toutes les varietes d'ours, l'ours polaire, l'ours grizzly, l'ours brun, l'ours noir, l'ours malais, l'ours jongleur; les blaireaux, les martes, zibeline, fouine, les putois, l'hermine, le furet, la belette, les loutres, les otaries, les phoques, les morses hideux, les dauphins, depuis celui qui porta jadis Arion jusqu'au redoutable epaulard, le rorqual, la baleine, le lamanin, les elephants, les tapirs, les rhinoceros, les zebres, les sangliers, les cerfs, les antilopes, les chevres, les moutons, les bisons, les girafes, les chameaux, les lamas, les écureuils, les rats, les porcs-épics, les lievres, les paresseux, etc., etc. Tout cela vient à sa place.

Il nous faudrait nommer tour à tour chaque espèce, chaque variete. Disons donc une fois pour toutes que cette histoire naturelle des Mammifères, édition française originale, est absolument irréprochable, et qu'elle fait le plus grand honneur au talent de sʊn auteur.— J'ai remis jusqu'ici à parler de l'illustration de cet ouvrage, illustration composee de 40 planches hors texte et de 265 figures dessinees par Frederic Specht et gravées sur bois sous sa direction. Ce que j'ai à en dire sera court et le voici: Jamais, à mon sens, ni en France ni ailleurs, il n'a été donne de voir une illustration semblable. C'est, sans aucune datterie et sans aucune intention de réclame, ce que ce que nous avons vu de plus parfait en ce genre. Il serait impossible de se figurer la tournure, la façon d'être de chaque animal, mieux rendues qu'elles ne le sont dans cet ouvrage. J'ai voulu revoir et comparer ces belles illustrations de la première édition de Buffon avec celles-ci; et j'avoue, en toute sincerité, que tout l'avantage est du côté de l'illustrateur

moderne. Je n'insisterai pas sur ces admirables planches, dont chacune mériterait une description, car elle contient un tableau complet, sans que la vérité scientifique en soit le moins du monde altérée. Je dirai seulement, pour tout résumer d'un mot, que c'est là, à notre avis, le chef-d'œuvre de l'illustration. En somme, ce livre sera également bien accueilli par les gens du monde qui veulent connaître les mœurs des animaux, leur origine et leur parenté, et les voir représentés sous l'aspect qui leur est propre, dans le paysage ou les conditions d'attitude, de groupement ou d'occcupations qui en donnent le mieux l'idée par les zoologistes, qui cherchent dans un pareil livre des descriptions exactes et précises, sans cesser d'être attrayantes, des espèces encore peu connues, des caractères scientifiques bien étudiés et bien déterminés, des renseignements sur la distribu tion géographique et la descendance; par les artistes enfin, qui, dans les 300 figures (avec 40 grandes planches) dont ce magnifique ouvrage est illustré, trouveront une série de véritables tableaux dont ils apprécieront d'autant plus le mérite artistique qu'ils sentiront bien vite que rien de la vérité scientifique n'a été sacrifié, bien que jamais le côté pittoresque de ces compositions n'ait eu à souffrir de cette exactude minutieuse.

Une introduction magistrale, où Vogt établit les règles qui l'ont guidé dans la classification ou la description des espèces, donne au livre le cachet scientifique, sans lequel toute œuvre de vulgarisation est nécessairement incomplète et presque nuisible.

Cet admirable ouvrage, qui forme volume in-4" de 548 pages, se vend au prix de 32 francs broché et de 40 francs relié.

A signaler encore à la même librairie: L'Océan aérien, études météorologiques par Gaston Tissandier, rédacteur en chef du journal La Nature. La pression barométrique, la chaleur, la vapeur d'eau, les nuages, l'électricité et le magnétisme, les phénomènes lumineux, les poussières de l'air, les instruments d'observation, la conquête de l'atmosphère; ouvrage accompagné de dessins des phénomènes aériens par A. Tissandier, 1 vol. grand in-8° avec 132 figures, dont 4 planches hors texte; broché, 10 francs. Ce livre est essentiellement composé sous l'inspiration de la nature même; il renferme peu de théories, mais beaucoup de faits. La météorologie est avant tout une science d'observation; c'est par l'observation qu'elle sera définitivement fondée, et il a semblé utile de réunir les documents les plus importants et les plus nouveaux recueillis sur les phénomènes aériens dans ces dernières années.

[blocks in formation]

10 francs. S'il est intéressant de connaître les plus récentes conquêtes de la science, il ne l'est peut-être pas moins de rechercher les causes de leur origine dans le passé. C'est ce qu'a voulu faire l'auteur de ce livre, en commençant à nous montrer les premières lueurs de l'intelligence humaine dans les temps préhistoriques. Il passe ensuite, successivement, en revue la science des Égyptiens, la science grecque, et il publie pour la première fois la description complète de tous les merveilleux appareils de Héron d'Alexandrie, parmi lesquels se trouvent bien des mécanismes ingénieux, dont plus d'un pourrait être utilisé par nos constructeurs contemporains. En lisant cet ouvrage, on reconnaît que cet aphorisme déjà ancien est exact: Il n'y a rien de nouveau sous le soleil; et, en prenant connaissance de la science antique, on acquiert bien des notions instructives et souvent utiles.

Librairie Alfred Mame et fils. Il est des livres dont le succès ne peut être épuisé. De ce nombre est le roman d'un genre si particulier, Fabiola ou l'Église des Catacombes (prix : 5 fr. 50), par le cardinal Wiseman, archevêque de Westminster. La maison Mame a pensé qu'on pouvait encore, après tant d'éditions données au public, refaire une Fabiola nouvelle, avec des illustrations particulières. A cette édition nouvelle de Fabiola on a voulu, dit M. Léon Gautier, donner l'austère parure d'une illustration scientifique. L'archéologie, qui passait, il y a cinquante ans, pour être la spécialité de quelques érudits ennuyeux et ridicules, est aujourd'hui devenue la plus populaire de toutes les sciences. Ce que l'on demande aux livres de luxe, c'est une illustration sainement archaïque, et, pour la première fois, les lecteurs de Fabiola vont avoir la joie de rencontrer ici ce trésor longtemps attendu. On a pour eux interrogé Herculanum et Pompéi; on est descendu pour eux dans les saintes ténèbres des catacombes, où l'on veut aujourd'hui les conduire à leur tour la lampe à la main, la science aux lèvres. Ils vont éprouver le noble plaisir de voir tous les personnages de ce roman (car enfin c'est un roman) se mouvoir dans leur véritable milieu, dans l'atrium d'une maison romaine ou dans les galeries d'une crypte restituée par un Rossi. C'est pour répondre à ce besoin, pour atteindre ce but, que la nouvelle Fabiola se trouve ornée de 10 grandes compositions de Joseph Blanc, gravées par Méaulle, et de nombreuses gravures d'après les monuments antiques. Il n'est pas besoin de faire l'histoire de ce roman célèbre, qui a pour auteur un cardinal de l'Église romaine. Parue en 1854, Fabiola eut un succès tel que le volume fut bientôt traduit dans toutes les langues. Depuis lors, l'ouvrage a eu un nombre incalculable d'éditions; mais aucune, hàtons-nous de le dire, n'avait été revêtue, comme celle-ci, de « l'austère parure d'une illustration scientifique », pour employer une expression de l'érudit consciencieux, de l'homme excellent qui a mis en tête de cette édition de'Fabiola une fort intéressante introduction. C'est là, en soinme, un livre destiné au succès le plus justifié. I.e

texte est connu; tout le monde sait que l'enfant peut lire Fabiola, qu'il n'y puisera que de fortifiants enseignements. Mais cette édition offre en outre au lecteur l'avantage de lui mettre sous les yeux ce que le cardinal Wiseman n'avait pu que peindre avec la plume. La traduction, fort exacte, est due à M. Richard Viot. La maison Mame ne dément point encore cette année sa vieille réputation. Signalons d'autre part, dans cette même imprimerie tourangelle, les Promenades autour de Paris, par J. Levallois,

M. Jules Levallois n'a point eu l'intention de refaire l'ouvrage de Dulaure en écrivant ce volume plein de renseignements de la plus scrupuleuse exactitude: Autour de Paris, promenades histori ques. Sous la forme de récits simples, de conversations, de lettres, l'auteur est parvenu à dire du nouveau sur l'histoire des villes de la Champagne et de la Picardie, en embrassant le nord de l'Ile-de-France. M. Levallois, dans la préface qu'il a placée en tête de son volume, a expliqué lui-même clairement le but qu'il s'est proposé. «En choisissant pour but d'une excursion historique, dit-il, quelques villes de la vieille France, célèbres par les faits qui s'y sont accomplis, par les personnages qu'elles ont vus naître ou qui les ont habitées, par l'ancienneté, la beauté de leurs monuments, j'ai voulu sortir de l'abstraction, rendre le passé sensible, visible, tangible, en quelque sorte le ressaisir dans ses allures familières aussi bien que dans sa vie publique, et sinon le faire aimer (car il ne fut pas toujours aimable), tout au moins le faire comprendre, estimer à son prix, juger à sa valeur, d'après l'état mental des hommes qui furent nos pères. L'homme d'autrefois demande à être vu autant que possible dans le décor d'autrefois; nous n'avons pas le droit de le renier, et nous tenons encore de lui, à l'heure qu'il est, plus d'une habitude d'esprit, plus d'un trait. »> Voilà donc dans quel ordre d'idées a été fait ce curieux volume. M. Levallois n'a point cherché à faire un livre d'érudition; mais, pour cachée qu'elle soit, elle existe cependant; et l'on peut être sûr, en prenant pour guide l'auteur du livre Autour de Paris, de ne point faire fausse route. La fidélité des descriptions, l'exactitude des paysages concourent, avec une connaissance approfondie de l'histoire, à faire de ce volume un des livres les plus instructifs et les plus attrayants qui soient. La maison Mame, soigneuse comme toujours de sa réputation, a illustré cet ouvrage de nombreuses et curieuses gravures sur bois. C'est un modèle de bonne exécution typographique. Prédire le succès à un ouvrage de ce genre serait dire une vérité à la mode de La Palisse. Lisez plutôt le volume et vous serez de notre avis. Parlons maintenant d'un autre ouvrage publié par la maison Mame: les Artistes français contemporains, peintres et sculpteurs, par Victor Fournel. Un vol. grand in-8°, illustré de dix eaux-fortes et de 176 gravures dans le texte. (Prix: 15 fr.)

Il faut en faire notre mea culpa, nous avons en France une incurable propension à nous diminuer nous-mêmes aux yeux de l'étranger et à son profit.

Dans nos divisions d'écoles, dans notre constante recherche d'un idéal nouveau, par où se traduit l'instabilité de notre humeur, nous décrions trop volontiers toute manifestation d'art anterieure et brûlons sans pitié l'idole que nous avons cessé d'adorer. L'impartiale histoire remettra les œuvres et les hommes à leur véritable rang, et déjà elle s'y efforce pour les deux premiers tiers écoulés du XIXe siècle. Sous la forme d'une série de biographies brillamment écrites, pleines de faits, de renseignements, d'anecdotes et de << mots », M. Victor Fournel vient de ressusciter, dans sa suite chronologique, tout le mouvement de l'art français depuis Ingres jusqu'à Henri Regnault; — nous disons « depuis Ingres », bien que l'ouvrage s'ouvre par une étude sur les trois Vernet: Joseph, Carle et Horace; mais les deux premiers n'y ont été admis qu'à raison de leur parenté ascendante avec le troisième, seulement afin de ne pas rompre l'enchaînement dynastique de cette trinité de peintres.

Ce n'est pas le moindre mérite du livre de M. Victor Fournel qu'il nous rappelle au sentiment de l'équité envers cette école francaise, si généreuse, en somme, que, depuis 1800, elle a pu fournir à l'historien plus de cinquante artistes, peintres ou sculpteurs, dont le nom mérite d'échapper à l'oubli. Quelle autre école, dans le même espace d'années, en pourrait produire un même nombre? Et j'ajoute que, pour se mettre à couvert contre les jugements en appel de l'avenir, l'auteur n'a voulu accrocher dans sa galerie aucun portrait d'artiste vivant. Et je prends le mot portrait ici dans son sens absolu. En tête de ces vivantes notices, où l'on cherche à nous faire connaître la personne même autant que le maître dualité difficilement séparable, en effet, — on trouve l'effigie de chacun de ces maîtres, petits ou grands; mélancolique défilé de nos chers morts d'hier, mélancolique et cependant consolant par le témoignage qu'il nous apporte de la sève toujours présente, toujours se renouvelant au vert laurier de l'art français. A l'appui de ses fermes jugements, M. Victor Fournel met sous nos yeux un choix de reproductions gravées, tantôt en creux, tantôt en relief, d'après les tableaux dont il nous entretient. Quelques-unes de ces gravures sont elles-mêmes des œuvres de premier ordre. Telles sont, par exemple, la Salomé, de Henri Regnault, par M. Rajon; les Enfants turcs, de Decamps, par M. Champollion; les Courriers arabes, d'Eug. Fromentin, par J. Jacquem art; l'Héliodore, d'Eug. Delacroix, par M. L. Flameng; un portrait de femme de Ingres, par M. Bracquemond; et, de Ingres également, la très célèbre Edipe, par M. F. Gaillard. Toutes ces gravures sont-elles inédites? J'en doute, et il me semble que les lecteurs de la Gazette des Beaux-Arts, dans le nombre, en reconnaîtront plus d'une. Qu'importe, si c'est cela qui a permis à l'éditeur de livrer au public les Artistes français dans des conditions de prix dont la modicité étonne. L'essentiel est que les reproductions soient fidèles et belles; et elles le sont. Je n'oserais pas affirmer davantage que tous les chapitres de ce volume ont été écrits récemment et en vue de l'ouvrage même. Il me semble y reconnaître

souvent l'à-propos d'une mort ou d'une publication. Mais l'auteur a revu avec soin chacun de ces articles de circonstance, il en a fait disparaître bien scrupuleusement toute indication bibliographique et leur a donné ainsi la suite et l'unité nécessaires pour, de ce recueil d'articles, former un livre.

Librairie Victor Palmé. Cette maison d'édition semble non seulement étendre tous les ans le domaine de ses affaires, mais bien plus encore conquérir chaque jour davantage de mérite en apportant plus de soin et de goût dans ses belles publications déjà nombreuses. A côté du Jeune âge illustré, journal illustré, voici la Vie des Saints de M. Paul Guérin, l'Algérie contemporaine illustrée, par Lady Herbert, un beau volume illustré in-8° (prix: 8 fr.), puis enfin un ouvrage attrayant, instructif, s'adressant à tous, le Littoral de la France, texte par Ch.-F. Auber, dessins par Henri Scott (prix: 20 fr.). L'idée de ce livre est heureuse et ne pouvait être mieux réalisée que par les deux auteurs amoureux tous deux du littoral français, l'un peignant ses enthousiasmes, l'autre les décrivant; et à leur suite nous partons de Dunkerque pour arriver au Mont-Saint-Michel ; et quel aimable et curieux voyage! Voici Mardyck, Gravelines, puis le Pas-de-Calais, Boulogne-sur-Mer, l'embouchure de la Somme, Abbeville, le Tréport, Dieppe, Fécamp, Étretat, le Havre, Harfleur, la havigation de la Seine, Honfleur, Dives, Caen, Bayeux, Carentan, Cherbourg, Coutances, Granville, Avranches et le Mont-Saint-Michel en péril de mer, aujourd'hui en péril de digue. La France est un pays exceptionnellement favorisé par sa situation maritime; de la frontière belge à la frontière espagnole, des Pyrénées-Orientales à la frontière italienne, deux merveilleuses lignes côtières se développent. Les auteurs ont voulu ordonner rigoureusement leur étude; la route géographique naturelle leur en fournissait le moyen. Ce premier volume prend fin au MontSaint-Michel; la grande presqu'île bretonne et la Vendée fourniront sans doute, l'année prochaine, un second volume. Enfin le Littoral de la France se terminera par les autres rivages de l'Atlantique, le golfe de Gascogne et la Méditerranée.

Les deux voyageurs-auteurs ont fort habilement compris leur tàche et ce premier livre est remarquable en tous points. Il convient de féliciter M. Aubert, l'écrivain patriote, et Henry Scott, l'amoureux passionné de nos ports français, dont le crayon est si spirituel et veridique à la fois; nous aurons grand plaisir à les rencontrer bientôt en Bretagne et à les complimenter de nouveau comme ils le méritent. Le livre est très soigné, l'illustration foisonnante et toujours heureuse.

Nous arrivons maintenant à l'un des ouvrages qui vont, cette année, faire honneur à notre librairie, à une œuvre capitale qui, par le nom de son auteur, par le mérite, l'exactitude et la variété de son illustration, va prendre place parmi les livres les plus sérieux et les plus considerables qui soient depuis longtemps sortis des presses françaises; nous voulons parler de ce magnifique ouvrage, la Chevalerie, par

Léon Gautier, professeur à l'École des Chartes, que l'éditeur Palmé vient de mettre en vente. Qu'est-ce donc que la chevalerie? La chevalerie, dit M. Gautier, ce seul mot évoque le souvenir de toutes les luttes que nos pères ont soutenues pour la défense de leur pays et de leur foi. Il nous rappelle les croisades et Godefroi de Bouillon; la guerre de Cent ans avec Duguesclin et Jeanne d'Arc; les beaux coups d'épée du XVIe siècle et ce Bayard « qui fut sans peur et sans reproche ». Ce même mot (le plus sympathique peutêtre de tous ceux qu'ont créé les langues modernes) exprime à la fois ce qu'il y a de plus héroïque dans le courage, de plus délicat dans l'honneur, de plus désintéressé dans le dévouement, de plus large et de plus haut dans l'âme et dans la vie d'un homme. Respecter et défendre toutes les faiblesses, se battre pour une idée, se passionner pour les causes vaincues, mourir plutôt que de s'abaisser à une vilenie, donner sa vie à Dieu et au Christ, à l'Église et à la France: tel est le véritable caractère de cette chevalerie à laquelle est consacré le livre de M. Léon Gautier. La chevalerie est une institution, un idéal, une abstraction qui a donné lieu à bien des systèmes, à bien des erreurs; mais le chevalier, lui, est un être vivant qu'il est plus facile d'observer et de peindre. C'est ce qu'a compris M. Léon Gautier, qui a toujours été attiré par les études sur la vie privée de nos pères. Il s'est donné pour tâche de raconter à ses lecteurs la vie d'un baron depuis l'heure de sa naissance jusqu'à l'heure de sa mort; de nous faire assister à l'enfance et à la jeunesse du futur chevalier, à son entrée dans la chevalerie, à son mariage, à l'une de ses journées depuis le premier matin jusqu'au soir, à l'une de ses campagnes, à toutes les péripéties de sa vie domestique, militaire et religieuse, aux derniers jours, enfin, d'une existence si bien remplie. Telle est la biographie que M. Léon Gautier a entrepris d'écrire d'après des milliers de textes qui sont principalement empruntés aux poèmes français du moyen àge. sance d'un baron dans un vieux château; éducation première, école et jeux; instruction générale et spéciale; premiers symptômes de la vocation chevaleresque; vie du damoiseau et de l'écuyer; longue et rude préparation à l'ordre de la chevalerie; rites de cette réception solennelle; mois charmants des fiançailles et jour des noces; costume, armure, ameublement; description détaillée d'un château, d'un donjon, d'une chambre; longs diners à plusieurs mets ou services; histoire d'une expédition militaire; récit d'un siège et d'une bataille en plaine; stratégie naïve ou savante; parties de chasse au lévrier ou au faucon dans les grandes forêts ou sur le bord des étangs; pèlerinages et tournois, et enfin tous les détails de la mort et des funérailles du chevalier : voilà ce que l'on trouvera dans ce livre, qui est le résultat de vingt années de travail et qui, écrit avec chaleur d'après les documents originaux, a tout l'intérêt d'un roman et toute la valeur d'une histoire.

Nais

Une telle œuvre, si attrayante qu'elle puisse être, ne serait pas complète sans la parure d'une abondante et exacte illustration. L'image, toujours utile,

[ocr errors]

768

est ici nécessaire, et, dès qu'il s'agit de vie privée, le lecteur entend qu'on lui fasse tout voir et toucher. C'est à ce désir légitime que l'éditeur a donné satisfaction dans une longue série d'images véritablement scientifiques, qui reproduisent les divers éléments du costume et de l'armure chevaleresques, l'architecture et l'ameublement du château, les tapisseries des chambres, la vaisselle des tables, l'éducation des faucons et des chiens, les machines de guerre et tout ce qui caractérisait les mœurs et les habitudes de nos pères, depuis le berceau de l'enfant jusqu'à la tombe du vieux baron. On croit, en parcourant ces pages, retrouver soudain un château du temps de Philippe-Auguste, le retrouver vivant et tel qu'il était en l'an 1200. - Cette illustration réelle n'a pas suffi à l'éditeur; elle instruit, mais elle n'élève pas. L'érudition, c'est bien; l'art, c'est mieux encore; et il convenait de communiquer au lecteur une idée plus haute et plus dramatique de la vie chevaleresque. Pour donner à cette œuvre sa véritable saveur et tout son prix, des compositions pittoresques et idéales, des tableaux d'histoire étaient rigoureusement nécessaires. Ces tableaux d'histoire ont été demandés à ce grand artiste, Luc-Olivier Merson, qui leur a consacré deux ans de sa vie, à ce dessinateur fougueux et fécond, qui recueille en ce moment la succession de Gustave Doré et qui s'appelle Édouard Zier, au crayon consciencieux et précis de G. Jourdain, à la fantaisie gracieuse et érudite de Ciappori, au burin puissant et varié de Méaulle, qui a tenu à honneur d'attacher son nom à ce beau livre. Que dire de plus? C'est un maître qui, de sa plume savante, a écrit ce volume; ce sont des artistes du plus grand talent qui l'ont illustré ; c'est le graveur par excel lence qui y a prêté son concours. Quant à la partie typographique, elle a été traitée avec le plus grand soin. C'est donc plus qu'un livre d'étrennes, c'est une œuvre magistrale et qui restera. Maintenant, quelques chiffres. Le volume, du format grand in-4o, ne contient pas moins de vingt-cinq grandes compositions hors texte et de trente frises, de quarante lettres ornées et culs-de-lampe, et de cent cinquante gravures dans le texte. Le prix de l'ouvrage est de 25 francs, broché.

Nous en reparlerons sans doute.

D. Jouaust et Librairie des Bibliophiles. Sigaux. Nous sommes toujours heureux de signaler les belles publications que la Librairie des Bibliophiles met en vente dans le courant du mois de décembre. Chaque année, on retrouve avec plaisir ces volumes si élégamment imprimés sur de si beau papier, et ornés, pour la plupart, de gravures à l'eauforte qui sont toutes de véritables œuvres d'art. Peutêtre certains amateurs préféreraient-ils voir les plus belles éditions Jouaust réparties plus également dans le courant de l'année, afin de pouvoir mieux les savourer; mais il faut que les bibliophiles aient, eux aussi, leurs étrennes, et l'on comprend également que cette librairie mette en vente ses principales publications à l'époque où l'habitude veut qu'on se

fasse des cadeaux, à soi-même aussi bien qu'aux

autres.

Si tous les livres de cette maison se ressemblent par le soin exceptionnel avec lequel ils sont traités, chacun d'eux a toujours un côté original qui témoigne du désir de tenir en éveil et de satisfaire la curiosité. Cette année, indépendamment des collections que les bibliophiles connaissent déjà, et dont aucune n'a été négligée, on leur en offre une nouvelle, qui n'est pas certainement des moins séduisantes, et qui depuis longtemps était réclamée par beaucoup d'entre eux. Nous voulons parler de la Bibliothèque artistique moderne, qui fait aujourd'hui ses débuts. Les éditeurs se proposent d'y faire entrer les chefsd'œuvre de la littérature du XIXe siècle qui sont déjà tombés dans le domaine public, ainsi que ceux pour lesquels ils pourront obtenir l'autorisation des auteurs ou de leurs cessionnaires. La nouvelle collection est publiée dans le format in-8° écu, l'un des plus élégants et des plus goûtés des bibliophiles, et l'on a tire aussi des exemplaires en grand papier in-8° raisin. Les deux premiers ouvrages, qui paraissent actuellement, sont les Contes choisis d'Alphonse Daudet (prix: 30 francs), avec des eaux-fortes d'Eugène Burnand, un artiste dont le talent vrai et consciencieux répond exactement aux qualités de fine et précise observation qui caractérisent l'œuvre qu'il a eu à traduire, et le Roi des Montagnes (prix : 30 francs), avec des eaux-fortes de Mongin, d'après les dessins du peintre Charles Delort, qui a fort ingénieusement interprété cette spirituelle et vivante fantaisie d'Edmond About, écrite d'un style si net et si français.

Dans la Petite bibliothèque artistique, déjà si riche en ouvrages de toute sorte, et qui fait pour les auteurs anciens ce que la Bibliothèque artistique moderne se propose de faire pour les contemporains, nous trouvons, cette année, un choix des Contes fantastiques d'Hoffmann (prix : 36 francs), publiés en deux volumes avec eaux-fortes de Lalauze, et succédant au Diable amoureux, qui a paru il y a quelques mois. On sait qu'il n'y a aucune œuvre d'Hoffmann portant véritablement le nom de Contes fantastiques, que néanmoins les traducteurs français ont généralement adopté aussi l'éditeur, avec le soin scrupuleux et érudit que nous lui connaissons, a-t-il indiqué dans le titre même de l'ouvrage que les contes qu'il donne sont empruntés à deux séries, dont l'une s'appelle les Frères de Sérapion, et l'autre les Contes nocturnes. La traduction adoptée est celle de LoèveWeimars, la première qui ait fait connaître Hoffmann à la France, et que bien des personnes tiennent pour la meilleure. La nouvelle édition est aussi accompagnée d'une savante notice de M. Gustave Brunet, qui a encore prouvé cette fois, comme il l'avait fait pour les Facétieuses Nuits de Straparole, qu'il connaît à fond l'histoire de la littérature allemande. M. Lalauze, qui a déjà donné tant de preuves de son talent, était l'artiste désigné pour interpréter les contes fantaisistes de l'écrivain allemand. Ses planches sont charmantes; nous avons surtout remarqué celles du

« PreviousContinue »